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Date: 20000929

Dossier: 1999-1091-EI

ENTRE :

ALWAYS TOWING INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RICHARD S. PITRE,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelante, Always Towing Incorporated ( « ATI » ), interjette appel contre une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 1er décembre 1998 dans laquelle le ministre a conclu que l'emploi que Richard S. Pitre avait exercé pour l'appelante au cours de la période allant du 15 novembre 1996 au 28 février 1998 était un emploi assurable exercé en vertu d'un contrat de louage de services. La société appelante a fait l'objet d'un certificat de dissolution — en date du 16 février 1999 — délivré en vertu de la loi de la Saskatchewan intitulée Business Corporations Act. Son entreprise de remorquage avait auparavant été transférée à une société à dénomination numérique — la 619583 Saskatchewan Ltd. — qui, en février 1999, a changé de nom pour Always Towing '99 Incorporated. L'avocat de l'appelante m'a demandé d'accorder le statut d'intervenante à la nouvelle société, car l'entreprise est actuellement exploitée comme elle l'était durant la période visée par la décision du ministre, et il estime qu'un jugement en faveur d'ATI dans le présent appel donnera lieu à une modification d'une décision récente (mai 1999) de Revenu Canada (nom que portait ce ministère avant de devenir une agence) et à une nouvelle décision dans laquelle les conducteurs de dépanneuses seront considérés comme étant des entrepreneurs indépendants plutôt que des travailleurs employés en vertu d'un contrat de louage de services.

[2]      L'avocat de l'intimé a soulevé la question de savoir si la société appelante est fondée à interjeter le présent appel dans la mesure où, ayant été dissoute, elle n'est plus une personne « que concerne [la] décision » . L'avocat de l'appelante a toutefois fait référence au paragraphe 219(2) de la loi intitulée Business Corporations Act, qui permet qu'une procédure civile ou administrative engagée par ou contre une société avant la dissolution de celle-ci se poursuive comme si la société n'avait pas été dissoute. De plus, si la décision du ministre devait être confirmée, les administrateurs de la société pourraient encourir une responsabilité.

[3]      Avant d'entendre quelque témoignage que ce soit sur l'appel, j'ai statué que la nouvelle société — Always Towing '99 Incorporated — ne pourrait être une intervenante, car elle peut ne pas avoir existé à la date de la décision en appel, même sous sa forme antérieure de société à dénomination numérique. Assurément, elle n'exploitait pas l'entreprise de remorquage durant la période visée par la décision du ministre et ne pouvait par ailleurs être une personne « que concerne [la] décision » comme l'exige le paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi. Elle n'avait donc pas qualité pour intervenir. La disposition législative se lit comme suit :

           

La Commission ou une personne que concerne une décision rendue au titre de l'article 91 ou 92, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de la décisionou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l'impôt sur demande à elle présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt de la manière prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt et les règles de cour applicables prises en vertu de cette loi.

[4]      Le paragraphe 9.(1) des Règles de procédure de la Cour canadienne de l'impôt régissant les appels interjetés en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi se lit comme suit :

9. (1) Toute personne qui désire intervenir dans un appel doit le faire en déposant ou en expédiant par la poste, au greffe où l'avis d'appel a été déposé ou expédié par la poste, un avis d'intervention conformément au modèle figurant à l'annexe 9.

(L'italique est de moi.)

[5]      Nonobstant le libellé de ce paragraphe des Règles, il faut selon moi que, tout comme l'appelante, une personne soit directement concernée par la décision du ministre portée en appel. Une intervention a un sens particulier relativement à des appels interjetés en vertu de la Loi et ne doit pas être confondue avec la procédure de plus en plus populaire par laquelle des personnes ou des groupes demandent l'autorisation de comparaître devant un tribunal parce qu'ils prétendent avoir un intérêt important dans l'issue du litige. Statuer qu'il en va différemment, ce serait inviter des groupes d'affaires, des syndicats, des sociétés liées ou des collègues de travail à présenter des observations et à intervenir autrement dans un appel contre une décision du ministre qui concerne des travailleurs nommément désignés relativement à une période précise s'inscrivant dans le cadre d'une relation de travail particulière. Ce type d'intervention n'est pas conforme à ce que prévoient les règles relatives aux appels régis par la procédure informelle et n'est pas conforme non plus à l'intention sous-jacente au paragraphe 103(1) de la Loi.

[6]      J'ai en outre statué que l'appelante avait qualité pour en appeler. Le fait que le résultat puisse sembler d'une valeur directe limitée pour la société maintenant disparue n'est pas pertinent. L'appelante a le droit de poursuivre une instance civile en vertu de la loi intitulée Business Corporations Act et, en tant que personne qui était concernée par la décision du ministre en date du 1er décembre 1998, elle a le droit d'en appeler.

[7]      Monique Martin a témoigné qu'elle travaille dans le domaine du remorquage depuis 10 ans à Saskatoon (Saskatchewan), soit le domaine dans lequel oeuvrait l'appelante et dans lequel oeuvre la nouvelle société. Elle avait commencé à acheminer des appels pour ATI lorsqu'elle travaillait pour une entreprise de radiomessagerie. En 1994, elle a rencontré Rick Martin, président d'ATI, et par la suite ils se sont mariés. Son époux avait travaillé comme conducteur de dépanneuse quand elle exerçait les fonctions de répartiteur, selon un système de rotation dans lequel un conducteur était appelé pour accomplir une tâche, puis placé au bas de la liste, après quoi il lui fallait attendre, pour se retrouver au haut de la liste, que les conducteurs suivants se voient attribuer des travaux de remorquage. Durant un quart de soir, un conducteur affecté à une tâche pouvait déterminer si de l'aide était nécessaire; un conducteur pouvait se déclarer non disponible sans préavis ou passer son tour, et le travail était alors attribué à un autre. Monique Martin a déclaré qu'elle avait travaillé comme répartitrice pendant six mois en 1995 et que cette fonction avait ensuite été confiée à un service de réponse téléphonique indépendant d'ATI. Après que ce service eut pris en charge le traitement des appels, les tâches ont continué d'être attribuées comme avant, sauf que les conducteurs — qui étaient tous munis de téléavertisseurs — avaient cinq minutes pour répondre au répartiteur; si le conducteur appelé ne répondait pas dans ce délai, le travail était attribué à un autre. Encore là, les conducteurs pouvaient refuser un travail, pour divers motifs, par exemple à cause de la distance ou parce que, s'ils acceptaient, il leur faudrait interrompre leur repas. Les conducteurs — selon Monique Martin — traitaient le camion qui leur était assigné comme s'il avait été le leur, ils inscrivaient leur nom sur la portière et ils décoraient le véhicule. Les camions étaient tout équipés et valaient environ 15 000 $. Rick Martin et son père s'occupaient de l'entretien mécanique et de la réparation des camions, mais les conducteurs étaient tenus pour responsables de dommages causés lors du remorquage d'un véhicule et devaient rembourser au client la franchise de la police d'assurance contre les dommages matériels couvrant le véhicule remorqué. De nombreux conducteurs faisaient eux-mêmes des réparations mineures aux camions et fournissaient leurs propres petits instruments de travail. ATI avait un stock de pièces à l'établissement de l'entreprise. Les conducteurs qui étaient de service devaient payer leurs frais de repas. Outre qu'il pouvait être affecté à un travail de remorquage par le répartiteur, un conducteur pouvait être hélé dans la rue par une personne ayant besoin d'un remorquage ou dont les clés étaient enfermées à l'intérieur du véhicule. À d'autres occasions, un conducteur s'arrêtait près d'un véhicule immobilisé pour savoir si de l'aide était nécessaire. Certains conducteurs distribuaient des cartes d'affaires, tandis que d'autres se fiaient au bouche à oreille et sollicitaient du travail d'autres entreprises de Saskatoon. Certains clients — quand ils appelaient le répartiteur — demandaient un conducteur particulier et, si ce dernier se trouvait être de service, la demande était acceptée. Sinon, un autre conducteur était affecté au travail. Les conducteurs avaient le droit d'utiliser la dépanneuse pour faire des courses personnelles ou pour remorquer leur propre véhicule. Les conducteurs qui étaient de service pouvaient emmener quelqu'un avec eux, et il arrivait souvent que des épouses, des petites amies et des copains accompagnent des conducteurs et les aident à effectuer les raccordements et à remplir les documents relatifs à un remorquage. Le soir, les conducteurs rentraient chez eux avec le camion, et bon nombre des camions étaient utilisés pour des fins personnelles de transport. Le système de rotation relatif à des quarts de travail particuliers était géré par un des conducteurs, qui inscrivait des noms sur une feuille selon les indications de conducteurs individuels quant à leur disponibilité pour une période pouvant aller d'une semaine à un mois. D'après Monique Martin, l'expérience comptait dans l'entreprise de remorquage — pour que le travail soit bien fait — et le système de rotation fonctionnait le mieux avec cinq camions et un conducteur par camion. Durant le quart de soir, le conducteur ayant le privilège d'être le premier à « sortir » — de préférence un samedi — avait le droit d'accepter toutes les missions dont il était capable de s'acquitter et il pouvait ne pas répondre immédiatement à une demande et accumuler ainsi des missions, en se fondant sur son propre jugement. À d'autres occasions, un conducteur devait demander l'aide d'autres conducteurs, dont certains pouvaient être dans leur camion, tandis que d'autres pouvaient être chez eux, disponibles pour répondre à une demande après avoir été contactés par téléavertisseur. Un conducteur d'expérience pouvait déterminer la demande probable pour une période particulière en tenant compte des conditions météorologiques ou de la tenue d'activités spéciales un soir ou un week-end donné. Monique Martin a déclaré que la plupart des conducteurs semblaient aimer leur travail et qu'ils pouvaient généralement répondre à un appel de service dans le délai de cinq minutes. Le fait qu'un conducteur omette fréquemment de répondre aux appels d'un répartiteur aurait — probablement — conduit à une discussion avec ce conducteur. Les conducteurs n'étaient pas tenus de se présenter à l'établissement d'ATI, où Monique Martin travaillait et où Rick Martin s'occupait des réparations et gérait le reste des activités de l'entreprise.

[8]      Contre-interrogé par l'avocat de l'intimé, Darrel B. Nordquist a dit qu'il ne se rappelait pas quand Richard S. Pitre lui avait remis la carte — pièce A-1 — mais que c'était probablement au cours de l'été 1998. À cette époque, il pensait que M. Pitre conduisait une dépanneuse pour Always Towing Incorporated, mais il a convenu que cela ne pouvait alors être le cas, car ATI n'a commencé à faire affaire sous ce nom-là qu'en 1999. M. Nordquist a reconnu que, lorsqu'il avait son propre camion, il devait payer tous les frais de fonctionnement. À l'époque, son épouse avait exercé les fonctions de répartitrice et l'entreprise n'était pas annoncée dans l'annuaire téléphonique, mais il recevait du travail grâce au bouche à oreille et il en recevait de son frère, qui était également propriétaire d'une entreprise de remorquage.

[9]      L'intervenant n'a pas désiré contre-interroger ce témoin.

[10]     Wayne Sellar a témoigné qu'il est directeur des opérations pour Premium Moving et qu'il a conduit une dépanneuse pour ATI, puis pour Always — sporadiquement — de mai 1991 jusqu'au 30 avril 1999. Il travaillait parfois pendant un an, parfois l'hiver seulement. Il y avait alors des périodes durant lesquelles il travaillait non seulement pour l'entreprise de remorquage, mais aussi pour une entreprise de déménagement. Quand il travaillait comme conducteur de dépanneuse, il était intégré au système de rotation géré par les conducteurs, de sorte que tous les utilisateurs avaient des chances égales de gagner un revenu. L'établissement des horaires était un travail d'équipe auquel participaient tous les conducteurs. Lorsqu'il travaillait comme conducteur de dépanneuse, M. Sellar utilisait parfois le camion pour des fins personnelles de transport et, occasionnellement, lorsqu'il prenait des congés, il garait simplement le camion, mais il arrivait aussi qu'il fasse en sorte qu'un conducteur le remplace. Lors de certaines affectations, son épouse l'accompagnait et elle l'aidait à effectuer les raccordements et à remplir les documents nécessaires. Il s'occupait de l'entretien du camion pour acquérir une connaissance pratique de la mécanique, mais Rick Martin ne l'y obligeait pas. Bien qu'il y ait eu un tarif de base à faire payer pour divers types de travaux de remorquage, il arrivait qu'il accorde un rabais à un client dans l'espoir d'obtenir d'autres travaux à un moment donné. Il avait toute latitude pour facturer les services aux clients selon les circonstances et pouvait demander un tarif forfaitaire ou un tarif horaire de 40 $. Certains conducteurs faisaient payer plus cher que d'autres, selon leur appréciation personnelle du temps et de l'énergie nécessaires à l'exécution du travail. Au terme d'un processus d'appel d'offres, la ville de Saskatoon adjugeait annuellement un contrat de remorquage et, parfois, le contrat était obtenu par ATI et / ou Always.

[11]     Contre-interrogé par l'avocat de l'intimé, M. Sellar a déclaré qu'il avait appris la mécanique de Richard Martin, en aidant ce dernier à réparer la dépanneuse au garage d'ATI.

[12]     L'intervenant n'a pas désiré contre-interroger ce témoin.

[13]     David Chivers a témoigné qu'il travaille actuellement comme technicien en réparation de roues et qu'il a travaillé comme conducteur de dépanneuse de 1996 jusqu'au début de 1999. Le camion a toujours arboré un insigne indiquant qu'il faisait partie de l'entreprise d'Always. Le camion était intégré au système de rotation; quand il voulait prendre congé, M. Chivers demandait à un ami à qui il avait montré comment faire les travaux de remorquage de conduire le camion pour lui. Son ami n'acceptait aucune rémunération — de M. Sellar — pour le travail de conducteur suppléant. M. Sellar a déclaré que, à l'époque où il conduisait un camion d'Always, il sollicitait en outre du travail d'un concessionnaire d'automobiles et qu'il arrivait que ce dernier téléphone à la société de remorquage et demande que ce soit lui qui accomplisse un travail s'il était disponible, sinon c'était un autre conducteur qui répondait à la demande de service.

[14]     Au cours du contre-interrogatoire, M. Sellar a reconnu qu'il était probablement le seul conducteur à avoir conclu un arrangement en vertu duquel un conducteur suppléant conduisait le camion gratuitement, simplement à titre de faveur ou pour son plaisir personnel. Le coût du carburant, des assurances, de l'entretien et des réparations était couvert par la part de 65 p. 100 des revenus retenue par ATI et / ou Always.

[15]     L'intervenant n'a pas désiré contre-interroger ce témoin.

[16]     Corinne Waldner a témoigné qu'elle est gestionnaire de bureau et qu'elle a travaillé — comme téléphoniste — à Norplex Calling Centre. Norplex répondait à des appels, donnait des affectations aux conducteurs et servait de canal de communication. C'était à Norplex que l'on répondait aux appels de clients ayant composé le numéro de téléphone d'ATI inscrit dans l'annuaire. Dans le cadre d'un système de rotation, il y avait une liste au bureau de Norplex, et les téléphonistes utilisaient un radio, ensuite un téléavertisseur, puis de nouveau un radio pour contacter le conducteur dont le nom figurait au haut de la liste. Si ce conducteur ne répondait pas dans les cinq minutes, le conducteur suivant dans la liste était appelé et, s'il n'était pas disponible, le suivant était contacté, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un conducteur accepte l'affectation. Certains conducteurs refusaient des affectations, ce qui faisait que, conformément au système de rotation, le conducteur suivant dans la liste était contacté par radio-téléphone. La feuille de rotation était faxée au bureau de Norplex par le bureau d'ATI, et les changements subséquents étaient faits par les conducteurs. Mme Waldner connaissait Rick Pitre à l'époque où ce dernier conduisait un camion pour Always ou ATI.

[17]     Contre-interrogée par l'avocat de l'intimé, Corinne Waldner a déclaré que certains conducteurs demandaient à ne pas être appelés avant un certain temps et qu'elle avait sa propre façon de tenir la liste des conducteurs devant être affectés à des missions.

[18]     L'intervenant n'a pas désiré contre-interroger ce témoin.

[19]     Brian Whitehead a témoigné qu'il avait travaillé comme conducteur de dépanneuse à Always du début de 1998 jusqu'à ce que l'entreprise ferme ses portes, soit jusqu'en avril 1999. Durant cette période, il était propriétaire de deux dépanneuses, et il y avait un conducteur qui travaillait pour lui à une autre entreprise de remorquage pendant qu'il essayait de vendre l'une des deux dépanneuses. Aucune règle ou supervision n'était imposée aux travailleurs par la direction d'Always, et les prix pouvaient être établis par l'utilisateur — sur les lieux — selon les circonstances, mais Always avait bel et bien un prix de base de fixé pour divers services. Si M. Whitehead prenait un congé, le conducteur suppléant recevait 35 p. 100 du revenu gagné grâce au travail accompli avec le camion, c'est-à-dire que M. Whitehead remettait une facture à Always et en versait le montant au conducteur suppléant quand il le recevait d'Always.

[20]     Contre-interrogé par l'avocat de l'intimé, M. Whitehead a déclaré que, lorsqu'il avait son propre camion, il payait des frais d'affectation représentant 18 p. 100 du revenu généré par le service rendu, alors que comme conducteur il recevait 35 p. 100 du revenu brut. Quand il travaillait à Always, il n'avait jamais eu de problèmes à prendre des congés.

[21]     L'intervenant n'a pas désiré contre-interroger ce témoin.

[22]     Richard Pitre a été appelé comme témoin par l'avocat de l'intimé. Il a reconnu un questionnaire — pièce R-3 — qu'il avait rempli. D'après lui, une fois qu'un conducteur s'était vu remettre un téléavertisseur, il était en disponibilité sept jours sur sept, 24 heures sur 24, toute l'année. Des copies des chèques de paye de M. Pitre — pièce R-4 — indiquaient qu'il était payé deux fois par mois, selon un taux représentant 35 p. 100 du revenu brut gagné dans l'exécution de ses fonctions d'utilisateur de dépanneuse. S'il recevait une affectation, il considérait qu'il était de son devoir d'accomplir le travail personnellement. Le quart de jour — durant lequel la plupart des conducteurs travaillaient — commençait à 7 heures et le quart de soir commençait à 17 h 30. Norplex enregistrait l'heure à laquelle un conducteur était affecté et l'heure à laquelle il était libéré (une fois l'affectation exécutée), puis le nom de cette personne retombait au bas de la liste dans le système de rotation. Quand il avait commencé à conduire la dépanneuse, M. Pitre avait été accompagné d'un autre conducteur pendant trois ou quatre jours, avant d'avoir l'autorisation de s'acquitter tout seul d'une affectation. Une fois, il était parti en voyage durant la période des fêtes et, à son retour, il avait constaté que le camion avait été retiré de son allée et il avait appris que le camion avait été garé à l'établissement d'Always. Il considérait que son travail à Always était un travail à temps complet et qu'il ne pouvait donc travailler pour une autre entreprise de remorquage. Il a déclaré que son permis d'utilisateur avait été suspendu pour une période de cinq mois par suite d'une condamnation pour conduite en état d'ébriété et qu'il avait demandé à Rick Martin s'il pourrait reprendre son travail une fois levée la suspension. M. Martin l'avait informé qu'une telle réintégration pourrait être possible et que, toutefois, il ne lui garantissait pas de travail pour l'avenir. Lorsque le permis de M. Pitre avait été suspendu, le camion avait été confié à Wayne Sellar en tant que conducteur-utilisateur. M. Pitre a déclaré qu'il payait lui-même de petites réparations et qu'il se remboursait lui-même sur l'argent qu'il percevait lors de travaux de remorquage, mais, a-t-il dit, il plaçait toujours la facture pertinente dans l'enveloppe, et cela était pris en compte lorsque les calculs relatifs à la paye étaient effectués au bureau d'ATI. S'il y avait de l'argent qui manquait, Always imposait au conducteur une pénalité représentant 100 p. 100 de la somme manquante — proportion qui a ultérieurement été portée à 200 p. 100. M. Pitre a déclaré qu'il pouvait utiliser le camion pour des courses personnelles, mais pas sur de longues distances, et il a dit que les congés qu'il lui était arrivé de demander lui avaient été simplement refusés. Lorsqu'il était de garde, il payait lui-même ses frais de repas et, comme il n'avait aucune responsabilité à l'égard des frais de fonctionnement relatifs au camion qu'il conduisait, il se considérait comme étant un employé. La carte d'affaires — pièce A-1 — avait été faite juste avant qu'il commence à travailler comme conducteur surnuméraire pour Astro Towing et ne se rapportait pas au travail qu'il accomplissait à Always. Les frais supplémentaires d'assurance — imposés par suite de condamnations — s'appliquent seulement au permis personnel d'utilisateur et doivent être payés pour pouvoir détenir ce permis.

[23]     Contre-interrogé par l'avocat de l'appelante, M. Pitre a reconnu qu'il utilisait la dépanneuse pour des fins personnelles s'il était en disponibilité le soir. Il avait inscrit sur la portière du camion son nom et celui de sa petite amie, Donna, qui l'accompagnait dans ses affectations et qui l'aidait à remplir les documents nécessaires. L'été, cinq camions étaient exploités, et il travaillait — en moyenne — 11 heures par jour. Ce n'était pas des heures travaillées sans arrêt, mais il était toujours disponible pour des affectations durant cette période. Il avait utilisé la dépanneuse pour se rendre à des bars, mais il ne consommait pas d'alcool avant d'exercer ses fonctions d'utilisateur. Il n'avait jamais conclu un contrat écrit avec Always et / ou ATI. Sur la carte d'affaires — pièce A-1 — il avait fait inscrire le numéro de téléavertisseur qui lui avait été attribué lorsqu'il travaillait à Always. Certains jours — quand il travaillait de 7 heures à 22 h 30 — il pouvait n'exécuter que quatre affectations, tandis que d'autres fois — s'il faisait très froid — il était constamment en train de répondre à diverses demandes de service. Il a déclaré qu'il choisissait de se présenter au bureau d'ATI avant d'entreprendre une affectation et qu'il ne se souvient pas d'avoir déjà refusé une affectation, car il voulait maximaliser son revenu.

[24]     L'avocat de l'appelante faisait valoir que les conducteurs étaient très peu contrôlés ou supervisés dans l'exercice de leurs activités et que la fonction de répartiteur était remplie par une entité indépendante. De plus, les conducteurs étaient animés de l'esprit d'entreprise, car ils pouvaient accroître leur revenu de diverses façons, et la division du revenu brut généré grâce aux camions conduits par les travailleurs créait une sorte de coentreprise entre les travailleurs et l'appelante. En ce sens, soutenait l'avocat de l'appelante, les conducteurs étaient des travailleurs indépendants qui se conformaient à un arrangement commercial qu'ils avaient conclu avec l'appelante et qui était mutuellement satisfaisant.

[25]     L'avocat de l'intimé soutenait que la jurisprudence permettait de conclure dans le présent appel que — selon les critères à appliquer — la décision du ministre était fondée, car les services fournis par l'intervenant étaient fournis en vertu d'un contrat de louage de services, et l'emploi exercé par Richard Pitre durant la période pertinente était un emploi assurable.

[26]     Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a approuvé l'assujettissement de la preuve aux critères suivants, en précisant bien qu'il s'agit en fait d'un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations.


Les critères sont les suivants :

          1. le contrôle;

          2. la propriété des instruments de travail;

          3. les chances de bénéfice ou les risques de perte;

          4. l'intégration.

Contrôle :

[27]     La preuve révèle que les conducteurs pouvaient établir — entre eux — un horaire couvrant toutes les heures de service offertes par l'appelante au public et accordant à tous les conducteurs des chances égales de travailler durant certaines périodes connues comme étant les meilleures du point de vue des revenus pouvant être gagnés. Toutefois, Rick Martin — au nom d'ATI — faisait fonction d'arbitre s'il y avait un différend entre les conducteurs et il jouait un rôle disciplinaire quand il s'agissait de parler à un conducteur au sujet d'une plainte d'autres conducteurs, concernant habituellement une réponse tardive à une demande d'aide. Les conducteurs étaient libres de se déclarer non disponibles pour certaines journées et de passer leur tour relativement à certains appels. Comme l'a expliqué Rick Martin, l'appelante avait suffisamment de camions en service — ou disponibles — à quelque moment que ce soit pour que, si un ou plusieurs conducteurs décidaient de ne pas travailler un jour donné, cela n'influe pas — négativement — sur le revenu de l'appelante. Dans le monde du travail d'aujourd'hui, il y a deux facteurs importants pour ce qui est de la question du contrôle. Premièrement, de nombreux emplois exigent des connaissances spécialisées débordant le cadre de la compétence d'un superviseur, et un contrôle direct n'est plus la norme. Deuxièmement, dans de nombreuses entreprises — y compris celle de l'appelante en l'espèce — le propriétaire ou le directeur a à peu près le même âge que les travailleurs, et il y a un style moderne de gestion qui fait appel aux travailleurs, dans lequel des décisions sont prises en équipe, dans lequel des politiques sont établies par consensus et qui permet plus de souplesse dans l'exploitation quotidienne et moins de dépendance à l'égard de la micro-gestion qu'assure la personne qui — dans les situations cruciales — a encore son rôle de patron. Ce n'est pas parce qu'il règne un esprit de famille au travail que l'on a affaire à des entités indépendantes traitant les unes avec les autres. Dans le présent appel, la fonction de supervision globale était assurée par Rick Martin et par son épouse, Monique, qui dirigeait le bureau et qui s'occupait de percevoir les pénalités imposées aux conducteurs lorsque la somme exacte n'avait pas été remise dans les délais. La décision d'exclure un camion — et le conducteur — du système de rotation était prise par la direction d'ATI. Ainsi, lors d'une période de congé, ATI avait décidé d'aller chercher le camion conduit par M. Pitre et de le ramener à l'établissement d'ATI.

Propriété des instruments de travail :

[28]     Les dépanneuses tout équipées — conformément aux normes de l'industrie — étaient fournies aux conducteurs par ATI et étaient prêtes à être utilisées telles quelles. Le fait que les conducteurs pouvaient ajouter des lumières, des décalques et des crochets et qu'ils pouvaient utiliser leur propre cric ou des outils personnels n'est pas particulièrement important. Les instruments de travail essentiels pour l'activité productive de revenu étaient fournis par l'appelante, tout comme le matériel destiné à en maintenir le bon fonctionnement.

Chances de bénéfice ou risques de perte :

[29]     Les conducteurs — y compris l'intervenant — gagnaient 35 p. 100 du revenu brut généré par le camion. Bien que les conducteurs aient eu jusqu'à un certain point le pouvoir discrétionnaire de faire payer à un client ce qu'ils estimaient approprié dans les circonstances constatées sur les lieux, un tarif fixe déterminé par ATI s'appliquait à bon nombre des travaux de remorquage. Le carburant était acheté par ATI, et tous les frais liés au fonctionnement des camions étaient pris en charge par l'appelante. L'intervenant était remboursé par ATI pour les achats nécessaires pour le camion. Même si les chauffeurs pouvaient favoriser ou solliciter l'obtention de travaux supplémentaires, les revenus produits allaient quand même dans une proportion de 65 p. 100 à l'appelante et dans une proportion de 35 p. 100 aux conducteurs. Les conducteurs ne couraient pas de risques de perte, sauf s'ils endommageaient la voiture d'un client, et aucun élément de preuve n'indique qu'il est déjà arrivé qu'ATI prenne des mesures à cet égard. Quoi qu'il en soit, si les travailleurs étaient vraiment des employés, le fait de leur imposer une pénalité sous forme de déduction ou autre pour dommages causés dans l'exercice des fonctions serait contraire à la législation provinciale en matière de normes du travail.


Intégration :

[30]     Ce critère est l'un des plus difficiles à appliquer. Aux pages 563 et 564 (C.T.C. : à la page 206) de l'arrêt Wiebe, précité, le juge MacGuigan disait :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

            C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION]

Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[31]     En l'espèce, les camions faisaient l'objet de ce qui semble être une entente officieuse de location entre Rick Martin et son père et la société — ATI — dont ils étaient propriétaires à parts égales. Les locaux à partir desquels l'entreprise était exploitée et le matériel pour l'entretien et les réparations nécessaires appartenaient à ATI ou étaient loués par elle. La possibilité d'acheter du carburant à un prix de gros résultait d'un contrat conclu entre ATI et le fournisseur. La décision de confier la fonction de répartiteur à Norplex avait été prise par la direction d'ATI, bien que Monique Martin ait rempli cette fonction jusqu'en 1996. C'était Norplex qui, au nom d'ATI, répondait aux appels de clients potentiels, et toutes les annonces et inscriptions dans les annuaires indiquaient que l'entreprise de remorquage était l'entreprise d'ATI ou d'Always, selon la période. Lorsque l'intervenant s'est vu suspendre son permis de conduire, ATI a réagi en faisant ramener à son établissement le camion de la société qui se trouvait chez M. Pitre et elle a promptement attribué ce camion à un autre conducteur. C'était l'appelante qui soumissionnait à l'adjudication du contrat de la ville de Saskatoon — annuellement. Dès qu'une personne composait le numéro de téléphone pertinent pour avoir un service de remorquage, l'infrastructure mise en place par ATI et son prédécesseur entrait en jeu, et un conducteur était affecté au travail dans le cadre d'un mécanisme établi et payé par l'appelante. Le conducteur accomplissait le travail et — le plus souvent — faisait payer un prix précédemment fixé par ATI. Même si le conducteur utilisait le pouvoir discrétionnaire qu'il avait de demander une somme supplémentaire, ce revenu était également divisé en parts respectives de 65 p. 100 et de 35 p. 100, soit une formule qui — fait important — s'appliquait à tout l'argent gagné par un conducteur, même lorsque ce dernier était hélé dans la rue, appelé personnellement par téléphone ou autrement contacté pour accomplir un travail de remorquage sans que le client soit passé par le répartiteur. Les conducteurs remettaient les documents qu'ils avaient dû remplir, et leur part du revenu brut était calculée par Monique Martin, qui émettait ensuite un chèque. Cette façon de procéder ne cadre pas avec la situation d'un entrepreneur indépendant qui facture un service à un client; elle cadre davantage avec la situation d'un travailleur qui remet des feuilles de temps ou avec la situation d'un employé qui est payé à la commission ou aux pièces et qui remet l'information requise pour que le paiement soit déterminé par l'employeur.

[32]     Je suis au courant que les conducteurs — sauf l'intervenant — se considéraient comme étant des entrepreneurs indépendants. Ce que les parties pensaient que leur relation était ne change pas les faits. Dans l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992, à la page 2 (147 N.R. 238, à la page 239), le juge Stone disait :

            Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[33]     Comme je l'ai fait remarquer dans l'affaire Blues Trucking Inc. c. M.R.N. [1999 A.C.I. no 675], aux paragraphes 18 et suivants :

Dans l'affaire F.G. Lister Transportation Inc. c. M.R.N., 96-2163(UI), non publiée, datée du 23 juin 1998, j'ai examiné la situation de chauffeurs de camion effectuant des transports sur de longues distances, et j'ai conclu qu'il s'agissait d'employés travaillant dans le cadre d'un contrat de louage de services. Étant donné que l'issue de la plupart des affaires de ce genre peut dépendre des légères différences factuelles qui ressortent, j'ai formulé le commentaire suivant au paragraphe 13 de cette affaire :

                        Je me vois maintenant contraint de faire ressortir les différences qui existent entre les faits de l'appel en l'instance et ceux de deux autres affaires dans lesquelles j'ai conclu que les conducteurs étaient des entrepreneurs indépendants. Dans l'affaire Lee c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.I. no 426, j'ai conclu que le conducteur d'un grand routier était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, le conducteur avait inscrit son entreprise aux fins de la taxe sur les produits et services, avait tenu un compte de banque commercial et avait produit des déclarations de revenu en tenant pour acquis qu'il travaillait à son compte. Dans l'affaire Lee, l'appelant avait déjà été un employé du payeur et avait accepté de modifier la relation de travail; en outre, la preuve permettait clairement d'établir que l'appelant aurait pu embaucher un remplaçant pour conduire les grands routiers à sa place et réaliser ainsi un bénéfice. Aussi, dans l'affaire Lee, la question se résumait à choisir entre deux versions du cadre dans lequel s'inscrivait une relation de travail, et le choix ne favorisait pas le travailleur. J'ai également conclu que les instruments de travail étaient les compétences personnelles du conducteur à titre de personne qualifiée capable de conduire une remorque remplie de marchandises sur de longues distances. Pour tirer cette conclusion, je me suis appuyé sur le fait que le conducteur exploitait une entreprise sous la raison sociale Rick's Driving Services, qu'il avait un compte de banque à ce nom et qu'il faisait par ailleurs affaire avec des tierces parties sous ce nom. Sur ses déclarations de revenu, le travailleur avait indiqué qu'il travaillait pour son compte.

                        Dans une autre décision que j'ai rendue dans l'affaire Metro Towing Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1991] A.C.I. no 717, j'ai conclu qu'un conducteur de dépanneuse était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, même si le travailleur était assujetti à un contrôle étroit, il avait loué le véhicule et tout l'équipement nécessaire pour effectuer son travail et il prenait à sa charge la totalité des frais connexes, dont les primes d'assurance. Ce conducteur courait également un risque élevé de perte relativement à l'utilisation du véhicule s'il ne générait pas suffisamment de recettes brutes, lesquelles fluctuaient d'un mois à l'autre, tout comme, dans une moindre mesure, ses frais d'utilisation. Dans cette affaire, comme dans l'affaire Lee, précitée, le travailleur avait déjà été un employé de l'entreprise et il avait décidé de conclure un nouveau contrat de travail aux termes duquel il louait un camion et une partie de l'équipement et avait le droit de conserver 30 % des recettes brutes découlant des appels de dépannage que lui adressait Metro Towing Ltd. Dans l'affaire Metro Towing Ltd., la preuve a révélé que les autres conducteurs de dépanneuse fournissaient leurs services par le truchement d'une société à responsabilité limitée ou en vertu de contrats de société.

                        Dans l'affaire Summit Gourmet Foods Inc. c. M.R.N. 97-470(UI), une décision de l'honorable juge Mogan, de la C.C.I., datée du 24 novembre 1997, le juge Mogan s'est penché sur la situation d'une personne — Freeman Walters, l'intervenant — qui conduisait un camion pour l'appelante, une société exploitant une entreprise comme fournisseur de pizzerias. Le juge Mogan a conclu que le conducteur exerçait un emploi assurable et il a déclaré ce qui suit, à la page 5 et aux pages suivantes :

               En ce qui a trait au contrôle, je considère que ce critère favorise légèrement la thèse selon laquelle Freeman était un employé et non un entrepreneur indépendant, quoique l'avocat de l'appelante ait souligné que l'on ne disait pas à Freeman comment accomplir son travail. J'accepte cela. Par contre, on attribuait à Freeman des voyages à faire; il pouvait déterminer l'ordre et la date des livraisons, mais les produits devaient être livrés en une semaine, et il devait téléphoner au bureau de l'appelante chaque matin. C'est ce qu'a révélé le témoignage de Freeman, qui a dit : [TRADUCTION] « Toute personne conduisant un camion doit communiquer avec le bureau, et c'est ce que je faisais. Je devais appeler chaque matin pour dire où j'allais, pour qu'on sache où je serais ce jour-là et pour qu'on sache si des clients avaient passé des commandes supplémentaires que je pourrais avoir à exécuter en utilisant les produits supplémentaires que je transportais » . L'appelante a eu la possibilité de produire une contre-preuve pour contredire cette simple assertion de Freeman, mais elle ne l'a pas fait. Me fondant sur le bon sens, je crois cette assertion.

Eric a décrit un camion congélateur que Freeman utilisait et qui coûtait entre 70 000 $ et 80 000 $. Lorsqu'une entreprise envoie une personne quelque part dans un camion de cette valeur appartenant à l'entreprise, elle veut savoir où le camion se trouve chaque jour et, lorsqu'il s'agit de servir une clientèle bien établie, elle veut savoir en temps opportun si ces clients se font effectivement servir, car cette clientèle est vitale pour une entreprise. Je ne peux croire qu'une personne dans la situation de Freeman ne serait pas tenue de signaler chaque jour où elle était allée, quels clients elle avait servis et s'il y avait eu des commandes nouvelles.

Le fait que Freeman pouvait déterminer l'ordre dans lequel il servirait ces clients ou le moment où il entreprendrait un voyage indique qu'il avait une certaine autonomie, mais, tout compte fait, je dirais que, bien qu'il n'ait pas été directement contrôlé par l'appelante, cette dernière savait quotidiennement où il était, ce qu'il faisait et quels clients il avait servis. Donc, pour ce qui est du critère du contrôle, je conclus que la preuve indique davantage l'existence du type de contrôle exercé sur un employé que l'existence de la simple orientation donnée à un entrepreneur indépendant.

En ce qui a trait au critère de la propriété des instruments de travail, il favorise très nettement la thèse selon laquelle Freeman était un employé et non un entrepreneur indépendant. Les seuls instruments pertinents pour ce genre de travail sont le camion et le chariot, qui appartenaient tous les deux à l'appelante. L'avocat de l'appelante a porté à mon attention une cause semblable en Saskatchewan, dans laquelle le juge Kyle de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan avait dit :

[TRADUCTION]

[...] Faire un parallèle entre la propriété des instruments de travail dans le cas d'un homme de métier et la propriété de l'hôtel et du matériel qu'il contient dans un cas comme celui-ci semble forcer à outrance le raisonnement de l'arrêt Montreal Locomotive.

Je suis d'accord là-dessus. Je pense que, il y a un demi-siècle, les savants juges qui ont établi ces premiers critères et qui parlaient de la propriété des instruments de travail n'ont jamais eu à l'esprit un camion de 80 000 $. À mon avis, ils parlaient des outils d'un homme de métier, par exemple le marteau et la scie d'un menuisier. Toutefois, le fait est que, dans une société plus complexe, le camion en question représentait le seul instrument au moyen duquel le service était fourni. Le permis de conduire détenu par Freeman était une condition préalable de son embauchage par l'appelante; Freeman n'aurait pu être embauché s'il n'avait pas eu un permis de conduire. Je ne considère pas le permis de conduire de Freeman comme un instrument de travail. Je prends en considération la seule chose que Freeman utilisait pour fournir les services, soit un véhicule hautement perfectionné et très coûteux. Donc, le critère de la propriété des instruments de travail favorise l'existence d'un emploi.

En ce qui concerne les chances de bénéfice et les risques de perte, je conclus que ce critère aussi favorise l'existence d'un emploi, car il n'y avait pratiquement aucun risque de perte. Il y avait une chance de rémunération, car tout ce que Freeman avait à faire était d'effectuer le voyage aller-retour pour recevoir la somme dont il avait convenu avec l'appelante dans la pièce A-1. Dans ce contexte, la rémunération n'est pas un bénéfice. L'avocat de l'appelante a soutenu que Freeman pouvait subir une perte, puisque, pour ce qui était des produits excédentaires qu'il transportait, il pouvait dire : [TRADUCTION] « Je vais en acheter et les revendre à profit moi-même » . S'il avait conclu ce type d'arrangement, il aurait pu acheter le produit au moment d'entreprendre un voyage; il aurait pu acheter 10 caisses de pizzas préparées, disons, et courir la chance de les vendre au cours de ce voyage et de gagner de l'argent en faisant le commerce de produits de pizza. Il peut avoir eu cette possibilité, mais je conclus que les produits supplémentaires n'étaient pas destinés simplement aux activités commerciales du conducteur. Ils étaient également destinés à répondre aux besoins de clients établis qui, durant le voyage, pouvaient décider qu'il leur fallait plus que les produits qui leur étaient destinés au moment du départ du camion.

[34]     Les commentaires formulés plus haut et l'extrait précité de l'affaire Summit Gourmet Foods sont pertinents aux fins du présent appel.

[35]     Dans l'affaire Information Communication Services (ICS) Inc. c. M.R.N. — 97-839(UI) et 97-841(UI) — j'ai statué que les conducteurs de véhicules assurant un service de livraison dans une industrie particulière étaient des entrepreneurs indépendants. Dans cette affaire, les véhicules appartenaient aux conducteurs, très peu de contrôle était exercé sur l'activité quotidienne des conducteurs et il y avait des chances de bénéfice et des risques de perte. Qui plus est, la preuve amenait à conclure que les travailleurs étaient à leur compte : ils s'étaient notamment inscrits aux fins de la TPS, ils produisaient leurs déclarations de revenus en tant que travailleurs indépendants et ils embauchaient des conducteurs suppléants pour s'occuper du parcours assigné. Autre facteur important, le prétendu employeur n'avait pas d'établissement dans la région où les services étaient fournis et devait compter sur des tiers pour le transport du produit depuis Vancouver jusqu'à Nanaïmo, sur l'île de Vancouver, où les conducteurs entreprenaient de livrer les colis aux destinataires. En outre, indépendamment d'ICS, les conducteurs pouvaient sur leur parcours faire des livraisons d'un client d'ICS à un autre et percevoir une commission pour ce service.

[36]     Dans un jugement récent, soit Flash Courier Services Inc. c. M.R.N. [2000 A.C.I. no 235], en date du 14 avril 2000, j'ai conclu qu'un messager était un entrepreneur indépendant, selon les faits propres à cet appel. Dans cette affaire, le travailleur — un messager d'expérience — utilisait sa propre camionnette et son propre matériel dans son travail pour Flash Courier et avait précédemment travaillé à son compte. J'ai conclu qu'il avait payé lui-même les cotisations à la commission des accidents du travail, conformément à un compte qu'il avait ouvert auprès de cet organisme, et qu'il était totalement responsable des dépenses liées à son activité. (Dans le présent appel, l'avocat de l'appelante a avisé la Cour qu'ATI n'avait pas payé de cotisations pour les conducteurs à la commission des accidents du travail.) Lorsque le véhicule productif de revenu appartient au conducteur-utilisateur, ce qui fait que cette personne court un risque de perte et ce qui peut influer sur les chances de bénéfice en ce que le pourcentage du revenu total peut être supérieur selon le mode d'exploitation et / ou des caractéristiques spéciales du véhicule — la situation est bien particulière et cela peut souvent — de concert avec d'autres facteurs — donner lieu à un résultat différent.

         

[37]     Ayant examiné la preuve, et notamment l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations, je conclus que Richard Pitre était un employé fournissant des services en vertu d'un contrat de louage de services et que l'emploi qu'il exerçait pour l'appelante était un emploi assurable. La période visée par la décision du ministre va du 15 novembre 1996 au 28 février 1998. La preuve à cet égard est déroutante, parce qu'il y a des témoignages contradictoires et qu'il n'est pas possible de déterminer si ATI n'a vu le jour qu'à un moment donné en 1997 ou si elle avait été constituée précédemment et si l'entreprise elle-même a été transférée à la société à dénomination numérique à cette époque. Dans ce cas, ATI continuerait d'exister comme société mais n'exploiterait plus l'entreprise de remorquage dont on semblait dire — à tort — qu'elle appartenait à Always Towing '97 Incorporated. Les chèques de paye émis en faveur de Richard Pitre jusqu'au 15 septembre 1997 — pièce R-4 — portent l'en-tête d'Always Towing Incorporated. Puis, à partir d'octobre 1997, les chèques portent l'en-tête d'Always Towing (1997) Incorporated, qui n'existait pas en fait comme société de capitaux, mais — apparemment — tel était le nom utilisé par la société à dénomination numérique pour exploiter l'entreprise de remorquage. Indépendamment de la structure organisationnelle, les camions arboraient l'insigne d'Always Towing. Avant la constitution d'une société quelconque, Rick Martin et son père exploitaient l'entreprise de remorquage — depuis 1988 — sous la désignation de No-Name Towing. L'appelante a été constituée pour exploiter l'entreprise simplement parce qu'elle craignait qu'une action soit intentée par des gens d'affaires qui vendaient un produit alimentaire générique sous la désignation « no-name » (produit sans nom de marque) et qui misaient là-dessus pour se faire une réputation. Apparemment, on jugeait considérable le risque de confusion — dans l'esprit du consommateur — face à du beurre d'arachide « no-name » et à un service de remorquage appelé No-Name Towing. Le problème est que je ne peux déterminer à partir de la preuve si ATI existait tout au long de la période allant du 15 novembre 1996 au 28 février 1998 ou si elle a continué d'exister — sans aucun actif — mais n'exploitait pas l'entreprise de remorquage après le 1er octobre 1997 parce qu'elle avait transféré cette entreprise à la nouvelle société, soit la 619583 Saskatchewan Ltd. Avant la constitution d'une société quelconque, l'employeur aurait été une société de personnes composée de Rick Martin et de son père. Il se peut que la société nouvellement créée ait gardé le numéro de l'employeur précédent. Il se peut que, jusqu'à sa dissolution officielle en date du 16 février 1999, ATI ait continué d'être un employeur en vertu de la Loi, malgré le fait que l'employé recevait sa rémunération d'une autre personne morale, soit la société à dénomination numérique. En l'absence d'une preuve solide sur ce point, je ne peux conclure que l'employeur n'était pas ATI durant la période visée par la décision rendue par le ministre le 1er décembre 1998. Dans les réponses de Rick Martin au questionnaire — pièce R-1 —, rien n'indique qu'une entité autre qu'ATI avait une relation de travail avec l'intervenant à quelque moment que ce soit au cours de la période allant du 15 novembre 1996 au 28 février 1998.

[38]     La décision du ministre est confirmée et l'appel est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 29e jour de septembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2001.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1091(EI)

ENTRE :

ALWAYS TOWING INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RICHARD S. PITRE,

intervenant.

Appel entendu le 1er août 2000 à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Melvin A. Gerspacher

Avocat de l'intimé :                              Me Marvin Luther

Pour l'intervenant :                     l'intervenant lui-même

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta) ce 29e jour de septembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'octobre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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