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Date: 19980709

Dossiers: 96-2688-IT-I; 96-2829-IT-G

ENTRE :

COLOMBE MARTEL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Guy Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1]            Selon les avis d'appel et les réponses aux avis d'appel, il s'agit de savoir si en vertu des dispositions 160(1) et 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), l'appelante est responsable conjointement et solidairement d'une dette de 3 341,65 $ de Les Placements Gaber Inc., pour déductions à la source non remises (dossier 96-2688(IT)I) et d'autre part, responsable aussi d'une dette d'impôt de 20 685,06 $ de Les Placements Gaber Inc., le tout à la suite d'un transfert, le 12 novembre 1993, d'une propriété sise au 3145, Route du Lac Ouest à Alma (Québec) et ayant une valeur de 71 500 $ selon l'intimée alors que l'appelante n'aurait payé cette propriété que 22 000 $.

[2]            L'appelante, toutefois, soutient avoir assumé de nombreuses charges dues par la compagnie, auteur du transfert dont il devrait être tenu compte.

Fardeau de la preuve

[3]            L'appelante a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national [1].

[4]            Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à g) du paragraphe 8 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

8.              En établissant la cotisation du 2 mai 1995, portant le numéro 08 720, en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

a)              Le ou vers le 12 novembre 1993, par acte notarié, la compagnie Les Placements Gaber Inc. a transféré [nié] à l'appelante une propriété située au 3145, Route du Lac Ouest, à Alma; [admis quant au reste]

b)             Ledit acte notarié stipule que la contrepartie donnée par l'appelante à l'auteur du transfert, [nié : transfert] Les Placements Gaber Inc., était de 22 000,00 $; [admis quant au reste]

c)              La juste valeur marchande de ladite propriété n'était pas en date du 12 novembre 1993, inférieure à 71 500,00 $; [nié]

d)             Le transfert [nié] du 12 novembre 1993 de la propriété située au 3145, Route du Lac Ouest, à Alma a conféré un avantage à l'appelante d'au moins 20 685,06 $; [nié]

e)              L'appelante est l'épouse de Ghislain Bergeron, lequel est le frère de Gaétan Bergeron, actionnaire unique de la compagnie Les Placements Gaber Inc., auteur du transfert [nié]; [admis : lié]

f)              En date du 2 mai 1995, date de la cotisation portant le numéro 08 720 émise à l'égard de l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la compagnie Les Placements Gaber Inc. avait une dette fiscale au montant de 20 685,06 $ pour les années d'imposition 1986 à 1988 et 1990, confirmé par avis de cotisations en 1991 et 1993; [admis]

g)             En date du 2 mai 1995, date de la cotisation portant le numéro 08 720 émise à l'égard de l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la compagnie Les Placements Gaber Inc. avait une dette fiscale au montant de 3 341,65 $ provenant de retenues à la source impayées; [nié]

[5]            L'intimée admet que suite à la faillite de Les Placements Gaber Inc., le syndic aurait payé à l'intimée la somme de 1 811,19 $. Il reste un solde de 1 530,46 $ dans le dossier 96-2688(IT)I. Quant au dossier 96-2829(IT)G, le solde reste le même, soit 20 685,06 $.

[6]            Sous la pièce I-1, l'intimée a déposé un cahier de seize (16) pièces : contrats, jugements, etc. dont il sera référé par la suite.

[7]            Sous la pièce I-2, a été produit le rapport d'évaluation immobilière de la propriété sise au 3145, Route du Lac Ouest à Alma (Québec). La valeur à laquelle arrive l'évaluateur agréé, M. Gaston Laberge, est 69 000 $ au 11 novembre 1993. La partie appelante admet cette valeur de l'immeuble à cette date.

[8]            Suite aux admissions ci-dessus ([5], [6] et [7]), la preuve a été complétée par les témoignages de M. Ghislain Bergeron, époux de l'appelante, de M. Gaétan Bergeron, beau-frère de l'appelante et de l'appelante Colombe Martel Bergeron.

[9]            M. Ghislain Bergeron, époux de l'appelante, vendeur de fourrures depuis 35 ans, a témoigné avoir acquis en 1978 le terrain (pièce I-1, onglet 6) sur lequel a été construite la propriété portant le numéro civique 3145, Route du Lac Ouest à Alma et ce, conjointement avec son épouse, le tout pour la somme de 40 000 $. Il a dû alors emprunter une somme de 37 875 $ de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec (pièce I-1, onglet 7).

[10]          Le 28 novembre 1988, en vue d'acquitter certaines dettes d'impôt et d'autres dettes, M. Ghislain Bergeron et l'appelante ont emprunté de Les Placements Gaber Inc. la somme de 22 000 $ au taux de 14 ½ %, le tout payable au moyen de versements périodiques, égaux et consécutifs de 512,82 $ à partir du 1er janvier 1989 et ainsi de suite le premier jour de chaque mois jusqu'à parfait paiement (pièce I-1, onglet 9).

[11]          Sous la pièce A-1, a été déposée en liasse une série de 22 chèques ou de reçus de 512 $ chacun. Ils sont datés du 7 janvier 1992 au 20 décembre 1993, les chèques étant faits à l'ordre de Gaétan Bergeron et les reçus signés par Gaétan Bergeron.

[12]          M. Gaétan Bergeron est le propriétaire de la totalité des actions de Les Placements Gaber Inc.

[13]          Sous la pièce A-2, a été produite une série de photocopies de trois traites et d'un chèque au Trust Général du Canada au montant de 535,40 $ chacun, signés et débités du compte de Ghislain et Colombe Bergeron. Ces documents sont datés du 5 septembre 1992, du 1er octobre 1992, du 1er novembre 1992 et du 1er décembre 1992. Ces paiements constituent le remboursement à la Banque Nationale de l'emprunt contracté relativement à la résidence. La fusion entre le Trust Général et la Banque Nationale et autres ont amené le changement du bénéficiaire du paiement.

[14]          Sous la pièce A-3, est déposée une demande adressée à la Ville d'Alma pour connaître les montants payés en taxes municipales et scolaires de août 1992 à la fin novembre 1993. Ces montants s'élèvent à 1 300,09 $.

[15]          De Martin & Gagnon, Assurances générales, Alma, est produit le document A-4 établissant à 419,66 $ les primes mensuelles de 27,98 $ payées du 31 août 1992 au 31 novembre 1993.

[16]          Sous la pièce A-5, est déposée la facture de Hydro-Québec du 29 avril 1993 relative à la résidence, échéant le 20 mai 1993 au montant de 573,90 $ et payée le 26 mai 1993.

[17]          Sous la pièce A-6, est produit le compte bancaire de l'appelante à la Caisse populaire St-Luc d'Alma du 20 octobre 1992 au 30 novembre 1993. Il appert qu'à chaque mois, une somme de 535,40 $ est transférée au Trust Général du Canada. Il s'agit du paiement mensuel de l'emprunt relatif à la maison.

[18]          Selon le témoin Ghislain Bergeron dont le témoignage est d'ailleurs confirmé par celui de son frère Gaétan, les paiements de l'emprunt faits à Les Placement Gaber Inc. ont été rencontrés durant les premières années. Toutefois, à la fin de 1991 et au début de 1992, il est arrivé que les paiements ont été faits avec deux mois de retard, que la Banque Nationale du Canada avait enregistré le 27 août 1981 un acte d'hypothèque entre la banque et Ghislain Bergeron relativement à l'immeuble en cause, au montant de 15 000 $ (pièce I-1, onglet 8). De plus, elle avait enregistré en 1989 un acte de caution hypothécaire avec clause " déchéance du terme " (pièce I-1, onglet 10) sur la résidence. Enfin, étant donné aussi l'enregistrement d'une hypothèque légale par le ministère du Revenu du Québec pour la somme de 12 715,48 $ (pièce I-1, onglet 11), Les Placements Gaber Inc., pour protéger ses droits, a décidé d'enregistrer l'avis de 60 jours en date du 31 janvier 1992 relativement à l'immeuble en cause.

[19]          Le 12 août 1995, un jugement de dation en paiement émis par la Cour supérieure du Québec déclare Les Placements Gaber Inc. propriétaire de l'immeuble situé au 3145, Route du Lac Ouest à Alma (pièce I-1, onglet 13) :

                DÉCLARE la demanderesse Les Placements Gaber Inc. propriétaire absolue et incommutable, par voie de dation en paiement, et ce, avec effet rétroactif au 29 novembre 1988, libre de toutes charges, privilèges et hypothèques enregistrés postérieurement au 29 novembre 1988 de l'immeuble suivant :

" Un terrain ou emplacement connu et désigné comme étant la subdivision UN du lot originaire TRENTE-ET-UN B (31 B-1) dans le rang HUIT (rg VIII) au cadastre officiel du canton Sinaï, division d'enregistrement de Lac St-Jean Est.

Avec bâtisses dessus construites, circonstances et dépendances et notamment celle portant le numéro civique 3145 Route du Lac à Alma. "

                DÉCLARE la demanderesse Les Placements Gaber Inc. propriétaire dudit immeuble sans devoir quoi que ce soit pour améliorations, impenses ou sommes payées à titre d'acomptes sur le capital;

                ORDONNE au régistrateur de la division d'enregistrement de Lac St-Jean Est de rayer et radier l'enregistrement de la créance de la demanderesse enregistré contre l'immeuble décrit ci-haut sous le numéro 178349 vu la confusion à intervenir entre les qualités de propriétaire et de créancière dudit immeuble;

                ORDONNE au régistrateur de la division d'enregistrement de Lac St-Jean Est de rayer et radier l'enregistrement de l'avis de 60 jours suivant l'article 1040 a C.c. enregistré contre l'immeuble ci-haut décrit sous le numéro 191738;

                ORDONNE au régistrateur de la division d'enregistrement de Lac St-Jean Est de rayer et radier l'enregistrement de l'hypothèque légale enregistrée par le mis-en-cause Ministère du Revenu du Québec contre l'immeuble ci-haut décrit sous le numéro 187849;

                ORDONNE au régistrateur de la division d'enregistrement mis-en-cause d'enregistrer le présent jugement dans l'index aux immeubles et partout où besoin peut être;

                ORDONNE aux défendeurs de délaisser ledit immeuble dans les 15 jours de la signification du présent jugement, faute de quoi, la demanderesse en sera mise en possession par le ministère des officiers de justice;

[20]          Selon les témoignages de M. Gaétan Bergeron, de M. Ghislain Bergeron et de l'appelante, il y avait entente verbale entre eux que lorsque l'appelante et son époux auraient payé la totalité de la dette et des intérêts à Les Placement Gaber Inc., l'immeuble leur serait retourné.

[21]          Le 11 novembre 1993, Les Placement Gaber Inc. a vendu à Colombe Martel l'immeuble en cause (pièce I-1, onglet 14). Les clauses concernant le prix se lisent comme suit :

                La présente vente est consentie à charge par l'acquéreur de payer tout solde dû aux termes de l'hypothèque existante en faveur de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec enregistrée le 23 juin 1978 sous le numéro 130-916 que l'acquéreur déclare bien connaître pour l'avoir lui-même consentie en 1978 et pour avoir continué à effectuer les paiements depuis le jugement.

                En conséquence, l'acquéreur reprend la propriété de l'immeuble sans avoir obtenu au préalable les détails des montants dus à la Caisse de Dépôt et Placement du Québec puisqu'il effectuait lui-même les paiements et l'autorisation préalable dudit prêteur n'étant pas requise pour le transfert de l'immeuble.

                La présente est également consentie en considération du remboursement des sommes qui étaient dues au vendeur que celui-ci reconnaît avoir reçu antérieurement aux présentes, dont quittance générale et finale.

[22]          Une résolution de Les Placements Gaber Inc. du 22 octobre 1993 de vendre l'immeuble à Colombe Martel stipule " que le prix de vente soit l'assumation de l'hypothèque due à la Caisse de Dépôt et Placement du Québec en vertu d'un acte enregistré le 23 juin 1978 sous le numéro 130-916 et en considération du remboursement des sommes qui étaient dues au vendeur " (pièce I-1, onglet 15).

[23]          M. Ghislain Bergeron a témoigné que si l'appelante a acquis seule la maison, c'est qu'il croyait qu'il n'y avait pas droit parce qu'en 1992, il avait fait faillite.

[24]          Le 26 avril 1994, suite aux circonstances économiques, Les Placements Gaber Inc. a fait faillite ainsi que M. Gaétan Bergeron.

Loi

[25]          Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu impliquées dans la présente affaire sont les paragraphes 160(1), (2), (3) et (4). De plus, ont été citées les dispositions du Code civil du Bas-Canada, soit les articles 1212 et 1234 et les articles 1451, 1452 et 2863 du nouveau Code civil du Québec. Ces dispositions légales se lisent comme suit :

Loi de l'impôt sur le revenu

160. Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance.

                (1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon,

a)      à son conjoint ou à une personne devenue depuis son conjoint,

b)     à une personne qui était âgée de moins de 18 ans, ou

c)      à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d)     le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente Partie pour chaque année d'imposition, égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74 à 75.1 à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens, et

e)      le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des deux montants suivants :

(i) la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années,

mais aucune disposition du présent paragraphe n'est réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

160(2) Le Ministre peut cotiser le bénéficiaire du transfert.

                Le Ministre peut, à une date quelconque, cotiser un bénéficiaire du transfert à l'égard de toute somme payable en vertu du présent article et les dispositions de la présente section s'appliquent mutatis mutandis à une cotisation faite en vertu du présent article comme si elle avait été faite en vertu de l'article 152.

160(3) Règles applicables.

                Lorsqu'un auteur et un bénéficiaire du transfert sont devenus, en vertu du paragraphe (1), solidairement responsables de tout ou partie d'une obligation de l'auteur du transfert en vertu de la présente loi, les règles suivantes s'appliquent :

a)      tout paiement fait par le bénéficiaire du transfert au titre de son obligation éteint d'autant l'obligation solidaire; mais

b)     tout paiement fait par l'auteur du transfert au titre de son obligation n'éteint l'obligation du bénéficiaire du transfert que dans la mesure où le paiement sert à réduire l'obligation de l'auteur du transfert à une somme inférieure à celle dont le paragraphe (1) a rendu le bénéficiaire du transfert solidairement responsable.

160(4) Règles concernant les transferts à un conjoint.

                Nonobstant le paragraphe (1), lorsque à une date quelconque un contribuable a transféré un bien à son conjoint en vertu d'un décret, d'une ordonnance ou d'un jugement d'un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit de séparation et que, à cette date, le contribuable et son conjoint vivaient séparément par suite de la rupture de leur mariage, les règles suivantes s'appliquent :

a)             relativement à un bien ainsi transféré après le 15 février 1984,

                (i)             le conjoint ne doit pas être tenu, en vertu du paragraphe (1), de payer un montant relatif au revenu provenant du bien transféré ou du bien qui y est substitué ou encore un montant relatif au gain provenant de la disposition du bien transféré ou du bien qui y est substitué, et

                (ii)            aux fins de l'alinéa (1)e), la juste valeur marchande du bien à la date du transfert est réputée être nulle, et

b)             relativement à un bien ainsi transféré avant le 16 février 1984, lorsque le conjoint, si ce n'était du présent alinéa, serait tenu de payer un montant en application de la présente Loi en vertu du paragraphe (1), il est réputé s'être acquitté de son obligation relativement à ce montant le 16 février 1984,

mais aucune disposition du présent paragraphe ne doit avoir pour effet de réduire les obligations du contribuable en vertu d'une autre disposition de la présente Loi.

Code civil du Bas-Canada

Art. 1212. Les contre-lettres n'ont leur effet qu'entre les parties contractantes; elles ne font point preuve contre les tiers.

Art. 1234. Dans aucun cas la preuve testimoniale ne peut être admise pour contredire ou changer les termes d'un écrit valablement fait.

Nouveau Code civil du Québec

1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

2863. Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve.

[26]          Il a été admis par la partie appelante que durant toute la période du transfert, aucun loyer n'a été payé à Les Placements Gaber Inc.

Jurisprudence

[27]          La jurisprudence citée par les parties est la suivante :

1-              Marlow Enterprises Ltd. c. M.R.N., 67 DTC 26;

2-              Angela Savoie et Sa Majesté la Reine, 93 DTC 552 (C.C.I.          91-372(IT));

3-              Mervin Holizki et Sa Majesté la Reine, 95 DTC 5591 (C.F.          T-2296-89));

4-              Céline Delisle et Sa Majesté la Reine, 95 DTC 650 (C.C.I.           94-505(IT)I));

5-              106443 Canada Inc. et Sa Majesté la Reine, 94 DTC 1660 (C.C.I.             91-1911(IT)G));

6-              Pierre Montreuil, Nicole Montreuil, Claire Montreuil et Benoit              Montreuil Jr. et Sa Majesté la Reine, 94 DTC 1821 (C.C.I.           91-2684(IT)G, 91-2685(IT)G, 91-2686(IT)G et 91-2687(IT)G);

7-              Liliane Fournier Jennewein et Le Ministre du Revenu national,              91 DTC 594 (C.C.I. 87-1560(IT)).

Analyse

[28]          Le procureur de l'appelante a plaidé que fondamentalement il y avait entente verbale entre Les Placements Gaber Inc. (le prêteur) et l'appelante (l'emprunteur), que suite au remboursement complet de la dette incluant les intérêts, l'immeuble serait retourné à l'emprunteur. Cette prétention est affirmée par le témoignage des trois témoins ([20]). De plus, la résolution de Les Placements Gaber Inc. ([22]) du 22 octobre 1993 (pièce I-1, onglet 15) et les clauses concernant le prix de vente du contrat (pièce I-1, onglet 14) confirment le témoignage des témoins.

[29]          Le procureur de l'appelante soutient qu'il n'y a pas eu un réel transfert entre l'appelante et Les Placements Gaber Inc. et vice versa. Ce qu'il faut considérer, soutient le procureur de l'appelante, c'est l'intention des parties - c'était une vente avec intention de rachat ou vente à réméré. Dans l'affaire 106443 Canada Inc. ([27] 5-) à la page 1662, cette Cour s'exprimait ainsi :

                Le cédant ne doit pas avoir l'intention de se départir de façon absolue de la propriété du bien cédé. Il lui faut conserver le pouvoir de reprendre. Il faut pouvoir inférer des circonstances du transfert de propriété que l'intention du cédant n'est pas de se défaire de la propriété d'un bien et que s'il s'en départit ce n'est que temporairement et pour garantir un emprunt.

                Selon le procureur de l'appelante, en matière d'impôt, c'est la substance qui prévaut sur la forme.

[30]          Toutefois, il n'y a rien dans l'enregistrement de l'hypothèque et le transfert de l'immeuble à Les Placements Gaber Inc. dans le jugement rendu par la cour qui laisse entrevoir la possibilité de rachat suite au paiement complet de l'hypothèque.

                L'extrait du jugement cité plus haut au paragraphe [19] est clair. Il y a transfert complet et final rendant Les Placements Gaber Inc. le seul et unique propriétaire, rayant les autres hypothèques et ordonnant aux défendeurs de délaisser l'immeuble dans les 15 jours.

[31]          L'entente de rachat, du fait qu'elle est invoquée par les parties, peut être considérée comme une contre-lettre.

                Une contre-lettre est un écrit privé qui a pour but de constater la véritable intention des parties qui en ont stipulé une autre devant le public. Dans le présent cas, il n'y a rien dans l'acte de transfert à Les Placements Gaber Inc. d'une telle clause d'entente de rachat. Cette intention apparaît dans les résolutions de Les Placements Gaber Inc. et elle n'est pas apparente pour le public, soit les tiers ([28]).

[32]          Si le législateur est si strict pour protéger le droit des tiers à l'encontre d'une contre-lettre, laquelle est un écrit, la Cour doit a fortiori protéger les tiers à l'encontre d'une simple entente verbale, d'ailleurs considérée comme contre-lettre par la doctrine.

                Les articles 1212 du Code civil du Bas-Canada et 1451 et 1452 du Code civil du Québec stipulent que les contre-lettres n'ont leur effet qu'entre les parties contractantes, soit dans le présent cas entre Les Placements Gaber Inc. et l'appelante et non contre les tiers. L'intimée soutient être un tiers - ce qui n'est pas contesté - tel que déjà affirmé par cette Cour dans l'affaire Liliane Fournier Jennewein ([27] 7-). La règle de l'article 1234 du Code civil a pour fondement, entre autres, la nécessité d'une stabilité juridique et donc économique et sociale des relations contractuelles.

                L'article 1212 du Code civil du Bas-Canada et les articles 1451 et 1452 du Code civil du Québec sont le pendant de l'article 1321 du Code Napoléon. Ce dernier ce lit comme suit :

Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes : elles n'ont pas d'effet contre les tiers.

[33]          Dans l'affaire Liliane Fournier Jennewein au paragraphe 4.03.5, la Cour se réfère au commentaire suivant de Beaudry-Lacantinerie :

                Mais le but du législateur, dans l'art. 1321, a été de prévenir le préjudice qui peut résulter pour le public en général de l'application d'une contre-lettre ignorée, et, par conséquent, sa disposition protège, non seulement les personnes contre lesquelles cet acte est dirigé dans une pensée de fraude, mais encore tous ceux dont elle se trouve léser les intérêts appréciés au point de vue de la situation apparente de leur auteur.

[34]          Cet objectif de protection permettra aux tiers de se prévaloir des effets du contrat apparent. Pour ce qui est du titulaire des droits reconnus dans la contre-lettre, soit l'appelante, elle a agi de bonne volonté mais doit subir les conséquences fiscales de la transaction simulée et l'endettement de Les Placements Gaber Inc. envers l'intimée.

[35]          Les termes des paragraphes 160(1), 160(2) et 160(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont clairs. Tout transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance, alors qu'une de ces deux personnes est redevable de certains montants d'impôt, rend ces individus solidairement responsables de la somme due au ministère du Revenu national.

                Considérant que les écrits notariés font foi de leur contenu en la présente espèce et établissent le transfert de l'immeuble de l'appelante à Les Placements Gaber Inc., l'appelante est responsable du paiement de l'impôt dû par Les Placements Gaber Inc. au montant de 22 215,52 $ (1 530,46 $ + 20 685,06 $) ([5]).

[36]          On peut se demander si les faits en cause se passaient dans une autre province où n'existent pas le Code civil ni la contre-lettre, est-ce que l'appel devrait être accordé. La réponse est " non " parce qu'on appliquerait la théorie de l'Estoppel par représentation.

Conclusion

[37]          L'appel est rejeté pour les motifs ci-dessus.

Signé à Québec (Québec) ce 9 juillet 1998.

" Guy Tremblay "

J.C.C.I.



[1][1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

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