Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980116

Dossiers: 92-1812-IT-G; 92-1285-IT-G

ENTRE :

L & M WOOD PRODUCTS (1985) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de la taxation

R. D. Reeve, officier taxateur, C.C.I.

[1]            L'audience relative à cette taxation des dépens a eu lieu par conférence téléphonique à 12 h (HNP) le vendredi 7 novembre 1997. La taxation fait suite à un jugement daté du 20 janvier 1995 par lequel le juge O'Connor a rejeté les appels avec dépens. Le mémoire de frais a été présenté à la suite d'un appel interjeté conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu. L'avocat de l'intimée, Me Ted Fulcher, et l'avocat de l'appelante, Me Murray Greenwood, étaient présents.

[2]            Me Greenwood a indiqué que le seul point en litige à l'égard du mémoire de frais se rapportait au montant de 17 194,90 $ demandé à l'égard des frais de témoin expert.

ARGUMENTS

[3]            Voici ce que Me Greenwood a soutenu :

ce n'était pas la question de savoir si des frais devaient être adjugés pour un témoin expert qui était en litige, mais plutôt la question de savoir quel montant devait être accordé;

compte tenu de ce qui a été fourni, les frais demandés semblaient plutôt élevés et on ne devrait pas nécessairement les faire supporter à l'appelante en l'espèce;

si l'appelante s'est désistée de l'appel, cela n'avait rien à voir avec le fond, mais c'était parce que l'affaire pouvait être réglée d'une autre façon, de sorte que la question en litige ne se posait plus;

en se désistant de son appel, l'appelante ne savait pas qu'on lui exigerait des frais aussi élevés;

pour déterminer les frais qu'il convient d'accorder, il faut prendre en considération les éléments suivants: le montant en cause — en l'espèce, les déductions s'élevaient à environ 120 000 $, le montant en cause étant donc le montant d'impôt représenté par ces déductions —, l'importance des questions en litige — en l'espèce, il n'est pas certain qu'elles aient de l'importance, l'affaire se rapportant plutôt à une question de portée restreinte —, et la complexité des questions en litige — en l'espèce, la question était passablement simple ou restreinte, car il s'agissait de savoir si les montants relatifs au reboisement étaient déductibles au moment où ils avaient été versés dans un compte en fiducie ou s'ils n'étaient déductibles qu'au moment où ils étaient dépensés en vue du reboisement;

il semble que la quantité de travail accomplie par la comptable puisse être remise en question puisqu'on peut se demander pourquoi il faudrait à une experte 109 heures pour préparer un rapport alors qu'elle allait devoir quand même se présenter et témoigner à l'audience;

aucun compte ne semble avoir été dressé, mais on s'est plutôt contenté d'en arriver à une somme forfaitaire sans qu'on ait la moindre idée de la façon dont les montants ont en fait été calculés;

l'avocat n'avait aucune remarque à faire au sujet du taux horaire applicable à la comptabilité;

l'appelante était prête à accepter qu'un montant quelconque soit adjugé, mais le montant ici en cause était trop élevé.

[4]            Voici ce que Me Fulcher a soutenu :

le montant de l'impôt en question était d'environ 40 000 à 50 000 $;

la question en litige était particulièrement importante pour Revenu Canada à cause des conséquences pour les autres contribuables. La question est plus importante pour Revenu Canada que pour le contribuable individuel;

il s'agissait d'une question complexe se rapportant au moment où les frais de reboisement étaient engagés et au moment où ils pouvaient être déduits, de sorte qu'à cet égard également la question était importante;

les principes comptables généralement reconnus ont été invoqués dans l'avis d'appel;

les principes comptables généralement reconnus constituaient clairement un facteur à considérer lorsqu'il s'agissait pour la Cour de l'impôt de décider de la façon de traiter les frais en question, de sorte que le témoignage d'un expert était fort pertinent et important en l'espèce;

même si on avait l'intention de faire témoigner l'experte à l'audience, non seulement les " fruits du labeur " de l'experte, qui se trouvent dans son rapport, ont permis de l'emporter sur l'appelante en l'espèce mais ce rapport s'appliquait aussi à d'autres questions liées au reboisement qui étaient encore à régler et servait en outre à instruire Revenu Canada au sujet d'autres questions litigieuses similaires;

en ce qui concerne la TPS demandée, le montant qui semble approprié, compte tenu du moment où l'on a initialement tenté d'inclure la TPS dans les frais, serait acceptable.

[5]            Me Greenwood croyait qu'aucun compte n'avait été établi parce qu'il n'avait pas pu trouver l'affidavit dans lequel il était question de la répartition des frais. Me Fulcher s'est engagé à fournir une copie de l'affidavit à Me Greenwood. Un délai supplémentaire a donc été accordé de façon que des arguments additionnels puissent être présentés.

DÉCISION

[6]            Cette taxation des dépens découle d'un appel que l'appelante a interjeté le 22 mai 1992. Les montants en litige étaient de 38 285 $ et de 54 345,30 $, ces montants ayant été déduits du revenu dans les années d'imposition 1988 et 1989. L'appel a été interjeté sous le régime des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Il s'agissait d'une instance de la catégorie A selon le tarif A. Les montants qui peuvent être accordés dans le cadre de la taxation des dépens sont énumérés à l'annexe II, tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt ( procédure générale). J'ai examiné les arguments des deux parties et ma décision est la suivante :

[7]            En ce qui concerne le mémoire de frais en question, les frais demandés s'élevaient à 1 100 $ et les débours à 18 775,21 $; le montant total était donc de 19 875,21 $. Seuls les débours de 17 194,90 $, demandés à l'égard du rapport d'expert présenté par Kathryn Holgate en décembre 1994, sont en litige. Dans son argumentation, l'intimée a soutenu que l'experte s'était penchée sur la question des principes comptables généralement reconnus parce que la question était soulevée dans l'avis d'appel. L'alinéa 3(1) de l'avis d'appel est ainsi libellé :

             [TRADUCTION]

             La compagnie accumule le montant des droits mensuellement compte tenu de la quantité de bois récoltée pendant cette période. Ce montant est porté au crédit d'un compte de passif et au débit d'un compte (de charges) du coût des produits fabriqués. Les débours connexes sont portés au débit du compte de passif et les intérêts générés par le compte ainsi que les droits reçus de tiers sont crédités au compte de passif conformément aux principes comptables généralement reconnus.

[8]            De toute évidence, l'intimée remettait en question cette méthode. Les parties doivent se préparer dans une certaine mesure afin de pouvoir traiter des questions en litige étant donné que la Cour s'attend à ce qu'elles poursuivent l'appel ou comparaissent à l'audience sur l'état de l'instance en étant prêtes à aborder certaines questions précises, notamment celle du dépôt des documents pertinents, celle de l'établissement de délais, et peut-être celle de la fixation d'une date pour l'audition de l'affaire. À l'examen du dossier rien n'indique que l'appel ne serait pas poursuivi. Dans le jugement Shelby Michael Golab et al. v. Roderick Thomas Danyluk et al., [1988] B.C.D. Civ. 3598-01, la cour a dit ceci :

[TRADUCTION]

L'avocat ne devrait pas faire faire des rapports d'expert inutiles et gonfler ainsi les frais, mais d'un autre côté, il doit pouvoir poursuivre une affaire en tenant avant tout compte de l'intérêt de son client;

[9]            Le principe voulant qu'on permette à l'avocat de se préparer afin de poursuivre l'affaire s'applique en l'espèce. Le rapport de l'experte n'a pas été préparé immédiatement après l'introduction de l'appel, mais il l'a été bien des mois plus tard. La question des pratiques comptables suivies dans l'industrie forestière était passablement importante pour l'appelante, et apparemment pour l'intimée également non seulement dans la présente affaire mais aussi dans d'autres affaires dont les faits étaient similaires. L'examen de la question qui a été soulevée et de l'ordre chronologique des événements révèle que la préparation du rapport était pertinente aux fins de l'audition de l'appel et qu'il s'agissait d'une mesure raisonnable prise par suite de l'introduction de l'appel.

[10]          Le rapport lui-même comporte 41 pages ainsi que des appendices et des annexes; trois questions primordiales y sont examinées d'une façon passablement fouillée, à savoir les questions relatives aux pratiques comptables, au reboisement ainsi qu'à l'actif et au passif; de plus, certains faits sont présumés et les conventions existantes sont examinées.

[11]          Au mémoire de frais est joint un affidavit de Rita E. Link, dans lequel il est déclaré, au paragraphe 2, que les frais de l'experte ont été payés. La pièce " A " jointe à l'affidavit est rédigée sur du papier à en-tête de Stephen Johnson, comptable agréé : elle est datée du 22 septembre 1997 et, à la page 2, figure une répartition des frais liés au rapport :

[TRADUCTION]

Recherche relative à l'industrie forestière et notamment recherche en bibliothèque, communication avec des organisations commerciales et examen de publications de l'industrie

10 heures

Recherche relative à la pratique comptable et notamment examen de rapports annuels de compagnies actives dans l'industrie forestière, de publications de l'ICCA et de la littérature comptable

20 heures

Examen des documents fournis par le ministère de la Justice, notamment de l'entente relative à la licence d'aménagement forestier de L & M Wood Products (1985) Ltd., de la transcription de John Kennedy Davies et d'engagements connexes, ainsi que des états financiers de L & M Wood Products (1985) Ltd.

18 heures

Préparation de tableaux quantitatifs à partir des engagements, notamment d'un tableau relatif aux frais de reboisement, d'un tableau relatif à la construction de chemins, d'un tableau relatif aux quantités récoltées, d'un tableau relatif aux endroits où la récolte a eu lieu et d'un tableau relatif aux droits

5 heures

Analyse et rapprochement des données relatives au fonds de renouvellement figurant dans les documents de travail du comptable, dans le compte rendu d'activités, dans les états financiers, dans les fiches de compte et dans les relevés bancaires pour les années 1987 à 1990

12 heures

Préparation de la preuve

36 heures

Examen de la preuve et des documents de base afin de se préparer en vue de l'audience

8 heures
___________

Temps consacré par Kathryn Holgate

109 heures

à 130 $                         14 170 $

Consultation d'un associé, examen de la preuve

9,5 heures
à 200 $                       1 900 $

                                   16 070 $

[12]          Dans le jugement Chrystal Ann Quintal et al. v. Biswara Ranjan Datta et al., [1987] Sask. D. 3598-02, il a été statué que les frais qui doivent être accordés à l'égard d'un expert doivent se rapporter au travail que ce dernier a effectué en vue de se préparer à témoigner et non au temps qu'il a passé à chercher des éléments de preuve ou à perfectionner ses compétences ou ses connaissances. Dans son curriculum vitae et dans son rapport, Mme Holgate déclare être comptable agréé. Il semble que, pour un expert, il soit opportun de consacrer du temps à l'examen des rapports annuels et à des recherches sur les pratiques suivies dans l'industrie forestière, notamment sur les pratiques comptables, de façon à se familiariser avec la question précise qui a été soulevée et à connaître toute procédure normale pouvant exister dans l'industrie forestière; toutefois, dans les 20 heures indiquées au titre de la recherche, on a inclus le temps consacré à des recherches effectuées dans les publications de l'Institut Canadien des Comptables Agréés (l'" ICCA ") et dans la littérature comptable. L'ICCA publie des lignes directrices et des recommandations en matière de comptabilité et de vérification. L'examen du rapport permet de constater que certains de ces documents ont été cités comme références. À l'examen du dossier la quantité de travail accomplie ne semble pas dans l'ensemble déraisonnable étant donné la complexité de la question. Puisque Kathryn Holgate est une experte, je crois que cette recherche précise effectuée dans les publications de l'ICCA et dans la littérature comptable, dont il est fait mention dans le deuxième paragraphe reproduit ci-dessus, a ceci de différent qu'elle permettait à Mme Holgate de rafraîchir ou de perfectionner ses connaissances comptables générales; il faudrait donc réduire le nombre d'heures indiquées pour cette recherche. Étant donné que dix heures ont été indiquées au premier paragraphe à l'égard de la recherche effectuée relativement à l'industrie forestière, notamment la recherche en bibliothèque, la communication avec des organisations commerciales et l'examen de publications de l'industrie, il est raisonnable de ramener à dix heures le temps consacré à l'examen des pratiques comptables et des rapports annuels. L'examen des autres heures indiquées ne révèle rien qui justifie qu'on en fasse autrement.

[13]          L'appelante ne s'est pas opposée au taux horaire demandé par l'experte et rien n'indique que les frais demandés par cette dernière excèdent ceux qui sont exigés par des personnes dont les compétences sont similaires. Le nombre total d'heures sera rajusté à 99 heures, ce qui représente, à 130 $ l'heure, un montant de 12 870 $, auquel s'ajoute la somme de 1 900 $ pour la consultation, ce qui donne 14 770 $ en tout.

[14]          L'intimée a reconnu que le rapport de l'experte lui a permis de se renseigner et de renseigner son client, ou que les " fruits du labeur " de l'experte ont été utilisés dans des affaires similaires qui étaient en instance. Cela étant, il s'agit maintenant de savoir si l'appelante devrait supporter tous les frais relatifs au rapport. On ne peut savoir si le rapport servira uniquement dans la présente espèce ou s'il sera utilisé dans de nombreuses affaires similaires; toutefois, il n'est pas contesté que ce rapport a servi à éclairer dans une certaine mesure l'intimée au sujet des pratiques comptables dans le domaine du reboisement et qu'il a donc peut-être fourni certaines indications pouvant servir dans des affaires similaires. Il est tenu compte des montants en cause en l'espèce, du temps et des efforts considérables que l'experte a consacrés à l'élaboration du rapport, ainsi que du fait que, bien qu'on n'eût pas engagé de frais en vue d'obtenir le rapport si cet appel n'avait été interjeté, comme l'intimée a dans une certaine mesure tiré avantage de ce rapport pour des affaires similaires, les frais à supporter par l'appelante devraient être réduits à 70 p. 100. Les frais relatifs au rapport seront donc de 10 339 $.

[15]          En ce qui concerne la TPS demandée, dans l'affaire Warren v. Stuart House International Ltd. and Stuart, [1970] 2 O.R. 220, un nouveau tarif de frais était entré en vigueur quelques mois après l'adjudication des dépens. La cour a statué qu'en l'absence d'une intention claire contraire, le nouveau tarif de frais s'appliquait uniquement aux affaires dans lesquelles l'ordonnance avait été rendue après l'entrée en vigueur du tarif. En l'espèce, l'ordonnance par laquelle l'appel a été rejeté avec dépens est datée du 20 janvier 1995. Le 11 décembre 1996, ont pris effet de nouvelles règles qui permettent le recouvrement de taxes sur les débours. Cet appel a été interjeté et il a pris fin avant l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions. Dans le jugement Warren v. Stuart (précité), à la page 221, a été citée la décision Earl et al. v. Burland (1904), 8 O.L.R. 174, dans laquelle le juge Street a dit, à la page 176 :

[TRADUCTION]

Le montant des frais ainsi que le droit de les recouvrer sont établis au moment du jugement, et le montant ne peut pas être modifié, en l'absence de termes fort clairs, au moyen d'une modification subséquente apportée au tarif ou de l'adoption d'un tarif qui n'entre en vigueur qu'après le prononcé du jugement.

[16]          Il n'y a pas de différence sensible entre la modification d'un tarif et la modification d'une règle. Il n'existe à mes yeux aucune intention claire d'appliquer la nouvelle règle rétrospectivement; de plus, au moment où l'ordonnance a été rendue, aucune disposition ne prévoyait le recouvrement de la taxe en question; le principe susmentionné s'applique donc en l'espèce. Le montant de 1 124,90 $ demandé à l'égard de la taxe sur les produits et services sera radié.

[17]          Les frais demandés qui n'étaient pas contestés, s'élevant en tout à 1 100 $, ainsi que les autres débours, de 1 580,31 $, sont accordés. Après rajustement les frais s'élèvent en tout à 13 019,31 $.

Daté à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 16e jour de janvier 1998.

" R. D. Reeve "

Officier taxateur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de juillet 1998.

Erich Klein, réviseur

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