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Date: 20010517

Dossier: 2000-4338-IT-APP

ENTRE :

JONATHON D. MEER,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]      La présente demande vise l'obtention de la prorogation du délai dans lequel des appels peuvent être interjetés en vertu des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) à l'encontre d'avis de nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1994 et 1995 du requérant. Les nouvelles cotisations ont pour effet d'inclure dans le revenu du requérant en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) certains avantages qui lui ont été accordés pendant ces années par Mearford Group Inc. Si la demande est admise, la Cour examinera certaines hypothèses de fait formulées par l'intimée et contestées par le requérant de façon à déterminer si les avantages qui auraient été accordés au requérant l'ont réellement été. La question de savoir dans quelles circonstances un tel examen pourrait et devrait avoir lieu fait l'objet de la présente demande. Le paragraphe 167(5) de la Loi établit les conditions de l'admission d'une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. Ce paragraphe prévoit ce qui suit :

167(5) Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a)          la demande a été présentée dans l'année suivant l'expiration du délai imparti en vertu de l'article 169 pour interjeter appel;

b)          le contribuable démontre ce qui suit :

            (i)          dans le délai par ailleurs imparti pour interjeter appel, il n'a pu ni agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention d'interjeter appel,

            (ii)         compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l'espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

            (iii)        la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

            (iv)        l'appel est raisonnablement fondé.

[2]      L'intimée ne conteste pas le fait que la demande ait été présentée dans le délai prescrit par l'alinéa 167(5)a). Ce délai était fixé au 24 octobre 2000. La demande a été présentée le 20 octobre 2000. L'avocate de l'intimée, en argumentation au cours de l'audience, a également reconnu que le requérant avait véritablement l'intention d'interjeter appel et elle n'a pas soutenu que l'appel n'était pas fondé. L'intimée contestait la question de savoir si le requérant avait présenté la demande dès que les circonstances l'ont permis et s'il était juste et équitable, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande. Il s'agit donc là des questions en litige.

Faits

[3]      L'avocate du requérant a appelé deux témoins relativement à la demande. Le premier témoin était le requérant, et le deuxième, un agent de perception au service de Revenu Canada, Ray Bond.

[4]      Le requérant a indiqué dans son témoignage que, pendant toute la période pertinente, il avait été le président non seulement de Mearford Group Inc., mais également d'un certain nombre d'autres compagnies, que j'appellerai les compagnies Mearford, dont Mearford Energy Services Inc., Mearford Rentals & Leasing Inc., Mearford Camp and Catering Inc., Executive Real Estate North Inc., Antennae Wizard Inc. et 745122 Alberta Ltd., toutes des compagnies de l'Alberta pour lesquelles le requérant voyait à la gestion quotidienne des activités. À l'exception de Executive Real Estate North Inc., dont les activités étaient limitées à la région de Edmonton, chacune de ces compagnies était active en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Le requérant a indiqué dans son témoignage qu'il traitait avec environ 200 clients et qu'il était responsable dans chaque cas des questions personnelles, de la négociation des contrats avec des tiers, des ententes bancaires et des négociations avec les avocats, les comptables et les autres professionnels. Il a déclaré qu'il voyageait pour accomplir ces différentes activités environ la moitié du temps chaque semaine.

[5]      À la suite d'une vérification fiscale en 1997 portant sur les années en litige, les services du comptable du requérant, M. Crozier, un comptable agréé de Edmonton, ont été retenus aux fins de représentations devant Revenu Canada. M. Crozier était également, à l'époque, le comptable des compagnies Mearford. En juin 1997, le requérant a reçu une lettre de proposition de Revenu Canada concernant les années en litige, lettre qui a été copiée à l'intention de M. Crozier. Les cotisations n'ont été établies qu'en avril 1998, et des avis d'opposition ont été produits par M. Crozier, en sa qualité de représentant autorisé du requérant, dans les délais requis. Les nouvelles cotisations n'ont été ratifiées par des avis de ratification que le 26 juillet 1999. On a nié dans les avis d'opposition que le montant complet des avantages ayant fait l'objet d'une nouvelle cotisation, à savoir 188 097 $, ait représenté des avantages. On y a demandé également l'octroi d'un crédit pour les intérêts et les pénalités dus en raison des retards dans l'établissement des cotisations. Bien que les nouvelles cotisations aient été ratifiées dans l'avis de ratification qui a suivi, plus de une année plus tard, la lettre accompagnant l'avis de ratification traitait de la question des intérêts et on y a reconnu que l'on renonçait à une partie des intérêts en vertu des dispositions d'équité de la Loi, comme cela avait été demandé. La lettre et l'avis de ratification ont été envoyés au requérant, et une copie a été expédiée à M. Crozier[1]. Le requérant a indiqué dans son témoignage qu'il n'avait reçu l'avis de ratification qu'à un certain moment au mois de septembre, puisqu'il avait été envoyé à une adresse à Calgary où il n'habitait plus. L'intimée ne conteste pas la réception tardive par le requérant de l'avis de ratification. Le requérant a poursuivi en indiquant qu'il avait parlé à M. Crozier après avoir reçu l'avis de ratification et qu'il lui avait donné comme consigne d'effectuer un suivi au besoin. Il a indiqué dans son témoignage qu'il comprenait, d'après ses conversations avec M. Crozier, que ce dernier interjetterait appel. Ce n'est qu'au mois de janvier 2000, au moment où un agent de perception lui a téléphoné et lui a dit qu'il devait de l'argent relativement aux nouvelles cotisations de 1994-1995, qu'il a découvert qu'aucun appel n'avait été interjeté. L'intimée ne conteste pas que ce n'est qu'à la fin du mois de janvier 2000 que le requérant a appris la nouvelle de l'agent de perception[2].

[6]      Le requérant a tenté d'expliquer pourquoi son comptable n'avait pas interjeté appel et a déposé des éléments de preuve à cet effet. Au nombre des éléments de preuve déposés figure la correspondance échangée entre deux cabinets d'expertise comptable, qui indiquait qu'il y avait confusion quant à la question de savoir qui effectuerait le suivi de l'appel, et l'avocate du requérant a fait mention de la possibilité d'intenter des actions en négligence. Je ne considère pas qu'il soit nécessaire d'examiner cette preuve, puisqu'elle soulève probablement plus de questions qu'elle n'apporte de réponses et qu'en tout état de cause, elle ne m'est pas utile pour régler les questions dont je suis saisi[3].

[7]      J'accepte, comme l'intimée l'a fait, que le requérant a été victime d'un malentendu jusqu'à la fin du mois de janvier 2000, selon lequel il pensait que son appel suivait son cours. Le requérant souhaitait sans aucun doute interjeter appel à l'encontre de la nouvelle cotisation, et, pour ce motif, j'accepte le fait qu'il aurait entrepris des démarches afin de préserver ses droits d'appel s'il avait su que ses intérêts n'étaient pas protégés par ses représentants professionnels. En outre, les circonstances en vigueur durant cette période ne pouvaient raisonnablement permettre au requérant d'accomplir plus que ce qu'il avait fait, à savoir s'en remettre à la personne qui préparait l'opposition et qui connaissait la question. Quoi qu'il en soit, en gros, selon la thèse de l'intimée, le requérant n'a pas, après avoir appris, à la fin du mois de janvier, qu'un appel n'avait pas été interjeté en temps opportun, présenté la demande de prorogation du délai dès que les circonstances l'ont permis. Le retard d'environ huit mois, du moment où le requérant a appris que l'appel n'avait pas été interjeté à celui où la demande a été présentée, pose davantage de problèmes à l'intimée. Elle soutient que ce retard découlait du fait que le requérant n'avait pas poursuivi avec diligence la demande avec l'aide de ses avocats. Selon elle, les retards au cours de cette période ont été causés par le défaut du requérant de fournir à ses avocats, même si les circonstances le permettaient, les renseignements dont ils avaient besoin pour présenter la demande plus rapidement. L'intimée fait valoir que ces questions relevaient du contrôle du requérant et qu'il n'avait pas accompli ce qui était nécessaire afin de présenter la demande dès que les circonstances l'ont permis. Étant donné qu'il s'agit de la thèse de l'intimée, je me pencherai sur la preuve se rapportant à la période commençant au moment où le requérant a appris qu'un appel n'avait pas été interjeté en temps opportun.

[8]      Le requérant a déposé sous la cote A-13 un agenda d'activités de Revenu Canada concernant les nouvelles cotisations depuis l'avis de ratification. L'agenda se compose d'inscriptions de chacun des employés de Revenu Canada chargé du dossier chaque fois que l'on accomplissait quelque chose relativement à ce dossier. Ces derniers prennent la forme d'un agenda quotidien produit par ordinateur, dont une copie papier a été obtenue par les avocats du requérant grâce à l'accès à l'information. L'agenda a été reconnu par le deuxième témoin du requérant, un agent de perception, M. Bond, employé par Revenu Canada à Edmonton, qui le connaissait bien.

[9]      Avant d'examiner davantage les inscriptions à l'agenda, je résumerai brièvement les autres questions intéressant le requérant en ce moment. D'abord, depuis 1998, le requérant était tenu, en ce qui concerne certaines des compagnies Mearford, de rembourser certains investisseurs non liés. Cela, en plus des conditions commerciales en général, a causé des difficultés financières aux compagnies Mearford. En effet, à mesure que les choses se déroulaient, à la fin de 1999, une crise financière menaçait les compagnies Mearford si un refinancement ne pouvait être obtenu. Plusieurs spécialistes des services de banque d'investissement examinaient la possibilité d'accorder du financement. Leurs exigences en matière de contrôle préalable ont ajouté une pression additionnelle en ce qui concerne l'emploi du temps du requérant et celui de ses employés. L'exercice des compagnies Mearford se terminait le 31 décembre, et elles devaient toutes présenter des états financiers de fin d'exercice. En outre, des représentants de Revenu Canada se sont présentés en janvier 2000, sont restés pendant environ deux mois et demi et ont procédé à une vérification approfondie des compagnies Mearford. Tout au long de cette période, le requérant et son personnel recevaient des listes de renseignements requis et des délais pour les produire. La vérification a entraîné l'établissement de cotisations et d'autres demandes de renseignements. La pièce R-1 est une lettre de Revenu Canada envoyée par M. Bond au requérant en date du 18 juillet 2000. Cette lettre établit des listes de renseignements requis en ce qui concerne cinq des compagnies Mearford et le requérant personnellement. Rien n'indique que le requérant n'ait pas totalement collaboré avec Revenu Canada pour ce qui est de la vérification et de ces demandes continues. De plus, l'activité de perception de Revenu Canada a débuté au mois d'avril 2000.

[10]     Je reviens maintenant sur l'agenda de Revenu Canada. Le 16 février 2000 (deux semaines après que le requérant a découvert que son appel n'avait pas été interjeté), il est indiqué dans l'agenda que M. Bond a personnellement parlé avec le requérant. Il est indiqué dans l'agenda que le requérant a informé M. Bond de son intention d'interjeter un appel relativement aux années d'imposition en question. Il y avait également à l'époque une cotisation impayée relativement aux années d'imposition 1997 et 1998 du requérant (qui n'étaient pas contestées), et il est indiqué dans l'agenda que des arrangements ont été pris pour le paiement de l'impôt non payé quant à ces années.

[11]     Le requérant a indiqué dans son témoignage qu'il avait parlé avec son avocate, vers la fin du mois de février 2000, relativement à la introduction d'un appel et que cette dernière l'avait informé qu'en raison des frais relatifs à l'introduction d'un appel, il pouvait être avantageux de parvenir à un règlement avec Revenu Canada. Le 14 mars, le requérant a écrit à M. Bond, lui demandant de le rencontrer pour déterminer s'il était possible de régler les questions relatives aux années 1994 et 1995. L'inscription à l'agenda du 23 mars 2000 indique que le point de vue de M. Bond était légèrement différent. L'inscription de M. Bond à cette date indique ce qui suit : « Il semble qu'il ne souhaite pas interjeter appel à l'encontre des cotisations fiscales de 1994 et de 1995 en raison de frais judiciaires excessifs. » Cela semble avoir contribué à l'amorce de l'activité de perception. Le dossier a été transféré à un certain M. Hinds, qui a commencé à préparer l'activité de perception le 7 avril 2000. À ce moment, le requérant a parlé avec M. Hinds. Il a indiqué dans son témoignage que ce dernier lui avait assuré qu'on lui accorderait du temps pour tenter de régler les questions avant que l'activité de perception ne commence. Cela ne s'est jamais produit. Le 26 avril 2000, un nombre considérable de saisies-arrêts, de brefs et de demandes péremptoires de payer ont été envoyés à des banques, à des clients et à des créanciers possibles non seulement du requérant, mais également de certaines compagnies Mearford. Le requérant a déclaré que les privilèges et les enregistrements de garanties sur les biens personnels grevaient également des millions de dollars de biens de toutes les compagnies liées sans égard à la question de savoir qui était le propriétaire des biens. M. Bond a admis la possibilité que cela soit vrai et a en particulier reconnu qu'il fallait accorder la mainlevée sur au moins un privilège, puisqu'il n'avait pas été enregistré correctement. Les montants payables à Revenu Canada à ce moment ou vers cette époque s'élevaient à environ 500 000 $, ce qui comprenait les montants dus par certaines des compagnies Mearford quant aux obligations relatives aux retenues sur la feuille de paye et aux versements de TPS[4].

[12]     De toute évidence, l'activité de perception appropriée était justifiée. Toutefois, une telle activité ainsi que les nouvelles vérifications effectuées au début de 2000 auraient compromis le temps et les ressources personnelles du requérant. Une activité de perception excessive aurait ajouté encore plus de pression. Le requérant luttait à ce moment pour respecter ses obligations à l'égard de la paye, pour garder de bons contacts avec ses banquiers, ses fournisseurs et ses clients et pour maintenir les différentes activités commerciales. En outre, les efforts du requérant pour obtenir du financement pour les compagnies Mearford afin d'assurer leur survie se poursuivaient de façon dynamique.

[13]     Le requérant a indiqué dans son témoignage qu'il avait retenu les services d'une avocate devant s'occuper de l'appel et de la demande de prorogation en mai 2000, peu de temps après avoir réalisé que ses efforts pour parvenir à un règlement au sujet des nouvelles cotisations ne menaient à rien, c'est-à-dire lorsque l'activité de perception avait commencé. Il a déclaré qu'il ne pouvait rassembler les renseignements requis par ses avocats compte tenu de tout ce qui se produisait. L'inscription à l'agenda du 5 juillet indique que M. Bond a rencontré l'avocate du requérant à cette époque. Ses notes relatives à la discussion confirment les efforts de financement du requérant et l'avis de l'avocate selon lequel elle présenterait une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. L'inscription à l'agenda du 18 juillet 2000 indique que M. Bond a demandé une lettre des prêteurs potentiels confirmant un financement possible. Le 24 juillet 2000, Canada West Financing a écrit à M. Bond pour confirmer un refinancement possible allant de 3 000 000 $ à 4 000 000 $. On offre dans la lettre certaines assurances en ce qui concerne la probabilité du refinancement, mais on y confirme que les actions ou les saisies en suspens (faisant probablement référence aux actions et aux saisies de Revenu Canada) compromettraient le projet de refinancement.

[14]     L'inscription à l'agenda du 20 juillet 2000 indique que M. Bond a parlé avec l'avocate du requérant, qui a confirmé que la demande de prorogation ne serait pas présentée tant que des renseignements supplémentaires ne seraient pas fournis par son client. Entre-temps, l'avocate du requérant avait présenté une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information afin d'obtenir plus de renseignements de la part de Revenu Canada. Le requérant a indiqué dans son témoignage qu'il avait tenté de fournir des renseignements à son avocate, mais que les ressources internes étaient déjà utilisées au maximum. Un comptable interne des compagnies Mearford était occupé avec la fin des exercices, répondant aux autres demandes de vérification continues de Revenu Canada (par exemple, la lettre du 18 juillet 2000 susmentionnée) et aidant à préparer les données pour les efforts de refinancement[5]. Cela était, comme je crois que l'avocate du requérant l'a dit, un moment pour éteindre les feux et garder une longueur d'avance sur les crises successives. De telles circonstances rendraient très difficile, c'est le moins que l'on puisse dire, le fait de se concentrer sur le rassemblement de renseignements afin de faciliter la présentation d'une demande de prorogation de délai. Selon le requérant, compte tenu de telles circonstances au cours de l'hiver et de l'été 2000, on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'il s'occupe de la présentation de la demande.

Décision

[15]     Quatre périodes peuvent, initialement du moins, être considérées séparément lors de l'examen de la question de savoir si le requérant remplit les conditions du paragraphe 167(5). La première période va de la date de l'avis de ratification à celle où le requérant l'a reçu. Bien que le délai pour interjeter appel en temps opportun commence lorsque l'avis de ratification est posté, je conclurais, en examinant la question de savoir si une demande de prorogation a été présentée dès que les circonstances le permettaient, que la date de la réception de l'avis de ratification devrait constituer le point de départ. Rien n'indique en l'espèce que le témoignage du requérant relatif au moment où il a reçu l'avis de ratification soit intéressé ou sujet à caution. Les notes de l'agenda de Revenu Canada confirment que le requérant a changé de résidence.

[16]     La période suivante va de la date où l'avis de ratification a été reçu à celle où le requérant a réalisé que son appel n'avait pas été interjeté. Bien que l'intimée n'ait pas soutenu que le requérant n'avait pas agi dès que les circonstances le permettaient pendant cette période, je remarque que les circonstances de cette période étaient telles que le requérant, croyant que son appel avait été interjeté, ne pouvait avoir d'autre choix réaliste que celui de s'en remettre à ses professionnels afin de protéger ses intérêts. Il ne s'agit pas d'un cas où on n'a pas tenu compte des conditions du processus d'appel ou de celui d'une personne qui a fait preuve d'indifférence à l'égard de sa responsabilité en matière de suivi relativement à ces questions.

[17]     La troisième période est celle allant de la fin du mois de janvier 2000 (moment où le requérant a appris que son appel n'avait pas été déposé) au début du mois de mai (moment où il a retenu les services d'une avocate, devant examiner son appel et déposer une demande de prorogation du délai afin d'interjeter appel). Cela représente une période de trois mois et mérite quelques commentaires. L'intimée soutient que même si le requérant avait, durant cette période, des difficultés en termes de temps et de ressources humaines, il a eu amplement l'occasion de présenter une demande ou de demander à un avocat de présenter une demande. Le requérant soutient qu'il a demandé l'aide d'une avocate peu de temps après avoir appris l'existence du problème et que, sur recommandation de l'avocate, il a cherché à avoir des discussions en vue d'en venir à un règlement avec Revenu Canada[6]. Au moment où il a reçu un tel avis, il a rapidement agi pour communiquer avec Revenu Canada, mais ce n'est qu'à la fin de cette période (la fin du mois d'avril 2000) qu'il a réalisé que Revenu Canada n'allait pas participer à des discussions relatives à un règlement. J'accepte qu'il y ait eu un malentendu en l'espèce, puisque l'agenda associe clairement la proposition de règlement avec l'activité de perception. On a cru que la proposition signifiait que l'appel ne serait pas interjeté en raison des coûts, ce qui représentait le feu vert pour l'accomplissement de l'activité stricte de perception. Ce n'était de toute évidence pas le message que le requérant souhaitait transmettre. S'il avait compris que la proposition déclencherait l'activité de perception, je suis presque certain qu'il aurait retenu les services d'un avocat plus tôt pour examiner son appel. Le malentendu a sans doute entraîné un retard de trois mois. En tout état de cause, bien que l'on puisse rétrospectivement suggérer que le fait de retenir les services d'un avocat plus tôt (trois mois plus tôt) afin de commencer à examiner l'appel et à préparer la demande de prorogation peut constituer une possibilité raisonnable permise par les circonstances, rien dans la preuve n'indique que la demande aurait pu être présentée plus tôt, même si des instructions avaient été données plus tôt. Au contraire, la preuve révèle qu'il s'agissait d'une période difficile pour le requérant. Il luttait pour sa survie économique. Dans ces circonstances, on ne pouvait raisonnablement pas s'attendre à ce qu'il fasse autre chose que ce qu'il a fait.

[18]     Je me penche maintenant sur la dernière période, débutant à la fin du mois d'avril 2000 et se terminant au moment où la demande a été présentée, soit au mois d'octobre 2000. Les services d'avocats ont été retenus pendant cette période afin que l'on s'occupe de la présentation de la demande. Même si les avocats du requérant auraient pu agir plus rapidement, leur client était préoccupé par la survie de son entreprise, et je ne remettrai pas en question la décision du cabinet d'avocats de présenter la demande que peu de temps avant l'expiration du délai de prescription de une année, alors que l'une des conditions auxquelles est assujetti l'octroi de la prorogation est de présenter la demande dès que les circonstances le permettent. Je crois que ces personnes ont agi de bonne foi. Bien que je n'aie pas disposé de preuve directe sur ce point, je crois que les avocats avaient besoin de plus de renseignements afin d'évaluer l'appel et les circonstances ayant mené au défaut de présenter un appel en temps opportun. En l'absence de preuve d'un manque de diligence raisonnable, je ne crois pas que la condition « dès que les circonstances le permettaient » du sous-alinéa 167(5)b)(iii) s'étende au fait d'empêcher des conseillers juridiques de tirer un avantage raisonnable des délais prescrits en vue d'aider un client à correctement évaluer le bien-fondé d'une demande et de l'appel lui-même, tout en l'aidant à traverser une période difficile, comme celle que le requérant a vécue au printemps et à l'automne 2000.

[19]     L'intimée n'a pas tenté d'imputer la responsabilité des retards aux avocats, mais a plutôt soutenu que les avocats auraient pu agir plus vite si le requérant avait été plus prompt à leur fournir les renseignements. C'est donc le requérant, et non les avocats, qui contrôlait le moment de la présentation de la demande. Le défaut du requérant de fournir les renseignements dès que les circonstances le permettaient constituait en fait le défaut de présenter la demande dès que les circonstances le permettaient. Cette thèse pourrait constituer une simplification à l'extrême de la dynamique entre les avocats et leurs clients. Rien dans la preuve n'indique que le client contrôlait toutes les questions au sujet desquelles le cabinet d'avocats avait besoin d'information. Ce dernier souhaitait de toute évidence obtenir beaucoup de renseignements. Le fait que le cabinet d'avocats ait obtenu des documents de Revenu Canada grâce à l'accès à l'information, afin d'en apprendre plus sur les événements ayant mené au défaut d'interjeter appel, atteste le fait qu'il s'occupait d'au moins une partie de la collecte de renseignements. Ces documents se sont avérés utiles, de sorte que, étant donné la manière que les choses ont tourné, le temps consacré pendant cette période a porté fruit. En outre, même si j'accepte que le requérant se soit trouvé dans une position de contrôle, la jurisprudence, à laquelle je souscris, indique que, dans des circonstances comme celles en l'espèce, les retards provoqués par le requérant n'entraîneront pas nécessairement la formulation d'une conclusion selon laquelle la demande n'a ainsi pas été présentée dès que les circonstances le permettaient[7]. L'expression « dès que les circonstances le permettent » n'exclut pas qu'il soit possible d'établir des priorités en ce qui concerne ce qui peut raisonnablement être fait dans un délai précis. La question qui a été formulée dans l'affaire Pennington c. M.R.N. revient à se demander ce à quoi on peut raisonnablement s'attendre dans les circonstances. Il n'est pas nécessaire de se fonder sur une inondation, un emprisonnement ou une hospitalisation pour soutenir que les circonstances ne permettaient pas la présentation de la demande. Il s'agit d'un domaine où la discrétion est grande. Il est raisonnable d'empêcher que l'oeuvre de toute une vie, qu'un intérêt financier ou que des entreprises ne s'effondrent et de remédier à la situation avant de pouvoir dire à juste titre que les circonstances permettent la présentation d'une demande de prorogation du délai pour interjeter appel. En conséquence, pour ce qui est du retard durant cette période, je conclus que la demande a été présentée dès que les circonstances l'ont permis.

[20]     L'intimée a soutenu qu'il ne serait ni juste ni équitable de faire droit à la demande dans les circonstances de l'espèce. Il ne serait ni juste ni équitable d'accorder la prorogation en se fondant sur une circonstance, soit la période dans son ensemble, du moment de la réception de l'avis de ratification à celui de la présentation de la demande. L'avocate de l'intimée a soutenu que la condition selon laquelle l'octroi de la prorogation devait être juste et équitable dans les circonstances constituait un critère distinct, qui devait être respecté si l'on voulait qu'il soit fait droit à la demande. Cette condition figure au paragraphe 167(5) en tant que critère distinct. Toutefois, la condition découle des raisons et des circonstances de la demande. Les raisons et les circonstances en l'espèce ne donnent lieu à aucune prétendue injustice. On n'a pas soutenu en l'espèce qu'il y avait eu un acte criminel, que l'on avait fait preuve de mauvaise foi ou qu'un préjudice avait été causé. Je ne peux trouver aucune affaire - et l'avocate de l'intimée ne m'en a pas présenté - à l'appui de sa thèse ou montrant une situation où toutes les autres conditions qui doivent être remplies avant de faire droit à la demande sont respectées et où il a été décidé qu'il n'est toujours pas juste et équitable d'y faire droit. Le fait de faire droit à la demande ne compromettra pas la nouvelle cotisation, mais son bien-fondé sera examiné. Dans ces circonstances, il m'apparaît inéquitable de ne pas appliquer le principe établi dans l'affaire Seater c. R., C.C.I., no APP-280-96(IT), [21 octobre 1996] ([1997] 1 C.T.C. 2204), où le juge McArthur conclut qu'il vaut mieux faire en sorte que la cause d'un contribuable soit jugée sur le fond que de faire en sorte qu'elle soit rejetée parce que des délais prévus dans la Loi n'ont pas été respectés.

[21]     En conséquence, j'accueillerais la demande comme elle a été présentée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2001.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4338(IT)APP

ENTRE :

JONATHON D. MEER,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Demande entendue le 5 février 2000 à Edmonton (Alberta) par

l'honorable juge J. E. Hershfield

Comparutions

Avocate du requérant :               Me Cheryl A. Gibson

Avocate de l'intimée :                 Me Margaret Irving

ORDONNANCE

          Considérant que la demande d'une ordonnance prorogeant le délai dans lequel les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 peut être présentée;

          Et après avoir entendu les observations des parties;

          Cette cour ordonne que le délai dans lequel les appels peuvent être interjetés soit par la présente prorogé à la date de la présente ordonnance et que l'avis d'appel reçu en même temps que la demande soit par la présente réputé être un avis d'appel valide si les droits de dépôt appropriés sont payés avant le 18 juin 2001.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de mai 2001.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] La lettre accompagnant l'avis de ratification ne comportait pas l'avis d'appel habituel de 90 jours. Au contraire, elle mettait l'accent sur le fait que l'on ne pouvait interjeter appel à l'encontre de la disposition d'équité.

[2] Les notes de l'agent de perception figurant dans un agenda (pièce A-13), auquel je reviendrai plus tard, confirment que le requérant était surpris et contrarié d'apprendre, à la fin du mois de janvier 2000, qu'il « n'avait pas gagné l'appel » et qu'il devait embaucher un avocat. Le requérant a indiqué dans son témoignage que ce n'est qu'à ce moment qu'il a appris que l'appel n'avait pas été interjeté.

[3] L'avocate de l'intimée a contesté l'admission en preuve de cette série de lettres. Elle a fait remarquer que l'authenticité de ces documents ou le fait qu'ils aient été envoyés n'avait pas été prouvé, c'est-à-dire que cette série de pièces, soit des lettres, n'avaient pas été directement envoyées au requérant ou reçues par lui. Ce dernier a indiqué dans son témoignage que ces documents provenaient des dossiers de son nouveau cabinet d'expertise comptable. Le témoignage direct m'indique que la personne qui avait à l'origine la garde des documents en avait la garde régulière, de sorte qu'en l'absence de circonstances soulevant un doute, on doit présumer qu'ils ont dûment été signés et émis conformément à leur objet. (Voir J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto et Vancouver, Butterworths, 1999, aux pages 1027 et 1028.) Bien que des réserves soient exprimées, rien n'indique en l'espèce qu'il existe des circonstances, des doutes ou d'autres éléments selon lesquels ces documents ne sont pas authentiques. Pour ce motif, cette correspondance est probablement admissible. Elle a toutefois peu de pertinence en ce qui concerne les questions dont je suis saisi. Elle pourrait expliquer pourquoi M. Crozier n'a pas interjeté appel au moment où il a d'abord reçu l'avis de ratification, mais n'expliquerait pas pourquoi il n'a pas interjeté appel ou demandé de prorogation si on lui avait donné pour consigne d'interjeter appel. En effet, je comprends que M. Crozier nierait avoir reçu de telles instructions du requérant, car la question concernerait alors la crédibilité du requérant, ce que l'intimée n'a pas remis en cause. Au contraire, l'intimée a reconnu que le requérant a été victime d'un malentendu jusqu'à la fin de mois de janvier 2000, selon lequel il pensait que M. Crozier avait interjeté appel à l'encontre des nouvelles cotisations. Il semble que même Revenu Canada a été victime de ce malentendu. L'inscription dans l'agenda (pièce A-13) du 12 janvier 2000 indique ce qui suit : « Une grande partie des arriérés visés par l'appel. » Le seul appel auquel cela peut faire référence était l' « appel » qui n'avait pas été interjeté.

[4] Les seules oppositions ou les seuls appels relatifs à ces montants dus se rapportaient aux nouvelles cotisations personnelles de 1994 et de 1995 du requérant.

[5] Le requérant a indiqué dans son témoignage que le montant de 3 500 000 $ de financement était garanti à l'automne 2000, et M. Bond a confirmé cet élément, à l'exception d'un montant de 150 000 $, qui était dû pour les nouvelles cotisations, le requérant et les compagnies Mearford s'étant libérés de toutes leurs obligations en matière fiscale.

[6] L'intimée n'a présenté aucune jurisprudence au soutien de sa thèse. Mon propre examen m'amène aux conclusions formulées par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Pennington c. M.R.N., C.A.F., no A-253-86, 30 janvier 1987 (87 DTC 5107), où l'on a conclu que la condition relative à la présentation de la demande dès que les circonstances le permettaient qui est prévue dans la Loi signifiait que le contribuable devait présenter sa demande dès que, selon les circonstances particulières, on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'une demande soit prête et soit présentée. Toutefois, dans cette affaire, on a conclu que le fait de donner pour consigne à un comptable de chercher à obtenir un règlement ne constituait pas une circonstance se rapportant à la capacité du contribuable de présenter une demande. Je crois que cette affaire est différente puisqu'il ne semble pas y avoir d'autres circonstances entourant la recherche d'un règlement qui ont une incidence sur la capacité du contribuable de faire en sorte que la demande soit prête et présentée. Le requérant en l'espèce se trouvait soumis à une pression extraordinaire, qu'elle soit financière ou liée à la vérification, qui constituait des circonstances dont il faut tenir compte dans l'appréciation du caractère raisonnable des attentes relatives à la présentation d'une demande pendant cette période.

[7] Bien que l'avocate du requérant n'ait pas invoqué cette décision, je remarque que dans l'affaire Thistle v. M.N.R. 83 DTC 586 (C.C.I.), cette cour a reconnu que des difficultés financières graves, ayant prolongé la période nécessaire à l'accumulation et à l'examen de documents requis par les professionnels du contribuable, constituaient des circonstances empêchant qu'une présentation ne soit effectuée plus tôt.

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