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Date: 20010712

Dossier: 2000-4846-IT-I

ENTRE :

BRUCE MORRIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Prince George (Colombie-Britannique), le 29 juin 2001 sous le régime de la procédure informelle de cette cour.

POINT EN LITIGE

[2]            La seule question est de savoir si, durant les années 1996, 1997 et 1998, l'appelant avait une attente raisonnable de profit à l'égard d'une activité de guide de pêche de sorte qu'il pourrait déduire de son autre revenu les pertes subies au cours de ces années-là.

[3]            La réponse à l'avis d'appel est libellée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

3.              Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998, l'appelant a déduit comme pertes d'entreprise 7 090 $, 12 621,58 $ et 13 227,89 $ respectivement.

4.              Le 15 mai 1997, le 26 mai 1998 et le 3 août 1999 respectivement, le ministre a établi à l'égard de l'appelant des cotisations initiales correspondant à ce qui avait été déclaré pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998.

5.              Par voie d'avis datés du 20 mars 2000, le ministre a établi [...] pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 de nouvelles cotisations refusant la déduction des pertes.

6.              En établissant la nouvelle cotisation comme il l'a fait, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)              en 1996, l'appelant a commencé à exercer une activité en matière de pêche à la ligne (l' « activité » );

b)             durant toute la période pertinente, l'appelant avait un emploi à temps plein à BC Rail et était à l'extérieur de la ville la plupart des jours de semaine;

c)              avant de commencer à exercer l'activité, l'appelant n'a pas préparé de plan d'affaires pour déterminer si elle serait profitable;

d)             l'activité est sous-capitalisée;

e)              l'appelant n'a pas établi un plan pour que le revenu provenant de l'activité augmente à l'avenir;

f)                     l'appelant est un pêcheur amateur depuis 45 ans;

g)             durant les années en question, l'appelant faisait fréquemment des voyages personnels pour participer à des tournois de pêche et à des parties de pêche;

h)             l'activité ne constituait pas une entreprise purement commerciale;

i)               pour les années allant de 1996 à 1998, l'appelant a déclaré les montants suivants comme revenus (pertes) provenant de l'activité :

Année d'imposition

Revenu brut

Dépenses *

Revenu net

(perte nette)

1996

néant

7 090,00

(7 090,00)

1997

300,00

12 921,58

(12 621,58)

1998

770,00

13 997,89

(13 227,89)

         * voir les détails à l'annexe A;

j)               l'appelant ne s'est guère efforcé de faire de la publicité pour l'activité;

k)              pour ses services, l'appelant demande un taux moins élevé que le taux du marché à Prince George;

l)               le registre de voyage tenu par l'appelant n'indiquait qu'un seul client en 1997 et en 1998;

m)             l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'activité durant les années d'imposition 1996, 1997 et 1998;

n)             les dépenses dont l'appelant demande la déduction à l'égard de l'activité étaient des dépenses personnelles et de subsistance.

L'annexe A indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

Annexe A

Activité de guide de pêche au lancer

de Bruce Morris - Analyse des pertes

pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998

1996

1997

1998

Revenu

-

300,00

770,00

moins :

Achats

400,00

    -

    -

Profit brut

(400,00)

300,00

770,00

moins :

Dépenses

Publicité

-

178,86

88,73

Taxe professionnelle

-

1 074,40

385,20

Livraison, fret et messageries

-

-

13,88

Frais de carburant

214,00

-

1 169,81

Assurances

-

1 482,00

799,92

Intérêts

-

1 384,69

1 145,05

Entretien et réparations

-

1 325,02

2 977,77

Frais de gestion

1 227,00

-

-

Frais de bureau

63,00

-

-

Matériel

545,00

795,28

331,07

Frais juridiques, frais comptables ou autres frais professionnels

100,00

125,00

214,00

Déplacements

205,00

86,00

54,04

Téléphone et services publics

453,00

482,35

466,13

Déduction pour amortissement

950,00

4 210,00

3 454,14

Autres

2 933,00

-

-

Frais d'automobile

      -

1 777,98

2 898,15

Dépenses totales

6 690,00

12 921,58

13 997,89

Revenu net (perte nette)

(7 090,00)

(12 621,58)

(13 227,89)

[...]

C.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES INVOQUÉES

8.              Il invoque les articles 3, 9 et 67, le paragraphe 248(1) et les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998.

[4]            La preuve révèle que l'appelant avait en fait une sorte de plan d'affaires, qu'il a déposé sous la cote A-1 et qui s'intitule Angling Guide Operating Plan (plan d'activité de guide de pêche à la ligne). Cela se rapporte apparemment à une demande de permis, laquelle est datée du 11 mai 1996, ce qui indique que l'activité de guide de pêche a commencé au printemps 1996. Toutefois, le revenu a été nul en 1996 et a seulement été de 300 $ en 1997 et de 770 $ en 1998.

[5]            L'appelant a fait une certaine publicité sous la forme d'une inscription dans les pages jaunes et, en 1999, sous la forme d'un site Web. Il a dit que le site Web n'indiquant que son nom avait attiré plus de 3 000 demandes d'accès. Aucune de ces demandes n'a toutefois donné lieu à des activités ou affaires en matière de pêche. L'appelant a en outre témoigné qu'il avait établi un numéro de téléphone sans frais en l'an 2000.

[6]            Dans les années en question, l'appelant a eu un seul client, un dénommé Zigmund, et peut-être aussi un autre client, mais il ne pouvait formellement identifier cette autre personne.

[7]            L'appelant a également témoigné que, outre qu'il exerçait l'activité de guide de pêche, il accomplissait du travail pour la GRC, pour la Prince George Safety and Rescue Authority (administration de Prince George responsable de la sécurité et des secours) et pour une autre administration. Ce travail consistait essentiellement à s'occuper de questions de sécurité, ainsi qu'à récupérer des objets (et des cadavres) immergés. Aucune répartition entre les revenus générés par l'activité de guide et les revenus provenant de ces organismes n'a toutefois été présentée.

[8]            L'appelant, âgé de 47 ans, travaillait pour CP Rail depuis environ 18 ans. Dans les années en question, son travail à CP Rail, qui consistait à entretenir et à réparer des ponts, l'occupait généralement 40 heures par semaine. Il avait droit à cinq semaines de vacances.

[9]            Il exerce l'activité de guide au cours des mois d'été. Cela se fait à partir de sa résidence, où ses trois bateaux sont remisés.

[10]          Il admet que pêcher est devenu un plaisir pour lui dès qu'il a su manier une canne à pêche.

[11]          Les pièces R-8 et R-9 déposées par Mark Wensley - le vérificateur chargé de ce dossier - indiquent que, en 1999, le revenu d'entreprise brut a été de 400 $ et la perte d'entreprise nette de 13 335 $ et que, en l'an 2000, le revenu d'entreprise brut a été de 1 000 $ et la perte d'entreprise nette de 17 611 $.

[12]          La pièce R-6, également déposée par le vérificateur, atteste et complète l'allégation de la réponse à l'avis d'appel selon laquelle l'appelant a pris part à plusieurs tournois de pêche.

[13]          L'appelant nie avoir informé le vérificateur qu'il lançait l'entreprise dans l'intention de s'en occuper davantage après sa retraite. Il affirmait qu'il pourrait bien être mis à pied l'an prochain - vu les récentes mises à pied à BC Rail - et qu'il serait alors en mesure de consacrer beaucoup plus de temps à l'entreprise. Il maintenait en outre que l'entreprise pourrait bien être exploitée non seulement le printemps, l'été et l'automne, mais aussi l'hiver, pour la pêche sur la glace. Toutefois, durant les années en question, l'activité était très limitée, comme cela a été décrit précédemment.

[14]          Après le témoignage du vérificateur, l'appelant a demandé l'autorisation de la Cour pour présenter des éléments de preuve supplémentaires par l'entremise d'un certain Rudolph-Ronald Chmelyk. Ce témoin n'a présenté aucune preuve factuelle, mais a avancé la proposition selon laquelle la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas valable ou du moins ne peut être utilisée pour refuser la déduction des pertes en cause comme l'a fait le ministre du Revenu national (le « ministre » ). Il a renvoyé aux paragraphes 231.2(1) et 231.2(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[15]          Au cours du contre-interrogatoire, à propos de l'état des résultats figurant à l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel, l'appelant n'a pu, dans presque tous les cas, expliquer en quoi consistaient les dépenses et il affirmait constamment qu'il se fiait à son comptable pour les questions d'impôt sur le revenu et que c'était à cause de cela qu'il était incapable de répondre aux questions qui lui étaient posées. Le comptable n'a pas été appelé comme témoin.

ARGUMENTS DE L'APPELANT

[16]          L'appelant soutenait que le ministre l'avait traité d'une manière déraisonnable et injuste. Il soutenait en outre que le ministre n'était pas habilité à lui dire comment diriger son entreprise et que la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'appliquait pas, du moins relativement à son entreprise.

ARGUMENTS DE L'AVOCATE DE L'INTIMÉE

[17]          L'avocate a fait référence aux dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu qui sont invoquées dans la réponse à l'avis d'appel. Elle a également fait référence aux arrêts-clés habituels, soit Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), Tonn c. Canada (C.A.), [1996] 2 C.F. 73 ([1996] 1 C.T.C. 205), et Mastri c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1998] 1 C.F. 66 ([1997] 3 C.T.C. 234). Elle a en outre cité certaines autres décisions qui concernent précisément des activités d'affrètement et / ou des forfaits de pêche, notamment l'affaire Mintenko c. R., soit une décision du juge Beaubier, de la C.C.I., en date du 13 février 2001, et l'affaire Enright c. R., soit une autre décision du juge Beaubier, en date du 31 octobre 2000, ainsi qu'une décision du juge suppléant Rowe, de la C.C.I., dans le dossier no 97-1589(IT)I, 18 février 1998 ([1998] 2 C.T.C. 3222). Je n'examinerai pas ces causes en détail, mais, dans chacune d'elles, il a été statué que l'activité exercée ne comportait pas d'attente raisonnable de profit, et les appels ont été rejetés.

ANALYSE ET DÉCISION

[18]          À mon avis, l'appelant en l'espèce n'avait pas d'attente raisonnable de profit durant les années en question. Mes raisons sont les suivantes :

1.              Les faits suivants indiquent fortement qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit : l'appelant a eu un client régulier et peut-être seulement un autre client dans les années en question, les revenus ont été nuls en 1996 et ont seulement été de 300 $ en 1997 et de 770 $ en 1998, soit des revenus à l'égard desquels l'appelant demandait à déduire tous les frais énumérés à l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel, ce qui donnait des pertes de 7 090 $ pour 1996, de 12 621,58 $ pour 1997 et de 13 227,89 $ pour 1998, et l'appelant a continué à subir des pertes en 1999 et en l'an 2000.

2.              Le fait que l'appelant travaillait à temps plein pour CP Rail - ce qui lui a donné dans les années en question un revenu d'emploi d'environ 50 000 $ duquel les pertes ont été déduites - indique que l'appelant avait très peu de temps à consacrer à l'activité de guide de pêche.

3.              Vu les raisons énoncées aux paragraphes 1 et 2 ci-devant, je ne crois pas que l'application d'une période raisonnable de démarrage soit appropriée en l'espèce. Durant les années en question, l'activité a simplement été tout à fait minime.

4.              L'incapacité de l'appelant à analyser en détail les dépenses indiquées dans l'annexe A joue contre l'appelant.

5.              Dans les appels en matière d'impôt sur le revenu, c'est à la partie appelante qu'incombe la charge de réfuter ou de démolir les hypothèses du ministre, et l'appelant en l'espèce ne s'est pas acquitté de cette charge.

6.              Il existait un fort élément personnel. L'appelant a toujours aimé la pêche et a participé à plusieurs tournois de pêche.

7.              La position de l'appelant selon laquelle la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas valable ou du moins ne peut être utilisée pour lui refuser la déduction des pertes en question est dénuée de fondement. Les paragraphes 231.2(1) et 231.2(2) se lisent comme suit :

(1)            Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

a)             qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b)             qu'elle produise des documents.

(2)            Le ministre ne peut exiger de quiconque - appelé « tiers » au présent article - la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

                Je ne vois pas comment ces dispositions sont applicables.

[19]          Pour tous ces motifs, les appels sont rejetés.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4846(IT)I

ENTRE :

BRUCE MORRIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 29 juin 2001 à Prince George (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me Johanna Russell

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juillet 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mars 2002.

Martine Brunet, réviseure


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