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Date : 20010704

Dossier : 1999-1758-IT-G

ENTRE :

TERENCE D. COUGHLAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Bowie

[1]            Les présents appels sont interjetés contre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1993 et 1994. Ils soulèvent des questions quant à l'incidence de l'impôt sur certains montants alloués à l'appelant par un jugement de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, section de première instance, modifié par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse.

[2]            L'appelant était président-directeur général d'une entreprise de l'industrie des ressources appelée Seabright Resources Inc. ( « Seabright » ) avant 1988. En janvier de cette année-là, lui et les autres actionnaires de Seabright ont vendu leurs actions à un groupe australien, qui a changé le nom de cette société pour Westminer Canada Limited ( « Westminer » ). Revenu Canada a considéré que l'appelant était un négociant en valeurs, et le gain réalisé par l'appelant sur cette vente a été imposé en tant que revenu d'entreprise. En juillet 1988, Westminer a intenté une action devant la Cour suprême de l'Ontario contre l'appelant et les autres anciens administrateurs de Seabright. Dans cette action, les allégations contre l'appelant incluaient ce qui suit : fraude, tromperie, complot et délit d'initié.

[3]            L'appelant et les autres anciens administrateurs ont alors intenté des actions devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse contre Westminer et ses administrateurs, actions dans lesquelles ils alléguaient qu'il y avait eu un complot en vue de les léser et une violation d'obligation fiduciaire. Ces actions sont passées à l'étape du procès et, dans l'attente de leur issue, les actions intentées en Ontario ont été suspendues. Au bout du compte, l'appelant et ses collègues administrateurs ont eu gain de cause dans les actions intentées en Nouvelle-Écosse, et les actions contre eux devant la Cour suprême de l'Ontario ont alors été abandonnées. Le juge Nunn de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a conclu qu'il y avait eu un complot civil entre les défendeurs en vue de léser les demandeurs et il a alloué des dommages-intérêts très importants. Il a en outre statué que les demandeurs étaient en droit d'être indemnisés des frais qu'ils avaient engagés pour se défendre dans les procédures engagées en Ontario, et ce, en vertu d'une disposition en matière d'indemnisation figurant dans le règlement intérieur de Seabright. Par son jugement en date du 14 mai 1993, le juge Nunn a alloué à l'appelant :

                i)               des dommages-intérêts généraux pour complot, d'un montant de 1 000 000 $, avec intérêts antérieurs au jugement pour la période du 25 août 1988 au 14 mai 1993;

                ii)              les frais, sur une base avocat-client, de la procédure engagée devant lui, à savoir des frais qu'il a ultérieurement fixés par voie de taxation à 2 992 668,39 $;

                iii)             certains autres montants qui ne sont pas en litige dans les présents appels.

Il n'a pas alloué d'intérêts antérieurs au jugement à l'égard des frais alloués sur une base avocat-client, vraisemblablement parce que la loi de la Nouvelle-Écosse intitulée Judicature Act ne le lui permettait pas[1].

[4]            Les deux parties en ont appelé devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, en grande mesure sans succès. Cependant, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a statué que le juge Nunn aurait dû allouer non pas des frais sur une base avocat-client, mais plutôt des dommages-intérêts pour perte d'indemnisation en vertu du règlement intérieur de Westminer et que, ainsi considéré, ce montant était admissible à l'application d'intérêts antérieurs au jugement. Les paragraphes 5 et 6 du jugement de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

5.              Les frais alloués en première instance sont par les présentes confirmés en tant que dommages-intérêts pour perte d'indemnisation, et l'appelante Westminer Canada Limited est tenue de payer aux intimés la somme de 401 891,59 $ représentant des intérêts antérieurs au jugement sur l'allocation de dommages-intérêts pour perte d'indemnisation à l'égard des frais engagés par les intimés relativement au procès, plus des intérêts y afférents d'un montant de 12 497,18 $;

6.              Les appelants [Westminer et autres] sont solidairement tenus de payer aux intimés, comme dommages-intérêts pour perte d'indemnités d'assurance, leurs frais raisonnables afférents au présent appel, moins une compensation relative à une fraction des frais de l'appel incident des appelants sur une base partie-partie, à savoir un montant net de 493 456,93 $ avec des intérêts antérieurs au jugement de 7 117,06 $, sous réserve que tout paiement en vertu du présent paragraphe 6 réduise proportionnellement l'obligation de l'appelante Westminer Canada en vertu du paragraphe 7 de la présente ordonnance;

[5]            L'appelant a donc reçu les montants suivants, entre autres, en vertu du jugement du juge Nunn, modifié par la Cour d'appel :

En 1993:                  2 992 668 $ (le « premier montant » ) comme dommages-intérêts pour perte d'indemnisation;

En 1994:                  493 457 $ (le « deuxième montant » ) comme dommages-intérêts pour perte d'indemnités d'assurance et 401 892 $ (le « troisième montant » ) comme intérêts antérieurs au jugement sur le montant de 2 992 668 $.

C'est à ces trois montants que se rapportent les présents appels. Le ministre du Revenu national a inclus ces trois montants dans le revenu de l'appelant pour les années au cours desquelles l'appelant les avait reçus.

[6]            La position de l'appelant est que les premier et deuxième montants sont des allocations de dommages-intérêts et ont le caractère de gains en capital et non de revenus. Même s'ils devaient être considérés comme un remboursement de frais juridiques, ils ne sont pas inclus dans le revenu, car ils ont trait à une fin d'immobilisation, et les frais afférents au litige n'étaient pas déductibles quand ils ont été engagés. Concernant le troisième montant, l'appelant fait valoir qu'il s'agit non pas d'intérêts, mais d'une allocation supplémentaire de dommages-intérêts ayant le caractère d'un gain en capital. Enfin, l'avocat de l'appelant soutenait ce qui suit :

[TRADUCTION]

S'il était conclu que les intérêts antérieurs au jugement étaient de véritables intérêts sur une dette et que l'allocation d'indemnisation ou de dommages-intérêts représentait un revenu d'entreprise, le montant de ce revenu d'entreprise devrait être considéré comme ayant été dû à l'appelant à partir du moment où ce dernier avait engagé les frais y afférents. En vertu de la comptabilité d'exercice en matière de revenu d'entreprise, le revenu en question devrait être pris en compte lorsqu'il a été gagné plutôt que lorsqu'il a été reçu[2].

[7]            La position de l'intimée est que les deux premiers montants doivent être inclus dans le revenu de l'appelant pour 1993 et 1994 respectivement, soit comme revenus d'entreprise, soit, en vertu de l'alinéa 12(1)x) de la Loi, au titre de « montants précédemment passés en charges et déduits par l'appelant au titre du revenu [...] » [3]. Le troisième montant, soutient l'intimée, représente des intérêts reçus en 1994 et est donc imposable pour cette année-là conformément à l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[8]            Un certain nombre de faits supplémentaires doivent être pris en compte dans la qualification de ces paiements. J'accepte le témoignage de l'appelant que son principal souci dans ce litige était de protéger sa réputation dans la communauté financière comme homme d'affaires et promoteur. Pour être en mesure de continuer à réunir des capitaux et à gagner sa vie, il était essentiel qu'il soit libéré des sérieuses allégations formulées contre lui dans les actions intentées en Ontario. C'est également ce qui ressort des motifs du jugement rendus par les deux cours de la Nouvelle-Écosse. En modifiant le jugement rendu en première instance, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a pris soin de faire remarquer que le premier montant était payable à l'appelant non pas comme frais, mais comme dommages-intérêts. Seabright avait contracté une assurance pour protéger les administrateurs en cas d'allégations d'actes fautifs ou manquements formulées contre eux relativement à leurs fonctions en tant qu'administrateurs. Après la prise de contrôle, la nouvelle direction avait laissé expirer cette assurance. En outre, le règlement intérieur de Seabright, puis de Westminer, prévoyait une indemnisation semblable des administrateurs par la société. C'est le manquement de Westminer à son obligation d'indemniser l'appelant conformément au règlement intérieur et le manquement de Westminer à son obligation de maintenir cette assurance en vigueur qui ont donné lieu aux allocations des premier et deuxième montants comme dommages-intérêts. Cela n'est pas modifié par le fait que le juge Nunn a fixé le premier montant par rapport aux frais qui seraient alloués sur une base avocat-client et que la Cour d'appel a fixé le deuxième montant sur la même base. J'accepte le témoignage de l'appelant selon lequel ces deux montants — bien qu'alloués comme dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'indemnisation et pour perte d'indemnités d'assurance — ne l'ont pas complètement indemnisé des frais qu'il avait engagés relativement au litige en Ontario et en Nouvelle-Écosse.

[9]            Entre 1989 et 1994, l'appelant a dépensé environ 4 725 635 $ dans la défense contre les actions intentées en Ontario et dans la poursuite des actions intentées en Nouvelle-Écosse et il prétendait être en droit de déduire ces dépenses dans le calcul de son revenu. Ces déductions ont d'abord été refusées par le ministre, mais au bout du compte, après une certaine négociation, elles ont été admises. Trois des collègues administrateurs de l'appelant, à savoir MM. Hansen, Amirault et Hemming, se sont vu refuser de telles déductions et ont interjeté appel devant notre cour contre les cotisations où de telles déductions leur ont été refusées. Leurs appels ont été rejetés[4], pour le motif que leur but dans le litige était de protéger leurs actifs accumulés, y compris leur réputation. J'ai déjà conclu que protéger sa réputation et sa capacité de gagner sa vie était la motivation première de l'appelant relativement aux dépenses qu'il a engagées dans ce litige et je conclus que l'appelant aurait subi le même sort en appel que MM. Hansen, Hemming et Amirault. Il peut être étonnant que le ministre ait admis les déductions dans le cas de l'appelant, mais ce fait ne saurait changer le véritable caractère juridique des paiements.

[10]          Pour déterminer si les montants ont été reçus au titre du revenu, il faut examiner la véritable nature de la perte qu'ils sont destinés à compenser[5]. Les dommages-intérêts — que ce soit pour perte d'indemnisation ou perte d'indemnités d'assurance — doivent être examinés à la lumière du but et de l'effet de l'action dans laquelle ils ont été alloués[6]. Dans ce cas-ci, les dommages-intérêts ont, comme je l'ai déjà conclu, été alloués dans le contexte du manquement du groupe Westminer à l'obligation d'indemniser l'appelant à l'égard des frais du litige et à l'obligation de maintenir une assurance pour couvrir l'appelant à cet égard. La preuve établit que ce litige avait pour but et a eu pour effet de protéger la réputation de l'appelant en tant qu'homme d'affaires et en tant que promoteur d'entreprises de l'industrie des ressources. Donc, les dépenses engagées aux fins du litige ont le caractère de dépenses en capital[7], et les dommages-intérêts recouvrés pour manquement à l'obligation d'indemnisation et à l'obligation de maintenir une assurance à l'égard de telles dépenses ont également le caractère de gains au titre du capital. Le principal argument de l'intimée à l'appui de cet aspect de la cotisation semble être que l'appelant a été autorisé à déduire des dépenses relatives au litige pour des années d'imposition antérieures. Comme je l'ai déjà dit, ce fait ne saurait modifier le véritable caractère de l'allocation de dommages-intérêts que l'appelant a reçue[8].

[11]          Les premier et deuxième montants ne sont pas imposables non plus en vertu de l'alinéa 12(1)x) de la Loi. Pour que ce soit compréhensible, je ne reproduis ici que les termes de cette disposition qui sont applicables, omettant ceux qui ne pourraient s'appliquer au cas présent.

12(1)        Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

                [...]

x)              un montant [...] reçu par le contribuable au cours de l'année pendant qu'il tirait un revenu d'une entreprise ou d'un bien :

                                (i)             soit d'une personne qui paie le montant, selon le cas : [...]

                [...]

                s'il est raisonnable de considérer le montant comme reçu :

                [...]

                                (iv)           soit à titre de remboursement [...] d'indemnité ou à titre d'aide, sous forme de prime, [...] à l'égard, selon le cas :

                                [...]

                                (B) d'une dépense engagée ou effectuée, dans la mesure où le montant, selon le cas :

                                (v)            n'a pas déjà été inclus dans le calcul du revenu du

                                                contribuable ou déduit dans le calcul [...] pour l'année ou

                                                pour une année d'imposition antérieure;

Comme le juge Teskey l'avait conclu dans l'affaire Hansen, précitée, et comme je l'ai conclu précédemment dans les présents motifs, l'action devant la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse n'a pas été intentée par l'un quelconque des demandeurs « pendant qu'il tirait un revenu d'une entreprise ou d'un bien » . Pour cette seule raison, les premier et deuxième montants n'entrent pas dans le cadre de l'alinéa 12(1)x). De plus, ces montants ont été sans équivoque qualifiés d'allocations de dommages-intérêts par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse et ne représentent donc pas le remboursement des sommes dépensées par l'appelant aux fins de son action : voir le jugement Westcoast Energy Inc. c. Canada (1re inst.)[9].

[12]          Cette conclusion est également conforme au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ikea Ltd c. Canada[10], dans laquelle le juge Iacobucci, s'exprimant pour la Cour, a dit :

[...] Lorsqu'un paiement est fait à un contribuable à titre de remboursement du coût d'un bien immobilisé, il doit être traité comme une rentrée de capital aux fins de l'impôt. Par contre, un paiement fait à titre de remboursement d'une dépense imputable au compte de produits doit être traité comme un revenu.

Comme je l'ai dit, les deuxième et troisième montants ne sont pas des remboursements de dépenses. Ce sont des dommages-intérêts pour manquement à une obligation d'indemnisation et à une obligation de maintien d'assurance. C'est ainsi qu'ils ont été considérés par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, à savoir la cour ayant compétence pour déterminer cela.

[13]          Je passe maintenant au troisième montant, que la Cour d'appel a alloué comme intérêts antérieurs au jugement. Le ministre a fixé de l'impôt à l'égard du troisième montant en se fondant sur l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

12(1)        Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

                [...]

c)              sous réserve des paragraphes (3) et (5), les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l'année (selon la méthode qu'il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts dans la mesure où ces intérêts n'ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure;

L'avocat du ministre a simplement fait valoir dans son argumentation que le troisième montant représente des intérêts reçus au cours de l'année et qu'il entre donc dans le cadre de cet alinéa. Me Harris, avocat de l'appelant, a établi une distinction entre des intérêts antérieurs au jugement qui portent sur une somme due à l'égard d'un contrat et des intérêts antérieurs au jugement qui, comme c'est le cas ici, portent sur une allocation de dommages-intérêts.

[14]          Une définition du mot anglais « interest » (intérêt) citée très souvent figure dans le jugement rendu par le juge Rand dans l'affaire Farm Security Act[11] :

[TRADUCTION]

                D'une manière générale, l'intérêt est le rendement, la contrepartie ou la compensation de l'utilisation ou de la conservation, par une personne, d'une somme d'argent due à une autre personne ou lui « appartenant » au sens familier de ce terme. Il peut y avoir d'autres caractéristiques essentielles, mais elles ne sont pas pertinentes ici. La relation entre l'obligation de payer de l'intérêt et l'obligation de payer le principal a été examinée dans un certain nombre d'affaires, y compris le jugement Economic Life Assur. Society v. Usborne (1) et la décision rendue par le juge Duff dans Union Investment Co. v. Wells (2); il ressort clairement de ces affaires que l'obligation de payer de l'intérêt peut, selon les modalités y afférentes, être indépendante de l'obligation de payer le principal ou que les deux peuvent faire partie intégrante d'une seule et unique obligation ou que l'intérêt peut être simplement accessoire relativement au principal.

                Mais, tout comme l'obligation, la définition suppose que l'intérêt se rapporte au principal ou à l'obligation de payer une somme d'argent. En fait, sans cette structure relationnelle et quelle que soit la base du calcul ou de la détermination du montant, aucune obligation de faire un paiement en espèces ou en nature ne peut être réputée être une obligation de payer de l'intérêt.

Au cours de l'argumentation, on a fait référence à plusieurs causes qui démontrent qu'un montant n'est pas nécessairement de l'intérêt et n'entre donc pas nécessairement dans le cadre de l'alinéa 12(1)c) simplement parce qu'il est qualifié d'intérêt par le législateur.

[15]          Dans l'affaire Huston, Whitehead and Whitehead v. M.N.R.[12], le juge Thurlow devait déterminer si des intérêts payés en vertu du Règlement sur les réclamations de guerre entraient dans le cadre des dispositions de l'alinéa 6(1)b), prédécesseur de l'actuel alinéa 12(1)c). Ce règlement prévoyait le paiement d'indemnités à des personnes ayant perdu des biens en raison de la Seconde Guerre mondiale. Il disait expressément qu'il ne conférait aucun droit de paiement; il conférait simplement le pouvoir d'effectuer un paiement discrétionnaire en utilisant la caisse des réclamations de guerre. Il prévoyait en outre que des intérêts pouvaient être payés. Après avoir examiné les affaires Riches v. Westminster Bank[13], Glenboig Union Fireclay Ltd. v. C.I.R.[14], C.I.R. v. Ballantyne[15] et Simpson v. Executors of Bonner Maurice[16], le juge Thurlow a conclu que la véritable question était de savoir si les montants en cause avaient le caractère de montants au titre du revenu ou de montants au titre du capital. Il a conclu que, dans le cas qui lui était soumis, les montants alloués comme intérêts, tout comme l'indemnisation, n'avaient pas le caractère de montants au titre du revenu et n'étaient donc pas des intérêts au sens de l'article 6 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il en était ainsi parce qu'une somme à titre de principal n'avait jamais été due aux appelants. Ces derniers n'avaient pas un droit à une indemnisation et n'avaient subi aucune perte de revenu à l'égard de laquelle ils pouvaient avoir droit à des dommages-intérêts ou à une indemnisation. L'affaire Bellingham c. Canada (C.A.)[17] est une autre cause qui démontre que les paiements d'intérêt prévus par la loi ne sont pas tous reçus au titre du revenu. En vertu du paragraphe 66(4) de la loi de l'Alberta intitulée Expropriation Act[18], l'organisme appelé Land Compensation Board peut allouer des intérêts supplémentaires avec l'indemnité et les intérêts par ailleurs payables, si le paiement proposé par l'autorité expropriante à un propriétaire exproprié représente moins de 80 p. 100 du montant que l'organisme en question alloue à titre d'indemnité. La Cour d'appel fédérale a statué que ces intérêts supplémentaires, étant de la nature d'une pénalité imposée à l'autorité, n'ont pas le caractère d'un montant au titre du revenu entre les mains du propriétaire.

[16]          Les causes Riches et Ballantyne illustrent que des intérêts antérieurs au jugement peuvent entrer dans deux catégories, selon les circonstances de l'affaire dans laquelle ils sont alloués. Dans l'affaire Riches, le demandeur avait passé un contrat avec M. Ridsdel pour le mettre au courant d'une occasion d'acheter des actions et de les revendre à profit, étant entendu que M. Ridsdel verserait la moitié de son profit à M. Riches. M. Ridsdel a acheté les actions et les a revendues à profit, mais il a versé à M. Riches moins du quart de sa part du profit. Après avoir découvert cette fraude, M. Riches a intenté une action pour recouvrer le solde et il a obtenu un jugement lui allouant le montant retenu par M. Ridsdel, plus 10 028 £ d'intérêts antérieurs au jugement. La Chambre des lords a statué que les intérêts étaient un revenu assujetti à de l'impôt, essentiellement parce qu'ils avaient été alloués pour cause de retenue illégitime d'une somme due.

[17]          Dans l'affaire Ballantyne, l'allocation par un arbitre de dommages-intérêts incluait les termes « avec intérêts y afférents au taux de 5 p. 100 par année pour la période allant du 4 novembre 1918 jusqu'à la date du paiement » . Les dommages-intérêts avaient été alloués pour rupture d'un contrat de construction. La cour de session de l'Écosse a statué que les intérêts alloués pour une période commençant à une date arbitraire, à savoir environ deux ans avant l'allocation, étaient en réalité des dommages-intérêts supplémentaires. Ils ne se rapportaient pas à une somme précise retenue illégitimement par le défendeur dans l'action ou à une période précise durant laquelle une somme à titre de capital avait été retenue.

[18]          Le troisième montant, ce sont les intérêts antérieurs au jugement sur le premier montant. Il a été alloué pour la première fois par le paragraphe 5 de l'ordonnance de la Cour d'appel, et les paragraphes 211, 213 et 214 des motifs du jugement de la Cour d'appel indiquent que la Cour a calculé les 401 891,59 $ selon un taux d'intérêt de 11 p. 100 sur chacune des sommes correspondant aux frais sur une base avocat-client qui avaient été évalués[19] et que la Cour d'appel a transformés en dommages-intérêts pour perte d'indemnisation, pour la période allant de la date à laquelle chaque somme correspondante avait été payée par l'appelant jusqu'au 4 août 1993, à savoir la date du jugement définitif du juge Nunn. Au sujet des sommes constituant le premier montant, le juge de la Cour d'appel a dit[20] :

[TRADUCTION]

[211]        Dans ce cas-ci, le droit d'être indemnisé conformément au règlement intérieur remonte à la date à laquelle les intimés ont été poursuivis en Ontario. Pour la période commençant à cette date, les intimés étaient en droit d'être indemnisés de tous les frais engagés. Malgré le fait qu'il était impossible de connaître à cette date le montant de l'allocation d'indemnisation, l'obligation de payer remonte à cette date. Le concept de l'indemnité en tant que somme due est renforcé par le passage suivant de Halsbury's (4e éd.) :

                [TRADUCTION]

                En droit, une action relative à un contrat d'indemnisation n'est normalement recevable que lorsque le bénéficiaire de la promesse a payé la réclamation du tiers. Une fois cela fait, la somme ainsi payée devient une somme qui lui est due par le promettant et qu'il peut, sauf en certaines circonstances, recouvrer avec intérêts dans une action. (vol. 20, p. 173)

[213]        L'allocation d'indemnisation représente une somme due qui est assujettie aux dispositions de l'art. 41 de la loi intitulée Judicature Act. Il n'y a aucune raison valable de refuser d'allouer des intérêts antérieurs au jugement sur l'allocation. [...]

[214]        Dans ce cas-ci, il est nécessaire d'allouer des intérêts antérieurs au jugement sur l'allocation d'indemnisation pour dédommager pleinement les intimés. En conséquence, la décision et l'ordonnance du juge de première instance sont modifiées de manière que des intérêts soient payables au taux de 11 p. 100 par année pour la période allant de la date de chaque paiement de frais inclus dans l'allocation d'indemnisation jusqu'à la date de l'ordonnance, à savoir le 14 mai 1993. La question des intérêts antérieurs au jugement sur des montants évalués après cette date est examinée ci-après, dans la section VIII C.

Ces passages indiquent clairement à mon avis que le troisième montant a été alloué à titre d'intérêts sur des sommes déterminées retenues illégitimement plutôt qu'à titre de dommages-intérêts supplémentaires. Il a donc le caractère d'un revenu et est ainsi imposable en vertu de l'alinéa 12(1)c).

[19]          L'avocat de l'appelant a invoqué au cours de son argumentation un document publié par Revenu Canada en 1998 qui indique que des intérêts antérieurs au jugement sur des allocations de dommages-intérêts pour congédiement injustifié ne seront pas considérés comme imposables. Ce document fait référence au bulletin d'interprétation IT-365R2, qui indique que le ministre ne considère pas comme imposables des intérêts antérieurs au jugement sur une allocation de dommages-intérêts pour cause de préjudice corporel ou de décès (ou un montant équivalent inclus dans une entente à l'amiable). Cela ne reflète toutefois que la différence entre des intérêts antérieurs au jugement sur une somme due ou autre somme déterminée retenue illégitimement et des intérêts antérieurs au jugement sur une allocation de dommages-intérêts évalués, ainsi que l'ont établi des causes comme Riches et Ballantyne.

[20]          En vertu de l'alinéa 12(1)c) de la Loi, sont imposées « les sommes reçues ou à recevoir par le contribuable au cours de l'année (selon la méthode qu'il suit normalement pour le calcul de son revenu) à titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts [...] » . Les intérêts antérieurs au jugement ont été imposés pour 1994, l'année où ils ont été reçus. Si j'ai bien compris, Me Harris faisait valoir au cours de son argumentation que, si ces intérêts doivent être imposés, ils devraient l'être pour l'année où ils ont été gagnés et non pour l'année où ils ont été reçus. Comme le droit aux intérêts ne remonte qu'à avril 1994, date de la modification, par la Cour d'appel, du jugement de la section de première instance, il est difficile de voir comment les intérêts pourraient avoir été gagnés avant cette date. Les intérêts sont calculés par rapport à des années antérieures, mais le droit de les recevoir ne remonte qu'à la date du jugement de la Cour d'appel. La présente espèce diffère de l'affaire Johnson & Johnson c. Canada (C.A.)[21], dans laquelle un montant reçu au cours de l'année devait être inclus dans le calcul du revenu d'années antérieures. M. Coughlan, au cours des années antérieures, n'avait qu'un espoir que, à la fin du litige, il recouvrerait ses frais, avec intérêts antérieurs au jugement.

[21]          Quoi qu'il en soit, l'appelant n'a pas allégué ni prouvé qu'il avait calculé en bonne et due forme son revenu selon la comptabilité d'exercice pour les années antérieures à 1994.

[22]          Donc, les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que le montant de 2 992 668 $ reçu par l'appelant en 1993 comme dommages-intérêts pour perte d'indemnisation et le montant de 493 457 $ reçu par l'appelant en 1994 comme dommages-intérêts pour perte d'indemnités d'assurance ne sont pas assujettis à de l'impôt. L'appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1758(IT)G

ENTRE :

TERENCE D. COUGHLAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 25 août 2000 à Halifax (Nouvelle-Écosse), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Avocats de l'appelant :      Me E. C. Harris et Me Charles W. Demond

Avocats de l'intimée :        Me John Bodurtha et Me Marcel Prevost

JUGEMENT

          Les appels des cotisations d'impôt établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993 et 1994 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, compte tenu du fait que le montant de 2 992 668 $ reçu par l'appelant en 1993 comme dommages-intérêts pour perte d'indemnisation et le montant de 493 457 $ reçu par l'appelant en 1994 comme dommages-intérêts pour perte d'indemnités d'assurance ne sont pas assujettis à de l'impôt.

L'appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Voir R.S.N.S., ch. 240, al. 41i).

[2]           Mémoire des faits et du droit de l'appelant, paragraphe 43.

[3]           Réponse à l'avis d'appel, paragraphe 13.

[4]           Hansen c. La Reine, C.C.I, no 97-1866(IT)G, 27 juillet 1998 (98 DTC 2112).

[5]           M.R.N. c. Import Motors Ltd., C.F. 1re inst., no T-1274-71, 31 octobre 1973 (73 DTC 5530); Mohawk Oil Co. Ltd. c. Canada (C.A.), [1992] 2 C.F. 485 (92 DTC 6135).

[6]           Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. M.R.N., C.F. 1re inst., no T-98-85, 8 juin 1988 (88 DTC 6340).

[7]           Upenieks c. La Reine, C.A.F., no A-504-93, 13 octobre 1994 (94 DTC 6656); Hansen c. La Reine, C.C.I, no 97-1866(IT)G, 27 juillet 1998 (98 DTC 2112).

[8]           M.N.R. v. Eastern Abattoirs Limited, 63 DTC 1023.

[9]           [1991] 3 C.F. 302; confirmé par C.A.F., no A-477-91, 18 mars 1992 (92 DTC 6253).

[10]          [1998] 1 R.C.S. 196.

[11]          Re The Validity of Section 6 of the Farm Security Act, 1944, of the Province of Saskatchewan, [1947] R.C.S. 394, aux pages 411 et 412.

[12]          61 DTC 1233.

[13]          [1947] A.C. 390; 28 T.C. 159.

[14]          12 T.C. 427.

[15]          8 T.C. 595.

[16]          14 T.C. 580.

[17]          [1996] 1 C.F. 613 (96 DTC 6075).

[18]          R.S.A. 1980, ch. E-16.

[19]          Voir l'annexe de l'ordonnance du juge Nunn en date du 4 août 1993 — pièce A-1, document 8.

[20]          Motifs du jugement de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, pièce A-1, document 9, paragraphes 211, 213 et 214.

[21]          [1994] 2 C.F. 137 (94 DTC 6125).

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