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Date: 20000331

Dossiers: 98-881-IT-G; 98-882-IT-G; 98-883-IT-G; 98-884-IT-G

ENTRE :

LA MUNICH, COMPAGNIE DE RÉASSURANCE (SUCCURSALE CANADIENNE),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

[2] L'appelante est constituée en société sous le régime des lois de l'Allemagne et elle est une non-résidente. Elle exploite une entreprise de réassurance à l'échelle internationale, notamment par le truchement d'une succursale établie au Canada.

[3] Au cours des quatre années en question, l'appelante a reçu du gouvernement du Canada les montants de 95 000 $, de 341 000 $, de 216 000 $ et de 784 000 $ respectivement à titre d'intérêt sur des paiements d'impôt en trop.

[4] Il s'agit de déterminer si ces montants sont imposables sous le régime de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu à titre de revenu tiré d'une entreprise ou sous le régime de la partie XIII.

[5] L'appelante a considéré que la valeur de l'intérêt capitalisé gagné sur les soldes de crédits d'impôt faisait partie des biens qu'elle a utilisés ou détenus pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada aux fins du paragraphe 138(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la partie XXIV du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[6] En tant qu'assureur non-résident exploitant une entreprise d'assurance au Canada, l'appelante doit calculer son revenu conformément au paragraphe 138(9) de la Loi, dont voici le texte français tel qu'il était libellé au cours des années en question :

(9) L’assureur (sauf une personne résidant au Canada et qui n’exploite pas d’entreprise d’assurance-vie) qui, au cours d’une année d’imposition, exploite une entreprise d’assurance au Canada et à l’étranger doit inclure le total des montants suivants dans le calcul de son revenu pour l’année tiré de l’exploitation de ses entreprises d’assurance au Canada :

(a) la partie de ses revenus bruts de placements pour l’année tirés de biens utilisés ou détenus par lui pendant l’année dans le cadre de l’exploitation de ces entreprises d'assurance au Canada;

(b) le montant supplémentaire prescrit et applicable à l’assureur pour l’année.

[7] Le texte anglais de la disposition était libellé dans les termes suivants :

(9) Where in a taxation year an insurer (other than a resident of Canada that does not carry on a life insurance business) carried on an insurance business in Canada and in a country other than Canada, there shall be included in computing its income for the year from carrying on its insurance businesses in Canada the aggregate of:

(a) that part of its gross investment revenue for the year that is gross investment revenue from property used by it in the year in, or held by it in the year in the course of, carrying on those insurance businesses in Canada, and

(b) such additional amount as is prescribed in respect of the insurer of the year by regulation.

[8] L'expression “ revenus bruts de placements ” est définie à l'alinéa 138(12)e) dans les termes suivants :

e) “ revenus bruts de placements ” d'un assureur pour une année d'imposition désigne le total des montants suivants :

(i) tous les dividendes imposables et les montants reçus ou à recevoir au titre des intérêts, des loyers ou des redevances inclus dans son revenu brut pour l'année,

(ii) le revenu, pour l'année, qu'il a tiré de chaque fiducie dont il est bénéficiaire,

(iii) le revenu, pour l'année, qu'il a tiré de chaque société dont il fait partie,

(iv) toutes les sommes qui doivent, en vertu du paragraphe 16(1), être incluses dans le calcul de son revenu pour l'année,

(v) toutes les sommes qui doivent, en vertu des paragraphes 12(3) ou 20(14), être incluses dans le calcul de son revenu pour l'année sauf dans la mesure où ces sommes sont des sommes incluses dans le calcul de ses revenus bruts de placements en vertu du sous-alinéa (i),

(vi) l'excédent éventuel du total des montants inclus en application de l'alinéa 56(1)d) dans le calcul de son revenu pour l'année sur le total des montants déduits en application de l'alinéa 60a) dans ce calcul;

[9] Seul le sous-alinéa (i) semble pertinent en l'espèce.

[10] L'expression “ biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de ” est définie dans les termes suivants à l'alinéa 138(12)l) :

l) “ biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de ” l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada désignent, dans le cas d'un assureur (autre qu'un résident du Canada qui n'exploite pas une entreprise d'assurance-vie) qui a exploité une entreprise d'assurance au Canada et dans un autre pays que le Canada, des biens déterminés conformément aux règles prescrites.

[11] Les règles prescrites sont énoncées à l'article 2400 du Règlement. La partie liminaire du paragraphe 2400(1) et des alinéas e) et f) est libellée dans les termes suivants :

2400.(1) Pour l'application de l'alinéa 138(12)l) [...] de la Loi, l'expression “ biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de ” l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (appelée “ entreprise donnée ” à la présente partie) s'entend des biens d'un assureur (appelés “ biens d'assurance ” à la présente partie) qu'il désigne ou qu'il doit désigner pour une année d'imposition; à cette fin, les règles suivantes s'appliquent :

[...]

e) l'assureur est réputé désigner pour l'année les biens ou parties de bien non réservés (sauf les biens de placement) dont il est propriétaire à un moment de l'année et qui sont des biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (déterminés sans tenir compte du présent paragraphe);

f) par dérogation au paragraphe (5) si l'assureur ne désigne pas les biens qu'il est tenu de désigner pour l'année en application des alinéas a) à d), le ministre peut désigner pour le compte de l'assureur, pour l'application de ces alinéas, les biens dont celui-ci est propriétaire à un moment de l'année; les biens ainsi désignés sont réputés désignés par l'assureur pour l'année, mais leur valeur globale pour l'année ne peut dépasser celle des biens que l'assureur est tenu de désigner en application de ces alinéas.

[12] Le fait primordial en l'espèce est le suivant : au cours des années en question ou des années antérieures, l'appelante a effectué des paiements d'impôt en trop, c'est-à-dire qu'elle a versé des acomptes provisionnels dont le montant était supérieur au montant qu'elle aurait dû verser pour satisfaire aux exigences de l'article 157. De toute évidence, elle cherchait ainsi à éviter que des intérêts ne lui soient réclamés sur des paiements d'impôt insuffisants, cet intérêt étant non déductible. L'appelante produisait sa déclaration de revenu pour une année donnée, puis, l'année suivante, elle recevait un avis de cotisation selon lequel elle avait effectué un paiement d'impôt en trop, lequel lui était remboursé en temps opportun. L'intérêt sur le paiement en trop aux taux prescrits était calculé et payé à l'appelante. C'est l'intérêt ainsi versé à l'appelante sur les paiements d'impôt en trop qui est en litige en l'espèce.

[13] Ainsi qu'il a été signalé précédemment, l'appelante a ajouté la valeur capitalisée de l'intérêt à la valeur des biens utilisés ou détenus par elle pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (“ biens désignés ”). En outre, elle a inclus cet intérêt dans le calcul de son revenu sous le régime de la partie I de la Loi.

[14] Lorsqu'il a établi une cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre a exclu l'intérêt capitalisé de la valeur des biens désignés de l'appelante et il y a substitué d'autres biens. L'appelante reconnaît le droit du ministre d'agir ainsi. En revanche, elle conteste l'omission de ce dernier d'exclure l'intérêt sur les paiements d'impôt en trop du calcul de son revenu aux fins de la partie I.

[15] Dans leurs arguments et actes de procédure, les parties se sont quelque peu attardées à la question de l'inclusion de l'intérêt capitalisé gagné sur les paiements d'impôt en trop dans la liste des biens désignés de l'appelante ou de l'exclusion de cet intérêt de cette liste. Cette question n'a à mon avis aucun rapport avec la question à trancher dans la présente affaire, où il s'agit en fait de déterminer si l'intérêt sur les paiements d'impôt en trop devrait faire partie du revenu de l'appelante aux fins de la partie I ou s'il devrait être traité comme un revenu tiré d'un bien et être imposable, le cas échéant, sous le régime de la partie XIII.

[16] Pour trancher cette question, il est utile de résumer le régime législatif qui s'applique aux non-résidents. Sous le régime de la partie I, est imposable le revenu des non-résidents qui sont employés au Canada, qui aliènent des biens canadiens imposables ou qui exploitent une entreprise au Canada, ce revenu étant déterminé conformément à la section D. L'article 115 de cette section requiert que soit inclus dans le calcul du revenu imposable gagné au Canada par un non-résident le revenu tiré des entreprises exploitées au Canada.

[17] Selon la partie XIII de la Loi, est imposé ce que l'on peut peut-être appeler à tort le revenu “ passif ” des non-résidents tiré de sources canadiennes, comme les frais de gestion, les dividendes, les intérêts, les revenus tirés d'une succession ou d'une fiducie et les loyers et redevances, entre autres choses. Nombre de catégories d'imposition prévues à la partie XIII sont assujetties à des conditions et à des exceptions importantes et complexes.

[18] Voici le texte de l'alinéa 214(13)c) :

(13) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements d'ordre général ou particulier, aux fins de la présente Partie, désignant

[...]

c) lorsqu'une personne non-résidente exploitait une entreprise au Canada, quelles sommes sont imposables en vertu de la présente Partie ou quelle fraction de l'impôt prévu par la présente Partie est payable par cette personne.

[19] L'article 802 du Règlement est libellé dans les termes suivants :

Aux fins de l'alinéa 214(13)(c) de la Loi, les sommes imposables en vertu de la partie XIII de la Loi pour une année d'imposition pertinente d'un contribuable sont celles qui ont été versées ou créditées au contribuable pendant l'année d'imposition pertinente, autres que les sommes comprises, en vertu de la partie I de la Loi, dans le calcul du revenu du contribuable découlant d'une entreprise qu'il a exploitée au Canada.

[20] Je n'ai pas mentionné les articles 801, 803, 804 ou 805 du Règlement. Ils se rapportent en partie aux assureurs non résidants enregistrés aux fins d'exploiter une entreprise sous le régime de la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques ou de la Loi sur les compagnies d'assurance étrangères (aujourd'hui remplacée par la Loi sur les sociétés d'assurances). Les avocats n'ont pas mentionné ces dispositions, qu'il serait à mon avis inutile d'invoquer dans la présente affaire.

[21] Il ressort de l'article 802 du Règlement que l'intérêt ou les loyers, qui sont traditionnellement des revenus tirés d'un bien, peuvent eux aussi constituer un revenu tiré d'une entreprise et, le cas échéant, être imposés non plus sous le régime de la partie XIII, mais sous celui de la partie I (voir Goldstein c. La Reine, C.C.I., no 94-480(IT)I, 1er mars 1995, à la page 7 (96 DTC 1029, à la page 1032).

[22] La thèse de l'appelante repose sur les prémisses suivantes :

a) L'intérêt sur les soldes de crédits d'impôt n'est pas un revenu tiré d'une entreprise puisqu'il se rapporte à l'obligation imposée à l'appelante de payer des impôts. L'appelante n'a cependant pas fait valoir que, si l'intérêt n'est pas un revenu tiré d'une entreprise, il est donc nécessairement un revenu tiré d'un bien.

b) Puisque l'intérêt n'est pas un revenu tiré d'une entreprise, il relève de la partie XIII du fait de l'article 802 du Règlement.

c) Cet intérêt n'est pas visé par le paragraphe 138(9) parce que, bien qu'il soit un revenu brut de placement au sens de l'alinéa 138(12)e), il n'est pas tiré “ de biens [que l'appelante] utilise ou détient dans l'année dans le cadre de ” l'exploitation de ces entreprises d'assurance au Canada.

d) Puisqu'il n'est pas visé par le paragraphe 138(9), il relève de la partie XIII, mais il est exclu de la portée de l'alinéa 212(1)b) du fait de la subdivision 212(1)b)(ii)(C)(I), qui prévoit une exception en ce qui concerne “ des obligations, des billets, des mortgages, des hypothèques ou des titres semblables (I) du gouvernement du Canada ou garantis par ce dernier. ”

e) L'article 138 de la Loi énonce un code complet devant servir au calcul du revenu d'entreprise d'un assureur non résidant; il n'est donc pas permis de se reporter à des dispositions plus générales comme l'alinéa 12(1)c).

[23] La thèse de l'intimée est la suivante :

a) L'intérêt sur le remboursement d'impôt auquel l'appelante a eu droit après qu'une cotisation eut été établie à son égard pour l'année n'était pas un “ bien de placement ”, c'est-à-dire un bien acquis par l'appelante en vue de tirer un revenu brut de placement. Cette opinion a été confirmée par le juge Rip, de la Cour, dans un appel interjeté par l'appelante en l'espèce relativement à des années antérieures à celles qui sont en cause dans la présente affaire (C.C.I., no 90-1734(IT), 9 août 1991 (91 DTC 1137)). Si je ne mets pas en doute cette conclusion, qui est également acceptée par l'appelante, je suis cependant d'avis qu'elle ne se rapporte pas vraiment à la question qui doit être résolue en l'espèce.

b) L'appelante et l'intimée conviennent toutes deux que l'article 138 est une disposition spécifique qui a préséance sur une disposition plus générale. L'appelante soutient qu'elle exclut l'application de l'article 9 et de l'alinéa 12(1)c). L'intimée soutient qu'elle exclut l'article 115. Cette conclusion est une conclusion de droit et, bien que les avocats s'entendent sur le principe, mais non sur son application, cet accord ne lie pas la Cour. L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund c. La Reine, C.C.I., no 91-1111(IT), 31 juillet 1992, aux pages 6 à 8 (92 DTC 2365, aux pages 2368 et 2369).

c) L'intérêt reçu par l'appelante est inclus dans le revenu brut de placement comme un montant reçu ou recevable à titre, pour le compte, à la place ou en règlement de l'intérêt. Cette proposition est inattaquable.

d) L'argument suivant de l'intimée est quelque peu subtil : bien que l'intérêt forme une partie du “ revenu brut de placement ”, les soldes de crédits d'impôt de l'appelante et son droit de recevoir l'intérêt ne sont pas des biens acquis par elle en vue de tirer un revenu brut de placement et ne sont donc pas des “ biens de placement ” au sens du paragraphe 2405(3) du Règlement. L'argument de la Couronne a été expressément admis par le juge Rip dans la décision antérieure (C.C.I., no 90-1734(IT), 9 août 1991 (91 DTC 1137)) et il n'a pas été mis en doute par le juge Richard (tel était son titre) lorsqu'un appel a été interjeté de novo à la Section de première instance de la Cour fédérale (C.F., 1ère inst., no T-3083-91, 22 février 1996 (96 DTC 6185)).

e) En dépit de l'argument énoncé à l'alinéa d) précédemment, la Couronne soutient que le droit de recevoir de l'intérêt sur les paiements d'impôt en trop est un “ bien ”, défini au paragraphe 248(1) [sous “ biens ”] comme “ un droit de quelque nature qu'il soit ”. Je crois que cette proposition est raisonnablement solide. Il est vrai également que le droit au remboursement de paiements d'impôt en trop est en lui-même un bien en ce sens que, lorsqu'une cotisation d'impôt est établie pour une année et qu'est ainsi cristallisé le droit de recevoir le montant du paiement en trop, un droit prend naissance. Je doute qu'avant l'établissement de la cotisation on puisse dire qu'un droit existe.

[24] Les paiements en trop qui, une fois la cotisation établie, deviennent des droits et par conséquent des biens, sont-ils des “ biens [que l'appelante] utilise ou détient dans l'année dans le cadre de ” l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada?

[25] Pour être visé par la définition énoncée au paragraphe 2400(1) du Règlement, ce bien doit être désigné par l'assureur ou ce dernier doit être tenu de le désigner. Les paiements en trop n'ont pas été désignés ni ne devaient l'être. Ils sont cependant réputés désignés aux termes de l'alinéa 2400(1)e) s'ils sont “ des biens ou parties de bien non réservés (sauf les biens de placement) ”. Ainsi qu'il est écrit à l'alinéa d) précédemment, ils ne sont pas des biens de placement. Il ne reste qu'une autre condition à remplir, à savoir qu'il doit s'agir de biens dont le contribuable est “ propriétaire à un moment de l'année et qui sont [...] utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (déterminés sans tenir compte du présent paragraphe) ”.

[26] Je ne crois pas qu'il soit juste de dire que le droit de recevoir un remboursement de paiement d'impôt en trop, qui naît lorsque la cotisation est établie, est “ utilisé par l'assureur ”. Ce serait exagéré que de dire que le droit de recevoir un paiement d'impôt en trop du gouvernement du Canada est “ utilisé ”.

[27] Cependant, les termes “ détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (déterminés sans tenir compte du présent paragraphe) ” doivent être pris en considération. S'il est admis que le droit à un remboursement d'impôt est un bien dont le contribuable est propriétaire, s'agit-il d'un bien “ détenu ” par l'assureur? La personne qui est propriétaire d'un bien ou qui détient un droit ou un intérêt sur ce bien détient-elle ce bien ou l'intérêt ou le droit sur ce bien au sens normal et ordinaire du terme “ détenir ”. Le verbe “ détenir ” n'est pas un terme spécialisé.

[28] J'en arrive à la question de savoir si le droit à un remboursement d'impôt par le gouvernement du Canada est détenu :

dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada [in the course of ... carrying on an insurance business in Canada].

[29] Il y a lieu d'examiner la façon dont ce droit a pris naissance. Les acomptes provisionnels ont été versés pour que, au moment où l'impôt pour l'année serait établi dans une cotisation, il n'y ait aucun montant dû assujetti au calcul de l'intérêt par le ministre du Revenu national. Cet intérêt ne serait pas déductible dans le calcul du revenu de l'appelante aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada.

[30] Néanmoins, les paiements ont été effectués pour satisfaire à une obligation découlant directement du fait que l'appelante, une non-résidente, exploitait une entreprise au Canada.

[31] L'avocat de l'appelante a cité un certain nombre de décisions qui, de façon générale, appuient la thèse selon laquelle une réduction d'impôt n'est pas une activité commerciale (Moloney c. La Reine, C.A.F., no A-73-89, 5 octobre 1992 (92 DTC 6570)), et le bénéfice théorique découlant non pas d'une activité commerciale mais de la loi fiscale même, n'est pas un bénéfice d'exploitation. Voir First Pioneer Petroleums Ltd. v. M.N.R., 74 DTC 6109; Roenisch v. The Minister of National Revenue, [1931] Ex. C.R. 1, à la page 4. La question a été analysée et discutée assez longuement par le juge Cattanach dans l'affaire Quemont Mining Corp. Ltd. et al. v. M.N.R., 66 DTC 5376, aux pages 5392 à 5396. Voir aussi Banque continentale du Canada c. La Reine, C.C.I., no 91-683(IT)G, 4 août 1994, à la page 36 (94 DTC 1858, à la page 1873), note en bas de page 3.

[32] Les propositions à l'appui desquelles ces affaires ont été citées sont probablement inattaquables en ce qui les concerne. Les paiements visant à réduire les impôts ne sont pas effectués “ en vue de tirer un revenu ”. (Cependant, voir Premium Iron Ores Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5280 (C.S.C.)). Néanmoins, ils peuvent avoir un objet commercial des plus valides (Mark Resources Inc. c. La Reine, C.C.I., no 91-1124(IT), 11 juin 1993, à la page 28 (93 DTC 1004, à la page 1016)).

[33] Le paiement d'acomptes provisionnels qui a donné lieu au remboursement des paiements effectués en trop ainsi que l'intérêt calculé sur le montant en question sont le résultat direct des moyens mis en oeuvre par l'appelante pour éviter de payer de l'intérêt non déductible sur des acomptes insuffisants et de subir ainsi une diminution de son revenu.

[34] Dans l'affaire Ensite Ltd. c. R., [1986] 2 R.C.S. 509, le contribuable s'est vu refuser un remboursement au titre de dividendes relativement à l'intérêt reçu sur des dépôts faits à l'étranger pour le motif qu'il ne s'agissait pas d'un “ revenu de placements à l'étranger ” mais d'un “ revenu tiré d'un bien utilisé ou détenu par la société pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise ”. Les fonds en question étaient détenus aux Philippines pour respecter la loi du pays, où Ensite Ltd. souhaitait investir dans une usine de fabrication. En concluant que le bien était utilisé ou détenu dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, la juge Wilson, de la Cour suprême du Canada, a approuvé l'interprétation de ces termes par le juge LeDain, à savoir que le bien était “ employé ou risqué ” dans l'entreprise. Aux pages 519 à 521, elle a dit ceci :

L'avocat de l'appelante a fait valoir qu'en l'espèce les dépôts en dollars ont été “ risqués ” en ce sens que si l'entreprise devait échouer ils pourraient être saisis. D'après lui, cela démontrait que le critère est trop général. Si c'était bien le fait d'être “ risqué ” qui constituait le critère approprié, alors n'importe quel bien y satisferait puisque, en fin de compte, ce sont tous les biens d'une société qui peuvent être saisis par ses créanciers. Mais le terme “ risqué ” signifie plus qu'un risque éloigné. Il ne suffit pas que le bien soit utilisé à des fins commerciales. On satisfait aux exigences minimales du critère dès lors que le retrait du bien aurait “ un effet nettement négatif sur les opérations de la compagnie ”: March Shipping Ltd. c. Ministre du Revenu national, précité, à la p. 374. Cela créerait une distinction entre le placement de bénéfices provenant d'activités commerciales afin d'atteindre quelque but accessoire comme le remplacement à long terme d'un bien immobilisé (voir, par exemple, Bank Line Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue (1974), 49 T.C. 307 (Scot. Ct. of Session)) et un placement effectué pour satisfaire à une condition qui doit obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités commerciales (voir, par exemple, Liverpool and London and Globe Insurance Co. v. Bennett, [1913] A.C. 610 (H.L.), et Owen v. Sassoon (1951), 32 T.C. 101 (Eng. H.C.J.) C'est dans ce dernier cas seulement que si on n'affectait plus ce bien de cet usage, l'exploitation de l'entreprise en souffrirait notablement. Il en va de même d'une condition qui n'est pas obligatoire, mais qui est néanmoins intimement liée aux activités commerciales en question, telle que la nécessité de régler certaines réclamations périodiques résultant de ces activités; voir, par exemple, La Reine c. Marsh & McLennan, Ltd., précité, et La Reine c. Brown Boveri Howden Inc., 83 D.T.C. 5319 (C.A.F.)

Il est vrai qu'en l'espèce le contribuable aurait pu exploiter son entreprise et satisfaire à l'exigence philippine d'importation de devises étrangères en recourant à un moyen ne comportant pas l'usage de biens. Il aurait pu emprunter les devises américaines à l'étranger pour ensuite les importer aux Philippines. Ce facteur ne revêt toutefois aucune importance aux fins de notre examen. Le critère applicable consiste non pas à déterminer si le contribuable s'est vu dans l'obligation d'employer un bien déterminé pour exploiter son entreprise, mais plutôt à se demander si ce bien a été utilisé pour satisfaire à une exigence qui devait être remplie pour qu'il puisse exploiter son entreprise. Dans cette dernière hypothèse, il s'agirait véritablement d'un bien employé et risqué dans l'entreprise. En l'espèce, le bien en cause a été employé pour satisfaire à une condition qui devait obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités commerciales; loin de revêtir un caractère accessoire, ce bien est employé et risqué au sens le plus strict dans l'entreprise du contribuable. Il s'agit d'un bien dont la société a eu l'usage ou la possession aux fins de son entreprise.

[35] Je ne crois pas que l'on puisse dire des montants auxquels l'appelante a eu droit à titre de paiements d'impôt en trop dès lors que la cotisation a été établie qu'ils ont été employés ou risqués dans l'entreprise d'assurance de l'appelante au Canada dans le sens où l'entendait le juge Wilson.

[36] Je conclus par conséquent que l'intérêt sur les paiements d'impôt en trop n'est pas visé par le paragraphe 138(9). Sur le fondement de cette conclusion, l'appelante soutient que le revenu d'intérêt doit relever de la partie XIII et que, puisqu'il s'agit d'un revenu tiré d'un bien, il doit être imposé sous le régime de cette partie de la Loi, le cas échéant, et être exclu de l'impôt de la partie XIII en raison de la division 212(1)b)(ii)(C). Le raisonnement selon lequel, initialement, l'appelante n'était pas visée par le paragraphe 138(9), puis est devenue assujettie à la partie XIII pour, finalement, être visée par la division 212(1)b)(ii)(C), doit être examiné de près.

[37] Si l'on se reporte à la dernière proposition du raisonnement de l'appelante, je ne crois pas que, même en supposant que l'intérêt sur le remboursement tombe sous le coup de la partie XIII et qu'il n'en soit pas exclu par l'article 802 du Règlement, l'appelante puisse invoquer la division 212(1)b)(ii)(C). Cette exception concerne l'intérêt sur

(C) des obligations, des billets, des mortgages, des hypothèques ou des titres semblables

(I) du gouvernement du Canada ou garantis par ce dernier,

La version anglaise se lit comme suit :

(C) bonds, debentures, notes, mortgages, hypothecs or similar obligations

(I) of or guaranteed by the Government of Canada.

Les “ titres semblables ” sont de même nature que les types de valeurs mobilières et d'effets de commerce négociables et transférables émis par le gouvernement. L'obligation du gouvernement, prévue par la Loi, de rembourser un paiement d'impôt en trop, n'est pas de cette nature. C'est la conclusion à laquelle est arrivé le juge Richard (tel était son titre) dans un appel interjeté par l'appelante en l'espèce à l'encontre de cotisations établies pour des années antérieures à celles qui sont en cause dans la présente affaire. Les décisions de la Cour suprême de Terre-Neuve [Cour d'appel] dans Re Prov. Refining Co. and Nfld Refining Co., 6 B.L.R. 270, du juge Anderson, de la Cour suprême de l'Ontario, dans Re Hillstead Ltd., 26 O.R.(2d) 289, qui ont donné au terme anglais “ debenture ” un sens assez large, ne sont d'aucune aide à l'appelante. Aussi général que soit le sens que l'on souhaite donner à “ debenture ”, je ne connais aucun ouvrage, aucune décision jurisprudentielle ou définition ni aucun usage linguistique qui justifie que l'on appelle “ debenture ” l'obligation légale de rembourser l'impôt.

[38] Je reviens donc à la question de savoir si l'appelante, ayant évité l'application du paragraphe 138(9), tombe d'office sous le coup de la partie XIII ou reste assujettie à la partie I pour une autre raison. On peut d'abord commencer par la prémisse évidente selon laquelle, indépendamment de l'article 138, l'appelante exploite une entreprise d'assurance au Canada par l'intermédiaire d'un établissement stable. On peut accepter également que, de façon générale, le revenu d'intérêt gagné par une compagnie d'assurance est suffisamment lié à son entreprise pour faire partie de son revenu d'entreprise (Liverpool and London and Globe Insurance Company v. Bennett [1913] A.C. 610; Great Eastern Life Assurance Co. Ltd. v. Director General of Inland Revenue [1986] S.T.C. 447.

[39] Je ne puis accepter que le paragraphe 138(9) énonce un code complet devant servir au calcul du revenu des assureurs non-résidents. C'est une disposition explicite exigeant l'inclusion dans le revenu de cet assureur de certains éléments déterminés du revenu. Je ne connais aucune règle d'interprétation législative qui exigerait que le paragraphe 138(9) supplante les dispositions générales du paragraphe 138(1), plus particulièrement l'alinéa (1)d). Le paragraphe 138(1) est libellé dans les termes suivants :

Il est par les présentes déclaré qu'une corporation, qu'il s'agisse ou non d'une corporation mutuelle, qui, dans une année d'imposition, a été partie à des contrats d'assurance ou à d'autres ententes ou rapports d'une catégorie particulière d'après lesquels elle peut raisonnablement être considérée comme ayant entrepris

a) d'assurer d'autres personnes contre des pertes, dommages ou frais de toute nature, ou

b) de payer des prestations d'assurance à d'autres personnes

(i) lors du décès d'une personne,

(ii) à l'occasion d'un événement ou d'une éventualité inhérente à la vie humaine,

(iii) pour une durée dépendant de la vie humaine, ou

(iv) à une date fixée ou déterminable dans l'avenir,

que ces personnes soient ou non des membres ou des actionnaires de la corporation, est, indépendamment de la forme ou des effets juridiques de ces contrats, ententes ou rapports, réputée, aux fins de la présente loi, avoir exploité une entreprise d'assurance de cette catégorie au cours de l'année en vue d'un bénéfice et, en pareil cas, aux fins du calcul du revenu de la corporation, les règles suivantes s'appliquent:

c) toute somme reçue par la corporation aux termes, en contrepartie, en vertu ou au titre d'un tel contrat, entente ou rapport, est réputée avoir été reçue par elle dans le cours de l'exploitation de cette entreprise;

d) le revenu doit, sauf dispositions contraires du présent article, être calculé conformément aux règles applicables au calcul du revenu aux fins de la présente Partie;

e) toute le revenu tiré de biens dévolus à la corporation est réputé être un revenu de la corporation; et

f) tous les gains en capital imposables et les pertes en capital déductibles découlant de la disposition de biens dévolus à la corporation sont réputés être des gains en capital imposables ou des pertes en capital déductibles, selon le cas, de la corporation.

[40] La théorie selon laquelle les seuls montants énumérés au paragraphe 138(9) sont imposables au Canada en ce qui concerne l'assureur non-résident qui exploite au Canada une entreprise qui n'est pas une entreprise d'assurance-vie, ne tient pas compte des autres dispositions de l'article 138 et, de fait, de l'article 115. Les avocats de l'intimée soutiennent que l'article 138, qui est une disposition particulière, a préséance sur l'article 115, une disposition plus générale. La proposition serait probablement juste s'il y avait un conflit mais, puisqu'il n'y en a pas, il est inutile d'invoquer le principe de “ l'exception implicite ” (generalia specialibus non derogant) dont il est question dans Driedger on the Construction of Statutes, troisième édition, page 186.

[41] Cela mène donc à la question plus générale suivante : l'intérêt reçu sur les paiements d'impôt en trop est-il un revenu tiré d'une entreprise exploitée au Canada? Il s'agit certainement d'un revenu. L'alinéa 12(1)c) requiert que soit incluse dans le revenu d'un contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien

c) toute somme reçue ou à recevoir par le contribuable dans l'année (suivant la méthode normalement suivie par le contribuable pour le calcul des bénéfices) au titre ou en paiement intégral ou partiel d'intérêts dans la mesure où ces intérêts n'ont pas été inclus dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure.

[42] Cet alinéa ne précise pas si l'intérêt en question est un revenu tiré d'un bien ou d'une entreprise. Ainsi qu'il a été signalé précédemment, les deux ne s'excluent pas mutuellement. La source immédiate du revenu d'intérêt est habituellement un bien, mais ce revenu peut aussi être gagné dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise.

[43] Dans la décision antérieure se rapportant à l'appelante en l'espèce, C.F. 1ère inst., no T-3083-91, 22 février 1996 (96DTC 6185), la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu à la page 6189 que, puisque l'alinéa 12(1)c) requerrait l'inclusion dans le revenu de l'intérêt,

[...] le revenu provenant d'intérêts est imposable aux termes de la partie I et donc, exclu du calcul effectué sous le régime de la partie XIII.

[44] La Cour a ensuite affirmé que, même si le revenu [d'intérêt] était imposable sous le régime de la partie XIII, il ne serait pas exclu par la division 212(1)b)(ii)(C).

Par conséquent, le revenu en question est visé par la partie I de la Loi et il n'est donc pas pris en considération aux fins de la partie XIII. L'intérêt généré par les soldes de crédits d'impôt constitue un revenu en paiement d'intérêts au sens de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[45] Par souci de déférence et d'uniformité, il est préférable que j'arrive à la même conclusion. Je crois aussi qu'il est possible d'y arriver pour des motifs légèrement différents.

[46] Ni l'alinéa 212(1)b) de la partie XIII ni l'alinéa 12(1)c) de la partie I ne prévoient que l'intérêt est un revenu tiré d'une entreprise et non d'un bien, ou vice versa. Cette question doit être résolue à l'aide des principes généraux. Si l'intérêt est gagné par un non-résident et qu'il est un revenu tiré d'un bien et non d'une entreprise, il est imposable en vertu de l'alinéa 212(1)b) (à moins d'être exclu par une exception explicite aux termes du même alinéa) pour la simple raison qu'il n'est pas exclu par l'article 802 du Règlement. S'il s'agit d'un revenu tiré d'une entreprise exploitée au Canada par un non-résident (même s'il peut aussi être tiré d'un bien), il est exclu de la partie XIII par l'article 802 du Règlement et il est imposable sous le régime de la partie I en raison de l'alinéa 2(3)b) et du sous-alinéa 115(1)a)(ii). S'il s'agit d'un revenu tiré d'une entreprise d'un non-résident qui n'est pas exploitée au Canada, il est imposable sous le régime de la partie XIII et non de la partie I. C'était précisément la situation dans l'affaire Pullman c. La Reine, [1983] 2 C.F. 452 (83 DTC 5080).

[47] La conclusion que l'intérêt tombe sous le coup de l'alinéa 12(1)c) ne résout pas la question complètement car cet alinéa ne permet pas de déterminer si le revenu est tiré d'un bien ou d'une entreprise. Pour que le revenu d'entreprise d'un non-résident soit imposable sous le régime de la partie I, il doit être tiré d'une entreprise exploitée au Canada (et, dans le cas d'un résident d'un pays partie à un traité, de façon générale, il doit être attribuable à un établissement stable).

[48] Mis à part l'alinéa 12(1)c) et le paragraphe 138(9), j'estime que le revenu d'intérêt gagné sur les paiements d'impôt en trop au gouvernement du Canada est un revenu tiré d'une entreprise exploitée au Canada. Sa source est le revenu gagné par l'entreprise de l'appelante au Canada à l'égard duquel l'appelante a une obligation de payer de l'impôt et de verser des acomptes provisionnels. Il n'est pas tiré de placements occasionnels effectués indépendamment de son entreprise. L'appelante verse des acomptes provisionnels parce qu'elle exploite une entreprise au Canada, ce qui l'oblige à faire de tels paiements bien que, pour des motifs commerciaux, elle ait décidé de verser des acomptes provisionnels supérieurs au montant exigible.

[49] Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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