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Date: 20000515

Dossier: 97-2566-IT-G

ENTRE :

MCLEOD MASONRY [1979] LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L'appel concerne l'année d'imposition 1992 de l'appelante. La question est de savoir si le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a à bon droit établi à l'égard de l'appelante une cotisation au titre de retenues à la source non remises, en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] L'avis d'appel énonce comme suit la position de l'appelante :

[TRADUCTION]

1. McLeod Masonry [1979] Ltd. a versé des salaires à des employés au cours de l'année d'imposition 1992.

2. En raison de la fraude d'un contremaître, qui a présenté des fiches de temps fallacieuses pour lui et d'autres employés, des employés ont reçu à titre de salaires des sommes excessives qu'ils n'avaient pas gagnées [les “ salaires excessifs ”].

3. Initialement, la société a fait des retenues sur la paye basées sur les salaires excessifs, et les montants de ces salaires et retenues ont été indiqués dans les registres comptables de la société.

4. Après avoir découvert la vérité, la direction de la société a révisé les registres comptables pour indiquer le véritable niveau des salaires, et de nouveaux bordereaux de retenues sur la paye ont été établis. La société a traité les sommes reçues par les employés en partie comme des salaires, sur lesquels des retenues ont été remises, et en partie comme des sommes versées à cause d'une fraude, soit des sommes qui n'étaient donc pas des salaires. Des retenues n'ont pas été remises à l'égard de ces dernières sommes, et l'on a en fait utilisé un registre de paye révisé pour le calcul des versements d'impôt.

5. On a délivré aux employés des feuillets T4 selon le niveau salarial inférieur.

6.                     Selon le niveau salarial inférieur, la société devait 9 583,02 $ de retenues sur la paye, plus 958,30 $ de pénalités, soit une somme totale de 10 852,84 $, sur laquelle 10 757 $ ont été payés par le séquestre.

7. Après une vérification, le ministre a, le 8 novembre 1994 établi à l'égard de la société une cotisation basée sur la première série de bordereaux de salaires; le ministre dit que la société doit 42 678,47 $ de retenues sur la paye non remises, plus 4 267,81 $ de pénalités et 25 878,95 $ d'intérêts, soit en tout 72 825,35 $.

[3] La réponse à l'avis d'appel se lit comme suit :

[TRADUCTION]

8. Par voie d'avis de cotisation établi le 8 novembre 1994 ou vers cette date, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de l'appelante une cotisation au titre de retenues sur la paye non remises, d'intérêts et de pénalités, en vertu des dispositions des paragraphes 153(1) et 227(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). Les montants fixés par le ministre dans la cotisation étaient les suivants :

RPC 2 936,06 $

Assurance-chômage 3 687,15 $

Impôt 36 055,36 $

Total 42 678,47 $

Pénalité 4 267,81 $

Intérêts 5 521,00 $

Solde 52 467,38 $

9. En établissant cette cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre s'est fondé notamment sur les hypothèses de fait suivantes :

a) durant toute la période pertinente, l'appelante était une société qui avait été constituée en Colombie-Britannique et qui y faisait affaire;

b) durant toute la période pertinente, l'appelante était une personne qui versait à ses employés “ un traitement, un salaire ou autre rémunération ” au sens du paragraphe 153(1) de la Loi;

c) en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi, l'appelante devait, à l'égard des salaires de ses employés, déduire ou retenir des sommes pour l'impôt fédéral sur le revenu, l'impôt provincial sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et l'assurance-chômage et elle a en fait déduit ou retenu les sommes requises;

d) en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi, l'appelante devait remettre ou payer au receveur général du Canada les sommes indiquées à l'alinéa c) ci-dessus, mais elle a omis de remettre ou de payer les sommes requises;

e) en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi, l'appelante doit payer les sommes non remises, ainsi qu'une pénalité de 10 p. 100 de ces sommes, plus des intérêts calculés conformément aux dispositions de la Loi;

f) durant toute la période pertinente, les employés de l'appelante ont reçu des traitements, salaires ou autres rémunérations, y compris des indemnités de séjour, auxquels ils avaient droit;

g) en 1993, l'appelante a modifié ses registres de paye pour 1992 de manière à indiquer des sommes inférieures à celles qui avaient effectivement été versées aux employés et déduites de leur paye;

h) l'appelante n'a pas remboursé à ses employés les déductions “ excessives ” alléguées;

i) dans les feuillets T4 modifiés qu'elle a établis, l'appelante n'a pas indiqué les sommes qu'elle avait effectivement déduites, et ses employés n'ont pu se faire rembourser les déductions “ excessives ” alléguées en produisant leurs déclarations de revenu T1;

j) les sommes totales versées aux employés incluaient des indemnités de séjour, et ces sommes avaient été correctement indiquées dans les registres de paye initiaux comme ayant été reçues par les employés.

[4] Les témoins de l'appelante ont été MM. Brian Pollock, Andrew Paine, Paul Gastner et Gordon McLeod. M. Pollock et M. Paine étaient briqueteurs, M. Gastner était comptable, et M. McLeod était le président de l'appelante. Ont témoigné pour l'intimée M. Goldie, Mme Margaret O'Neal et M. Raymond Walker. M. Goldie est un dirigeant d'un syndicat de briqueteurs, Mme O'Neal est un agent de Revenu Canada, et M. Walker est un contremaître ayant travaillé pour l'appelante en 1992.

[5] Voici comme contexte pour comprendre les dépositions des divers témoins un bref résumé de la version des faits de l'appelante selon son président et seul actionnaire. L'appelante oeuvre dans le domaine de la maçonnerie. M. McLeod soutient que, au cours de l'année 1992, l'appelante a versé des salaires à des employés dont les heures de travail avaient été gonflées. Une entreprise de tenue de livres, Blanchard Taxation, a payé les employés et a effectué les déductions en se fondant sur ces salaires excessifs. M. McLeod a dit que, à la fin de 1992, il s'était rendu compte que les salaires qu'il versait étaient trop élevés, ce qui devait expliquer pourquoi l'appelante était en difficulté financière. M. McLeod a réduit le nombre d'heures pour chaque employé et a, ce faisant, réduit le revenu d'emploi ainsi que le montant des déductions. L'appelante a établi des feuillets T4 en conséquence.

[6] À l'époque de son témoignage, M. Brian Pollock travaillait comme maçon pour McLeod Masonry Ltd. En 1992, il travaillait pour l'appelante. Il a dit qu'il était membre d'un syndicat et que la convention collective stipulait que la semaine de travail normale devait être de 37,5 heures et que les heures supplémentaires devaient être payées au taux de base majoré de moitié. Il a affirmé qu'en 1992 il avait été payé pour plus d'heures que ce qu'il avait travaillé, soit peut-être 8 à 12 heures de plus pour un chèque de paye. Cela se serait passé pendant une période de sept à huit mois. À la fin de la semaine, il remettait sa feuille de temps à un superviseur, qui l'envoyait à l'entreprise de tenue de livres. C'est le superviseur ou le contremaître qui aurait gonflé le nombre d'heures. Un des superviseurs était Gerry Giasson. L'autre était Ray Walker. Au cours du contre-interrogatoire, M. Pollock a dit qu'il y avait entre l'appelante et les travailleurs une entente prévoyant que, si un travailleur faisait des heures supplémentaires, il serait payé au taux ordinaire. M. Pollock a toutefois dit qu'aucune heure supplémentaire n'était travaillée aux chantiers. Il ignorait pourquoi les heures supplémentaires lui avaient été données par le contremaître, mais il les avait eues.

[7] Le deuxième témoin, Mark Andrew Paine, avait travaillé comme briqueteur pour l'appelante pendant environ trois mois en 1992. Il reçoit actuellement une pension d'invalidité. Il n'avait jamais fait d'heures supplémentaires. Cependant, il arrivait que les chèques de paye soient de quelques dollars plus élevés que ce qu'ils auraient dû être, ce qui pouvait représenter jusqu'à deux heures par jour.

[8] Le témoin suivant a été M. Paul Gaster, comptable agréé. Il a rencontré M. McLeod au sujet de cet appel. Donc, il n'avait joué aucun rôle comme comptable durant les années en question et n'était pas vraiment bien informé sur ce qui s'était réellement passé. Il est venu pour présenter un document établi par un autre membre du cabinet dont il fait partie (pièce A-4). L'objet de ce document était de montrer que le ministre a établi des feuillets T4 indiquant les mêmes revenus d'emploi que l'appelante avait déterminés. La question des divers feuillets T4 sera examinée au paragraphe 22 des présents motifs.

[9] M. Gordon McLeod a obtenu un diplôme universitaire en génie mécanique en 1969 de l'Université de l'Alberta. À l'époque de ses études universitaires, il travaillait durant l'été comme briqueteur. Il a expliqué que cette activité secondaire avait fini par l'occuper tellement qu'il s'était lancé dans ce domaine en 1974. Il a raconté que, en 1992, le gouvernement provincial avait obligé les fabriques de pâte de bois à améliorer leurs installations de contrôle de la pollution et que l'appelante avait obtenu un assez grand nombre de ces contrats de construction.

[10] Au cours de cette année-là, l'appelante employait environ 54 personnes sur divers chantiers. M. McLeod a dit que l'appelante recrutait les employés par l'intermédiaire des bureaux d'embauchage syndicaux et les payait selon les tarifs syndicaux. Les employés étaient des briqueteurs et des maçons. Il y en avait huit à dix sur un chantier, ainsi qu'un contremaître pour superviser les travaux.

[11] M. McLeod dirigeait seul l'entreprise. Cependant, l'appelante utilisait les services d'une société de tenue de livres de Victoria, Blanchard Taxation, pour le paiement de certaines factures et l'émission des chèques de paye. M. McLeod vivait à Comox, soit à quatre heures de route de Victoria. Il a dit qu'il n'allait voir ses comptables de Victoria qu'une fois par année. Il a dit qu'il n'examinait qu'au bout d'un an les données de paye établies par Blanchard Taxation. Il remettait à Blanchard Taxation des chèques signés d'avance, que Blanchard Taxation envoyait par messager aux chantiers à la fin de chaque semaine.

[12] Les employés remplissaient leurs feuilles de temps et les remettaient au superviseur. La plupart de ces superviseurs n'avaient jamais auparavant travaillé pour l'appelante. Chaque semaine, le contremaître du chantier téléphonait à Blanchard Taxation pour lui communiquer les heures travaillées par chaque employé.

[13] À la fin de l'année 1992, l'appelante avait peu d'argent. M. McLeod avait été obligé de licencier les employés et d'achever la plupart des travaux seul ou avec quelques aides. En janvier 1993, Blanchard Taxation avait établi une série de feuillets T4 ainsi qu'un sommaire de la paye. M. McLeod, d'après son témoignage, avait alors constaté que des employés avaient été payés pour un trop grand nombre d'heures. Il était allé voir un cabinet d'experts-comptables, Wharram Standeven & Co., situé à Courtenay, près de Comox, où il habitait. Il avait demandé à ce que l'on rajuste le montant de la paye et les déductions selon le nombre d'heures qu'il avait déterminées comme étant exactes pour chaque employé.

[14] M. McLeod a expliqué qu'il avait réduit le nombre d'heures parce qu'aucune heure supplémentaire n'avait jamais été travaillée à ses chantiers et que c'était à son insu que les employés avaient été payés pour des heures supplémentaires. Voilà pourquoi il avait réduit le nombre d'heures pour toutes les semaines dépassant 37,5 heures de travail. Pour les semaines à l'égard desquelles le nombre d'heures avait été ramené de 35 à 30 ou de 30 à 25, il n'avait aucune explication. Il a dit que cela s'était passé il y a huit ans et qu'il n'arrivait pas à se rappeler sur quelle base il avait réduit le nombre d'heures.

[15] Il a dit qu'il ne payait pas et n'autorisait pas d'heures supplémentaires pour les employés parce qu'il lui aurait fallu les payer au taux de base majoré de moitié ou parfois à taux double pour respecter la convention collective. Il a dit qu'il voulait agir selon les règles. Certains employés avaient des indemnités de séjour, qui leur étaient versées par voie de chèque distinct. M. McLeod a également dit que, à cette époque, il n'y avait pas d'entente précisant que les heures supplémentaires seraient payées au taux ordinaire. Une telle entente existe maintenant. M. McLeod a dit qu'il avait cinq chantiers et qu'il allait à un chantier à toutes les deux semaines, et ce, pour deux ou trois jours. Il a ajouté qu'il constatait, quand il allait à un chantier, que les employés n'arrivaient guère avant huit heures et étaient repartis à seize heures.

[16] Il n'y a pas eu de réponse précise quant à savoir si c'était le montant du revenu total d'emploi qui avait été inclus dans le compte de charges de l'appelante.

[17] M. McLeod n'a jamais informé la police ni le syndicat que les salaires avaient été gonflés et qu'il considérait avoir été volé par les employés. Il est possible qu'il n'ait pas mentionné ce problème aux comptables ayant établi les feuillets T4, a-t-il admis à l'avocate de l'intimée qui demandait pourquoi, lors de leur entretien avec Mme Margaret O'Neal, les comptables avaient mentionné la question des indemnités de séjour prises comme heures supplémentaires par les employés, mais n'avaient jamais mentionné la question des heures supplémentaires proprement dite.

[18] M. McLeod a en outre argué que le nombre d'heures avait été gonflé et que le pourcentage de main-d'oeuvre contractuelle atteignait 57 p. 100, alors qu'il était de 40 p. 100 d'après ses calculs.

[19] L'appelante a été mise sous séquestre en février 1993. Elle n'a toutefois pas fait faillite. La mise sous séquestre a pris fin en 1996 (pièce A-11). L'appelante existe aujourd'hui sous la forme d'un regroupement.

[20] M. McLeod a dit que l'appelante ne devrait pas avoir à payer la cotisation, car elle n'avait pas à effectuer de déductions sur de l'argent qui lui avait été volé.

[21] La preuve quant à savoir qui avait établi les divers feuillets T4 était déroutante. Au bout du compte, il semblerait que trois séries de feuillets T4 aient été établies. La deuxième et la troisième ont été délivrées aux employés. La deuxième, établie par les nouveaux comptables de l'appelante, se fondait sur le nombre d'heures réduit. La troisième série a été établie par Revenu Canada, qui n'a pas modifié la plupart des inscriptions que l'employeur avait effectuées en établissant sa propre série de feuillets T4. Revenu Canada n'a modifié les feuillets T4 que pour corriger les montants du régime enregistré de pensions et inclure le facteur d'équivalence.

[22] M. Goldie, qui était le directeur administratif de la section 1 du syndicat des briqueteurs, a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimée. Il occupait ce poste depuis deux ans. Avant cela, il était délégué syndical. Il a déclaré que l'appelante avait pris du retard dans ses versements au fil des ans. Il a confirmé le nombre d'heures que les employés syndiqués devaient travailler, mais il a dit que le syndicat n'interviendrait à l'égard des heures supplémentaires payées au taux ordinaire que si les employés déposaient une plainte.

[23] Mme Margaret O'Neal travaillait pour le ministre comme vérificatrice de paye durant les années en question. Sa vérification, commencée à la fin de 1993, visait à déterminer pour chaque employé la somme versée dans un régime enregistré de pensions et à déterminer ainsi le facteur d'équivalence. Mme O'Neal était allée au bureau du comptable parce que c'était là que l'on avait établi les feuillets T4. Elle avait toutefois découvert qu'il y avait des documents qui ne concordaient pas. Elle était repartie avec des caisses de documents. Une des caisses contenait des copies des bordereaux de paye qui avaient été délivrés aux employés avec leurs chèques de paye. Ces bordereaux ont été déposés sous les cotes R-3, R-4, A-6, A-7 et A-8. Mme O'Neal avait dressé une liste complète (pièce R-5). Dans son analyse et ses calculs finaux, elle était arrivée aux mêmes chiffres que Blanchard Taxation. Elle a en outre formulé des observations sur des lettres envoyées à Revenu Canada par certains travailleurs qui avaient découvert que les montants déclarés par l'appelante ne correspondaient pas aux totaux indiqués dans leurs bordereaux de paye.

[24] M. Raymond Walker a témoigné à la demande de l'intimée. Il est briqueteur. Pendant presque toute l'année 1992, il avait travaillé comme contremaître pour l'appelante, dans le cadre de deux affectations. Lors de la première affectation, M. McLeod ne connaissait pas bien M. Walker et s'était donc occupé lui-même du paiement des factures locales. Lors de la deuxième affectation, M. Walker s'en était occupé. M. Walker a gardé tous les documents qu'il devait écrire comme contremaître et les a apportés à l'audience. Il a expliqué que des heures supplémentaires étaient travaillées et que c'était toujours avec l'autorisation de l'entrepreneur général. Les ordres étaient mis sur papier, et les autorisations étaient signées. Ces ordres ont été déposés sous les cotes R-14 à R-16. Malgré les allégations de fraude de l'appelante contre ce témoin, aucune preuve à cet égard n'a été présentée à l'audience. M. Walker n'a pas été interrogé par l'appelante à ce sujet, alors que c'était crucial pour la version des faits de l'appelante.

Arguments

[25] L'avocat de l'appelante soutenait qu'il y avait deux questions en litige. Premièrement, les employés ont-ils été payés en trop? Deuxièmement, dans l'affirmative, l'appelante était-elle tenue en vertu de la Loi d'effectuer les déductions?

[26] L'avocat de l'appelante soutenait en outre que les témoignages de MM. Pollock et Paine selon lesquels il y avait des heures supplémentaires devraient être préférés à celui de M. Walker. Les dépositions de MM. Paine et Pollock sont des dépositions de deux témoins indépendants. De plus, l'avocat de l'appelante disait qu'il semblait clair qu'aucun employé syndiqué ne peut faire d'heures supplémentaires sans être payé au taux de base majoré de moitié.

[27] L'avocat de l'appelante soutenait également que, si la Cour examine la preuve dans son ensemble, en tenant compte des dépositions de tous les témoins, la prépondérance des probabilités est que les employés ont reçu des salaires représentant au moins une heure de trop par jour. Cela est étayé par le témoignage de M. McLeod selon lequel les travaux dépassaient les budgets, et la paye était plus élevée qu'elle aurait dû être, ce qui a beaucoup contribué à ce que sa société devienne insolvable. Dans bien des cas, M. McLeod a réduit les salaires d'une manière précise. Par exemple, si les heures excédaient 37,5 par semaine, il en ramenait le nombre à 37,5. Le fait qu'il n'arrive pas à se souvenir de l'explication quant aux autres réductions n'est pas étonnant. Cela s'est passé il y a huit ans. Le niveau auquel M. McLeod a ramené les salaires est bien raisonnable. Il est également intéressant que Revenu Canada ait établi des feuillets T4 au même niveau que l'avait fait l'appelante. La volte-face de Revenu Canada est surprenante et très injuste.

[28] L'avocat de l'appelante a renvoyé aux termes anglais “ salary, wages or other remuneration ” figurant à l'alinéa 153(1)a) de la Loi [rendus dans la version française par “ un traitement, un salaire ou autre rémunération ”]. Il soutenait que de l'argent volé n'était pas un traitement, un salaire ou autre rémunération. Le mot “ salary ” [“ traitement ”] n'est pas défini dans le Black's Law Dictionary, mais le mot “ wages ” [“ salaire ”] y est défini comme suit : [TRADUCTION] “ Rémunération que l'on accorde pour les services fournis par une personne que l'on a embauchée. Rémunération d'employés basée sur les heures ouvrées ou sur le travail accompli ”. L'avocat de l'appelante concluait en faisant valoir avec force que de l'argent volé n'était clairement pas une rémunération.

[29] L'avocate de l'intimée a expliqué qu'il s'agissait essentiellement de l'histoire d'un homme dont la société commençait à avoir des difficultés financières. M. McLeod peut avoir eu une certaine impression quant à ce qui se passait en fait. La position du ministre est qu'aucune fraude n'a été prouvée.

[30] M. Walker a gardé toutes les copies des ordres de travaux et des ordres d'heures supplémentaires, soit des documents qui indiquent les sommes versées pour les employés et les dates relatives à l'ensemble de ces chiffres. Il a déclaré qu'une entente prévoyait que des heures supplémentaires seraient faites au besoin et que les travailleurs seraient alors payés au taux ordinaire. Des heures supplémentaires ont été autorisées, non seulement par M. McLeod, mais aussi par l'entrepreneur général, assurément. Rien n'indique que M. Walker ait déjà fait un mauvais usage de quoi que ce soit. Dans le cadre de ses responsabilités, il devait notamment superviser ces employés, traiter avec les fournisseurs et payer des comptes. Il avait des chèques signés d'avance; M. McLeod pouvait donc manifestement lui confier son argent en toute confiance aux fins des paiements à effectuer.

[31] M. Pollock a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'une entente avec l'appelante prévoyait que les heures supplémentaires seraient payées au taux ordinaire, mais M. McLeod a dit ensuite que cela s'appliquait non pas à l'année 1992, mais seulement à des années ultérieures.

[32] M. Goldie a déclaré qu'il avait commencé à traiter avec McLeod Masonry probablement dès 1980. Concernant l'année 1992, il était au courant qu'il y avait eu des plaintes d'employés en matière d'avantages sociaux, par exemple au sujet de primes médicales non payées. Il a témoigné à propos de la convention collective que les heures supplémentaires sont admises; un taux supérieur doit être accordé à cet égard, mais le syndicat n'intervient que s'il y a une plainte.

[33] On n'a jamais fourni une explication satisfaisante et l'on n'a pas non plus demandé à M. Walker de fournir une explication quant à savoir pourquoi il aurait conclu cet arrangement visant à ce que des travailleurs ou lui-même reçoivent de l'argent de plus.

[34] M. McLeod signait des chèques d'avance. Certains de ces chèques étaient remis au contremaître de M. McLeod sur les chantiers pour le paiement de certains frais, et d'autres étaient remis au comptable, qui les libellait selon l'information lui provenant des chantiers. M. McLeod a lui-même déclaré qu'il n'examinait pas le travail du comptable avant qu'une année entière se soit écoulée.

[35] Il a en outre déclaré dans le cadre de son témoignage qu'il n'avait pas tenté de recouvrer les paiements en trop que des employés auraient reçus. Il allègue qu'ils vivaient tous à différents endroits et qu'il lui aurait été difficile de le faire. C'est possible, mais cela ne justifie pas le fait d'avoir essayé de se dédommager via le fisc. Ni la police ni le syndicat n'ont été contactés à cet égard.

[36] L'avocate de l'intimée a également attiré l'attention sur le fait que certaines des personnes qui auraient pu apporter des éclaircissements, par exemple les anciens comptables, n'ont pas témoigné.

[37] Mme O'Neal avait accès aux meilleurs documents. Elle avait les originaux de ce qu'elle appelle “ les petits feuillets ”. Il s'agissait des bordereaux de paye, qui indiquaient toute l'information pour la période commençant avec la toute première paye reçue par les employés et qui faisaient état du niveau salarial supérieur ainsi que de tous les montants déduits. Ces documents correspondent aux talons des chèques de paye reçus par les employés. Mme O'Neal n'a pas simplement prélevé un échantillon de quoi que ce soit. Elle a examiné le cas de tous les employés. Elle s'est penchée sur toutes les périodes de paye. Au sujet des feuillets T4 qui ont été délivrés par le ministre, ils l'ont été concernant les montants relatifs au régime enregistré de pensions et au facteur d'équivalence qui figurent aux cases 20 et 52 des feuillets T4. Cela ne veut pas nécessairement dire que Revenu Canada est d'accord sur tous les montants indiqués dans les cases. Les feuillets T4 sont établis par l'employeur à partir de ses registres. Ils n'ont aucun poids juridique en soi. L'obligation fiscale résulte de la Loi.

[38] Il est admis que les salaires supérieurs ont effectivement été versés. Les employés ont effectivement reçu l'argent, et les déductions ont été effectuées.

[39] Même si une fraude avait été prouvée, et telle n'est pas l'opinion du ministre, cela aurait simplement supprimé l'obligation d'effectuer des déductions. S'il ne s'agit pas de traitements ou salaires, il n'est peut-être pas obligatoire d'effectuer des déductions, mais qu'en est-il si l'employeur le fait? À ce stade, le reste de l'article 153 de la Loi s'applique. Une fois la déduction effectuée, l'argent doit être retenu. C'est de l'argent qui est détenu en fiducie et qui doit donc être versé au receveur général. Les fonds ont été déduits au nom des employés. Il s'agit de leur obligation fiscale. Les fonds ont été déduits par l'employeur, mais n'ont pas été remis. Ils étaient censés aller au receveur général.

[40] L'avocat de l'appelante a rétorqué sur ce dernier point que le paragraphe 153(1) de la Loi doit être interprété globalement et qu'une condition préalable est que les sommes versées soient des traitements, salaires ou autres rémunérations.

Conclusion

[41] Je considère que l'allégation selon laquelle les heures travaillées par les employés avaient été gonflées, qui est fondée sur la thèse que l'appelante n'a jamais autorisé les heures supplémentaires, n'est pas prouvée. M. McLeod n'a nullement mentionné dans son témoignage le rôle d'un entrepreneur général sur un chantier et la relation entre ce dernier et l'appelante. M. Walker a déposé sous les cotes R-14 à R-16 des documents qu'il avait établis pour l'entrepreneur général. Certains documents étaient en outre signés par des représentants de l'entrepreneur général, mais tous avaient été établis pour obtenir des paiements ou pour respecter d'autres exigences de l'entente entre l'appelante et l'entrepreneur général. Ces documents montraient que les employés avaient fait des heures supplémentaires. Quant à la question de savoir si des heures supplémentaires étaient permises sur les chantiers, j'estime que l'on aurait pu demander aux entrepreneurs généraux oeuvrant sur les divers chantiers de témoigner dans cette affaire. On ne peut croire que M. McLeod n'a pas examiné au cours de l'année 1992 les feuilles de temps remises par les employés et les chèques émis par Blanchard Taxation. On n'a demandé à aucun représentant de Blanchard Taxation de témoigner dans cette affaire. Les comptables subséquents qui ont établi les feuillets T4 en litige ont dit à l'agent du ministre que les heures avaient été réduites non pas parce qu'elles avaient été frauduleusement gonflées par les contremaîtres, mais parce qu'elles comprenaient des indemnités de séjour.

[42] L'absence de témoins importants, l'absence de documents, l'incompréhensible comportement de la direction qui est allégué et la version contradictoire des faits qui a été présentée étaient plus que suffisants pour indiquer que les allégations de l'appelante ne pouvaient être corroborées. Les paiements effectués par l'appelante représentaient des salaires.

[43] Quoi qu'il en soit, l'appelante admet que les employés ont été payés au niveau salarial supérieur et que les déductions ont été faites à l'égard des chèques de paye.

[44] Le passage pertinent du paragraphe 153(1) de la Loi se lit comme suit :

(1) Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération;

[...]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière, au sens du paragraphe 190(1), compte non tenu des alinéas d) et e) de la définition de cette expression.

[45] L'avocate de l'intimée a raison dans son interprétation selon laquelle une fois les déductions effectuées à l'égard d'une somme versée comme rémunération, le montant des déductions doit être remis au receveur général. Le libellé et l'économie de la Loi commandent cette interprétation.

[46] Si une partie de la rémunération a été gagnée frauduleusement comme le prétend l'appelante, la question aurait dû être débattue entre le payeur et le bénéficiaire. Si cette prétention est inconnue du bénéficiaire, il inclura le montant dans son revenu d'emploi et paiera en conséquence ses impôts et autres sommes dues. En d'autres termes, les sommes déduites appartiennent au bénéficiaire. Elles sont déduites et remises en son nom. On ne peut se les approprier comme l'a fait l'appelante. Je tiens à me reporter à la décision que notre cour a rendue dans l'affaire Le Grand Conseil des Cris (Du Québec) c. M.R.N., C.C.I., no 86-1436(IT), 22 juin 1990, à la page 3 (90 DTC 1652, à la page 1654) :

De plus, l'appelante en déduisant les sommes et en ne les remettant pas au receveur général met en jeu l'économie de la Loi vu la présomption édictée par le paragraphe 153(3) de la Loi qui veut que :

(3) Effet de la déduction. Lorsqu'une somme a été déduite ou retenue en vertu du paragraphe (1), elle est, pour l'application générale de la présente loi, réputée avoir été reçue à cette date par la personne à qui la rémunération, la prestation, le paiement, les honoraires, les commissions ou d'autres sommes ont été payées.

Il appartient en effet au ministre de faire les remboursements d'impôt et non à la personne qui paie.

Je tiens en outre à me reporter à l'arrêt Dauphin Plains c. Xyloid et la Reine, [1980] 1 R.C.S. 1182, aux pages 1191 et 1192 :

Il importe d'examiner la nature de la déduction au titre de l'impôt sur le revenu. Ce n'est pas une déduction au profit de l'employeur, c'est une retenue au profit de l'employé, parce qu'elle doit être remise au receveur général du Canada à valoir sur l'impôt dû par l'employé. En vertu d'autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu si, ce qui est fréquent, les retenues excèdent l'obligation fiscale de l'employé, le ministère du Revenu national remboursera l'employé. En conséquence, une somme retenue fait toujours partie du salaire, et le par. 153(3) prévoit qu'elle est “ réputée avoir été reçue ” par l'employé à la date où le versement a été fait moins la déduction. De plus, le par. 227(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu établit ce qui suit :

(4) Toute personne qui déduit ou retient un montant quelconque en vertu de la présente loi est réputée retenir le montant ainsi déduit ou retenu en fiducie pour Sa Majesté.

[...]

L'article 153 de la Loi de l'impôt sur le revenu est le seul texte de loi qui permet à quelqu'un de faire une déduction au titre de l'impôt sur le revenu, mais cet article dispose ensuite, au par. (4), que le montant ainsi déduit est retenu “ en fiducie pour Sa Majesté ”. [...]

Il faut aussi tenir compte de ce qu'en vertu du par. 153(3), les employés sont réputés avoir reçu leur salaire en entier, et sont en conséquence assujettis à l'impôt sur cette base. [...]

[47] L'appel est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2000.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

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