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Date: 19990602

Dossier: 2000-445-IT-I

ENTRE :

HEATHER McCOLL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour l'année d'imposition 1997. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1997, l'appelante a déduit des frais juridiques de 10 949,89 $.

[2] Par voie d'avis de nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a établi relativement à la déclaration de revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1997 une nouvelle cotisation refusant la déduction de 10 949,89 $.

Faits énoncés dans les actes de procédure et admis

[3] L'appelante et Paul McColl se sont mariés le 8 avril 1995 et se sont séparés le 10 juillet 1997. Ils ont un fils, Andrew Peter William McColl, né le 14 mars 1997. Au cours de l'année d'imposition 1997, l'appelante a payé des frais juridiques de 10 949,89 $. L'appelante et Paul McColl ont conclu un accord de séparation en date du 13 janvier 1998. En vertu des dispositions de l'accord, Paul McColl était tenu de verser à l'appelante 1 200 $ par mois de pension alimentaire pour l'enfant à partir du 1er février 1998, 7 500 $ de pension alimentaire pour la conjointe le 1er février 1998 et 2 500 $ par mois de pension alimentaire pour la conjointe à partir du 1er mars 1998.

Preuve présentée au procès

[4] L'appelante a présenté une preuve claire et convaincante. Tous les frais juridiques ont été engagés pour déterminer le revenu de l'époux de l'appelante, soit le père de l'enfant de l'appelante, est-il admis. Ils ont été engagés pour mettre à exécution un droit déjà existant à une pension alimentaire, conformément à la loi.

[5] Tout au long de la période du litige relatif à la rupture du mariage, le père niait le droit de son fils à la détermination d'un paiement d'entretien en cachant sa ou ses sources de revenus et en réduisant l'importance de ses revenus. D'après l'appelante, il disait que, si des pères ne voulaient pas verser de paiements d'entretien, ils ne le faisaient pas[1]. La période des négociations concernant le litige a été marquée par beaucoup d'acrimonie et de violence.

[6] Les frais juridiques qui ont été engagés sont élevés, car l'appelante devait exposer et démontrer la capacité de payer du père. L'appelante a fini par réussir à négocier l'accord de séparation mentionné précédemment.

[7] L'appelante a reconnu qu'elle était avantagée par l'accord final, mais, de son point de vue, les frais qui ont été engagés l'ont principalement été pour mettre à exécution un droit déjà existant, soit le droit de l'enfant à des paiements d'entretien. Elle estimait donc être en droit de déduire la totalité des frais juridiques de 10 949,89 $ pour 1997.

Point en litige

[8] La question est de savoir si l'appelante était ou non en droit de déduire des frais juridiques de 10 949,89 $ dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1997.

Thèse du ministre

[9] (i) Les dépenses juridiques ont été faites avant d'obtenir l'accord de séparation et en vue d'obtenir cet accord; (ii) les frais juridiques n'ont pas été engagés en vue de mettre à exécution le paiement d'une pension alimentaire, pour l'enfant ou la conjointe, déterminée par une ordonnance d'un tribunal ou en vertu d'accords de séparation valides; (iii) les frais juridiques sont des dépenses en capital; (iv) les frais juridiques n'ont pas été engagés par l'appelante en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien et étaient plutôt des frais personnels ou de subsistance de l'appelante; (v) le droit de l'appelante de recevoir une pension alimentaire correspond à un revenu d'autres sources en vertu de la sous-section d (Autres sources de revenu) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”); (vi) aucune disposition de la sous-section d de la Loi ne permet à l'appelante de déduire les frais.

Thèse de l'appelante

[10] Les frais juridiques engagés pour mettre à exécution des droits déjà existants à une pension alimentaire sont déductibles. Le droit déjà existant de l'enfant à une pension alimentaire de son père résulte de la partie III de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario. La mise à exécution d'un tel droit ne crée pas ou n'établit pas un nouveau droit, et les frais y afférents sont donc déductibles dans le calcul du revenu.

Analyse

[11] Les frais juridiques engagés afin d'établir le droit à une pension alimentaire (pour un conjoint ou un enfant) ne sont pas déductibles, car ce sont des dépenses en capital ou des frais personnels ou de subsistance, mais les frais juridiques engagés afin de mettre à exécution un droit déjà existant à une pension alimentaire provisoire ou permanente (pour un conjoint ou un enfant) sont déductibles : R. c. Burgess, C.F. 1re inst., no T-3847-79, 19 juin 1981 ([1981] C.T.C. 258, 81 DTC 5192); Evans v. Minister of National Revenue, [1960] R.C.S. 391, [1960] C.T.C. 69, 60 DTC 1047[2]. Dans l'affaire Kathy L. Wakeman c. La Reine, C.C.I., no 95-2744(IT)I, 8 mai 1996 (96 DTC 3220, [1996] 3 C.T.C. 2165), citée par l'appelante, la question était de savoir si “ l'appelante pouvait déduire les frais judiciaires de 5 320 $ qu'elle avait payés en vue d'obtenir une ordonnance judiciaire permanente contre son ex-conjoint, dont elle était divorcée, à l'égard de l'entretien de leurs deux enfants ”. La Cour avait accepté la preuve de l'appelante et conclu “ que les dépenses déduites ne se rapportaient pas à la garde, mais uniquement à la détermination du montant de l'allocation indemnitaire à verser pour les deux enfants dont l'appelante avait la garde ”. La Cour avait conclu qu'il n'y avait pas de droit déjà existant à une pension alimentaire pour un conjoint et que, toutefois, il y avait un droit déjà existant à une pension alimentaire pour un enfant, soit un droit juridiquement reconnu (Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, Loi sur le divorce et arrêt Richardson c. Richardson, [1987] 1 R.C.S. 857, 38 D.L.R. (4th) 669, 22 O.A.C. 1). La Cour avait donc conclu que les dépenses étaient déductibles.

[12] Le ministre du Revenu national avait adopté la position suivante dans le bulletin d'interprétation IT-99R5, sous la rubrique “ Pensions alimentaires ” :

17. Les frais juridiques engagés en vue d'établir le droit à une pension alimentaire, comme les frais engagés en vue d'obtenir un divorce, une ordonnance de soutien en vertu de la Loi sur le divorce ou un accord de séparation, ne sont pas déductibles, puisqu'il s'agit de frais relatifs au capital ou de frais personnels ou de subsistance. [...]

18. Les frais juridiques engagés pour mettre à exécution un droit déjà existant à une pension alimentaire provisoire ou permanente sont déductibles. Un droit déjà existant à une pension alimentaire peut résulter [...] de dispositions législatives comme la partie III de la Loi sur la famille de l'Ontario, et la mise à exécution d'un droit de ce type n'établit pas un nouveau droit [...]

[13] Depuis la décision rendue par le juge Archambault, de notre cour, dans l'affaire Pierre Bergeron c. Sa Majesté la Reine, (98-547(IT)I), C.C.I. (procédure informelle), il semblerait que le ministre ait changé d'opinion par rapport au bulletin d'interprétation IT-99R5.

[14] Dans cette décision-là, après un long raisonnement, le juge avait conclu : “ [...] il n'existe dans la Loi aucune disposition permettant la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire ou pour contester le paiement d'une telle pension [...] ”. Bien que la conclusion relative aux “ frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés pour recouvrer une pension alimentaire ” soit une conclusion incidente[3], je trouve ce jugement intéressant.

[15] Le ministre fait maintenant valoir que le droit d'une partie appelante de recevoir une pension alimentaire correspond à un revenu provenant d'autres sources en vertu de la sous-section d de la Loi et qu'aucune disposition de cette sous-section ne permet à l'appelante de déduire les frais en cause.

[16] Les faits de l'espèce ainsi que ma propre interprétation de la Loi m'amènent à conclure ce qui suit : le droit déjà existant à une pension alimentaire en raison de la partie III de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario est un droit relatif à des biens en vertu de la Loi[4]. Ce droit a été formulé dans un accord de séparation. Il s'agit d'un droit de l'enfant de l'appelante. Les frais juridiques engagés par l'appelante pour mettre à exécution le droit déjà existant de l'enfant, soit un droit juridiquement reconnu, n'étaient pas des dépenses en capital.

[17] Le droit de recevoir un revenu résultant d'un droit relatif à des biens entre dans le cadre de l'article 9 de la Loi. (Il entre également dans le cadre de la sous-section d, et je conclus que cette sous-section ne fait que préciser, pour plus de certitude, la définition de ce qu'est un revenu)[5]. Le revenu visé à l'article 9 est le revenu net, et les dépenses engagées sont déductibles en vertu de l'article 9.

[18] Les frais juridiques engagés pour mettre à exécution le droit déjà existant sont considérés comme des dépenses courantes auxquelles ne s'appliquent pas les interdictions prévues aux alinéas 18(1)a) et 18(1)h). L'interdiction prévue à l'alinéa 18(1)a) ne s'applique pas parce que les frais ont été engagés en vue de tirer un revenu d'un droit déjà existant et juridiquement reconnu, soit, ai-je conclu (au paragraphe 17) un revenu provenant d'un bien en vertu de la vaste définition de “ biens ” figurant au paragraphe 248(1) de la Loi. L'interdiction prévue à l'alinéa 18(1)h) ne s'applique pas parce que les frais juridiques ne sont pas des frais personnels ou de subsistance de l'appelante. Il s'agit de frais engagés par l'appelante au nom de l'enfant pour obtenir une pension alimentaire servant à élever l'enfant et à laquelle l'appelante et l'enfant ont juridiquement droit.

[19] En l'espèce, l'appelante a engagé 10 949,89 $ de frais juridiques pour mettre à exécution le droit déjà existant et juridiquement reconnu à une pension alimentaire en déterminant le montant pour l'enfant. Elle en a bel et bien tiré un avantage personnel, mais cela ne réduisait pas le total des frais juridiques engagés pour mettre à exécution ce même droit déjà existant de l'enfant à une pension alimentaire.

[20] En conclusion, je souscris respectueusement aux propos suivants tenus par le juge Bowman (titre qu'il portait alors), de notre cour, dans l'affaire Marise Nissim c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., 97-2560(IT)I, 5 août 1998, aux pages 8 et 9 ([1999] 1 C.T.C. 2119, à la page 2125) :

[...]

Le fait de refuser aux épouses le droit de déduire les frais engagés pour obliger leur époux à payer sa juste part de l'entretien des enfants et d'imposer les épouses sur les paiements d'entretien qu'elles peuvent obtenir de leur époux me semble contraire au bon sens et aux principes ordinaires de justice. Quelle que puisse être la valeur de la distinction entre les frais engagés pour assurer le respect d'un droit existant à un revenu et les frais engagés pour établir un tel droit, je ne pense pas que les tribunaux doivent s'efforcer de trouver des raisons juridiques de refuser que ces dépenses très nécessaires soient déduites. Il importe de reconnaître que le droit concernant les dépenses d'exploitation et les dépenses en immobilisations a évolué depuis le siècle dernier et que des distinctions pouvant avoir eu du poids en 1898 peuvent être moins importantes en 1998. Dans l'arrêt M.N.R. v. Algoma Central Railway, 68 DTC 5096, la Cour suprême du Canada disait, à la page 5097 :

[TRADUCTION]

Le législateur n'a pas défini les expressions “ somme déboursée ” ou “ paiement à titre de capital ”. Comme il n'y a pas de critère législatif, l'application ou la non-application de ces expressions à des dépenses particulières doit dépendre des faits propres à chaque cas. Nous ne pensons pas qu'un seul et unique critère s'applique aux fins de cette détermination et souscrivons au point de vue exprimé par lord Pearce dans une décision récente du Conseil privé, soit B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, (1966) A.C. 224. Au sujet de la question de savoir si une dépense était une dépense en immobilisations ou une dépense d'exploitation, il disait, à la page 264 :

[TRADUCTION]

La solution du problème ne réside pas dans l'application d'un critère ou d'une définition rigides. Elle découle des nombreux aspects de l'ensemble des circonstances, dont certaines amènent à conclure dans un sens, et certaines, dans un autre. Il se peut qu'un facteur ressorte de façon tellement évidente qu'il domine d'autres indices plus vagues qui indiquent une solution contraire. C'est une appréciation logique de tous les éléments directeurs qui permettra d'obtenir la réponse finale.

On ne peut lire l'arrêt de la Cour suprême du Canada Symes v. The Queen, 94 DTC 6001 (qui n'a par ailleurs rien à voir avec la présente espèce), sans être frappé par le fait que la cour y reconnaît l'évolution des réalités et exigences de la vie moderne et qu'elle y est sensible.

Décision

[21] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que les frais juridiques de 10 949,89 $ sont déductibles.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 2000.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]      Cette position est contraire à la partie III de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario, qui établit le droit de l'enfant à des aliments de la part de ses parents.

[2]    Voir également : St-Laurent v. R., 1998 CarswellNat 2366 (C.C.I.); Donald v. R., 1998 CarswellNat 1932 (C.C.I.); La Reine c. Sembinelli, C.A.F., no A-425-93, 15 septembre 1994 ([1994] 2 C.T.C. 378).

[3] La question dont la Cour était saisie était la question du droit de l'appelant de déduire les frais juridiques engagés pour contester des paiements de pension alimentaire.

[4] Article 248.

[5]    Je ne trouve pas inconcevable que le revenu d'un contribuable puisse entrer dans le cadre de deux sous-sections de la section B de la Loi, c'est-à-dire qu'il puisse s'agir, d'une part, d'un revenu provenant d'une entreprise ou d'un bien et, d'autre part, d'“ Autres sources de revenu ” selon la sous-section d. Voir également : La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428 (83 DTC 5409).

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