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Date: 20000516

Dossiers: 98-2207-GST-I; 98-2252-IT-G

ENTRE :

MARCELLE MELIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'une cotisation établie le 3 juillet 1997 pour les mêmes années en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Les appels ont été entendus ensemble car la question en litige est la même dans les deux cas : l'appelante a-t-elle sous-estimé, dans sa déclaration de revenu, le montant des ventes effectuées dans le cadre de l'entreprise d'antiquités qu'elle exploite? Cette question repose sur les faits uniquement et sa résolution tient à une conclusion sur la crédibilité de l'appelante.

[2] L'appelante a quitté le Venezuela en 1983 pour s'installer au Canada. Son époux Mirko travaillait dans une entreprise qui a fait faillite. En 1989 ou aux alentours de 1989, l'appelante a mis sur pied une entreprise d'antiquités avec l'aide de son époux, dont la seule occupation depuis ce temps semble avoir été de travailler pour l'entreprise.

[3] Depuis sa création, l'entreprise, qui n'a jamais été rentable, a subi des pertes ou réalisé des profits minimes, si tant est qu'elle en a réalisés.

[4] La vérification a été entreprise en 1995, même si les nouvelles cotisations n'ont été établies qu'en 1997. On a allégué qu'il y avait eu quelques irrégularités dans la manière dont la vérification avait été instituée et menée. Que ces allégations soient fondées ou non, je ne tirerai aucune conclusion à cet égard car cela n'a pas vraiment d'incidence sur la résolution des appels.

[5] Au cours de la période de quatre ans en cause, des montants totalisant 120 000 $ ont été déposés dans le compte bancaire de l'appelante. Cette dernière affirme avoir reçu les montants en question de sa mère, Liliane Monteforte, une résidente du Venezuela. Le ministre du Revenu national soutient qu'il s'agit de montants représentant des ventes effectuées au comptant qui n'ont pas été déclarées; il a par conséquent ajouté le montant de 30 000 $ par année au revenu de l'appelante ainsi qu'au montant des ventes de l'appelante aux fins du calcul de la TPS payable au cours de cette période. En outre, le ministre a relevé un écart de 21 241 $, sur la période de quatre ans, entre les ventes déclarées aux fins de l'impôt sur le revenu et celles déclarées dans les déclarations de TPS. Le ministre a tenu pour acquis que cet écart était attribuable au fait que des ventes n'avaient pas été déclarées dans les déclarations de TPS. Il a par conséquent ajouté aux ventes de l'appelante le montant de 21 241 $ aux fins de la TPS.

[6] En plus d'établir une cotisation d'impôt, le ministre a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 285 de la Loi sur la taxe d'accise, pour le motif que l'appelante aurait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde déclaré, au titre des ventes, un montant inférieur à ce qu'il était en réalité.

[7] M. et Mme Melis ont tous deux témoigné. Bien que Mme Melis ait été de nom la propriétaire de l'entreprise, il est évident qu'elle n'était pas très au courant des aspects financiers de l'exploitation. M. Melis a déclaré que toutes les ventes étaient consignées dans le registre des ventes et que ce registre, ainsi que les livres contenant des copies des reçus, avaient été remis aux représentants du ministère du Revenu national. J'accepte ce témoignage.

[8] Il semble que, aux fins de l'exploitation de l'entreprise, il fallait fréquenter des expositions d'antiquités dans différents endroits et y avoir un stand.

[9] M. et Mme Melis semblent tous deux s'être beaucoup fiés à un comptable ou un aide-comptable. M. Melis a déclaré que les états financiers dans la déclaration de revenu étaient “ complètement erronés ”. Je suis porté à penser qu'il a pu y avoir des inexactitudes, mais je me demande si M. Melis avait suffisamment de connaissances pour en saisir l'ampleur. Quoi qu'il en soit, le ministre paraît avoir accepté les états comme exacts, sauf en ce qui concerne les ventes, dont le montant aurait été supérieur à celui qui a été déclaré.

[10] L'appelante et son épouse ont tous deux déclaré dans le cadre de leur témoignage que la mère de l'appelante, Mme Monteforte, avait fait cadeau à l'appelante d'au moins 120 000 $. Mme Monteforte, âgée de plus de soixante-dix ans, a été mariée à deux reprises; elle est divorcée de son premier mari et elle est veuve du second. Elle a accumulé, du fait de ses deux mariages, une fortune considérable dont elle conserve une partie importante à l'extérieur du Venezuela. Elle vient au Canada plusieurs fois par année.

[11] Elle a déclaré qu'elle achetait des dollars canadiens au comptant, au Venezuela, et qu'elle apportait cet argent liquide au Canada pour le remettre à sa fille. Elle a aussi déclaré qu'il lui arrivait parfois de remettre de l'argent liquide (en dollars US ou canadiens) à ses petits-fils, qui vivaient en Californie, lorsqu'ils lui rendaient visite au Venezuela, et qu'ils rapportaient l'argent au Canada et le remettaient à Mme Melis.

[12] Le total des montants déposés à la banque pendant les quatre années en cause est le suivant :

1991 10 000 $

1992 9 822 $

1993 41 757,50 $

1994 58 420 $

[13] Mme Melis a déclaré que, en fait, sa mère lui avait donné beaucoup plus que 120 000 $. Mme Monteforte a déclaré que le montant en question s'élevait à 200 000 $ au moins. En 1994, apparemment, Mme Monteforte a donné 20 000 $ à sa fille pour que cette dernière puisse effectuer un versement initial en vue d'acheter une maison.

[14] La question qu'il faut trancher est celle de savoir si l'appelante, son époux et sa mère sont des témoins crédibles. À mon avis, on peut dire d'emblée qu'il est fort peu probable qu'une veuve âgée de plus de soixante-dix ans apporte du Venezuela des montants totalisant au moins 120 000 $ en espèces sur une période de quatre ans. Il serait plus simple et plus sûr de transférer l'argent par voie électronique. Mme Monteforte a déclaré qu'elle ne voulait pas payer de commission. J'ai aussi l'impression que toute la famille se méfiait des banques, plus particulièrement des banques du Venezuela, de manière quelque peu exagérée.

[15] Le récit de l'appelante comporte d'autres failles qui doivent être prises en considération. En 1994, M. et Mme Melis ont acheté une maison qu'ils ont grevée d'une hypothèque de 150 000 $. L'avocat de l'intimée m'a demandé de conclure qu'aucune banque n'aurait prêté un tel montant d'argent à des gens comme M. et Mme Melis, qui n'avaient aucun revenu. Que cela soit le cas ou non, les pratiques bancaires au Canada ne sont pas à ce point connues pour que je puisse les admettre d'office. On aurait pu fournir cette preuve dans le cadre d'un interrogatoire préalable, s'il y en avait eu un; ou assigner un représentant de la banque à témoigner et l'obliger à produire la demande d'emprunt.

[16] M. et Mme Melis ont déclaré que, dans les années en question, il n'y avait eu aucune vente au comptant puisque tout le monde avait payé les antiquités par carte de crédit. En fait, d'après la preuve, il y a eu deux ventes au comptant en 1995. Dans un cas, il s'agissait d'une bague de 390 $ (taxe incluse) et, dans l'autre, d'un article de 239,04 $. Ces deux ventes au comptant ont été consignées dans les relevés de dépôt en tant que ventes au comptant.

[17] L'absence de ventes au comptant peut sembler un peu étrange, mais ce n'est pas complètement incroyable. De nos jours, presque tout le monde possède une carte de crédit et il semble probable que les gens qui fréquentent les expositions d'antiquités et qui ont un revenu disponible suffisamment élevé pour acheter des objets non essentiels comme des antiquités utilisent une carte de crédit.

[18] Il est intéressant, même si ce n'est pas particulièrement édifiant, de prendre connaissance des chiffres qui suivent, tirés des déclarations de revenu de l'appelante :

1991 ventes 20 451 $

stock d'ouverture 60 582 $

achats 4 143 $

stock de fermeture 59 815 $

coût des marchandises vendues 4 910 $

profit brut 14 709 $

1992 ventes 20 085 $

stock d'ouverture 59 815 $

achats 0

stock de fermeture 59 286 $

coût des marchandises vendues 529 $

(comment est-ce possible s'il y a eu des ventes de 20 085 $?)

profit brut 18 778 $

1993 ventes 21 692 $

stock d'ouverture 59 286 $

achats 7 474 $

stock de fermeture 59 239 $

coût des marchandises vendues 7 521 $

profit brut 14 171 $

1994 ventes 21 729 $

stock d'ouverture 59 239 $

achats 2 759 $

stock de fermeture 59 046 $

coût des marchandises vendues 2 952 $

[19] D'autres dépenses ont permis de réduire le revenu net à zéro ou à presque rien. L'un des postes de dépenses les plus importants est l'utilisation aux fins de l'entreprise de la maison de l'appelante et de son époux. Aucune de ces dépenses n'a été contestée par Revenu Canada.

[20] À mon avis, le coût des marchandises vendues chaque année est inexplicable. Cependant, quelle lumière ces chiffres jettent-ils sur la question qui doit être tranchée en l'espèce? D'une part, si l'appelante voulait réellement éviter l'effet des ventes au comptant additionnelles, elle aurait pu augmenter la déduction relative au coût des marchandises vendues.

[21] Il y a quelque chose de plus improbable que les cadeaux de la mère de l'appelante et l'absence de ventes au comptant; c'est l'hypothèse sur laquelle la cotisation repose, selon laquelle il y a eu chaque année des ventes au comptant additionnelles de 30 000 $ au total. Puisque les ventes par carte de crédit qui ont été déclarées ne s'élevaient qu'à 20 000 $ ou 21 000 $, cela signifierait, si on acceptait la thèse de la Couronne, que, chaque année, des ventes au comptant additionnelles de 30 000 $ ont été effectuées, que 60 pour 100 des ventes de l'appelante étaient effectuées au comptant et qu'il n'y avait aucuns frais associés à ces ventes. Cette improbabilité, jumelée à l'attribution arbitraire manifestement erronée d'un montant de 30 000 $ exactement chaque année, rendent les cotisations à ce point contestables qu'elles ne peuvent être maintenues. De fait, le caractère arbitraire de la cotisation est encore plus frappant lorsqu'on considère que les représentants du ministère disposaient de renseignements précis concernant les dates et les montants des dépôts en espèces.

[22] Un certain nombre d'autres éléments doivent être mentionnés. L'avocat de l'intimée a souligné que, d'après les déclarations de revenu, M. et Mme Melis n'avaient eu aucun revenu pendant 10 ans et qu'ils n'auraient pas pu survivre. L'argument est valide, mais il repose sur la théorie selon laquelle ils vivaient du produit des ventes prétendument réduites de 30 000 $ par année, sans l'aide de la mère de Mme Melis. L'hypothèse de l'appelante est à mon avis plus convaincante et plus probable.

[23] Puisque l'issue de l'affaire repose sur la crédibilité des témoins, je devrais mentionner que j'ai conclu que M. et Mme Melis étaient des témoins crédibles, quoique un peu perdus et naïfs. Mme Monteforte est un témoin très crédible. Je n'ai aucune raison de croire que l'un de ces témoins mentait. Même les quelques imprécisions ou contradictions et la confusion au sujet des chiffres et les trous de mémoire renforcent ma conclusion qu'ils tentaient de dire la vérité et qu'ils ne s'appuyaient pas sur un scénario arrangé d'avance.

[24] Le dernier témoin de l'appelante, M. J. R. Giles, CA, a été consulté après que la vérification eut été commencée. Ce fut un témoin impressionnant, dont la fiche de carrière est plutôt remarquable. Il a quitté le ministère du Revenu national en 1990. De 1986 à 1990, il était le directeur, Impôt, du bureau de district de Toronto et, de 1977 à 1986, il était le directeur, Impôt, du bureau de district de Hamilton. Avant 1977, il avait travaillé pour la direction des vérifications et pour la direction des enquêtes spéciales du ministère du Revenu national.

[25] Il a examiné tous les registres financiers de l'appelante et a relevé certaines erreurs dans les déclarations de revenu et de TPS. Il a cependant noté que, de façon générale, M. Melis tenait les registres avec un soin méticuleux.

[26] Je n'exposerai pas les tableaux détaillés qu'il a dressés et produits en preuve dans l'avis d'opposition; je me contenterai de souligner qu'il a dressé un état de la provenance et de l'utilisation des fonds, une analyse des bases des ventes, une analyse des montants avancés par Mme Monteforte et un état de la valeur nette de l'appelante au 1er janvier 1991 et au 31 décembre 1994. Il a tenu pour acquis que Mme Monteforte avait prêté 120 000 $ à sa fille. Je ne crois pas que, aux fins des présents appels, il importe de savoir si les montants qu'elle a remis à sa fille étaient des prêts ou des cadeaux. Si cela était pertinent, je conclurais qu'ils étaient des cadeaux. Sur le fondement de cette hypothèse, la valeur nette de l'appelante — un déficit de 15 400 $ — au 31 décembre 1994 s'élèverait à 104 600 $, comparativement à 112 271 $ au 1er janvier 1991.

[27] D'après M. Giles, la différence entre les ventes de 82 347 $ déclarées au cours des quatre années aux fins de l'impôt sur le revenu, compte tenu des dépôts bancaires, et le montant de 61 106 $ déclaré aux fins de la TPS suivant les factures des ventes, tient simplement au fait que le premier chiffre incluait la TPS et la taxe de vente provinciale alors que le deuxième chiffre ne l'incluait pas. C'est là une explication partielle. En effet, 115 pour 100 de 61 106 $ donne 70 271,90 $, ce qui représente une différence de 9 165,90 $ entre les deux montants. De plus, le comptable qui a préparé les déclarations a inclus dans le revenu d'autres dépôts, comme le montant de 10 000 $ reçu de Mme Monteforte en 1991, et d'autres éléments non imposables, comme des remboursements d'impôt ou des demandes d'indemnités. Ces deux montants expliquent en grande partie la différence.

[28] La conclusion que M. Giles a tirée à la suite de son examen des registres est qu'il n'y a pas eu sous-estimation des ventes déclarées aux fins de la TPS; il y a plutôt eu exagération des revenus aux fins de l'impôt sur le revenu. Je suis d'accord.

[29] Je n'ai aucune raison de ne pas souscrire aux observations contenues dans l'avis d'opposition rédigé par M. Giles. Elles sont compatibles avec la preuve qui a été produite en l'espèce.

[30] Les appels sont accueillis avec frais et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations :

pour soustraire du revenu de l'appelante aux fins de l'impôt sur le revenu la somme de 30 000 $ incluse par le ministre dans chacune des années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994;

pour soustraire des ventes de l'appelante, pour ce qui est de déterminer la taxe sur les produits et services, les sommes de 120 000 $ et de 21 241 $ incluses par le ministre pour les périodes du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1994;

pour annuler les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 285 de la Loi sur la taxe d'accise.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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