Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

98-1938(IT)G

ENTRE :

CHRISTIANE BEAULAC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 14 mars 2000 et jugement prononcé

le 15 mars 2000 à Québec (Québec) par

 

l’honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions

 

Avocat de l’appelante                                            Me Luc Massicotte

 

Avocate de l’intimée :                                            Me Nathalie Labbé

 

 

JUGEMENT

 

          Vu que l'intimée a avisé la Cour par lettre en date du 13 mars 2000, qu'elle consentait en partie à l'appel de la manière suivante :

 

          L'intimée admet que l'appelante a droit à une perte au titre de placement d'entreprise totalisant 53 272,29 $. Cette perte découle des deux (2) premières opérations décrites aux paragraphes 24 h) à aa) de la Réponse à l'avis d'appel.

 

          L'intimée maintient le refus des pertes au titre de placement d'entreprise réclamées par l'appelante relativement aux opérations décrites aux paragraphes 24 bb) à 24 tt) de la Réponse à l'avis d'appel.

 

          Vu que les parties ont été entendues sur la partie de l'appel faisant l'objet du refus de l'intimée;

 

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est admis, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, en tenant compte du fait que l'appelante a droit à une perte au titre de placement d'entreprise au montant de 53 272,29 $.

 

          L'appelante n'a droit à aucune mesure de redressement.

 

          Les frais sont en faveur de l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada ce 17e jour de mars 2000.

 

 

 

 « Louise Lamarre Proulx » 

J.C.C.I.

 


 

 

 

Date: 20000606

Dossier: 98-1938(IT)G

 

 

ENTRE :

CHRISTIANE BEAULAC,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Prononcés oralement sur le banc le 14 mars 2000 à Québec (Québec)

et édités à Ottawa (Ontario) le 6 juin 2000)

 

 

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit d'un appel concernant l'année d'imposition 1996.

 

 

[2]     La veille de l'audience, par lettre transmise par télécopieur, l'avocate de l'intimée a informé la Cour que l'intimée admettait que l'appelante avait droit à une perte au titre de placement d'entreprise totalisant 53 272,29 $. Cette perte découle des deux premières opérations décrites aux paragraphes 24 h) à 24 aa) de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse »).

 

Première opération : Versement d'une somme de 30 000 $ suite à un appel en garantie

 

h)         Le 19 avril 1995, la société a emprunté une somme de 198 999 $ auprès de la Caisse populaire St-Malo.

 

i)          Par contrat, en date du 19 avril 1995, l'Appelante et son époux ont cautionné solidairement l'emprunt de la société jusqu'à concurrence d'un montant de 49 749 $.

 

j)          Par le biais de ce cautionnement solidaire, l'Appelante et son époux renonçaient aux bénéfices de division et de discussion.

 

k)         L'engagement financier de l'Appelante est disproportionné par rapport à sa participation dans la société.

 

l)          En date du 19 avril 1995, au moment ou l'Appelante s'est portée caution pour l'emprunt effectué par la société, elle savait que la société était en difficultés financières.

 

m)        Toujours le 19 avril 1995, l'Appelante a reçu 250 actions de catégorie « B » du capital-actions de la société.

 

n)         En date du 19 avril 1995, l'Appelante savait que les actions acquises de la société n'avaient aucune valeur.

 

o)         En vertu du cautionnement consenti par l'Appelante en date du 19 avril 1995, elle fut appelée à verser une somme de 30 000 $ à la Caisse populaire St-Malo.

 

p)         Cette somme de 30 000 $ fut versée à la Caisse populaire St-Malo par le biais d'un emprunt garanti par une hypothèque immobilière, emprunt effectué auprès de cette institution, en date du 9 octobre 1996.

 

q)         L'Appelante ne s'est pas portée caution de la société dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

r)          L'Appelante a accepté de cautionner la société uniquement dans le but d'aider son époux.

 

s)         L'Appelante n'a pas acquis les 250 actions de la société dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

Seconde opération : Sommes avancées à la société

 

t)          Au cours de la période s'échelonnant de mai 1995 à juin 1996, l'Appelante a avancé directement à la société des sommes totalisant 32 838,93 $.

 

u)         Ces avances ne portaient pas intérêt.

 

v)         Durant les mois de septembre à novembre 1995, la société a remboursé une somme de 9 566,24 $.

 

w)        La créance due à l'Appelante envers la société s'élevait donc à 23 272,29 $.

 

x)         Le 1er mai 1995, l'Appelante a reçu 300 actions de catégorie « B » de la société.

 

y)         Au moment où elle a reçu les actions, l'Appelante savait que ces actions n'avaient aucune valeur.

 

z)         L'Appelante a avancé la somme de 23 272,29 $ à la société uniquement dans le but d'aider son époux.

 

aa)       L'Appelante n'a pas avancé la somme de 23 272,29 $ à la société dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

 

[3]     Il reste en litige deux garanties de prêt au sujet desquelles il s'agit de savoir si l'appelante aux termes des ententes de garantie a payé un montant au titre de la dette d'une société, au sens du paragraphe 39(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

 

[4]     Ces deux garanties sont décrites comme troisième et quatrième opération à la Réponse comme suit :

 

Troisième opération : Garantie d'un prêt consenti à monsieur Jean‑Yves Parent

 

bb)       Le 12 avril 1995, monsieur Jean-Yves Parent a emprunté une somme de 30 000 $ auprès de la Caisse populaire de St-Malo.

 

cc)       Par le biais d'une entente intitulée « Mise en garantie d'épargne », datée du 12 avril 1995, l'Appelante s'est portée caution pour garantir le prêt personnel accordé à monsieur Jean-Yves Parent au montant de 30 000 $.

 

dd)       La mise en garantie d'épargne du 12 avril 1995 visait un prêt consenti à monsieur Jean-Yves Parent, personnellement, et non à la société.

 

ee)       L'Appelante a accordé cette « Mise en garantie d'épargne » dans le but d'aider son époux.

 

ff)         L'Appelante n'a pas accordé cette « Mise en garantie d'épargne » dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

gg)       Aucun appel en garantie ne fut demandé à l'Appelante par la Caisse populaire de St-Malo relativement à cette somme de 30 000 $.

 

hh)       La somme empruntée par monsieur Jean-Yves Parent et totalisant 30 000 $ fut déposée dans son compte auprès de la Caisse populaire St-Malo, le 12 avril 1995.

 

ii)         Cette somme de 30 000 $ fut transférée du compte de monsieur Jean-Yves Parent au compte de la société les 20 avril et 21 avril 1995.

 

jj)         Monsieur Jean-Yves Parent fut appelé à rembourser le montant de 30 000 $ à l'institution prêteuse le 25 juillet 1996.

 

Quatrième opération : Garantie d'un prêt consenti à monsieur Jean‑Yves Parent

 

kk)       En vertu d'une « Mise en garantie d'épargne » signée le 16 octobre 1995, l'Appelante a déposé une somme de 6 500 $ auprès de la Caisse populaire St-Malo pour garantir un prêt personnel consenti à monsieur Jean-Yves Parent.

 

ll)         La « Mise en garantie » mentionnée au paragraphe précédent se rapporte à un prêt effectué par l'époux de l'appelante et non par la société.

 

mm)     L'Appelante a accordé cette garantie uniquement dans le but d'aider son époux.

 

nn)       L'Appelante n'a pas accordé cette garantie dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

oo)       La Caisse populaire de St-Malo n'a pas demandé d'appel en garantie à l'Appelante relativement à la « Mise en garantie d'épargne » signée le 16 octobre 1995.

 

pp)       Le 16 octobre 1995, l'Appelante a reçu 65 actions de catégorie « B » du capital-actions de la société.

 

qq)       Monsieur Jean-Yves Parent fut appelé à rembourser la somme de 6 500 $ à la Caisse populaire St-Malo le 25 juillet 1996.

 

rr)        Au moment où elle a reçu les 65 actions de la société l'Appelante savait que ces actions n'avaient aucune valeur.

 

ss)        L'Appelante n'a pas acquis les 65 actions de la société dans le but de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

 

tt)         Les différentes transactions que l'Appelante a effectuées ont résulté en une augmentation de son capital-actions de la société pour totaliser un nombre total de 866 actions sur un total de 1,865 actions, soit 46,43 %.

 

[5]     Une des deux garanties de prêt est au montant de 30 000 $ en date du 12 avril 1995 et la deuxième est au montant de 6 500 $ en date du 16 octobre 1995. Dans les deux cas, les garanties ont été accordées à l'institution prêteuse pour des emprunts faits par monsieur Jean-Yves Parent pour souscrire au capital-actions d'une société.

 

 

[6]     Les témoins ont été monsieur Jean-Yves Parent, monsieur Claude Martel et l'appelante. Un livre de documents contenant 25 onglets a été déposé par l'intimée comme pièce I-1.

 

 

[7]     Monsieur Jean-Yves Parent est l'époux de l'appelante. Il a expliqué qu'en 1994, il avait fait une offre pour acquérir les actifs d'une société fabriquant des coffrets de plastique. Pour cette acquisition il avait fait la demande d'un prêt aux petites entreprises ou P.P.E. pour une société dont il était le principal actionnaire soit 9012-7960 Québec Inc. ou connue sous le nom de Plastic America. Un prêt au montant de 198 000 $ aurait été consenti à Plastic America par la Caisse populaire Desjardins de St-Malo. Cet emprunt a dû être cautionné par monsieur Parent et l'appelante jusqu'à concurrence d'un montant de 49 749 $. En regard de ce cautionnement, l'appelante a dû verser à la Caisse un montant de 30 000 $. Ce montant fait l'objet de la première opération décrite à la Réponse et a été admis par l'intimée.

 

 

[8]     Une des conditions de l'emprunt fut que monsieur Parent devait souscrire au capital-actions un montant de 40 000 $. Il lui a fallu emprunter ce montant. L'appelante a cautionné cet emprunt. Ce cautionnement est l'objet de la troisième et quatrième opération décrite à la Réponse. Monsieur Parent et l'appelante ont soutenu que c'est un peu à la dernière minute qu'ils ont su que la banque exigeait une mise de fonds de 30 000 $ ou 40 000 $. Ils ont également soutenu que l'appelante ne pouvait pas elle-même souscrire les actions parce que cette exigence était à l'égard du promoteur dont le nom paraissait sur les documents d'emprunt du P.P.E. Si tel n'avait pas été le cas, l'appelante aurait souscrit elle-même au capital‑actions.

 

 

[9]     Toutefois lors de l'emprunt du 19 avril 1995 par Plastic America auprès de la Caisse populaire de St‑Malo de la somme de 198 999 $, l'appelante et monsieur Jean-Yves Parent ont signé tous les deux au nom de Plastic America (onglet 8 de la pièce I-1). À l'onglet 9 de la pièce I-1 se retrouve le cautionnement de 49 749 $ de l'emprunt de 198 999 $ en date du 19 avril 1995. L'appelante et son mari signent encore tous les deux ce cautionnement. Cette signature de l'appelante à l'acte d'emprunt et de cautionnement sème un certain doute sur l'affirmation que l'appelante n'aurait pas pu souscrire elle-même au capital-actions de la société.

 

 

[10]    Le témoignage de monsieur Claude Martel qui était, en avril 1995, directeur général de la Caisse populaire St‑Malo n'a rien révélé en ce qui concerne l'impossibilité pour l'appelante de souscrire elle‑même le 40 000 $ du capital-actions de Plastic America.

 

 

[11]    À l'onglet 17 de la pièce I-1 se trouve la mise en garantie d'épargne en date du 12 avril 1995, au montant de 30 000 $ mentionnée à l'alinéa 24 cc) de la Réponse. La garantie est à l'égard de l'emprunteur Jean-Yves Parent. Il s'agit du dépôt de la somme de 30 000 $ sous forme de dépôt à terme pour garantir l'emprunt de monsieur Jean-Yves Parent. À l'onglet 13 se retrouve la pièce A-1 : l'offre de la mise en garantie d'épargne en date du 12 avril 1995, document signé par l'appelante à la société. Ce document mentionne que si l'appelante doit payer le cautionnement des actions de Plastic America lui seront émises.

 

[12]    Le contrat d'emprunt de 30 000 $ se trouve à l'onglet 15 de la pièce I-1. Les parties sont la Caisse populaire de Saint-Malo et monsieur Jean-Yves Parent. Il est en date du 12 avril 1995.

 

 

[13]    À l'onglet 21 de la pièce I-1 se trouve la mise en garantie d'épargne de l'appelante au montant de 6 500 $ auprès de la Caisse populaire de Saint-Malo pour Jean-Yves Parent, emprunteur. La garantie est en date du 16 octobre 1995. L'appelante dépose auprès de l'institution financière prêteuse la somme de 6 500 $ sous forme de dépôt à terme pour garantir l'emprunt de monsieur Jean‑Yves Parent.

 

 

[14]    Le contrat d'emprunt de 16 500 $ fait par monsieur Jean-Yves Parent se trouve à l'onglet 20 de la pièce I-1. Il est en date du 17 octobre 1995.

 

 

[15]    À l'onglet 16 de la pièce I-1 se trouve les paiements faits par l'appelante à l'institution financière prêteuse pour les garanties données sur les emprunts au montant de 30 000 $ et 6 500 $. Que l'appelante ait eu à faire ces paiements n'est pas mis en doute par l'intimée contrairement à ce que pouvait laisser entendre la Réponse dans sa description des troisième et quatrième opérations.

 

 

Position des parties

 

[16]    Tant dans l'avis d'appel que dans l'avis d'opposition, (onglet 4 de la pièce I‑1) il y a mention que le coût d'acquisition des actions obtenues en contrepartie des garanties est le montant des garanties. Cet argument qui applique l'alinéa 39(1)c) de la Loi a été mis de côté lors de l'audience. L'avocat de l'appelante ne s'est appuyé que sur le paragraphe 39(12) de la Loi. Il faut dire d'une part que la preuve concernant l'émission des actions n'est pas certaine si l'on se réfère aux états financiers au 31 mars 1996 que l'on retrouve à l'onglet 23 de la pièce I-1. Ils sont adressés à l'actionnaire unique. Il n'est nullement mention de l'appelante à titre d'actionnaire. D'autre part, il n'est pas clair si les actions auraient été acquises le jour où les garanties sont données ou celui où les garanties sont honorées. Le coût d'acquisition des actions n'est donc pas déterminé (pièce I‑2 ou onglet 14 de la pièce I-1 dans le cas de la garantie de 30 000 $ et onglet 19 de la pièce I‑1 dans le cas de la garantie de 6 500 $). De toute façon, il n'y a eu aucune preuve à cet égard.

 

 

[17]    Dans la situation actuelle, l'avocat de l'appelante se réfère en totalité au paragraphe 39(12) de la Loi et fait valoir qu'en payant les emprunts de monsieur Jean‑Yves Parent, elle payait une dette de la société parce que les emprunts faits par ce dernier étaient investis dans la société. Il rappelle que l'appelante aurait elle‑même à titre personnel fait l'injection dans le capital-actions de la société si on le lui avait permis. C'est à l'égard de la souscription des actions par son mari qu'elle a cautionné ce dernier.

 

 

[18]    L'avocate de l'intimée, en s'appuyant sur de nombreuses et importantes décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale, fait valoir que les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire. Elle se réfère notamment aux décisions suivantes :

 

Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, aux pages 54 et 55 :

 

Avant de terminer, je veux aborder un dernier argument invoqué par l'avocat de la fiducie. On a soutenu — et Sa Majesté en a généreusement convenu — que la fiducie aurait obtenu une déduction au titre d'intérêts si elle avait vendu des biens en vue de payer les prélèvements sur le capital et avait ensuite emprunté pour remplacer ces biens. Par conséquent, selon ce point de vue, on ne devrait pas refuser à la fiducie une déduction au titre d'intérêts simplement parce qu'elle a obtenu le même résultat sans les formalités d'une vente et d'un rachat de biens. Il suffit pour répondre à cet argument d'invoquer le principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire : Matheson c. la Reine, 74 DTC 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179. …

 

Friedberg c. Canada, (C.A.F.) [1991] A.C.F. no. 1255 à la page 3 :

 

En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 DTC 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés.  S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer.  Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

 

Livingston International Inc. c. La Reine, (C.A.F.) (1991) 116 N.R. 209 :

 

… La Cour doit tenir compte de ce que la contribuable a effectivement fait et non de ce qu'elle aurait pu faire.

 

La Reine c. Kieboum., (C.A.F.) [1992] 3 F.C. 488 :

 

Le libellé de cette disposition ne permet pas de tirer une telle conclusion. Pour bénéficier du paragraphe 73(5), il faut que le bien transféré soit « immédiatement avant le transfert une action du capital-actions d'une corporation exploitant une petite entreprise. » Le fait qu'il y a eu en l'espèce transfert d'un bien qui a été par la suite converti en actions ne suffit pas, compte tenu du libellé exprès de la disposition. Cela peut sembler illogique pour certains, mais c'était de toute évidence l'intention du législateur. Le contribuable aurait facilement pu choisir de transférer des actions à ses enfants et d'obtenir l'avantage fiscal prévu au paragraphe 75(3), mais il a plutôt choisi d'essayer d'obtenir d'autres avantages fiscaux pour lui‑même en employant des méthodes différentes pour transférer ses biens. La Cour doit examiner ce que le contribuable a fait, et non ce qu'il aurait pu faire. (Voir les propos du juge Mahoney, J.C.A., dans l'arrêt Matheson c. La Reine, 74 DTC 6176, à la page 6179, confirmés par le juge en chef Dickson dans l'arrêt La Reine c. Brophan, 87 DTC 5059, à la page 5067 (C.S.C.). Pour un exemple encore plus restrictif d'une disposition de roulement en ce qui concerne les agriculteurs, voir le paragraphe 73(3) qui prévoit que les enfants doivent avoir utilisé la ferme dans le cadre d'une entreprise agricole.

 

Antoine Guertin c. La Reine, (C.A.F.) [1988] 2 C.F. 67, aux pages 73-74 :

 

Je me suis attardé sur cette question de savoir si une assurance temporaire pourrait mieux rencontrer qu'une assurance permanente les conditions d'application des articles 11(1)cb)(ii) et 20(1)e)(ii) de la Loi parce qu'elle était au centre des préoccupations des parties et à la base de leurs prétentions. Je pense néanmoins que, strictement parlant, dans les circonstances de l'espèce, il ne serait pas nécessaire pour la Cour de prendre parti de façon définitive à son sujet. Car même en supposant qu'une différence de traitement entre assurance permanente et temporaire se justifie, il resterait la réplique du sous-procureur général à l'effet que, de toute façon, ici ce n'est pas une assurance temporaire mais permanente que la compagnie a contractée, et cette réplique me paraît décisive. Encore une fois tout récemment, la Cour suprême, dans l'arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, rappelait le principe selon lequel, en matière fiscale, ce qui doit être considéré c'est ce qui a été fait et non ce qui aurait pu être fait. Voici à ce sujet un passage des notes du Juge-en-chef écrites au nom de la Cour, à la page 54 :

 

 

[19]    L'avocate de l'intimée fait donc valoir qu'il faut prendre la situation telle qu'elle est et non telle qu'elle aurait pu l'être. Elle soumet donc que ce que l'appelante a payé à l'institution financière était une dette d'un particulier et non celle d'une société exploitant une petite entreprise et ainsi n'est pas selon les termes du paragraphe 39(12) de la Loi.

 

 

Conclusion

 

[20]    Le paragraphe 39(12) de la Loi s'exprime ainsi pour sa partie pertinente :

 

(12)      Pour l'application de l'alinéa (1)c), dans le cas où, aux termes d'une entente de garantie de dette, un contribuable paie à une personne avec laquelle il n'a aucun lien de dépendance un montant au titre de la dette d'une société qui est une société exploitant une petite entreprise au moment où la dette est contractée et à un moment donné au cours des 12 mois précédant le moment où un montant devient payable pour la première fois par le contribuable aux termes de l'entente au titre d'une dette de la société, la partie du montant que la société doit au contribuable est réputée être une créance de celui-ci sur une société exploitant une petite entreprise.

 

                                                                                      (Je souligne)

 

[21]    L'appelante a bien payé aux termes d'une entente de garantie un montant à une personne avec laquelle elle n'avait aucun lien de dépendance. Mais ce montant était-il au titre d'une dette d'une société?

 

 

[22]    Je suis d'avis que dans l'affaire en litige, il est bien évident que le paiement en garantie fait par l'appelante n'était pas au titre d'une dette d'une société.

 

 

[23]    Il faut comprendre que toutes les pertes en capital ne donnent pas droit à des pertes au titre d'un placement d'entreprise même si la somme d'argent en cause dans la perte en capital a été utilisée de près ou de loin aux fins d'une entreprise. La perte en capital doit se trouver dans les paramètres décrits soit à l'alinéa 39(1)c), soit au paragraphe 39(12) et au sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi. Ici c'est le paragraphe 39(12) de la Loi qui peut être d'application. Or ce paragraphe demande que le montant payé en garantie le soit à l'égard d'une dette de la société exploitant une petite entreprise et non à l'égard de la dette d'un particulier.

 

 

[24]    Tous les documents ainsi que la preuve testimoniale révèlent clairement que les garanties n'ont pas été données à l'égard d'un emprunt d'une société mais à l'égard de l'emprunt d'un particulier. La Cour doit examiner ce que le contribuable a fait, et non ce qu'il aurait pu faire.

[25]    C'est donc en conformité avec la Loi que le ministre du Revenu national a refusé à l'appelante la perte au titre d'un placement d'entreprise à l'égard des deux paiements en garantie en litige.

 

 

[26]    L'appel de l'appelante est accordé pour la partie à laquelle l'intimée a consenti et qui est décrite au début de ces motifs. L'appelante n'a droit à aucune autre mesure de redressement. Les frais de cet appel sont en faveur de l'intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2000.

 

 

 

 « Louise Lamarre Proulx » 

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :      98-1938(IT)G

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Christiane Beaulac et Sa Majesté La Reine

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 14 mars 2000

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :       l'honorable Louise Lamarre Proulx

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 6 juin 2000

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :                      Me Luc Massicotte

 

Pour l’intimée :                         Me Nathalie Labbé

 

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

                   Nom :          Me Luc Massicotte

 

                   Étude :                  Massicotte & Associés

                                                Québec (Québec)

 

Pour l’intimé(e) :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.