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Date: 19980217

Dossier: 95-650-IT-G

ENTRE :

RÉAL MORIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L'appelant conteste une cotisation pour son année d'imposition 1986 par laquelle le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a ajouté à son revenu une somme de 125 000 $ qu'il se serait appropriée des sociétés 2319-6322 Québec Inc. (la “ société 2319 ”) et 1864-2470 Québec Inc. (la “ société 1864 ”). La cotisation a été établie après la période normale de nouvelle cotisation et une pénalité a été ajoutée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] L'appelant soutient que cette somme, en argent liquide, aurait servi à l'achat, par la société 2319, du Centre commercial Place Duvernay (la “ Place Duvernay ”) situé à Beloeil (Québec) le 2 juin 1986. L'immeuble était jusqu'alors la propriété de madame Steluta Constantinescu (la “ venderesse ”). C'est avec monsieur Christian Bota, le fils de celle-ci, que l'appelant a entrepris les négociations et conclu une entente relativement à cette transaction.

[3] L'intimée s'appuie sur l'article 3, sur les paragraphes 15(1), 152(4), 152(7), 163(2) et 245(2) ainsi que sur les alinéas 5(1)a) et 6(1)a) de la Loi telle qu'applicable à l'année d'imposition 1986.

[4] Aux fins d'établir cette cotisation, le Ministre a tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à q) du paragraphe 25 de la Réponse amendée à l'avis d'appel amendé (la “ Réponse ”). Ces alinéas se lisent:

a) en 1986, l'appelant était actionnaire d'entres autres la compagnie 1864-2470 Québec Inc., laquelle était à son tour actionnaire de la compagnie 2319-6322 Québec Inc.;

b) en 1986, l'appelant était administrateur, avec M. Pierre Charron, de 2319-6322 Québec Inc.;

c) le 2 juin 1986, 2319-6322 Québec Inc. a fait l'acquisition d'un centre d'achats, "Place Duvernay", situé à Beloeil, Québec;

d) l'appelant prétend que ce centre d'achats a été acquis par 2319-6322 Québec Inc. au prix de 1 075 000 $, dont 195 000 $ aurait été payé en argent liquide au vendeur;

e) le prix réel payé par 2319-6322 Québec Inc. pour l'acquisition du centre d'achats est de 880 000 $ et non de 1 075 000 $ comme le prétend l'appelant;

f) le 25 avril 1986, 2319-6322 Québec Inc. a fait une offre d'achat, acceptée le même jour, pour l'acquisition du centre d'achat Place Duvernay, pour un prix initial de 935 000 $, détaillé comme suit:

Dépôt avec l'offre d'achat: 10 000 $

Versement par chèque au notaire au 295 000 $

moment de la signature de l'acte de vente

Assumation de l'hypothèque de premier 425 000 $

rang (en faveur du Trust Général)

Assumation de l'hypothèque de deuxième 205 000 $

rang (solde de prix de vente en faveur de

129 627 Canada Ltée)

_________

TOTAL 935 000 $

g) le 22 mai 1986, un addendum est venu se greffer à l'offre d'achat du 25 avril 1986, à l'effet que le vendeur rembourserait lui-même l'hypothèque de deuxième rang, en échange de quoi, l'acheteur majorerait de 150 000 $ le montant payable lors de la signature du contrat de vente;

h) cette modification a été rendue nécessaire suite au refus par le créancier de l'hypothèque de deuxième rang de transférer sa créance au nouvel acquéreur;

i) le prix de vente payable par 2319-6322 Québec Inc. fut ainsi réduit à 880 000 $, le tout réparti comme suit:

Dépôt avec l'offre d'achat 10 000 $

Versement par chèque au notaire 445 000 $

Assumation de l'hypothèque de premier rang 425 000 $

TOTAL 880 000 $

j) bien que le contrat notarié du 2 juin 1986 indique un prix de vente de 1 $ et autres considérations, M. Pierre Charron, alors autorisé à agir pour 2319-6322 Québec Inc., a reconnu, au mémoire d'ajustements préparé par le notaire, que le prix de vente réel était de 880 000 $;

k) le vendeur (que ce soit personnellement ou par le biais de son agent d'immeubles ou de son notaire) n'a reçu aucun montant d'argent en liquide relativement à la vente du centre d'achats;

l) le 13 mars[1] 1986, l'appelant a retiré 100 000 $ d'un compte de banque (à la Banque Nationale) de 2319-6322 Québec Inc.;

m) en mars et avril 1986, l'appelant s'est également approprié des sommes totalisant 25 000 $ appartenant à 1860-2470 Québec Inc.[2];

n) 1860-2470 Québec Inc.2 avait elle-même obtenu ces sommes par le biais, entre autres, d'un retrait de Bar Salon Chez Aimé Inc. (24 mars 1986) et d'un prêt obtenu de Servibec Gestion Alimentaire Inc. (25 avril 1986), deux compagnies dont l'appelant est actionnaire et/ou administrateur;

o) l'appelant n'a pu justifier ces sorties de fonds et, en particulier, n'a pas démontré avoir versé à qui que ce soit ces montants en argent liquide lors de l'acquisition du centre d'achats "Place Duvernay" par 2319-6322 Québec Inc.;

p) l'appelant n'a pas fait état dans sa déclaration d'impôt pour l'année d'imposition 1986, du revenu totalisant 125 000 $ approprié de ces compagnies;

q) l'appelant a agi sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde en omettant de déclarer ce revenu, ce qui donne lieu à la réouverture d'une année prescrite et à l'imposition des pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[5] De plus, le paragraphe 26 de la même Réponse se lit:

26. La compagnie 2319-6322 Québec Inc. a plaidé coupable le 25 octobre 1994 à une accusation de nature criminelle d'avoir tenté d'éluder le paiement de l'impôt engendré par la revente en 1989 du centre d'achats "Place Duvernay" à Beloeil en ayant surévalué le prix payé par elle lors de l'acquisition dudit centre d'achats en 1986.

[6] Plusieurs documents ont été soumis en preuve pour retracer l'origine d'une somme globale de 205 000 $ en argent liquide (incluant la somme de 125 000 $ qui fait l'objet du présent litige) laquelle, selon l'appelant aurait servi à l'acquisition de Place Duvernay. Cette somme proviendrait de souscriptions d'actions du capital-actions de la société 2319 par Les Investissements Picha Inc. (la “ société Picha ”) (25 000 $), la société 1864 (25 000 $), Servibec (G.A.) Inc. (la “ société Servibec ”) (55 000 $) et Investissements Rioca Ltée (la “ société Rioca ”) (100 000 $).

[7] Malgré les explications fournies par l'appelant, il demeure difficile d'établir la chronologie exacte des événements et de retracer, à travers de multiples transactions, non seulement l'utilisation de certaines sommes mais également leur origine. En tout état de cause, comme c'est l'utilisation des sommes qui fait l'objet du litige, je ne m'attarderai à cet égard qu'aux éléments qui m'apparaissent essentiels à sa solution.

[8] Pour comprendre le rôle joué par certains individus, il est utile de mentionner que monsieur Pierre Charron était l'unique actionnaire et administrateur de la société Picha et que l'appelant était l'unique actionnaire et administrateur de la société 1864. De plus, monsieur Charron, l'appelant et un certain Yves Bourassa étaient actionnaires et administrateurs de la société Servibec. Des investisseurs étrangers étaient actionnaires de la société Rioca et un certain Félix Hervé aurait été l'un des administrateurs. La société Servibec était actionnaire majoritaire de la société 2319 et l'appelant était secrétaire-trésorier des deux sociétés. Il aurait été l'une des âmes dirigeantes de la société 2319 dont il s'occupait activement et aurait été chargé par les représentants des autres actionnaires de rechercher des investissements immobiliers pour cette société. Malgré le fait que l'appelant ait été le seul à négocier pour la société 2319 l'achat de Place Duvernay avec l'agent d'immeubles, monsieur Bota, c'est monsieur Charron qui a signé le contrat notarié du 2 juin 1986 ainsi que le mémoire de rajustements et déboursés préparé par le notaire Michel Paquette.

[9] Lors de son témoignage, monsieur Charron a soutenu qu'il aurait lui-même été chargé de trouver 80 000 $ du montant global de 205 000 $. Ainsi, 55 000 $ devaient provenir de lui personnellement ou de la société Picha. N'ayant pas une somme de 25 000 $ à sa disposition, monsieur Charron affirme qu'elle a été empruntée de la société Rioca. L'appelant pour sa part aurait été chargé de se procurer 125 000 $ soit 25 000 $ à titre de contribution personnelle ou de la société 1864 et 100 000 $ de la société Rioca.

[10] L'appelant affirme avoir accumulé la somme de 205 000 $ en billets de 1 000 $ des sources suivantes:

1 000 $ déjà en sa possession.

9 000 $ provenant d'un retrait en argent liquide en date du 24 mars 1986 du compte de la société Bar Salon Aimé Inc. dont il était aussi actionnaire et administrateur (pièce A-2, onglet 13).

15 000 $ provenant d'un retrait en argent liquide du compte bancaire de la société 1864 (prêt de la société Servibec encaissé le 25 avril 1986) (pièce A-2, onglet 12).

100 000 $ provenant d'un retrait en argent liquide en date du 13 mai 1986 du compte bancaire de la société 2319 (pièce A-2, onglet 14).

25 000 $ remis en billets de 1 000 $ par monsieur Charron à une date indéterminée.

55 000 $ remis en billets de 1 000 $ par monsieur Charron le 2 juin 1986, le jour même de la transaction chez le notaire et provenant d'un retrait daté du 29 mai 1986 (pièce A-2, onglet 15).

[11] En réalité, l'intimée ne conteste pas que l'appelant et monsieur Charron aient eu une somme de 205 000 $ entre leurs mains, soit une somme de 125 000 $ quant à l'appelant et une somme de 80 000 $ quant à monsieur Charron. En effet, l'intimée soutient que cette somme de 205 000 $ n'a jamais été remise au courtier ou à la venderesse de Place Duvernay et qu'elle a plutôt été conservée à titre personnel par l'appelant et monsieur Charron dans les proportions indiquées. La position de l'intimée est donc que le prix payé par la société 2319 est de 880 000 $ soit celui correspondant au prix déclaré dans le document concernant les rajustements et déboursés complété par le notaire Michel Paquette et signé par monsieur Charron (pièce I-1) en rapport avec le contrat notarié du 2 juin 1986. La conciliation se ferait tel qu'indiqué à l'alinéa 25i) de la Réponse sous réserve que les 445 000 $ remis au notaire l'auraient été en deux paiements distincts, l'un de 295 000 $ (pièce A-2, onglet 19) et l'autre de 150 000 $ (pièce A-2, onglet 7). À cette somme de 445 000 $, il faut ajouter les 10 000 $ versés en dépôt avec l'offre d'achat et le transfert de la créance hypothécaire de premier rang d'un montant de 425 000 $ pour un total de 880 000 $.

[12] Le contrat lui-même indique que la vente est faite pour un prix de 1 $ et autres bonnes et valables considérations tel que cela était prévu dans l'offre du 25 avril 1986. Toutefois, dans la clause se rapportant au droit sur les mutations immobilières, on mentionne que le cédant et le cessionnaire établissent la valeur de la contrepartie à 800 000 $ (pièce A-2, onglet 10).[3]

[13] L'appelant, on le sait, maintient que le prix total payé a été de 1 075 000 $ soit celui reflété dans la première offre d'achat en date du 23 avril 1986 et acceptée le 24 avril 1986 (pièce A-2, onglet 4). Selon lui, une enveloppe contenant 195 billets de 1 000 $ aurait été remise à monsieur Bota et ensuite par ce dernier à la venderesse dans l'antichambre du notaire lors de la signature de l'acte de vente le 2 juin 1986. Le solde de 10 000 $ aurait servi à payer les honoraires et frais du notaire à concurrence de 6 000 $ à 7 000 $ et le reste conservé par lui-même pour se rembourser des dépenses engagées en rapport avec l'achat de l'immeuble.

[14] L'entente initiale avec monsieur Bota aurait été de verser 140 000 $ en argent liquide à la venderesse. Plus tard, l'appelant aurait accepté de lui verser une somme additionnelle de 55 000 $.

[15] L'appelant affirme que lors de la remise de l'enveloppe contenant les 195 billets de 1 000 $ à monsieur Bota, ce dernier en aurait examiné le contenu sans compter les billets et aurait remis l'enveloppe à la venderesse qui l'aurait simplement mise dans son sac à main. Monsieur Bota aurait alors déchiré une enveloppe scellée contenant une contre-lettre que l'appelant avait lui-même signée et par laquelle il s'engageait à lui remettre cette somme de 195 000 $.

[16] Lors d'un interrogatoire hors cour tenu le 25 avril 1996, l'appelant mentionne que l'entente avec monsieur Bota de verser d'abord une somme de 140 000 $ en argent liquide était strictement verbale. Voici l'extrait de son témoignage à cet égard :

129 Q. Est-ce qu'il y avait eu un document quelconque qui

vous liait à verser ce moment-là [sic] de cent quarante mille dollars (140 000 $)?

R. Non.

130. Q. C'est seulement sur une poignée de mains, c'est

ça?

R. C'était convenu que le règlement se ferait au moment de la signature du contrat notarié.

131. Q. O.K. Mais l'entente était verbale?

R. Exact.[4]

[17] Bien qu'il n'y ait pas eu de questions directes sur l'existence d'une contre-lettre, à aucun moment au cours de cet interrogatoire hors cour l'appelant n'a-t-il fait allusion à l'existence d'un document quelconque concernant l'entente de verser d'abord une somme de 140 000 $ en argent liquide puis une somme additionnelle de 55 000 $ ou une somme totale de 195 000 $.

[18] Selon monsieur Yvon L'Ecuyer, enquêteur à Revenu Canada, c'est une somme de 205 000 $ et non de 195 000 $ que l'appelant lui aurait déclaré avoir remise en argent liquide lors de la signature chez le notaire. Une feuille faisant état du calcul de la somme globale payée lui a alors été remise par l'appelant (pièce I-4). De plus, comme l'appelant affirmait que le prix total payé était de 1 075 000 $ il a constaté que celui-ci faisait une erreur de 10 000 $ puisqu'une somme équivalente avait déjà été remise comme dépôt lors de la première offre au prix de 1 075 000 $ ce qui aurait ainsi porté le prix total payé à 1 085 000 $. De plus, selon monsieur L'Ecuyer, l'appelant ne lui aurait pas remis les bons documents pour justifier la contribution de la société Servibec. Ces documents ont été produits comme pièce I-3. Il s'agit du chèque #1438 de la société Servibec au montant de 50 000 $ en date 29 mai 1986, fait à l'ordre de la société 2319 et encaissé par celle-ci le 30 mai. L'autre chèque de la société Servibec fait à l'ordre de “ Servibec G.A. Inc. ” en date du 15 mai 1986 au montant de 5 200 $ a été déposé le même jour. En réalité, c'est un autre chèque de la société Servibec (#1439) en date du 29 mai 1986 au montant de 55 000 $ qui n'a été découvert que lors d'une perquisition en 1992 (pièce A-2, onglet 15) qui aurait servi à la transaction. Ce chèque à l'ordre de “ Caisse ” porte au verso le tampon “ 2319-6322 Québec Inc. ” et les mentions manuscrites “ RE: B.V. Beloeil ” et “ traite de banque 38410749 ”. Selon monsieur L'Ecuyer, la traite aurait été achetée le 2 juin 1986, soit le jour même de la transaction. Ce point n'a pas été contesté.

[19] De plus, selon monsieur L'Ecuyer, la contribution de 25 000 $ de la société Picha ne peut se justifier par le document que lui a remis monsieur Charron. Le document est un chèque tiré sur un compte de la société Rioca payable à “ Caisse ” en date du 25 juin 1986 et encaissé le 27 juin. Le chèque porte la mention “ Prêt ”. Or, la transaction nécessitant la contribution de 25 000 $ de la société Picha ou de monsieur Charron a eu lieu le 2 juin 1986. Si monsieur Charron ou la société Picha a effectivement emprunté de la société Rioca pour lui permettre de faire sa contribution, aucune preuve n'a été apportée que le produit de cet emprunt ait pu être remis en argent liquide à l'appelant avant la transaction.

[20] Ceci m'amène à traiter brièvement des poursuites pénales intentées contre la société 2319, contre monsieur Charron et contre l'appelant dont a fait état monsieur L'Ecuyer en rapport avec la transaction au coeur du présent litige.

[21] L'information obtenue par monsieur L'Ecuyer de la venderesse lors d'une conversation téléphonique ainsi que de son fils, monsieur Bota, rencontré à plusieurs reprises, était que le prix payé avait été de 880 000 $. Cette information fut également confirmée par le notaire Paquette qui avait procédé aux rajustements et déboursés sur cette base. Comme la société 2319 avait déclaré avoir payé 1 075 000 $, cette dernière ainsi que monsieur Charron et l'appelant furent poursuivis en vertu des alinéas 239(1)a) et d) de la Loi.

[22] Subséquemment, lors d'une perquisition chez le courtier, Les Immeubles Gloria Realties (les “ Immeubles Gloria ”), pour lequel travaillait monsieur Bota, on a saisi un document indiquant comme prix de vente la somme de 880 000 $ mais sous la mention “ Highly Confidential ” un prix de 935 000 $. De plus, le chèque #1439 de la société Servibec en date du 29 mai 1986 pour un montant de 55 000 $ utilisé pour acheter une traite et portant la mention “ RE: B.V. Beloeil ” obtenu en 1992 (pièce A-2, onglet 15) laissait également supposer que le prix véritablement payé aurait été de 935 000 $ et non de 880 000 $. Lors de son témoignage, monsieur L'Ecuyer a émis l'hypothèse que la traite ainsi acquise aurait pu être remise à la venderesse ou à un certain monsieur Jean Fortin qui détenait un bail avantageux pour plusieurs années et dont la venderesse s'était engagée, dans l'addendum signé le 22 mai 1986 (pièce A-2, onglet 7), à racheter les droits ce qui fut d'ailleurs fait officiellement pour la somme de 1 $ (pièce

A-2, onglet 9).

[23] Le jour même du procès pénal, dans le cadre d'une entente négociée par les procureurs et acceptée notamment par monsieur Charron et l'appelant, la société 2319 plaida coupable à une infraction sous l'alinéa 239(1)d) de la Loi et dut payer une amende d'un peu plus de 17 000 $. La poursuite en vertu de l'alinéa 239(1)a) fut abandonnée de même que celles contre monsieur Charron et l'appelant. Au niveau civil, la cotisation contre monsieur Charron fut réduite de 55 000 $, celui-ci acceptant pour des raisons qu'il dit personnelles et d'affaires d'être cotisé sur un montant de 25 000 $. La cotisation de l'appelant pour une appropriation de 125 000 $ fut maintenue, celui-ci désirant se prévaloir de son droit d'appel pour le montant total cotisé, d'où le présent litige.

[24] Selon l'appelant, le marché de l'époque était un “ marché de vendeurs ” et le prix demandé pour Place Duvernay était de 1 250 000 $. Pour appuyer sa position que c'est un prix de 1 075 000 $ qui a été payé, l'appelant se réfère également à une évaluation de Canada Life Mortgage Services Ltd. (“ Canada Life ”) réalisée en janvier 1987 aux fins d'un refinancement et indiquant une valeur de 1 217 000 $ (pièce A-2, onglet 11). Le document indique également un prix d'achat de 1 075 000 $. L'appelant reconnaît avoir lui-même fourni cette information.

[25] Ainsi, l'appelant soutient que seule la première offre au prix de 1 075 000 $ en date du 23 avril 1986 et acceptée le lendemain était valable. Cette offre, dont il est le seul à avoir conservé une copie, accompagnée d'un dépôt de 10 000 $ avait, selon lui, été acceptée malgré le fait que le prix demandé ait été de 1 250 000 $ à la condition qu'une partie du prix soit versée en argent liquide. Ainsi, dans un premier temps, monsieur Bota lui aurait d'abord demandé que 140 000 $ soient ainsi versés ce qui expliquerait que dès le 25 avril 1986 une autre offre, cette fois pour un prix de 935 000 $ soit faite et acceptée le même jour. Selon l'appelant, la raison fournie par monsieur Bota pour une demande en argent liquide aurait été qu'il ne voulait pas que le prix officiellement payé apparaisse trop élevé aux yeux du propriétaire précédent, monsieur Jean Fortin, qu'il avait représenté lors de la vente de Place Duvernay à sa mère quelques mois plus tôt (voir pièce A-3, onglet 6, Interrogatoire préalable, pages 13 et suivantes).

[26] Une somme additionnelle en argent liquide de 55 000 $ aurait été demandée subséquemment faisant en sorte que le prix officiellement payé soit réduit à 880 000 $. Cette somme aurait été requise pour récupérer les droits à un bail avantageux consentis par la venderesse au propriétaire précédent, monsieur Fortin. Selon l'appelant, monsieur Fortin bénéficiait d'un bail à un prix avantageux pour plusieurs années et avait lui-même sous-loué à un prix beaucoup plus élevé à une tierce société.

[27] Initialement, la société 2319 était intéressée à se voir transférer les deux hypothèques existantes dont une deuxième hypothèque au montant de 205 000 $ en faveur du propriétaire précédent monsieur Fortin. Devant le refus de celui-ci, un addendum à l'offre du 25 avril 1986 fut signé par les parties en date du 22 mai 1986 (pièce A-2, onglet 7). Il y est fait état que l'acheteur payera une somme d'argent additionnelle de 150 000 $ lors de la signature de l'acte de vente et que le vendeur s'oblige à faire radier la balance de vente de 205 000 $ garantie par une hypothèque de deuxième rang. De plus, dans cet addendum la venderesse s'engageait à récupérer les droits au bail signé entre elle et l'ancien propriétaire monsieur Fortin de même qu'au bail signé entre celui-ci et une tierce société.

[28] À ma demande expresse, monsieur Bota a également témoigné. Toutefois, son témoignage ne m'éclaire certainement pas sur les événements qui sont survenus. Tout en reconnaissant que sa mère avait initialement accepté l'offre d'achat pour un prix de 1 075 000 $ alors que le prix demandé était de 1 250 000 $, il affirme que le prix de vente a été de 880 000 $ puisqu'il y a eu beaucoup de négociations et ce, même jusqu'à la signature chez le notaire. S'il reconnaît qu'il s'agissait “ d'un marché de vendeurs ” à l'époque, il évoque pour expliquer la diminution de prix que monsieur Fortin avait refusé le transfert de sa créance hypothécaire, que la question du bail avantageux de celui-ci avait été réglé et qu'il y avait aussi un problème de vues illégales. Pour le reste, il ne peut expliquer les différentes modifications apportées à l'offre initiale et les conséquences précises sur le prix d'achat. Il affirme ne pas se souvenir des détails, ne peut expliquer la raison d'être de la mention dans un document des Immeubles Gloria d'un prix de 880 000 $ et d'un prix “ Highly Confidential ” de 935 000 $. Il affirme aussi ne pas avoir reçu d'argent liquide ou vu d'enveloppe en contenant. Puis, il dit qu'il ne se souvient pas que sa mère ait reçu de l'argent liquide mais que cela est possible tout comme le fait qu'il ait pu y avoir une enveloppe pour finalement conclure que cela n'a pas été le cas.

[29] La prétention de l'appelant selon laquelle il aurait amassé 205 000 $ en billets de 1 000 $ repose en partie sur sa version d'une transaction bancaire survenue le 13 mai 1986 au centre de service de Lyon (“ centre de Lyon ”) associé à la succursale Place Désormeaux de la Banque Nationale du Canada (la “ Banque Nationale ”) à Longueuil. En échange d'un reçu signé par lui pour une somme de 100 000 $ et indiquant le compte bancaire de la société 2319 (pièce

A-2, onglet 14; pièce I-5), l'appelant affirme avoir obtenu 100 billets de 1 000 $. Ces billets auraient été commandés directement à la gérante environ deux semaines plus tôt. Il dit que c'est elle-même ou possiblement une caissière qui lui aurait remis les billets le 13 mai 1986.

[30] L'avocat de l'intimée a appelé madame Danielle Savard à témoigner concernant cette transaction. Madame Savard, qui occupe actuellement un poste de directrice - Gestion des caisses pour la Fédération Richelieu-Yamaska a travaillé durant 16 ans pour la Banque Nationale jusqu'en 1988. En 1986, elle était en charge du centre de Lyon. Le centre de Lyon comptait alors six ou sept employées et madame Savard était assistée dans ses fonctions par madame Denise Comeau, alors comptable adjoint.

[31] Quant à la transaction du 13 mai 1986, madame Savard reconnaît que le reçu ou bordereau de retrait dont il est question indique bien que la transaction a été effectuée au centre de Lyon par les numéros inscrits sur les tampons. Toutefois, elle signale que le document n'est pas initialé par elle, ce qui aurait dû normalement être le cas si elle avait été présente ce jour-là. Elle ne peut identifier la personne dont les initiales apparaissent au recto du document. Par ailleurs, elle reconnaît facilement ses propres initiales sur un chèque au montant de 100 000 $ tiré sur un compte au nom de la société Rioca à la Banque de Commerce Canadienne Impériale (la “ Banque de Commerce ”) et déposé au centre de Lyon deux jours plus tard, soit le 15 mai 1986 (pièce I-6).

[32] Madame Savard affirme que le centre de Lyon ne conservait pas de billets de 1 000 $ en réserve et, bien qu'il soit possible de faire une transaction de cette importance en argent liquide, qu'il aurait fallu commander les billets à l'avance à la succursale principale après avoir obtenu les informations pertinentes du client puisqu'un contrôle devait être exercé à l'égard de transactions importantes en billets de 1 000 $.

[33] Expliquant la procédure de commande d'argent liquide, les signatures requises de deux personnes dont celle de madame Denise Cotnoir-Comeau (“ madame Comeau ”) ou la sienne, la vérification de la livraison des billets au centre par au moins deux personnes ainsi que le contrôle de la réserve d'argent liquide, madame Savard conclut qu'elle aurait normalement été au courant d'une telle transaction même si elle avait été absente le jour même. Sans affirmer catégoriquement qu'une telle transaction n'a pas eu lieu, elle dit ne pas se souvenir d'avoir remis 100 billets de 1 000 $ à l'appelant, pas plus qu'elle ne se souvient de lui d'ailleurs. En revanche, elle dit se souvenir des détails et même du nom d'un client ayant réalisé une transaction de 50 000 $ en billets de 1 000 $, la plus importante dont elle ait été témoin. Finalement, madame Savard affirme que s'il y avait eu 100 billets de 1 000 $ dans la réserve elle l'aurait certainement vu à cause des contrôles exercés. Elle suggère que si le retrait n'a pas été effectué en argent liquide, il l'aurait été par l'émission d'une traite bancaire. Bien qu'elle reconnaisse qu'il s'agit alors d'une transaction plus fréquente, madame Savard ne se souvient pas avoir émis une traite pour ce montant en date du 13 mai 1986. Comme les initiales de madame Savard n'apparaissent pas sur le reçu ou bordereau de retrait du 13 mai 1986 alors qu'elles auraient dû s'y trouver si elle avait été présente, on peut très certainement en inférer qu'elle aurait pu être absente ce jour-là. Toutefois, comme elle était présente deux jours plus tard, ses explications concernant les différents contrôles exercés sur la réserve d'argent liquide au centre dont elle avait la direction sont plus compatibles avec la théorie voulant qu'une transaction de cette importance en argent liquide n'aurait pu passer inaperçue sans qu'elle en soit mise au courant directement ou indirectement. En effet, les contrôles s'exercent en différentes étapes s'échelonnant sur plusieurs jours.

[34] Madame Comeau a également témoigné. Madame Comeau est au service de la Banque Nationale depuis 1970 et est actuellement Directeur des Services financiers. En mai 1986, elle occupait le poste de comptable adjoint au centre de Lyon où elle avait commencé à exercer ses fonctions peu de temps auparavant.

[35] Madame Comeau a expliqué que c'est elle qui voyait à chaque semaine aux commandes d'argent liquide et que si le retrait du 13 mai 1986 avait été effectué par la remise de 100 billets de 1 000 $, elle aurait obligatoirement été avisée et se souviendrait d'une transaction de cette importance qui aurait requis une commande spéciale relevant de ses fonctions même si la commande aurait pu être signée par l'assistante comptable en cas d'absence momentanée. Madame Comeau affirme que la plus grosse transaction en billets de 1 000 $ dont elle a été témoin dans sa carrière a été de 10 ou 12 billets de cette dénomination. Elle conclut donc que le retrait du 13 mai 1986 n'a “ absolument ” pas pu se faire en argent liquide et n'évoque que la possibilité de l'émission d'une traite qui requiert la signature d'un cadre et d'une autre personne autorisée. Par ailleurs, madame Comeau a expliqué que le bordereau de retrait lui-même devait obligatoirement être initialé par un cadre. À titre de comptable adjoint, elle-même n'avait pas cette qualité. Elle dit ne pas reconnaître les initiales sur le reçu ou le bordereau de retrait (pièce I-5) en ajoutant qu'elle exerçait alors ses fonctions depuis peu de temps au centre de Lyon. Selon elle, il peut s'agir des initiales d'un cadre envoyé en remplacement puisque si la directrice du centre de service, le seul cadre en fonction, est absente, la succursale à laquelle est rattaché ce centre envoie un autre cadre pour la remplacer. Selon madame Comeau, comme un cadre doit toujours être présent au centre, il s'agit d'une procédure à laquelle on a régulièrement recours si le cadre responsable est en formation ou malade.

[36] Pour terminer sur ce point, mentionnons que le relevé bancaire de la société 2319 pour la période en cause (pièce A-7) indique bien le retrait de 100 000 $ en date du 13 mai 1986. Aucun frais d'administration n'est cependant inscrit pour cette date. Toutefois, comme l'a fait remarquer madame Comeau, les frais pour l'émission d'une traite pouvant varier entre 7,50 $ et 15,00 $ à l'époque auraient pu être payés en argent liquide.

[37] Le témoignage de madame Comeau bien que beaucoup plus affirmatif vient quand même pour l'essentiel appuyer celui de madame Savard.

[38] Le 2 mars 1992, Revenu Canada adressait une demande péremptoire concernant la fourniture de renseignements et la production de documents au directeur de la succursale de la Place Désormeaux à Longueuil concernant la société 2319, monsieur Charron de même que l'appelant (pièce I-7) dans le but de retracer la traite. La réponse fournie a été que la succursale ne détenait aucune archive dans le cas de monsieur Charron et de l'appelant et, en ce qui concerne le compte de la société 2319, que les pièces justificatives avaient été détruites (pièce I-8). Sur ce point, mon seul commentaire est qu'une traite étant émise par l'institution financière et tirée sur elle-même, la demande de retracer des documents au nom de monsieur Charron, de l'appelant ou de la société 2319 était manifestement mal dirigée ou formulée.

[39] Dans la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hickman Motors v. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, le juge L'Heureux-Dubé rappelait ce qui suit à la page 378:

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités: Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve: Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106.

[40] Dans l'affaire Pallan à laquelle se référait le juge L'Heureux-Dubé, des contribuables tentaient de présenter une preuve testimoniale destinée à contredire ce qu'ils avaient convenu dans des documents créés dans le but de réaliser certains objectifs commerciaux mais entraînant des conséquences fiscales défavorables. Le juge Christie de cette Cour a insisté sur l'insuffisance de la preuve présentée et a rejeté les appels. Sa conclusion est explicitée dans les termes suivants que je tire directement du texte des motifs du jugement à la page 1107 (en y ajoutant le texte de la traduction française officielle, à la page 13):

It must be understood that if taxpayers create a documented record of things said and done by them, or by them in concert with others, to achieve a commercial purpose and then seek to repudiate those things with evidence of allegations of conduct that is morally blameworthy in order to avoid an unanticipated assessment to tax, they face a formidable task. And that task will not be accomplished, in the absence of some special circumstance, an example of which does not occur to me, by their oral testimony alone. That evidence must be bolstered by some other evidence that has significant persuasive force of its own. The appellants have not done this.

Il faut comprendre que, si les contribuables créent un dossier écrit de choses qu'ils ont dites et faites, que ce soit seuls ou de concert avec d'autres, pour atteindre un but commercial et qu'ils cherchent ensuite à répudier ces choses en alléguant que la conduite était moralement blâmable afin d'éviter une cotisation d'impôt qui n'avait pas été prévue, ils auront fort à faire pour réussir. De plus, en l'absence de circonstance spéciale dont aucun exemple ne me vient à l'esprit, ils ne pourront le faire en présentant uniquement leur témoignage. Cette preuve doit être appuyée par d'autres éléments qui ont eux-mêmes une grande force persuasive. Les appelants ne l'ont pas fait.

[41] Bien que l'affaire Kiliaris et al. v. The Queen, 97 DTC 7 (C.C.I.), présentait une situation différente, on pouvait néanmoins y retrouver une attitude similaire de la part des contribuables qui adoptaient une position contraire à leurs prétentions antérieures. Me référant à la décision du juge Christie dans l'affaire Pallan (précitée) j'affirmais alors, à la page 23 de la version française, qu'en de telles circonstances:

[I]l est normal, non seulement d'accepter avec la plus grande circonspection leur témoignage mais également de s'assurer d'un haut degré de probabilités des faits mis en preuve indépendamment de leur témoignage.

[42] À mon avis, les circonstances de la présente affaire justifient de retenir la même exigence de la part de l'appelant bien qu'il faille reconnaître que le fardeau d'établir, par prépondérance des probabilités, les faits permettant de cotiser après la période normale de nouvelle cotisation et d'ajouter une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) appartenait à l'intimée.

[43] L'avocat de l'appelant prétend que l'attitude de l'avocat de l'intimée et des représentants de Revenu Canada ne peut être qualifiée que de “ tendancieuse ” dans toute cette affaire puisque l'on aurait d'emblée accepté la version de la venderesse et celle de monsieur Bota en rejetant, d'ailleurs au mépris de toute logique, celle de l'appelant. Qui plus est, selon l'avocat de l'appelant cette attitude s'exprime par le fait que l'avocat de l'intimée n'aurait pas daigné initialement faire témoigner la venderesse et monsieur Bota.

[44] Il importe ici de remettre les choses un peu en perspective. D'abord, l'appelant lui-même a signé non seulement la première offre d'achat à 1 075 000 $, offre qu'il soutient être la seule valable, mais également la deuxième à 935 000 $ de même que l'addendum du 22 mai 1986 dont l'effet était de réduire le prix de la transaction à 880 000 $. De plus, c'est son associé en affaires, monsieur Charron, qui a signé le contrat notarié du 2 juin 1986 dans lequel il est mentionné que tant le cédant que le cessionnaire établissent la valeur de la contrepartie à 800 000 $ aux fins du droit de mutation. C'est aussi monsieur Charron et non seulement la venderesse qui a attesté, en signant le mémoire de rajustements et déboursés préparé par le notaire, que le prix réellement payé par la société 2319 était de 880 000 $. Autant de documents que monsieur Charron et l'appelant ont voulu répudier par la suite en prétendant à un prix de 1 075 000 $. Dans une telle situation, on n'a pas à s'étonner de la position prise par l'intimée qui se fonde sur les documents signés par les intéressés eux-mêmes.

[45] Quant à la question des témoignages, je noterai simplement que monsieur Bota avait été convoqué et demeurait disponible pour témoigner. L'avocat de l'intimée a expliqué qu'il avait décidé de ne pas l'appeler parce qu'il considérait les éléments de la preuve déjà présentée suffisamment convaincants. C'est sans hésitation en réponse à ma demande qu'il a accepté de le faire entendre. Ce n'est donc pas non plus à la requête de l'avocat de l'appelant que monsieur Bota a témoigné. Quant à la venderesse, aucune des parties n'a jugé opportun de la convoquer. On se demande par ailleurs ce que son témoignage aurait pu apporter puisque l'appelant affirme ne l'avoir vu qu'une fois, lors de la signature chez le notaire, et avoir toujours négocié et pris entente exclusivement avec monsieur Bota.

[46] Ceci étant dit, l'examen de l'ensemble de la preuve présentée me conduit à la conclusion que je dois, selon la prépondérance des probabilités, retenir la version des faits présentée par l'intimée, du moins en ce qui concerne la majeure partie du montant cotisé. Certes, certains éléments de preuve sont discordants avec la prétention de l'intimée selon laquelle le prix de vente de Place Duvernay a été de 880 000 $. Le document saisi chez les Immeubles Gloria (pièce A-2, onglet 3) indiquant sous la mention “ Highly Confidential ” un prix de 935 000 $ au lieu du prix de 880 000 $ mentionné au même document constitue un premier indice dans ce sens. Le chèque #1439 de la société Servibec à l'ordre de “ Caisse ” pour une somme de 55 000 $ (pièce A-2, onglet 15) en est un deuxième. On se souviendra que le verso de ce chèque porte un tampon identifiant la société 2319 et les mentions manuscrites “ RE: B.V. Beloeil ” et “ traite de banque 38410749 ”. Ces deux indices portent en effet à conclure qu'une somme additionnelle de 55 000 $ aurait été payée en sus du 880 000 $. J'ajoute que la somme de 935 000 $ correspond d'ailleurs à la deuxième offre d'achat faite et acceptée en date du 25 avril 1986 et qui rendait, à mon avis, officiellement caduque celle acceptée le 24 avril 1986 au prix de 1 075 000 $. S'il est vrai que la réduction du prix peut, à première vue, sembler illogique certains problèmes découverts suite à la première offre comme des vues illégales auxquelles on a fait allusion auraient pu justifier une réduction du prix à 935 000 $. Si le prix payé a été de 935 000 $ et non de 880 000 $, la somme additionnelle de 55 000 $ a-t-elle été payée à la venderesse elle-même ou plutôt à monsieur Jean Fortin en compensation de l'abandon de ses droits en vertu du bail mentionné plus haut? Il m'est impossible de répondre à cette question et, en fait, il n'est pas nécessaire que j'y réponde puisque cela ne change en rien la situation de l'appelant. Selon la preuve, cette somme aurait été sous le contrôle de monsieur Charron et il n'en a pas été tenu compte pour établir la cotisation de l'appelant. En effet, c'est monsieur Charron qui a initialement été cotisé pour ce montant.

[47] Le chèque #1439 de la société Servibec avec les mentions qu'il comporte laisse cependant planer des doutes sérieux quant à l'affirmation que des billets de 1 000 $ auraient été reçus en contrepartie, un premier indice de nature à diminuer la vraisemblance de la position de l'appelant. Le chèque étant établi à l'ordre de “ Caisse ” il est d'abord étonnant d'y retrouver au verso un tampon indiquant la société 2319 puis la mention “ traite de banque 38410749 ”. Monsieur Charron a affirmé avoir obtenu 55 billets de 1 000 $ en contrepartie du chèque et les avoir remis à l'appelant le jour même de la transaction. Il est assez difficile de comprendre pourquoi un retrait du compte de la société Servibec porte le tampon de la société 2319 puis la mention du numéro d'une traite bancaire si ce que l'on voulait obtenir dès le départ était 55 000 $ en billets de 1 000 $. Comme aucune explication adéquate n'a été fournie à cet égard je suis porté à conclure qu'il est plus vraisemblable qu'il y ait eu tout simplement émission d'une traite pour le montant.

[48] Or, si monsieur Charron n'a pas effectivement remis 55 billets de 1 000 $ à l'appelant, la version des faits soumise par ce dernier ne peut évidemment tenir puisqu'il lui aurait alors été impossible d'accumuler les 205 billets de 1 000 $ nécessaires à la transaction.

[49] Un autre élément de preuve va dans le même sens. Il s'agit cette fois de la somme de 25 000 $ toujours en billets de 1 000 $ que monsieur Charron aurait remise à l'appelant à une date que ni l'un ni l'autre n'a pu préciser. La somme aurait été empruntée par monsieur Charron ou par la société Picha de la société Rioca. Or, le seul document soumis en preuve pour attester de ce fait est le chèque #0013 à l'ordre de “ Caisse ” tiré sur un compte de la société Rioca à la Banque de Commerce pour une somme de 25 500 $ en date du 25 juin 1986, encaissé le 27 juin 1986 et portant la mention “ Prêt ”. Il est assez évident que monsieur Charron n'a pu remettre une somme de 25 000 $ en billets de 1 000 $ qu'il se serait procurée par cette transaction avant la signature du contrat de vente chez le notaire le 2 juin 1986. Monsieur Charron a d'ailleurs été cotisé sur cette somme.

[50] À ce stade, il est inutile de rappeler les éléments essentiels du témoignage de madame Savard et de celui de madame Comeau. Je n'ai aucun motif pour mettre en doute leur crédibilité. À mon avis, c'est surtout le témoignage de madame Comeau qui rend hautement improbable un retrait par l'appelant de 100 000 $ en billets de 1 000 $ en date du 13 mai 1986.

[51] Par ailleurs, le témoignage de l'appelant concernant l'existence d'une contre-lettre par laquelle il s'engageait à payer une somme de 195 000 $ en argent liquide alors qu'il n'avait mentionné qu'une entente verbale avec monsieur Bota lors d'un interrogatoire hors cour laisse également perplexe. Les versions différentes fournies sur un fait dont l'importance n'aurait pas dû être négligeable dans le contexte influent également sur la crédibilité que je peux accorder aux explications fournies par l'appelant sur ce point.

[52] J'accorde peu d'importance au témoignage de monsieur Bota étant persuadé, pour les raisons que j'ai indiquées, qu'il est plus que probable qu'une somme additionnelle de 55 000 $ ait été payée en sus de la somme de 880 000 $ pour l'achat de Place Duvernay.

[53] Compte tenu des éléments de preuve déjà soulignés, j'ajouterai que l'évaluation obtenue par l'appelant de Canada Life aux fins d'un refinancement en janvier 1987 à partir d'informations fournies par lui-même dont celle sur le prix d'acquisition n'a aucune relation directe avec la transaction du 2 juin 1986 et ne peut être retenue comme une preuve convaincante que le prix payé aurait été de 1 075 000 $ compte tenu des autres éléments que je viens de souligner et qui rendent peu vraisemblable cette transaction dont l'appelant veut se prévaloir.

[54] Toutefois, même si j'estime que l'intimée a démontré selon la prépondérance des probabilités que l'appelant n'a pu remettre une somme de 195 000 $ en billets de 1 000 $ à monsieur Bota lors de la transaction du 2 juin 1986, aucune preuve n'a été apportée par l'intimée concernant l'utilisation d'une somme additionnelle de 10 000 $ que l'appelant affirme avoir servi à payer les frais et honoraires du notaire et à se rembourser de ses frais de démarche. Signalons ici que le mémoire de rajustements et déboursés préparé par le notaire (pièce I-1) ne contient d'ailleurs aucune mention de ses frais et honoraires. Comme il est raisonnable de penser qu'il a été payé pour cette transaction et que la société 2319 était l'acheteur, il ne saurait être question d'appropriation en l'absence d'une preuve additionnelle. De plus, l'appelant a sans doute engagé des déboursés réels pour ses démarches et l'intimée n'a pas cru opportun de contester ses affirmations à cet égard. L'appelant a également indiqué qu'il possédait au départ 1 000 $ en argent liquide qui aurait aussi servi aux fins de la transaction. Ce point n'a pas été contesté par l'intimée et pouvait difficilement l'être. Au total, j'estime donc qu'il y a insuffisance de preuve pour conclure que l'appelant se serait approprié cette somme additionnelle de 10 000 $.

[55] Pour ces raisons, j'estime que la somme de 125 000 $ cotisée doit être diminuée de 10 000 $ et la pénalité réduite en conséquence. Pour le reste, et sans prétendre avoir éclairci tous les éléments pour le moins douteux entourant la transaction du 2 juin 1986, je suis d'avis que l'intimée a, certes indirectement et par inférence, mais quand même selon la prépondérance des probabilités, démontré que le solde de la somme cotisée a vraisemblablement été l'objet d'une appropriation par l'appelant. Il importe peu de déterminer en vertu de quelle disposition législative parmi celles sur lesquelles s'appuie l'intimée, une telle somme pouvait être cotisée. Il est en effet reconnu qu'elle possède le caractère de revenu: voir, inter alia, The Queen v. Poynton, 72 DTC 6329 (C.A. Ont.). De plus, dans les circonstances j'estime la pénalité en vertu du paragraphe 163(2) justifiée puisque le défaut de déclarer n'a pu être le résultat d'une quelconque négligence de l'appelant mais plutôt d'une omission faite en toute connaissance de cause.

[56] Il va de soi que dans une telle situation et avec la même preuve la cotisation après la période normale de nouvelle cotisation doit être reconnue valide en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi.

[57] L'appel est donc admis et la cotisation est déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la somme cotisée doit être réduite de 10 000 $ avec rajustements correspondants à la pénalité et aux intérêts.

[58] Le tout avec frais en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de février 1998.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.



[1]               Cette date a été modifiée lors de l'audience pour se lire “ 13 mai 1986 ”.

[2]               Il s'agit plutôt de la société 1864-2470 Québec Inc.

[3]               Il est impossible de déterminer sur quel montant le droit de mutation a été calculé compte tenu des taux applicables à l'époque puisque le contrat (pièce A-2, onglet 10) indique un droit de 4 650 $ et la feuille de rajustements et déboursés (pièce I-1) un droit de 4 080 $.

[4]               Pièce A-3, onglet 6, aux pages 22 et 23.

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