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Date: 20000112

Dossier: 97-3215-IT-G

ENTRE :

RENÉ ARCHAMBAULT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Pour distinguer la notion de capital de celle de revenu, on utilise souvent la métaphore de l'arbre et du fruit. Dans cette affaire, il n'est pas question de métaphore. Il s'agit de vrais arbres, de 8 100 pommiers dont le coût a été passé à la dépense par monsieur René Archambault dans le calcul de son bénéfice tiré de l'exploitation de vergers. Monsieur Archambault est un important pomiculteur du Québec qui exploite plusieurs vergers totalisant environ 40 000 pommiers. Le ministre du Revenu national (ministre) a refusé la déduction de cette dépense au motif qu'il s'agissait d'une dépense en immobilisation. Les procureurs des parties ont indiqué qu'ils n'avaient pu trouver aucune décision traitant de cette question.

[2] Au cours du printemps 1992, monsieur Archambault a planté sur sa terre 5 240 pommiers pour constituer un nouveau verger (verger Papineau). Le coût de ces arbres s'élevait à 32 051 $. Au cours de l'hiver suivant, ils ont tous été détruits par le gel. Heureusement pour lui, monsieur Archambault était assuré contre ce risque et il a reçu en décembre 1993 une indemnité de 61 562 $ qu'il a incluse dans son revenu de 1993.

[3] Même si le ministre a refusé comme dépense courante en 1992 le coût d'achat de 32 051 $, il a tout de même permis que soit diminué d'autant pour 1993 le montant imposable de l'indemnité. Le solde de l'indemnité, soit 29 511 $, a été considéré, lors de l'établissement de la cotisation, comme un revenu d'entreprise. Selon le vérificateur du ministre, cela représentait l'équivalent en argent d'une récolte de pommes pour une année.

[4] Le ministre a aussi refusé comme dépense courante le coût d'achat des nouveaux arbres (1 460 en 1994 et 1 400 en 1995) que monsieur Archambault a plantés au cours des années 1994 et 1995 pour remplacer ceux qui avaient été détruits par le gel. Par contre, il n'a pas refusé le coût des pommiers achetés pour remplacer des pommiers situés dans d'autres vergers, qui n'avaient pas été entièrement détruits par le gel. Selon la politique administrative du ministre, le coût d'achat de pommiers acquis pour établir un nouveau verger représente une dépense en immobilisation non amortissable qui est ajoutée au coût de la terre alors que le coût de remplacement des pommiers d'un verger déjà existant représente une dépense de nature courante. Ici, parce que tous les pommiers du verger Papineau avaient été détruits, le ministre a considéré que ce verger était disparu et que les nouveaux pommiers acquis en 1994 et 1995 pour y être plantés avaient été ainsi acquis pour établir un nouveau verger.

[5] Monsieur Archambault soutient que le coût d'achat de tous ses pommiers représente une dépense courante engagée dans l'exploitation de son entreprise. Subsidiairement, il prétend que si la Cour en venait à la conclusion que le coût des pommiers constitue une dépense en immobilisation, le montant de l'indemnité devrait aussi être traité comme un paiement de capital et être exclu de son revenu.

[6] Les appels de monsieur Archambault — qui visent les années d'imposition 1992 à 1995 (années pertinentes) — soulèvent aussi un autre point litigieux. Certains des travailleurs qu'il a engagés pour effectuer la taille de ses pommiers et la cueillette de ses pommes ont refusé d'être payés par chèque et de fournir leur nom, adresse et numéro d'assurance sociale. Le ministre a refusé la déduction de la rémunération versée à ces travailleurs parce que monsieur Archambault avait été incapable de fournir des pièces suffisantes pour justifier ces dépenses. Voici un tableau faisant état des montants de salaire dont la déduction a été réclamée par monsieur Archambault, de ceux qui ont été admis comme des dépenses et de ceux qui ont été refusés :

Dépenses de salaire réclamées pour la cueillette de pommes et la taille des arbres

Dépenses admises par le Ministre

Dépenses refusées par le Ministre

Pourcentage des salaires refusés par rapport aux montants réclamés

1992

71 853

44 104

27 749

39%

1993

60 969

53 865

7 284

12%

1994

18 656

6 203

12 453

67%

1995

44 603

24 087

20 516

46%

Total :

196 081

128 259

68 002

35%

[7] De plus, le ministre a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) relativement aux dépenses de salaire qu'il a refusées pour chacune des années pertinentes.

Faits

[8] Monsieur Archambault travaille dans le domaine des pommes depuis l'âge de douze ans. Depuis environ une trentaine d'années, il exploite une entreprise d'achat et de vente de pommes.

[9] Durant les années pertinentes, monsieur Archambault exploite deux entreprises : l'une est le commerce des pommes, sous la raison sociale de “ René Archambault, pomiculteur ” (entreprise commerciale), l'autre la culture des pommes, sous la raison sociale de “ Les Vergers René Archambault Enr. ” (entreprise agricole). Chaque entreprise possède son propre compte bancaire et des états financiers distincts sont établis pour chacune d'elles.

[10] Fait surprenant, les pommiers des vergers qui appartiennent à monsieur Archambault apparaissent au bilan de l'entreprise commerciale et non de l'entreprise agricole. De plus, pour les fins comptables, le coût des 5 240 arbres acquis en 1992 pour le verger Papineau a été capitalisé et cette dépense est amortie sur une période de 10 ans. Pour les fins fiscales, le coût de ces arbres a été passé à la dépense. Selon le témoignage du comptable de monsieur Archambault, le coût des arbres qui ont été acquis en 1994 et 1995, y compris ceux pour remplacer les pommiers du verger Papineau, a été passé à la dépense pour les fins tant comptables que fiscales.

[11] C'est en 1991 que monsieur Archambault décide de se lancer dans l'exploitation de vergers de pommiers. Tout d'abord, il exploite des vergers loués. Mais il veut aussi exploiter des vergers qui lui appartiennent. Dans la même année, il passe à une pépinière une commande de 5 790 pommiers pour livraison en 1992. De ce nombre, 5 240 seront plantés dans le verger Papineau situé sur une terre acquise en 1990 et se trouvant à côté de la résidence de monsieur Archambault. Les autres 550 pommiers seront plantés dans ses autres vergers. Selon monsieur Archambault, la valeur d'une terre n'est pas augmentée par la présence d'un verger. À preuve, l'attitude des banquiers, qui tiennent davantage compte des récoltes.

[12] Deux jours avant la fin de la période d'admissibilité, monsieur Archambault s'inscrit auprès de la Régie des assurances agricoles du Québec (RAAQ) pour assurer les 5 240 nouveaux pommiers qu'il venait de planter chez lui. Dans le cadre du programme d'assurance-récolte pour les pommes, il existe trois catégories de couverture. Celle de la catégorie A vise les pommiers. Celle de la catégorie B porte sur la quantité et la qualité de la récolte de pommes de variétés tardives qui arrivent à maturité après la Wealthy (excepté la Fameuse). Celle de la catégorie C s'applique à la quantité de la récolte de pommes de variétés tardives qui arrivent à maturité après la Wealthy.

[13] Monsieur Archambault a choisi la couverture de catégorie A seulement puisque ses nouveaux pommiers ne pouvaient produire de pommes avant quatre ou cinq ans. Comme la RAAQ n'assure que des arbres qui sont en bonne santé au moment de l'inscription, le nombre d'arbres admissibles au programme d'assurance-récolte s'élève à 4 882 arbres, dont seulement 97 % peuvent être assurés. Le montant de la cotisation dépend de la valeur unitaire choisie par le cultivateur. Monsieur Archambault a choisi une valeur de 13 $ l'arbre.

[14] Au cours de l'hiver 1992-1993, monsieur Archambault a perdu la totalité de ses 5 240 pommiers du verger Papineau en raison du gel. La RAAQ a indemnisé monsieur Archambault pour la perte de ses pommiers et lui a remis une somme de 61 562 $ (13 x 97 % x 4 882). Le chèque émis par la RAAQ le 1er décembre 1993 fut déposé par monsieur Archambault dans son compte bancaire le 6 décembre 1993.

[15] La RAAQ a refusé d'assurer à nouveau le verger Papineau de peur que sa terre ne soit pas propice à la pomiculture. Monsieur Archambault a donc décidé de ne pas replanter dans la même année tous les pommiers qu'il avait perdus en 1993. Il voulait s'assurer d'abord que sa terre était propice à la pomiculture. Il a plutôt procédé de façon graduelle; la plantation s'est échelonnée sur la période de 1994 à 1998. Ainsi, selon monsieur Archambault, 1 503 pommiers ont été plantés en 1994 et 1 215 en 1995.

[16] Monsieur Archambault estime le nombre de pommiers dans les différents vergers qu'il possède ou qu'il loue à environ 20 000 durant la période de 1991 à 1993. Par suite de l'acquisition du verger d'un monsieur Breton en décembre 1993, le nombre atteint environ 40 000/45 000 pommiers, répartis entre huit vergers.

[17] Au début, ses vergers sont constitués en grande partie de pommiers de grandeur standard, à savoir des pommiers dont la hauteur, ainsi que le diamètre du houppier, est de 25 pieds. Ces arbres ont une longévité de 50 ans. Un escabeau est nécessaire pour les tailler ainsi que pour la cueillette des pommes. Ceci rend le travail plus ardu et plus long, ce qui comporte des coûts d'entretien et de cueillette accrus. De plus, ces arbres produisent un pourcentage plus élevé de pommes de moins bonne qualité que des pommiers semi-nains ou nains.

[18] Les semi-nains atteignent une hauteur de treize ou quatorze pieds, le diamètre du houppier étant d'environ dix pieds. Les nains ont environ sept ou huit pieds de hauteur et un houppier d'un diamètre d'environ quatre pieds. La longévité des semi-nains et des nains est de 25 ans. Monsieur Archambault a donc décidé qu'il serait plus rentable de remplacer ses pommiers standard par des pommiers semi-nains ou nains. Il a estimé posséder en 1992 environ 50 % de pommiers standard et 50 % de semi-nains et de nains. En 1994 et 1995, la majorité de ses arbres était constituée de semi-nains et de nains. Monsieur Archambault a dit avoir remplacé ses derniers pommiers standard en 1998.

[19] Une étude du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation estime le taux de remplacement d'un verger à 4% annuellement lorsqu'il s'agit de semi-nains et de nains et à 2% lorsqu'il s'agit de pommiers standard. Toujours selon cette étude, le besoin de remplacement dans un verger est fonction d'une part de la longévité des arbres et d'autre part de la mortalité liée aux causes climatiques. Le besoin de remplacement lié à cette dernière cause est estimé à 1% par année. Selon monsieur Archambault, son taux de remplacement s'élèverait à entre 6% et 10%.

[20] Dans son entreprise commerciale, monsieur Archambault embauche jusqu'à 15 ou 20 personnes pour procéder au tri, à l'emballage et à la livraison des pommes. Ce travail se fait tout au long de l'année parce que monsieur Archambault possède des entrepôts où il peut conserver des pommes toute l'année. De plus, il achète des pommes à d'autres pomiculteurs. Un registre des salaires fournit les renseignements pertinents, y compris le nom de chacun des employés, les sommes qui leur ont été versées, de même que les montants déduits à la source. Le ministre a admis en totalité comme dépenses de salaire les sommes déduites par monsieur Archambault à l'égard de ces employés. Parmi ceux dont le nom apparaît dans le registre, on retrouve des employés de verger qui travaillent pour les deux entreprises de monsieur Archambault. Deux hommes de verger sont généralement employés par monsieur Archambault durant toute l'année et travaillent à l'entretien du verger, ce qui comprend la plantation et la taille des arbres. Le montant de leur salaire n'apparaît que dans les états financiers de l'entreprise commerciale.

[21] La taille des pommiers s'effectue de façon générale à partir de la fin du mois de février, quand il fait beau, mais plus souvent à compter du mois de mars. Le travail s'effectue jusqu'au moment du dégel, soit au cours du mois d'avril. Alors commence le travail de plantation de nouveaux arbres qui doit s'achever avant le mois de juin. Un pommier planté par la suite risque de ne pas survivre à un hiver rigoureux. De plus, au printemps et durant l'été, il faut entretenir le verger, c'est-à-dire faire l'arrosage, donner de l'engrais, faire le fauchage de l'herbe. Quant à la cueillette des pommes, elle s'échelonne sur deux ou trois semaines : elle débute de façon générale à la mi-septembre et peut se terminer à la mi-octobre.

[22] Pour effectuer la taille et la plantation des pommiers de même que la cueillette des pommes, monsieur Archambault engage du personnel d'appoint. Parmi ce personnel, on retrouve des personnes qui reçoivent des prestations d'assurance-emploi ou d'aide sociale. Toutefois, beaucoup de ces personnes refusent de fournir leur nom et numéro d'assurance sociale et insistent pour être payées comptant. De plus, monsieur Archambault a indiqué qu'il était plus difficile d'engager des cueilleurs pour les pommiers standard. Pour cueillir les pommes de ces arbres, il est essentiel de monter sur un escabeau, ce qui rend le travail plus ardu et plus dangereux. Monsieur Archambault affirme avoir cessé d'utiliser du personnel d'appoint pour la taille de ses pommiers à compter de 1995. Depuis, il n'a recours qu'aux services de ses hommes de verger.

[23] Monsieur Archambault a expliqué comme suit d'où venait l'argent pour payer ses tailleurs[1] de pommiers et ses cueilleurs de pommes. Il a affirmé qu'il possède une petite caisse dans laquelle il garde toujours un minimum de 20 000 $. Il a dit utiliser cette petite caisse uniquement pour payer la rémunération des tailleurs de pommiers et des cueilleurs de pommes. À l'occasion toutefois, il peut acquitter certaines autres dépenses de ses entreprises pour lesquelles il possède une facture appropriée. Dans ces cas, il se fait rembourser à même le compte de banque de l'entreprise concernée.

[24] Pour renflouer sa petite caisse à la suite du paiement au comptant de la rémunération des tailleurs et des cueilleurs, monsieur Archambault demande à sa bru, responsable du secrétariat et de la trésorerie de ses entreprises, d'émettre un chèque payable à “ caisse ” qu'il endosse généralement. Toutefois, monsieur Archambault n'a pas toujours dans les comptes bancaires de l'une ou l'autre de ses entreprises les fonds nécessaires pour rembourser cette petite caisse. Monsieur Archambault a expliqué que sa marge de crédit est au plus bas lorsqu'arrive le moment de la cueillette des pommes. Parfois, il doit emprunter une somme additionnelle de 50 000 $ pour pouvoir rémunérer ses cueilleurs. Selon lui, les entrées de fonds débutent en février/mars.

[25] C'est pour cette raison qu'en 1992 une série de chèques en date du 31 décembre sont émis payables à “ caisse ” mais ne sont encaissés que plusieurs semaines ou mois plus tard, et certains seulement au mois de juillet 1993. Il ressort du témoignage de monsieur Archambault que toutes les sommes versées en argent comptant aux tailleurs et aux cueilleurs proviennent de cette petite caisse et qu'il s'assure de renflouer cette caisse pour être en mesure d'acquitter les sommes dues aux cueilleurs et aux tailleurs.

[26] L'un des motifs de l'émission d'une série de neuf chèques datés du 31 décembre 1992 (totalisant 25 909 $) était de constituer des pièces justificatives afin de pouvoir déduire ce montant de rémunération en 1992. Comme cultivateur, monsieur Archambault peut calculer ses revenus agricoles selon la méthode de la comptabilité de caisse. Lorsque ses comptables lui expliquent qu'il n'est pas nécessaire d'émettre une série de chèques en date du 31 décembre, cette pratique cesse dans les années subséquentes. Les chèques sont alors encaissés presque aussitôt qu'ils sont émis; à l'exception d'un chèque émis en novembre 1993, les chèques sont maintenant émis durant des périodes correspondant aux périodes de taille ou de cueillette.

[27] Lors de l'audience monsieur Archambault a produit des boîtes contenant des livrets de coupons sur lesquels on retrouve le nom des cueilleurs. Monsieur Archambault a décrit ainsi le système suivi par son entreprise pour rémunérer les cueilleurs et contrôler leur travail. Il faut d'abord mentionner que les cueilleurs sont rémunérés en fonction des pommes cueillies. Les cueilleurs reçoivent 20 $ par caisse de 18 minots de pommes cueillies sur des pommiers standard et 18 $ par caisse pour les pommes cueillies sur des pommiers semi-nains ou nains.

[28] La personne responsable de la supervision du travail des cueilleurs, soit, de façon générale, l'épouse de monsieur Archambault, utilise des coupons pour contrôler la quantité et la qualité des pommes cueillies par ces cueilleurs. Le superviseur a à sa disposition des livrets de coupons numérotés composés de trois parties. Chacune des trois parties fournit les renseignements suivants : un numéro identique à celui des deux autres parties, le nom du verger, le nom du cueilleur de même que la date de la cueillette. L'une des parties est remise au cueilleur, la deuxième est apposée sur la caisse de pommes par le superviseur et la troisième est conservée dans le livret par le superviseur.

[29] À la fin de la journée, le cueilleur reçoit les 18 $ ou 20 $ pour chaque coupon qu'il remet au superviseur ou un crédit équivalent s'il n'est pas payé à tous les jours. Le superviseur doit s'assurer alors que l'on retrouve dans la cour ou l'entrepôt où on a transporté les caisses un nombre de caisses égal au nombre de coupons remis par les cueilleurs.

[30] De plus, ce système permet de contrôler la qualité des pommes cueillies. Si au cours du tri, on remarque qu'une certaine caisse contient des pommes de mauvaise qualité, on peut soit en avertir le cueilleur ou faire en sorte qu'il ne soit pas engagé à nouveau.

[31] Dans la boîte produite comme pièce A-5, on retrouve 1 314 coupons pour l'année 1992, ce qui correspond à 1 314 caisses. Si l'on adopte un coût moyen de 19 $ par caisse, cela représente une dépense de salaire totale de 24 966 $. Selon monsieur Archambault, cette boîte devait contenir à peu près tous les coupons pour cette année-là. En examinant la pièce I-1, à l'onglet 18 (liste des paiements que le ministre a reconnus comme des dépenses de salaire admissibles et ceux qu'il a refusés), force est de constater que monsieur Archambault se trompe. Ce document fournit la liste de tous les chèques remis à des personnes dont on pouvait déterminer l'identité. Pour la période du 16 janvier 1992 au 17 octobre 1992, le ministre calcule que les versements totalisent 43 500 $. Si on ne retient que les versements faits entre le 1er septembre et le 17 octobre comme représentant la rémunération versée aux cueilleurs, on arrive à un montant de 40 871 $, soit un montant bien supérieur à 24 966 $.

[32] Pour l'année 1993, aucun livret de coupons n'a été produit en preuve. Pour les années 1994 et 1995, il semble que seulement une partie des coupons a été produite puisque j'en ai compté 14 pour l'année 1994 et 26 pour l'année 1995. Monsieur Archambault a indiqué qu'il avait été incapable de trouver les autres livrets pour les années 1993 à 1995. Il croyait que ces livrets avaient dû être jetés ou détruits.

[33] Au cours des années pertinentes, pour trouver la main-d'oeuvre nécessaire pour cueillir ses pommes, monsieur Archambault a dit avoir été obligé d'accepter les modes de paiement au comptant ou par chèque payable à caisse. S'il ne les avait pas acceptés, les cueilleurs seraient allés chez ses voisins pomiculteurs, qui acceptent généralement ces modes de paiement. Il prétend qu'il aurait alors perdu sa récolte de pommes, qui doivent être cueillies pendant une période de deux ou trois semaines. Les pommes tombées des arbres n'ont aucune valeur économique.

[34] À la suite de la vérification du ministre, monsieur Archambault a indiqué qu'il avait diminué considérablement, sinon éliminé en totalité, les paiements au comptant. Il paie maintenant par chèque tout son personnel d'appoint. Il a par contre ajouté qu'il ne pouvait être certain si le nom de la personne apparaissant sur ses chèques de paie était véritablement celui de la personne qui avait rendu des services. Il a indiqué aussi que ces personnes pouvaient facilement encaisser leurs chèques dans les épiceries.

[35] Un certain nombre de cueilleurs acceptent toutefois de fournir leur nom; alors dans ces cas, le chèque est libellé à leur nom. Certaines personnes insistent pour obtenir un chèque payable à “ caisse ”. Lorsque le ministre a pu constater l'existence d'un endossement par des personnes autres que la famille de monsieur Archambault, le ministre a admis la déduction du montant de la rémunération versée à ces personnes. Toutefois, lorsque les chèques étaient payables à “ caisse ” et qu'ils avaient été endossés soit par monsieur Archambault ou par des membres de sa famille, notamment son épouse ou sa bru, le ministre a refusé la déduction de ces sommes. Selon le ministre, le contribuable n'avait pas fourni des pièces justificatives suffisantes pour justifier la déduction du montant de la rémunération versée aux travailleurs en question.

[36] Lors de l'audience, monsieur Archambault a aussi produit un petit livre brun dans lequel sont consignés certains renseignements relatifs à la rémunération versée comptant aux tailleurs des pommiers. La taille des pommiers exige un personnel d'appoint pour une courte période : il est difficile de recruter ce personnel. Certains de ces travailleurs reçoivent des prestations d'assurance-emploi. D'autres ont déjà un travail et ne sont disponibles que pendant trois jours par semaine. Pas plus que les livrets de coupons, ce livre n'a été fourni au vérificateur du ministre.

[37] Selon monsieur Archambault, à chaque fois qu'il rémunère ses tailleurs, il en informe sa bru, qui indique le montant dans le livre brun. De plus, lorsqu'il a besoin de renflouer sa caisse, il fait établir par sa bru un chèque payable à “ caisse ”. Ce petit livre brun ne contient pas les noms des personnes à qui cette rémunération aurait été versée ni les dates de paiement pour les années 1992, 1993 et 1994. Il ne fournit que le genre suivant de renseignements : “ taille — argent — 520 $ ”. Par contre, pour les mêmes années, on y retrouve des renseignements — le numéro du chèque, sa date et son montant — concernant des chèques qui auraient été émis pour renflouer la petite caisse.

[38] Les deux tableaux qui suivent fournissent un résumé des données contenues dans le livre brun. Le premier montre le total des montants que monsieur Archambault aurait déboursés, et le deuxième, le total des remboursements à la petite caisse :

Tableau des dépenses

Taille

Plantation

Entretien et cueillette

Total

1992

13 409

11 000

2 500

26 909

1993

21 023

21 023

1994

16 286

16 286

1995

Total

50 718

11 000

2 500

64 218

Tableau des remboursements

Montant

déboursé

Montant remboursé

Montant non remboursé

1992

26 909

26 909

     0

1993

21 023

7 000

14 023

1994

16 286

12 453

3 833

1995

[39] Selon monsieur Archambault, tous les salaires dont il a réclamé la déduction à l'égard de son personnel d'appoint pour la taille et la cueillette apparaissent dans l'état des résultats de l'entreprise agricole. Toutefois, il n'existe aucun registre des salaires analogue à celui utilisé dans l'entreprise commerciale. Monsieur Archambault affirme qu'aucun des employés impliqués dans l'emballage des pommes n'a travaillé comme cueilleur durant la période de cueillette. Selon lui, ils étaient trop occupés à effectuer le tri et l'emballage des pommes. Pour eux, il s'agit d'une période de travail très active. De plus, monsieur Archambault a confirmé qu'aucun des salaires versés aux cueilleurs et aux tailleurs d'appoint ne se retrouve dans les registres de paye de l'entreprise commerciale.

[40] La bru de monsieur Archambault a aussi témoigné lors de l'audience et a confirmé que la rémunération versée aux tailleurs et aux cueilleurs d'appoint se retrouve aux états financiers de l'entreprise agricole et que le montant apparaissant sous la rubrique “ salaires et charges sociales ” comprenait la cotisation de l'entreprise agricole à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) à l'égard de la rémunération versée à ces tailleurs et cueilleurs d'appoint.

[41] Avant de terminer cet exposé, ajoutons que monsieur Archambault a affirmé ne pas avoir utilisé l'argent de la petite caisse pour assurer sa propre subsistance. Certaines de ses dépenses personnelles — taxes foncières, paiements sur sa voiture — sont payées à même le compte bancaire de ses entreprises. Ces dépenses ne sont pas déduites dans le calcul de son revenu d'entreprise. Elles sont plutôt indiquées comme des retraits dans son compte d'avoir du propriétaire.

Analyse

La rémunération payée au noir

[42] Le ministre a refusé en partie la déduction des salaires réclamée par monsieur Archambault dans le calcul de son revenu tiré de l'entreprise agricole. Il s'agit essentiellement de la rémunération versée aux tailleurs de pommiers et aux cueilleurs de pommes, à l'égard de laquelle le ministre n'a pu obtenir de pièces justificatives suffisantes.

[43] Il faut rappeler que le ministre a admis comme dépense la rémunération payée à ces personnes même si la seule pièce justificative était un chèque payable à “ caisse ”, pourvu qu'il y ait un endossement d'une personne autre qu'un membre de la famille de monsieur Archambault, et même s'il n'y avait aucun registre des salaires. Les dépenses qui ont été refusées représentent celles pour lesquelles le contribuable n'a fourni aucune pièce justificative autre que les chèques payables à “ caisse ” et endossés par monsieur Archambault ou des membres de sa famille.

[44] L'article 230 de la Loi oblige un contribuable qui exploite une entreprise à conserver des registres. Toutefois, le défaut de se conformer à cette disposition ne signifie pas nécessairement qu'un contribuable sera incapable de faire la preuve de ses dépenses. Le juge en chef adjoint Christie a très bien résumé l'état du droit sur cette question dans l'affaire Kay c. Canada, [1994] A.C.I. no 487, para. 9 :

Il y aurait peut-être lieu de traiter ici des registres et livres de comptes des contribuables. En vertu du pararaphe 230(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé de payer des impôts doit tenir des registres et des livres de comptes dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d'établir le montant des impôts payables en vertu de la loi. Le fait de ne pas s'être conformé aux dispositions de ce paragraphe n'entraîne pas en soi le rejet d'un appel interjeté à l'encontre d'une nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu. Toutefois, cela peut nuire à l'appelant par rapport à la charge qu'il a de prouver selon la prépondérance des probabilités que la nouvelle cotisation est erronée. Cette question a récemment été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sidhu v. M.N.R., 93 D.T.C. 5453. En rendant la décision de la Cour d'appel fédérale, le juge Mahoney a déclaré aux pages 5454-5455 :

"L'obligation énoncée au paragraphe 230(1) peut certainement être qualifiée d'absolue, mais son inobservation a pour conséquence de rendre le contrevenant passible d'une condamnation en vertu du paragraphe 238(2), non pas d'entraîner nécessairement la conclusion que les opérations qui auraient dû être comptabilisées ne se sont pas produites. L'omission de comptabiliser les opérations jouera inévitablement contre le contribuable qui cherche à s'acquitter du fardeau d'établir qu'elles ont eu lieu, mais en de telles circonstances, le juge du procès a pour tâche d'établir, selon la prépondérance des probabilités eu égard à toute la preuve et à sa crédibilité, si oui ou non elles ont eu lieu en tout ou en partie. La façon de procéder est ainsi décrite par le juge Strayer, dans la décision Schwartz c. R., 87 D.T.C. 5274, à la p. 5275.

"La loi oblige le contribuable à prouver l'erreur entachant la nouvelle cotisation du ministre, parce qu'il est en meilleure position pour établir ce qui a réellement eu lieu, s'il choisit de le faire et s'il le peut. Malheureusement, le demandeur n'était pas disposé à préciser, de quelque façon que ce soit, les achats qu'il a effectués, ni ne peut le faire. À maintes reprises, il a confirmé que les montants fournis par son comptable quant à ses achats totaux étaient exacts. S'il avait tenté de confirmer ces montants, et si son témoignage oral avait semblé disponible et crédible, une décision en sa faveur aurait pu être rendue même en l'absence de pièces justificatives, de quittances ou de tout autre document écrit. Malheureusement, aucune de ces exigences n'a été remplie."

[45] Le juge Bowman tient des propos similaires dans l'affaire Neeb c. Canada, [1997] A.C.I. no 13, para. 39 :

Je ne crois pas que la preuve soit suffisamment digne de foi pour me permettre de conclure que le montant du revenu réalisé par l'appelant devrait être abaissé. En outre, comme je l'ai déclaré ci-dessus, la contestation de la cotisation est de prime abord fondée sur le montant établi par le ministre, l’appelant tentant ensuite de déduire certains montants à titre de dépenses et de pertes. La personne qui ne produit pas de déclarations de revenus, qui ne tient pas de dossiers ou qui, afin d'éviter qu'on la découvre, détruit les documents rudimentaires qu'elle peut avoir en sa possession après qu'ils ont servi à la fin visée, fait face à une tâche formidable lorsqu'il s'agit de contester une cotisation du genre ici en cause. La Loi exige que le contribuable tienne des dossiers à l'égard de l'entreprise qu'il exploite. L'omission de le faire n'empêche pas d'une façon absolue d'effectuer des déductions si les dépenses peuvent par ailleurs être prouvées (Weinberger v. M.N.R., 64 D.T.C. 5060), mais la personne qui se met délibérément dans une situation où elle ne peut établir quel est son revenu est l'artisan de son propre malheur.

[46] Ici, monsieur Archambault a accepté de payer au noir des sommes à des travailleurs qui, de façon évidente, ne désiraient pas laisser de trace de la rémunération qu'ils recevaient pour leurs services. Monsieur Archambault invoque l'argument de la nécessité pour expliquer sa conduite. Selon lui, il aurait été difficile sinon impossible, s'il avait agi autrement, d'engager le personnel d'appoint qu'il fallait pour effectuer la cueillette des pommes.

[47] Je n'ai pas de difficulté à accepter que monsieur Archambault ait pu être placé dans une telle situation. Il est bien connu qu'il existe une économie souterraine florissante au Canada. Plusieurs personnes, dont le vérificateur général du Canada, ont fourni des estimations de l'ampleur du phénomène. Cette situation est tout à fait injuste pour les contribuables canadiens qui déclarent leurs revenus et paient leurs impôts.

[48] Je peux comprendre que certaines personnes comme monsieur Archambault peuvent être dans les faits obligés de participer à une telle économie souterraine principalement pour des raisons de concurrence et à cause de la nécessité de trouver le personnel requis pour effectuer le travail qu'il y a à faire. Toutefois, en acceptant de participer à une telle activité, un contribuable risque d'être incapable de justifier des dépenses engagées relativement à celle-ci. Ceci est particulièrement vrai lorsqu'un contribuable ne tient aucun registre où sont notés le nom des travailleurs ainsi que le montant, la date et la nature de chacun des paiements.

[49] Pour réussir dans sa tâche en matière de preuve, un contribuable doit être en mesure non seulement de démontrer qu'une dépense a été engagée dans le but de produire un revenu mais aussi de déterminer dans quelle année cette dépense a été engagée si le contribuable en question utilise une comptabilité d'exercice, ou dans quelle année la dépense a été faite si, comme ici, il s'agit d'un contribuable qui utilise une comptabilité de caisse.

[50] De plus, il est important de rappeler que ce qui fait l'objet d'un appel est le montant d'impôt fixé par la cotisation. Ce montant dépend en partie du montant des revenus nets réalisés par le contribuable, montant qui, lui, dépend des recettes obtenues et des débours effectués pour gagner ce revenu. Si un contribuable utilise des revenus non déclarés pour verser une rémunération au noir, le montant du revenu net du contribuable n'est pas modifié et il n'y a pas lieu de modifier la cotisation d'impôt.

[51] Selon monsieur Archambault, les éléments de preuve qui appuient ses prétentions sont les suivants. D'abord, les montants de salaire refusés par le ministre totalisent 68 002 $. Comme preuve qu'il a déboursé ces montants, monsieur Archambault a produit 25 chèques dont le total s'élève à 68 002 $. Tous ces chèques sont payables à “ caisse ” et sont endossés soit par lui ou par sa bru (le plus souvent par les deux). Selon monsieur Archambault, ces chèques visaient à renflouer sa petite caisse qui a servi à payer ses dépenses au titre du travail au noir. Il affirme de plus ne pas avoir utilisé cet argent pour des fins personnelles, et ses états financiers refléteraient toutes ses ventes.

[52] Aussi, il y a le livre brun qui contient une liste des paiements faits par monsieur Archambault pour rémunérer son personnel d'appoint pour la taille des pommiers, pour la plantation des arbres de même que pour l'entretien et la cueillette. Il y a en outre les coupons remis aux cueilleurs, coupons qui, pour l'année 1992, auraient été produits au complet.

[53] En plus des coupons et du livre brun, il y a le fait que monsieur Archambault a versé à la CSST des sommes variant entre 1 433 $ et 6 144 $, ce qui confirmerait que les montants qu'il a déduits comme salaires représentent effectivement des salaires. Pourquoi aurait-il cotisé à la CSST si l'argent avait été utilisé à des fins personnelles?

[54] Finalement, le procureur de monsieur Archambault fait remarquer que la vérification des comptes personnels de monsieur Archambault ne révèle pas d'anomalie dans les dépôts ni dans les sorties de fonds. À part les registres pour le personnel d'appoint utilisé dans l'entreprise agricole, tous les autres registres comptables du contribuable sont adéquats et, à l'exception du problème soulevé ici, le dossier fiscal de monsieur Archambault est irréprochable.

[55] Voilà pour la position de monsieur Archambault. La preuve faite devant moi appuie-t-elle ses prétentions? Lorsqu'on étudie de plus près la preuve fournie par monsieur Archambault, la situation est loin d'être aussi claire qu'il la décrit. Il existe plusieurs incohérences dans son exposé des faits et certains de ces faits me laissent perplexe.

[56] Tout d'abord, il y a le fait que monsieur Archambault ne semble pas avoir déduit en 1993 et 1994 toutes ses dépenses de salaire pour la taille de ses arbres. Il semble s'être limité aux dépenses pour lesquelles sa petite caisse aurait obtenu un remboursement. À la pièce I-1, onglet 19, on retrouve une feuille de travail du vérificateur qui répertorie presque tous les montants déduits en 1993 comme salaires, soit 60 968,83 $ sur 61 674,33 $. Sur cette somme de 60 968,83 $, le vérificateur a refusé trois montants totalisant 7 284 $. À l'exception d'un montant de 66 $ se rapportant au 7 janvier 1993, tous les montants se rapportent à une période allant du 6 mai 1993 au 30 décembre 1993. Il n'y a pas d'indication que les frais de taille mentionnés dans le livre brun et totalisant 21 023 $ ont été déduits par monsieur Archambault, sauf en ce qui concerne une somme de 7 000 $. Pour l'année 1994, la situation est essentiellement similaire (voir pièce I-1, onglet 20).

[57] Si l'on se fie aux données fournies par le livre brun, monsieur Archambault aurait engagé des dépenses plus élevées que celles dont il réclame la déduction : 14 023 $ pour 1993 et 3 833 $ pour 1994[2]. Pourquoi ne pas avoir réclamé ces dépenses? Selon les données du livre brun et le témoignage de monsieur Archambault, ces sommes auraient été déboursées, à même l'argent de la petite caisse, pour les tailleurs. Je ne me souviens pas que monsieur Archambault ait fourni quelque explication à ce sujet.

[58] L'analyse de la preuve présentée par monsieur Archambault révèle un autre fait surprenant. Lors de son témoignage, monsieur Archambault a insisté sur le fait que les sommes qui ont été refusées se rapportaient aux dépenses de cueillette. Une grande partie de son témoignage a porté sur la description de la cueillette des pommes et de la difficulté d'engager du personnel d'appoint pour la cueillette. Or, la preuve révèle que les dépenses refusées pour les trois premières années en litige se rapportent presque toutes aux frais de taille. Ce n'est que pour la dernière année en litige que les dépenses refusées se rapportent de façon importante à des frais de cueillette des pommes.

[59] À l'exception de l'année 1992, toutes les activités décrites dans le livre brun se limitent à la taille des arbres. Pour l'année 1992, les dépenses, dont le total s'élève à 26 909 $, se rapportent toutes à la taille des pommiers sauf une somme de 11 000 $ pour la plantation des pommiers et une somme de 2 500 $ pour “ entretien et cueillette ”. En 1992, le ministre a refusé comme dépense déductible la somme de 27 749 $, dont 26 909 $ de dépenses qui sont décrites dans le livre brun. Donc, pour cette année, seulement 840 $ (27 749 - 26 909) et une partie des 2 500 $ pour “ entretien et cueillette ” pourraient avoir trait à la rémunération des cueilleurs. Le reste des dépenses pour les années 1992 et toutes celles de 1993 et 1994 ont trait à des frais de taille.

[60] L'année 1995 est la seule pour laquelle le ministre a refusé une dépense importante pour la rémunération des cueilleurs : il s'agit d'une somme de 20 516 $. Monsieur Archambault a indiqué qu'à compter de 1995 il n'avait pas engagé du personnel d'appoint pour effectuer la taille de ses pommiers et qu'il utilisait plutôt ses hommes de verger. Ceci expliquerait pourquoi on ne retrouve pas dans le livre brun d'indications concernant les frais de taille pour 1995. Or, cette version des faits ne correspond pas tout à fait à la réalité. Parmi les chèques payables à “ caisse ” dont la déduction comme dépenses a été refusée par le ministre pour l'année 1995, on en retrouve deux portant la mention “ pour taille ” : l'un de 1 840 $ et l'autre de 2 522 $. De plus, un chèque de 3 000 $ porte la mention “ pour prêt ”, ce qui représente clairement une dépense non déductible.

[61] Il est important de noter que monsieur Archambault a adopté la même attitude dans ses discussions avec le vérificateur d'impôt, à savoir que les dépenses payées à “ caisse ” semblaient davantage se rapporter à des dépenses pour cueilleurs de pommes que pour tailleurs de pommiers.

[62] Une autre explication fournie par monsieur Archambault pose problème. Il s'agit de celle relative au financement de ses dépenses. Selon lui, sa petite caisse aurait entièrement financé les paiements au comptant à ses tailleurs et à ses cueilleurs. Or, une analyse des flux monétaires en fonction des périodes de taille, de plantation et de cueillette révèle que la petite caisse était déficitaire pendant une longue période durant les années pertinentes, et ce, même si on présume que la petite caisse était entièrement renflouée au début de janvier 1992.

[63] Au tableau ci-dessous, on retrouvera l'évolution des flux monétaires de la petite caisse de monsieur Archambault selon deux hypothèses différentes : d'abord celle selon laquelle le solde d'ouverture de la petite caisse en 1992 s'élève à 20 000 $ et ensuite celle selon laquelle ce solde à cette date est nul. La première hypothèse est fondée sur l'affirmation de monsieur Archambault que sa petite caisse était toujours maintenue à 20 000 $. Comme on pourra le constater, cette affirmation de monsieur Archambault n'est pas juste.

[64] Dans ce tableau, les dépenses ont été réparties en fonction des saisons au cours desquelles on pouvait s'attendre à ce qu'elles soient engagées et les remboursements sont indiqués pour les périodes correspondant à l'encaissement des chèques. Il y a lieu d'ajouter que les remboursements effectués en 1995 ne sont pas inscrits au livre brun. J'ai quand même présumé que les chèques de remboursement (à l'exception du chèque avec la mention “ pour prêt ”) avaient été utilisés pour renflouer la petite caisse.

Flux monétaires de la petite caisse selon les dépenses[3]

Activité

Date

(Dépense) ou

rembourse-

ment

Solde

(solde déficitaire)

Solde

(solde déficitaire)

1992

Hypo. 1

Hypo 2

Solde d'ouverture

Janvier 1992

20 000

0

Taille

Février-avril 1992

-13 409

6 591

-13 409

Plantation

Mai à juin 1992

-11 000

- 4 409

- 24 409

Cueillette

Juillet-oct. 1992

- 3 340

Remboursement

Octobre 1992

840

- 6 909

-26 909

Remboursement

Novembre 1992

1 000

- 5 909

-25 909

1993

Remboursement

Janvier 1993

2 000

- 3 909

-23 909

Taille

Février-avril 1993

-21 023

Remboursement

Février-avril 1993

12 209

- 12 723

-32 723

Remboursement

Mai à août 1993

11 984

- 740

-20 740

Remboursement

Novembre 1993

7 000

6 261

-13 740

   

1994

Taille

Février-avril 1994

-16 286

Remboursement

Février-avril 1994

12 453

2 427

-17 573

1995

Remboursement

Avril-août 1995

4 362

6 789

-13 211

Cueillette

Sept. – oct. 1995

-17 516

Remboursement et solde final

Sept. – oct. 1995

13 154

2 427

-17 573

[65] L'analyse de ce tableau révèle — si on tient pour acquis que toutes les dépenses indiquées dans le livre brun ont été engagées et qu'on retrouve une somme de 20 000 $ dans la petite caisse en janvier 1992 — que la caisse de monsieur Archambault est devenue déficitaire au cours des mois de mai ou juin 1992, que monsieur Archambault était donc incapable de payer toutes les dépenses qui sont indiquées à partir de ce moment, et que la caisse est demeurée déficitaire jusqu'après la cueillette des pommes en octobre 1993.

[66] La question se pose alors de savoir comment auraient été financées les activités de taille et de cueillette durant cette période où la caisse était déficitaire? La preuve est silencieuse sur cette question. On peut s'interroger si une partie de ces dépenses aurait pu être payée à même des revenus non déclarés de monsieur Archambault. Évidemment, il ne s'agit là que de conjectures. Un fait demeure toutefois, l'analyse des flux monétaires ne permet pas de corroborer le témoignage de monsieur Archambault selon lequel sa petite caisse lui aurait permis de payer toutes les sommes versées au comptant.

[67] Je me dois de rappeler que j'ai d'abord tenu pour acquis qu'au début de la période pertinente, à savoir en janvier 1992, monsieur Archambault possédait une petite caisse, entièrement renflouée, de 20 000 $. Il s'agit là de l'hypothèse la plus favorable à monsieur Archambault. Or, il est loin d'être certain que cette hypothèse soit raisonnable. En effet, le livre brun fournit des données pour les années 1990 et 1991 comparables à celles pour les années 1992 à 1994. Ceci fait croire que monsieur Archambault utilisait aussi sa petite caisse pour effectuer des paiements au noir durant 1990 et 1991.

[68] Si la petite caisse était déficitaire au 31 décembre 1992 — comme le montre le tableau des flux monétaires, plus haut — même selon l'hypothèse la plus favorable, il devient tout aussi raisonnable d'adopter l'hypothèse selon laquelle le solde d'ouverture au 1er janvier 1992 était nul. Selon cette nouvelle hypothèse, monsieur Archambault n'aurait pas pu payer toute la rémunération qu'il prétend avoir versée puisque sa petite caisse serait devenue déficitaire dès la saison de taille de 1992 et le serait demeurée durant tout le reste des années pertinentes.

[69] La version des faits de monsieur Archambault souffre donc d'incohérence et cela en mine la crédibilité et fortifie aussi la thèse voulant que ces dépenses aient pu être financées à même des revenus de ventes non déclarés par monsieur Archambault.

[70] Le fait que monsieur Archambault ait contribué à la CSST ne me permet pas d'établir de façon concluante qu'il a versé tous les salaires qu'il cherche à déduire comme des dépenses admissibles. Tout d'abord, je n'ai pas tous les éléments de preuve qui me permettraient d'établir si les cotisations à la CSST correspondent à des salaires plus élevés que ceux que le ministre a reconnus comme des dépenses admissibles. De plus, même si c'était le cas, cela ne prouverait pas nécessairement que les dépenses refusées ont été faites par monsieur Archambault au cours des années d'imposition pour lesquelles il en a réclamé la déduction. De plus, le fait que le montant des salaires qui est en sus de celui que le ministre a reconnu ait pu avoir été financé par des revenus non déclarés vient empêcher monsieur Archambault d'établir que le montant d'impôt établi par le ministre dans la cotisation est erroné.

[71] Les incohérences dans la preuve fournie par monsieur Archambault illustrent bien qu'il est difficile à une personne de faire la preuve de ses dépenses lorsqu'elle a volontairement décidé de ne pas conserver de registre approprié de ces dépenses et qu'elle accepte de verser au noir la rémunération de son personnel d'appoint.

[72] Au bout du compte, la preuve fournie par monsieur Archambault n'a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que le ministre avait mal établi le montant de son revenu imposable et celui de son impôt. En acceptant de verser au noir la rémunération des tailleurs et des cueilleurs et en ne prenant pas soin de garder des registres détaillés concernant les sommes qu'il a versées, monsieur Archambault s'exposait à un risque très élevé de se voir refuser la déduction de ses dépenses. Il lui incombait une charge lourde et il a été incapable de s'en décharger. Je crois qu'il est juste d'affirmer ici que monsieur Archambault a été l'auteur de son propre malheur.

Coût de plantation

[73] Pour décider du traitement fiscal du coût des arbres que monsieur Archambault a achetés pour planter en 1992 dans le verger Papineau et du coût des arbres qu'il a acquis au cours des années 1994 et 1995 pour remplacer ceux
qui avaient été détruits par le gel en 1993, il est important de déterminer dans un premier temps la nature du bien dont il s'agit.

[74] Est-ce que les arbres, une fois qu'ils ont été plantés en terre, constituent des biens distincts ou plutôt des biens intégrés à la terre qui ont perdu tout caractère distinctif et dont le coût devrait être ajouté à celui de la terre? Dans ce dernier cas, les arbres pourraient être assimilés à la brique que l'on incorpore à un bâtiment et qui, une fois qu'elle y est incorporée, perd son individualité. Le bien que l'on possède par la suite n'est pas une brique mais plutôt un bâtiment. Ici, une fois que les pommiers ont été plantés, ont-ils perdu leur individualité de façon à ce qu'on puisse affirmer que, dès lors, monsieur Archambault ne possédait plus qu'une terre?

[75] À mon sens, les arbres qui sont plantés sur une terre ne perdent pas chacun leur individualité. D'abord, chaque arbre planté est capable de produire individuellement des revenus tout comme chaque voiture d'un parc de voitures possédé par une entreprise de location de voitures est capable de générer des revenus. À mon avis, les arbres sont aussi distincts que chacune des vidéocassettes qu'une entreprise possède à des fins de location. Chacune des vidéocassettes peut faire l'objet d'une location et produire un revenu pour le loueur.

[76] Le fait que l'arbre a besoin d'être planté dans la terre et qu'il se nourrisse d'éléments nutritifs tirés de la terre ne change pas cette réalité. Un fabricant de voitures doit posséder des appareils pour fabriquer des voitures. Plusieurs de ces appareils doivent être solidement fixés au plancher et au mur de l'atelier et fonctionnent grâce à l'électricité. Donc, le fait qu'un arbre soit planté, qu'il ait besoin d'éléments nutritifs tirés de la terre pour être productif ne le rend pas vraiment différent d'un appareil qui est attaché au bâtiment et qui a besoin d'électricité pour produire.

[77] En conclusion, je crois que chacun des arbres constitue un bien qui est distinct de la terre dans laquelle il est planté et qu'il n'est pas approprié d'ajouter le coût de chacun de ces biens à celui de la terre. Ce résultat m'apparaît tout à fait en harmonie avec le régime fiscal qui existe au Canada. En effet, il est intéressant de noter que parmi les biens amortissables qui sont décrits dans le Règlement de l'impôt sur le revenu (Règlement), on distingue entre un terrain et le bâtiment qui y est construit. Le fait d'avoir construit les fondations d'un bâtiment ne veut pas dire que ce bâtiment est assimilé au terrain où il se trouve. Un tel bien est visé à la catégorie 3 de l'annexe II du Règlement.

[78] Un chemin, un trottoir, une piste d'envol, un parc de stationnement, une aire de magasinage ou une semblable construction en surface sont aussi traités, à la catégorie 1 de l'annexe II, comme des biens qui sont distincts du terrain où on les retrouve. Même une clôture est traitée comme un bien distinct à la catégorie 5. Il n'y a donc rien de surprenant dans la conclusion qu'un arbre constitue un bien distinct du terrain où il est planté. D'ailleurs, aux articles 1702 et 1703 du Règlement on a pris soin de spécifier que non seulement un terrain mais aussi un arbre n'était pas un bien amortissable.

[79] Reste à déterminer la nature des arbres acquis par monsieur Archambault en 1992 de même qu'en 1994 et 1995. De façon plus précise, il faut déterminer si les arbres constituent des biens en immobilisation dont le coût d'achat serait assujetti à la prohibition énoncée à l'alinéa 18(1)b) de la Loi, qui dispose :

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

[...]

(b) une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie.

[80] Il n'y a pas de doute qu'en l'espèce la dépense a été engagée dans le but de tirer un revenu d'une entreprise et n'est pas assujettie à la restriction prévue à l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

[81] Ici, monsieur Archambault a acquis ses pommiers dans le but de produire des pommes pour la revente. Il ne s'agit pas d'arbres plantés pour être revendus, comme, par exemple, des sapins de Noël, qui alors feraient partie des stocks d'un contribuable. Ici, ce qui fait partie des stocks de monsieur Archambault sont les pommes qui sont produites par les pommiers et non pas les pommiers eux-mêmes.

[82] Les pommiers dont il est question ici ont une longévité qui est estimée à environ 25 ans. De plus, il faut attendre quatre ou cinq ans pour qu'un arbre nouvellement planté puisse produire. En fait, il faut attendre à la huitième année avant qu'un arbre n'atteigne sa production maximale. Lorsqu'un contribuable comme monsieur Archambault acquiert un pommier avec l'intention de le détenir pour une période d'environ 25 ans, il paraît évident que le but poursuivi par un tel contribuable est d'obtenir un avantage durable.

[83] Il s'agit certainement ici d'un avantage plus durable que celui que procure l'achat d'une voiture par l'exploitant d'une entreprise de location de voitures et encore plus durable qu'une vidéocassette dont la durée économique peut parfois ne pas dépasser quelques mois. Dans ce dernier cas, il n'est pas surprenant que le gouvernement ait cru bon d'accorder un taux de déduction pour amortissement de 100 % à la catégorie 12 de l'annexe II du Règlement. Le matériel automobile est décrit à la catégorie 10, qui prévoit un taux de déduction pour amortissement de 30 % par année.

[84] Les arbres acquis par monsieur Archambault possèdent donc tous les attributs d'un bien en immobilisation. Il s'agit de biens acquis dans le but d'en tirer un revenu et qui ont une longévité importante. Leur acquisition représente une dépense faite une fois pour toutes et cette dépense procure un avantage durable au contribuable. Le fait qu'un pommier puisse mourir du gel quelques mois après avoir été planté ne change en rien sa nature de bien en immobilisation; il ne viendrait à l'esprit de personne de traiter une voiture acquise par une entreprise de location comme un bien faisant partie des stocks du seul fait qu'elle a été accidentée après quelques mois d'utilisation.

[85] En ce qui concerne cette sorte de litige, ce n'est pas la jurisprudence qui manque. À titre d'illustration, on peut citer la décision de la Cour suprême du Canada dans British Columbia Electric Railway Company Limited v. Minister of National Revenue, 58 DTC 1022, où l'on retrouve ce passage, à la page 1025 :

Neither the Canadian nor the Imperial Act attempts to define the term "capital" nor, in the case of our Act, what is meant by a payment on account of capital.

[English cases dealing with similar payments]

The question has, however, been discussed in a number of cases. In Vallombrosa Rubber Co. Ltd. v. Farmer, (1910) 5 T.C. 529 at 536, Lord Dunedin said in part:

Now, I don't say that this consideration is absolutely final or determinative, but in a rough way I think it is not a bad criterion of what is capital expenditure as against what is income expenditure to say that capital expenditure is a thing that is going to be spent once and for all, and income expenditure is a thing that is going to recur every year.

In Atherton v. British Insulated and Helsby Cables Ltd., (1925) 10 T.C. 155 at 192, [1926], A.C. 205, Lord Cave said that:

. . . when an expenditure is made, not only once and for all, but with a view to bringing into existence an asset or an advantage for the enduring benefit of a trade, I think that there is very good reason (in the absence of special circumstances leading to an opposite conclusion) for treating such an expenditure as properly attributable not to revenue but to capital.

[86] Le procureur de monsieur Archambault a produit un extrait du livre écrit par Marc Papillon et Robert Morin, Impôt sur le revenu des particuliers et sociétés, 15e édition, 98/99 Éditions Mérin, à la page 256, où on fournit cette rapide description des critères pour distinguer entre une dépense courante et une dépense en immobilisation :

DISTINCTION ENTRE UNE DÉPENSE COURANTE ET UNE DÉPENSE EN IMMOBILISATION[4]

Divers critères peuvent être utilisés pour distinguer une dépense courante d'une dépense en immobilisation.

Avantage durable

Une dépense en immobilisation est une dépense qui a été encourue une fois pour toutes en vue de créer un bien ou un avantage durable pour le bénéfice de l'entreprise.

Entretien ou amélioration

Une dépense d'entretien vise à restaurer un bien à son état initial. Une dépense qui a pour résultat d'améliorer le bien au-delà de son état initial sera une dépense de capital. La décision de capitaliser les sommes doit être prise indépendamment du fait que la valeur marchande des biens augmente ou non à la suite de la dépense engagée.

Partie intégrante ou bien séparé

Une réparation constitue une dépense courante. L'acquisition d'un bien distinct (qui n'a pas à être intégré à un autre bien) constitue une dépense de nature capital.

Exemples

Le remplacement de l'hélice d'un bateau constitue une dépense courante puisque l'hélice fait partie intégrante du bateau.

L'acquisition d'un tour dans une usine constitue l'acquisition d'un bien qui ne fait pas partie intégrante de l'usine. Cet achat constitue une dépense de capital.

Valeur relative

Une entreprise peut fixer une démarcation entre les dépenses courantes ou en capital à partir d'un critère monétaire déterminé en relation avec les opérations d'investissement de l'entreprise. Tous les achats d'immobilisations dont le coût est inférieur à 2 000 $ sont passés à la dépense, par exemple. Cette norme arbitraire doit être raisonnable dans les circonstances et être basée sur des ratios tels que :

dépense/valeur du bien, ou

dépense/moyenne des frais d'entretien et réparation.

Exemple

L'achat d'une bougie constitue une dépense courante alors que l'achat d'un moteur est une dépense de capital.

Acquisition d'un bien usagé

Si des réparations sont nécessaires pour remettre en bon état de fonctionnement un bien acquis usagé, ces dépenses sont
considérées comme faisant partie du coût d'acquisition et sont donc capitalisables.

Bien en inventaire

Les biens achetés en vue de revente avec profit ne sont pas des biens amortissables mais font partie des stocks de l'entreprise. Les mêmes biens achetés dans le but d'être utilisés dans l'entreprise du contribuable sont considérés comme des biens amortissables.

[87] Comme on peut constater à la lecture de cette analyse, il est important de décider si l'arbre constitue une partie intégrante de la terre ou un bien distinct. Une fois que l'on a décidé que chaque pommier acquis par monsieur Archambault constitue un bien distinct, il devient relativement facile de conclure que le coût de remplacement d'un arbre détruit par des conditions climatiques ou parce qu'il a cessé d'être productif après vingt-cinq ans constitue une dépense de remplacement de capital visée par l'alinéa 18(1)b). Remplacer un arbre n'est pas l'équivalent de remplacer l'hélice d'un bateau.

[88] Par conséquent, je crois que les frais engagés pour planter des arbres en remplacement d'arbres existants dans un verger constituent aussi — contrairement à ce que veut la politique administrative du ministre — des dépenses en immobilisation assujetties à la restriction de l'alinéa 18(1)b) de la Loi. Il m'apparaît tout à fait incontestable que lorsqu'une entreprise de location de voitures remplace à chaque année une partie de son parc de voitures, le coût de remplacement ne constitue pas une dépense de nature courante. Les nouvelles voitures sont ajoutées aux biens de la catégorie 8 du loueur de voitures. Je ne vois aucun motif pour conclure différemment à l'égard d'un arbre fruitier, d'autant plus que l'arbre fruitier, ici le pommier, a une vie beaucoup plus longue que celle d'une voiture de location.

[89] En conclusion, les pommiers acquis par monsieur Archambault en 1992, de même que ceux acquis en 1994 et 1995, constituent des biens en immobilisation et leur coût ne peut pas être déductible en raison de la prohibition de l'alinéa 18(1)b). Il est malheureux que le Règlement prévoie expressément que les arbres ne constituent pas des biens amortissables. Certains biens qui sont décrits à l'annexe II du Règlement ont une vie plus longue que les pommiers
semi-nains ou nains et pourtant on permet à un contribuable de réclamer à leur égard une déduction pour amortissement.

[90] L'élimination d'un arbre, par exemple lorsqu'il est détruit par des conditions climatiques ou tout simplement remplacé par un autre lorsqu'il n'a plus de valeur productive, ne peut donc donner lieu qu'à une perte en capital dont le montant ne peut être déductible que s'il y a un gain en capital. Comme cela est le cas pour plusieurs autres contribuables, il est probable qu'un agriculteur n'ait pas suffisamment de gains en capital pour se prévaloir de la déduction de la perte en capital. Cette perte devra donc être reportée à d'autres années. Dans certains cas, la déduction de la perte en capital ne pourra être permise que lors de la vente de la ferme, à supposer qu'elle soit vendue à profit. Il serait donc souhaitable que le Règlement soit modifié de manière à ce que les arbres fruitiers soient considérés comme des biens amortissables tout comme le sont une clôture et une grange.

Traitement de l'indemnité

[91] Étudions maintenant la question du traitement fiscal de l'indemnité reçue par monsieur Archambault en 1993. Vu la conclusion que les arbres ayant fait l'objet du programme d'assurance-récolte constituaient des biens en immobilisation, l'indemnité reçue pour la perte de ces arbres constitue aussi un paiement de capital et non pas un paiement au titre du revenu.

[92] Le vérificateur du ministre a tenu pour acquis que la partie de l'indemnité équivalant au coût d'achat des arbres en 1992 constituait un paiement de capital et que le solde représentait une indemnité pour tenir compte du rendement perdu par le contribuable. Si j'ai bien compris le vérificateur, le solde de 29 511 $ constituerait une indemnité pour remplacer le revenu qu'aurait pu gagner monsieur Archambault lors d'une récolte de pommes.

[93] Compte tenu des renseignements contenus dans la pièce A-2 qui décrit les modalités du programme d'assurance-récolte auquel s'est inscrit monsieur Archambault, il ressort clairement qu'il avait uniquement assuré la valeur de ses pommiers puisqu'il n'avait choisi que la catégorie A du programme. Évidemment, s'il avait choisi en plus de la catégorie A la catégorie B ou C, une partie de l'indemnité aurait pu représenter du revenu pour monsieur Archambault. Ici, comme il s'agissait d'une nouvelle plantation, monsieur Archambault n'avait aucun intérêt à obtenir une protection contre le risque de perte, sur le plan quantitatif ou qualitatif, de la récolte. Monsieur Archambault avait à attendre de quatre à cinq ans avant d'obtenir une récolte. En conclusion, l'indemnité reçue par monsieur Archambault ne compensait que la perte des pommiers. La somme de 61 562 $ représente donc un paiement de capital.

[94] Selon l'alinéa f) de la définition de “ produit de disposition ” qu'on retrouve à l'article 54 de la Loi, toute indemnité afférente aux dommages causés aux biens et toute somme payable en vertu d'une police d'assurance au titre de dommages causés à des biens constitue un produit de disposition, sauf dans la mesure où cette indemnité a été dépensée dans un délai raisonnable pour réparer les dommages.

[95] Les parties n'ont pas fait d'observations sur le caractère raisonnable du délai dans lequel monsieur Archambault a replanté ses arbres. Toutefois, à première vue, il me semble tout à fait raisonnable d'exclure au moins le coût de plantation des arbres pour l'année 1994 puisque cette année était la première occasion qu'a eue monsieur Archambault de replanter. Ayant reçu son indemnité en décembre 1993, monsieur Archambault ne pouvait replanter avant le printemps 1994.

[96] Est-il raisonnable que monsieur Archambault ait décidé d'échelonner sur une période de plusieurs années la replantation de son verger pour s'assurer que sa terre était propice à une telle culture? N'ayant pas reçu des procureurs des observations sur cette question, je ne crois pas qu'il soit prudent de me lancer sur un examen de celle-ci.

[97] Je crois toutefois qu'il est possible de régler la question en litige sur une autre base. En effet, même si une partie de l'indemnité versée par la Régie des assurances agricoles devait faire partie du produit de disposition des arbres détruits en 1993, il m'est impossible de déterminer si un gain en capital a été réalisé parce qu'aucune preuve du prix de base rajusté (PBR) des arbres n'a été faite à l'audience.

[98] Tout d'abord, comme le ministre a considéré que le coût d'achat des arbres devait être capitalisé pour se confondre avec le coût de la terre, il n'est pas surprenant de constater que le ministre n'a pas indiqué le PBR des arbres dans sa réponse à l'avis d'appel. De plus, la preuve qui a été faite à l'audience est incomplète pour ce qui est de la détermination du PBR de ces arbres. En plus du coût des arbres, il aurait fallu fournir bien d'autres coûts dont notamment celui des salaires versés pour les planter.

[99] Comme le ministre a établi la cotisation à l'égard du contribuable en tenant pour acquis que la partie imposable de l'indemnité constituait du revenu d'entreprise et puis que le contribuable a réussi à démontrer que cette indemnité ne faisait pas partie de son revenu tiré d'une entreprise, il revenait au ministre de faire la preuve du PBR des arbres, ce qu'il n'a pas fait. Comme je ne suis pas en mesure de déterminer quel serait le gain en capital qu'aurait réalisé le contribuable lors de la disposition de ces arbres en 1993, j'en viens à la conclusion que la somme de 29 511 $ doit être exclue de son revenu et n'a pas à être incluse comme gain en capital imposable.

Les pénalités

[100] Le ministre avait la tâche d'établir que monsieur Archambault a fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde un faux énoncé dans sa déclaration de revenu. Tout ce que le ministre s'est contenté d'établir, c'est que le contribuable n'a pas fourni les pièces justificatives nécessaires pour pouvoir déduire le montant des salaires versés au personnel d'appoint pour la taille des pommiers et la cueillette des pommes. À mon avis, le ministre a échoué dans sa tâche.

[101] Si j'ai conclu que monsieur Archambault n'a pas réussi à démontrer quel était le montant de la dépense qu'il a effectuée au titre des salaires pour son personnel d'appoint, cela ne signifie pas nécessairement qu'il n'a pas engagé cette dépense. Autant je n'ai pas été convaincu, selon la prépondérance des probabilités, concernant le montant de la dépense qu'aurait engagée monsieur Archambault pour la taille de ses pommiers et la cueillette de ses pommes, autant je n'ai pas été convaincu que monsieur Archambault avait nécessairement fait un faux énoncé en réclamant la déduction de ses dépenses.

[102] Le défaut d'avoir tenu des registres appropriés, rendant ainsi plus difficile la tâche d'établir le montant de sa dépense, ne signifie pas nécessairement qu'un contribuable a fait un faux énoncé dans sa déclaration. Il faudrait que j'aie été convaincu selon la prépondérance de la preuve que les sommes dépensées par monsieur Archambault l'ont été pour des fins personnelles ou qu'il n'a pas déclaré des revenus importants et qu'il savait ou aurait dû savoir en réclamant la
déduction de dépenses personnelles ou en ne déclarant pas ses revenus qu'il faisait un faux énoncé dans sa déclaration.

[103] Vu la preuve faite par le ministre, je ne suis pas convaincu que monsieur Archambault a fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenu en réclamant la déduction des dépenses que le ministre a refusées.

[104] Pour ces motifs, les appels de monsieur Archambault sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que la somme de 29 511 $ doit être exclue de son revenu pour l'année d'imposition 1993 et que les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi pour toutes les années pertinentes ne sont pas fondées, le tout sans frais.

Signé à Drummondville (Québec), ce 12e jour de janvier 2000.

Archambault, J.C.C.I.



[1] Les tailleurs comprennent aussi les personnes engagées à l'occasion pour effectuer la plantation des arbres et leur entretien.

[2] Voir les tableaux apparaissant au para. [38] plus haut.

[3] Les dépenses représentent les dépenses consignées dans le livre brun pour un total de 64 218 $, auquel j'ai ajouté un chèque de 840 $ d'octobre 1992 et des chèques totalisant 20 516 $ pour 1995. De plus, les chiffres ont été arrondis au dollar près pour les fins du tableau.

[4]               Revenu Canada, Impôt, Bulletin d'interprétation IT-128R, "Déduction pour amortissement - Biens amortissables", en date du 21 mai 1985 (adapté).

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