Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991101

Dossier: 96-4119-IT-G

ENTRE :

JAMES ALBRIGHT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan C.C.I.

[1] Dans le calcul de son revenu pour les années 1989, 1990 et 1991, l'appelant a déduit certaines pertes locatives découlant de l’exploitation d’un immeuble situé à Orangeville, en Ontario. Après la vente de l’immeuble, l'appelant a déduit les pertes qui avaient été reportées quand il a calculé son revenu imposable pour 1992 et 1993. Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations pour toutes les années en question et a refusé la déduction de telles pertes. L'appelant a interjeté appel à l’encontre de ces cinq cotisations. Les questions en litige sont les suivantes : (i) l’immeuble appartenait-il à l'appelant et à M. Richard Walker ou à une compagnie qu’ils avaient constituée ? (ii) L’appelant et M. Walker avaient-ils une expectative raisonnable de profit en louant l’immeuble ?

[2] Vers la fin des années 80, M. Richard Walker exploitait une entreprise de location de cassettes vidéo dans un local loué à Orangeville, en Ontario. L'appelant exploitait une entreprise de réfrigération et de climatisation dans la même ville. L'appelant et M. Walker se connaissaient. M. Walker désirait accroître son chiffre d’affaires et déménager dans un local plus vaste. À cette époque, le marché immobilier dans le Sud de l’Ontario était en effervescence, et les prix à la hausse. Un immeuble situé au 279, avenue Broadway au centre-ville d’Orangeville était en vente. L'appelant et M. Walker ont décidé de l’acheter, de démolir le bâtiment existant et de construire un nouveau bâtiment commercial dont M. Walker louerait tout le rez-de-chaussée pour y exploiter son entreprise de location de cassettes vidéo qui avait pris de l’ampleur. Ils avaient prévu louer le premier étage à un ou plusieurs locataires.

[3] Le 9 septembre 1987, l'appelant et M. Walker ont acheté l’immeuble situé au 279, avenue Broadway (l’ « immeuble » ) pour 175 000 $. Selon l’acte de vente (pièce R-13), l'appelant et M. Walker ont acheté l’immeuble [TRADUCTION] « en fiducie pour le compte d’une compagnie à constituer » . L'appelant et M. Walker ont accordé des hypothèques de second rang sur leur maison respective et emprunté de l’argent à la banque pour être en mesure de conclure l’achat. Ils ont démoli le bâtiment situé sur l’emplacement mais n’ont pas pu obtenir le permis de bâtir pour le nouveau bâtiment projeté aussi rapidement qu’ils le voulaient. Ils ont obtenu le permis à l’été 1988. L'appelant a témoigné que le National Trust n’effectuerait d’avances de fonds hypothécaires pour la construction du nouveau bâtiment que si l’immeuble appartenait à une compagnie. Le 26 août 1988, l'appelant et M. Walker ont transféré l’immeuble à la société 780441 Ontario Limited ( « la compagnie » ) en contrepartie de la somme symbolique de 2 $. Cet acte a été produit comme pièce R-14, et l’affidavit relatif aux droits de mutations annexé à l'acte contient la mention suivante : [TRADUCTION] « transfert des simples fiduciaires au véritable propriétaire » . Par l’entremise de cet acte de transfert (pièce R-14), l'appelant et M. Walker atteignaient, semble-t-il, l’objectif qu’ils visaient lors de la conclusion du premier acte de vente (pièce R-13) où il est mentionné qu’ils achetaient « en fiducie pour le compte d’une compagnie à constituer » .

[4] Les avances sur prêt hypothécaire effectuées par le National Trust figurent sur la pièce R-15. La première avance a été effectuée le 26 août 1988 et la dernière le 3 mai 1989. Le National Trust a avancé la somme de 551 228 $ en tout à la compagnie. La construction du nouveau bâtiment était presque terminée vers la fin de l’automne 1988, et, au début de décembre, M. Walker a été en mesure de déménager son entreprise de location de cassettes vidéo au rez-de-chaussée. Malheureusement, le marché immobilier dans le Sud de l’Ontario a commencé à fléchir à l’hiver et au printemps 1988-1989, et il était très difficile de trouver des locataires pour des locaux commerciaux. L'appelant et M. Walker n’ont pas été capables de trouver le moindre locataire pour les locaux dans le nouveau bâtiment autre que M. Walker qui avait loué le rez-de-chaussée pour y exploiter son entreprise de location de cassettes vidéo. Le financement du nouveau bâtiment était fondé sur l’hypothèse que tout le bâtiment serait loué à des locataires qui verseraient aux propriétaires des revenus locatifs raisonnables. Le loyer versé par M. Walker pour son magasin de vidéos n’était pas suffisant en soi pour rembourser le prêt hypothécaire consenti par le National Trust.

[5] Le marché immobilier a continué de fléchir au cours de 1989, et l’économie canadienne était en récession. Le National Trust a commencé une action de forclusion et se préparait à exercer son pouvoir de vente. Il n’y a pas eu de forclusion comme telle mais le National Trust a fait pression sur l'appelant et M. Walker pour qu’ils vendent l’immeuble. Le 23 juillet 1990, l'appelant et M. Walker ont vendu l’immeuble à la Chidon Corporation, une société avec laquelle ils n’avaient aucun lien de dépendance, pour la somme de 660 000 $. Selon l’acte de vente (pièce R-16), la compagnie était le vendeur. Selon l’accord relatif au plan d’implantation (pièce R-17) et le prêt hypothécaire du National Trust (pièce R - 18), la compagnie était le propriétaire de l’immeuble.

[6] La compagnie a produit sa première déclaration de revenus pour l’exercice se terminant le 30 juin 1989 (pièce R-6), dans laquelle elle a déclaré des recettes de location de 24 000 $, des dépenses de 88 355 $ et des pertes de 64 355 $. D’après sa déclaration de revenus, la compagnie exploitait une entreprise de [TRADUCTION] « location de locaux » . La déclaration de revenus a été produite le 29 décembre 1989. Le 2 mars 1990, la compagnie a produit une déclaration de revenus modifiée (pièce R-7) pour le même exercice dans laquelle elle a déclaré une perte locative moins importante, soit la somme de 35 155 $. Le 21 mars 1990, la compagnie a produit une seconde déclaration de revenus modifiée (pièce R-8) dans laquelle elle s’est décrite comme une [TRADUCTION] « société fiduciaire » et a déclaré un revenu nul. La seconde déclaration de revenus de la compagnie a été produite à peu près au moment où l'appelant était normalement en train de préparer sa propre déclaration de revenus pour 1989.

[7] L'appelant n’a pas produit sa déclaration de revenus pour 1989 (pièce R-1) avant juin 1992 et il y a déclaré une perte locative de 20 218 $. Cette somme représentait la moitié d’une perte nette de 40 255 $ environ qu’il avait partagée avec M. Walker. Les états financiers de la compagnie en sa qualité de fiduciaire étaient joints à la déclaration de revenus de l'appelant pour 1989. Dans ces états financiers, il était fait mention d’une perte de 40 255 $. L'appelant soutient que la compagnie détenait l’immeuble en fiducie pour lui et M. Walker à parts égales. Dans sa déclaration de revenus pour 1990 (pièce R-2), l’appelant a déclaré une perte locative de 28 258 $ représentant la moitié de la perte nette de 56 516 $ figurant sur les états financiers pour l’exercice se terminant le 30 juin 1990 de la compagnie en sa qualité de fiduciaire.

[8] Dans sa déclaration de revenus pour 1991 (pièce R-3), l'appelant a inscrit une perte locative de 64 330 $. D’après les états financiers de la compagnie en sa qualité de fiduciaire joints à cette déclaration, l'appelant et M. Walker avait partagé une perte nette de 128 661 $, mais la source de cette perte m’étonne. La pièce R-16 établit que l’immeuble a été vendu le 23 juillet 1990 à la Chidon Corporation pour 660 000 $. Les états financiers de la compagnie en sa qualité de fiduciaire sont annexés à la déclaration de revenus de l'appelant pour 1991. L’ « État des résultats » débute avec le produit de la vente pour le prix de 660 000 $ dont on a déduit notamment le coût de l’immeuble, soit la somme de 734 372 $, une commission d’agent d’immeuble, soit la somme de 24 000 $, et d’autres dépenses pour arriver à la perte nette de 128 661 $. Il ne s’agit absolument pas d’un état des résultats laissant apparaître le bénéfice ou la perte d’un exercice mais du calcul de la perte en capital réalisée lors de la disposition de l’immeuble sans tenir compte de l’identité de son véritable propriétaire. La soi-disant perte de 128 661 $ en 1991 n’est en aucun cas déductible du revenu de qui que ce soit.

[9] Selon les déclarations de revenus de l'appelant pour 1992 (pièce R-4) et 1993 (pièce R-5), les pertes imputées prospectivement à ces années provenaient de la partie de la soi-disant perte en 1991 qui n’avait pas été absorbée dans le calcul du revenu de l'appelant pour 1991. Les pertes locatives déclarées par l'appelant en 1989 et 1990 avaient été absorbées par le revenu de l'appelant provenant d’autres sources durant ces années. En conséquence, l'appelant a utilisé la prétendue perte en 1991 pour réduire son revenu de 1991 et ses revenus imposables de 1992 et de 1993. Je n’ai aucune difficulté à rejeter les appels pour les années 1991, 1992 et 1993 parce que les sommes que l'appelant a déduites durant ces années ne représentaient pas des pertes imputables au revenu mais des parties de la perte en capital subie lors de la vente de l’immeuble en juillet 1990.

[10] Une déclaration de fiducie datée du 15 juillet 1988 a été produite comme pièce R-9. Dans ce document, la compagnie aurait censément déclaré qu’elle détenait l’immeuble en fiducie pour l'appelant et M. Richard Walker. Questionné rigoureusement sur cette déclaration, l'appelant a admis qu’elle avait été rédigée en juin 1995 pour répondre à certaines questions soulevées par Revenu Canada.

[11] Le rapport écrit daté du 8 novembre 1990 de Me Margot Hornseth qui a représenté le vendeur lors de la vente de l’immeuble, le 24 juillet 1990, a été produit comme pièce R-12. Me Hornseth a adressé son rapport à la compagnie et elle n’y mentionne pas que la compagnie détenait l’immeuble en fiducie pour l'appelant et M. Walker ou pour quelqu’un d’autre. J’infère de la pièce R-12 que Me Hornseth pensait que la compagnie était le véritable propriétaire de l’immeuble.

[12] Les appels interjetés pour 1989 et 1989 doivent être rejetés parce que l'appelant n’a pas réussi à démontrer que M. Richard Walker et lui ont été à un moment donné les véritables propriétaires de l’immeuble. Tous les documents déposés auprès du bureau d’enregistrement immobilier et produits en preuve (pièces R-13, R-14, R-16, R-17 et R-18) démontrent que la compagnie devait être ou était le véritable propriétaire. Dans son rapport écrit, Me Hornseth (pièce R-12) indique qu’elle considérait que la compagnie était le vendeur. Dans sa première déclaration de revenus pour 1989 (pièce R-6) ainsi que dans sa première déclaration de revenus modifiée pour la même année (pièce R-7), la compagnie a déclaré une perte locative. La compagnie n’a déclaré un revenu nul et ne s’est décrite comme une « société fiduciaire » que dans sa seconde déclaration de revenus modifiée pour 1989 (pièce R-8). La compagnie a produit cette seconde déclaration de revenus modifiée le 21 mars 1990 alors que le National Trust était en train d’exercer son pouvoir de vente et seulement quatre mois avant la vente à la société Chidon le 23 juillet 1990.

[13] En mars 1990 (voir pièce R-8), l'appelant, M. Walker et leurs conseillers devaient savoir que la compagnie était insolvable, qu’elle perdrait l’immeuble, qu’elle ne tirerait aucun autre revenu et ne serait pas en mesure d’absorber les pertes locatives. La tentative de l'appelant de démontrer que les pertes locatives de la compagnie en 1989 et 1990 lui appartenaient ainsi qu’à M. Richard Walker représente une manoeuvre a posteriori visant à imputer des pertes à des contribuables qui disposent d’autres sources de revenus pour absorber ces pertes aux fins de l’impôt sur le revenu. Les appels interjetés pour les cinq années sont rejetés, avec dépens, parce que la compagnie a été en tout temps pertinent le véritable propriétaire de l’immeuble.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de novembre 1999.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de juin 2000.

Benoît Charron, réviseur

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