Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990715

Dossier: 98-1039-UI

ENTRE :

THÉRÈSE LEVAC,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 3 septembre 1998. En vertu de cette décision, l'intimé concluait que le travail exécuté par l'appelante, Thérèse Levac, au cours de la période allant du 19 février 1992 au 31 mars 1998, pour le bénéfice de la compagnie Xébec Inc., n'était pas un emploi assurable pour le motif qu'il avait existé un lien de dépendance entre elle et celui qui contrôlait la compagnie qui versait la rémunération.

[2] Pour soutenir ses conclusions, l'intimé avait pris pour acquis les faits décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel qui se lisent comme suit :

a) Le payeur, constitué en corporation en 1967, exploite une entreprise fabriquant des séchoirs d'air pour les compresseurs d'air utilisés dans de grosses usines.

b) Les actionnaires du payeur étaient :

Claus Brand avec 66 2/3 % des actions.

Krista Brand, ex-épouse de M. Brand, avec 33 1/3 % des actions.

c) Les actions du payeur ont été vendues à des tiers et M. et Mme Brand ne sont plus actionnaires de la société.

d) Le payeur était exploité à l'année longue avec une quarantaine d'employés dans les domaines suivants : soudeurs, électriciens, plombiers, ingénieurs, dessinateurs, secrétaire, vendeur et comptable.

e) L'appelante, conjointe de fait de M. Claus Brand, travaillait pour le payeur, essentiellement au service de M. Brand, depuis 1992.

f) M. Brand était un inventeur, spécialisé dans le domaine d'activités du payeur, et travaillait généralement dans sa résidence (et celle de l'appelante).

g) L'appelante travaillait à la résidence du couple et s'occupait des tâches suivantes : elle faisait du classement de “bleus” (plans préparés par M. Brand), elle faisait des photocopies, du ménage et rangement dans le bureau et dans la résidence et conduisait occasionnellement M. Brand qui n'avait plus de permis de conduire.

h) L'appelante n'avait aucun horaire de travail à respecter; ses heures n'étaient pas inscrites par le payeur et elle pouvait vaquer aux autres activités de la maison.

i) L'appelante utilisait surtout des outils et équipements appartenant personnellement à M. Brand.

j) L'appelante recevait une rémunération hebdomadaire fixe, payée par chèque.

k) L'appelante prétend qu'elle recevait une rémunération hebdomadaire brute de 323 $ pour 35 heures de travail alors que les relevés de paye du payeur indiquent qu'elle recevait 413 $ brut par semaine;

l) Le travail effectué par l'appelante pour le payeur est difficilement quantifiable; elle accomplissait certaines tâches pour le payeur tout en effectuant des tâches personnelles.

[3] L'appelante, lors de son témoignage, a admis la très grande majorité des faits allégués. Elle a expliqué, au moyen de cartables renfermant des tableaux et des grilles, ce à quoi elle avait été principalement associée dans le cadre de sa fonction. Elle a aussi indiqué qu'elle avait travaillé, au cours de cette période, comme chauffeur pour son conjoint qui devait se déplacer partout en Amérique du Nord pour les fins de son entreprise. Elle a indiqué que le travail à titre de chauffeur avait été plus intense et actif au cours de l'année où son conjoint avait perdu son permis de conduire. Elle a aussi expliqué et décrit les travaux manuels auxquels elle avait été associée pour la construction de certains prototypes.

[4] Le conjoint de l'appelante, monsieur Claus Brand, a complété la preuve de l'appelante en indiquant que sa conjointe l'avait beaucoup aidé, que le travail qu'elle avait exécuté était essentiel et fondamental pour l'entreprise. Il a aussi indiqué que les dépenses d'utilisation du véhicule lui étaient remboursées par la compagnie. Il a expliqué que le salaire avait été fixé à partir de comparaisons, sur les conseils du comptable de la compagnie et de l'ensemble du contexte. Il a aussi indiqué que la participation de madame Levac avait été bénéfique et, tout particulièrement, au moment où les affaires sont devenues très difficiles lors de la récession. Finalement, il a expliqué que la mise à pied avait été commandée par la vente de son entreprise.

[5] L'intimé a analysé les circonstances et modalités entourant l'exécution du travail de l'appelante et conclu que n'eût été du lien de dépendance, l'appelante et la compagnie, contrôlée par son conjoint, n'aurait pas convenu de contrat de travail à peu près semblable.

[6] La période en litige ou la durée de l'emploi a été de six années. Pour son travail, l'appelante a reçu un salaire d'environ 400 $ par semaine.

[7] Selon l'intimé, à la suite de l'analyse du dossier, la description de tâches de l'appelante a été définie au paragraphe g), rédigé comme suit :

g) L'appelante travaillait à la résidence du couple et s'occupait des tâches suivantes : elle faisait du classement de “bleus” (plans préparés par M. Brand), elle faisait des photocopies, du ménage et rangement dans le bureau et dans la résidence et conduisait occasionnellement M. Brand qui n'avait plus de permis de conduire.

[8] De la durée de l'emploi ininterrompue, rémunéré au salaire raisonnable de plus ou moins 400 $, l'intimé a tiré les conclusions suivantes :

h) L'appelante n'avait aucun horaire de travail à respecter; ses heures n'étaient pas inscrites par le payeur et elle pouvait vaquer aux autres activités de la maison.

l) Le travail effectué par l'appelante pour le payeur est difficilement quantifiable; elle accomplissait certaines tâches pour le payeur tout en effectuant des tâches personnelles.

[9] Le législateur a confié un important pouvoir à l'intimé en lui accordant une large discrétion prévue à l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage. Cette seule réalité n'est pas en soi suffisante pour lui permettre de tirer des conclusions rapides non motivées et essentiellement intuitives.

[10] Lorsqu'il existe un lien de dépendance entre le payeur et l'employé, on constate souvent que le salaire est supérieur à celui payé pour un emploi semblable où les parties ne sont pas liées. Fréquemment, la prestation de travail ne correspond pas au besoin de l'entreprise, ou est exécutée lors de périodes où l'entreprise payeur n'a pas ou peu besoin de main-d'oeuvre. Bien que l'argument du hasard soit souvent allégué, il arrive aussi que les débuts et les fins de périodes d'emploi sont fonction du droit et de la durée des prestations d'assurance-chômage.

[11] Ce sont là des éléments qui dégagent des doutes quant à l'existence d'un véritable emploi et qui facilitent considérablement la décision quant à l'assurabilité d'un emploi.

[12] Par contre, lorsque le salaire est plus que raisonnable, qu'une prestation de travail réelle, féminin ou masculin, est exécutée, que l'entreprise a la capacité financière de payer le salaire convenu, que l'emploi est continu sur une période de plusieurs années et que finalement, la mise à pied est justifiée par des raisons raisonnables qui ne peuvent être mises en doute ou même discutées.

[13] Ce sont là des faits qui, sans créer nécessairement une présomption, devraient tout au moins inciter les détenteurs du pouvoir discrétionnaire à faire une analyse plus rigoureuse de la situation.

[14] Dans ce genre de situation, il y a lieu d'analyser le dossier avec un peu plus de rigueur et de ne pas tirer des conclusions guidées essentiellement par des perceptions non fondées ou par de pures intuitions.

[15] À une époque où la société a évolué au point d'accepter, avec raison d'ailleurs, que le travail se fasse à la maison, je pense notamment à ceux et celles qui travaillent à leur domicile au moyen d'un ordinateur. J'ai souvent l'impression, et ce dossier est un bel exemple, que l'intimé voudrait que l'assurabilité d'un emploi soit assujettie à une preuve, hors de tout doute, que le travail a complètement occupé un nombre précis d'heures, que les heures soient définies et inscrites dans un registre et que le travail ait été, en tout temps, contrôlé et surveillé de façon très rigoureuse, et finalement que les débuts et fins de périodes de travail quotidien soient confirmés par une fiche fournie par les poinçons qui sont d'ailleurs de moins en moins présents dans le monde du travail.

[16] À l'heure des ordinateurs où le travail s'exécute à partir de la résidence, où les employés participent ou sont associés à la gestion de leur entreprise, je crois que cette conception conservatrice est révolue ou tout au moins discutable. Il est maintenant acquis que l'harmonie, la confiance et la collaboration sont des concepts plus efficaces pour obtenir qualité et productivité. L'autorité absolue, souvent exprimée par un encadrement serré et où le payeur doit être constamment sur les talons de son employé, tend à disparaître. La description de tâches, le temps très précis requis pour l'exécution de celles-ci et les moments libres disponibles sont certes des éléments pertinents mais leur importance relative doit s'apprécier dans un contexte global. Cela ne doit pas constituer les seuls fondements d'une détermination.

[17] En l'espèce, la prépondérance de la preuve est à l'effet que l'intimé a failli à ses obligations de devoir faire une appréciation raisonnable objective et sérieuse des faits et modalités reliés à l'exécution du travail de l'appelante.

[18] Cette même prépondérance de la preuve a démontré clairement que le travail exécuté rencontrait et répondait aux exigences pour être déterminé assurable, en ce qu'il s'agissait d'un travail comparable et similaire à celui qu'un tiers aurait pu occuper dans une situation semblable. D'autre part, le travail en question constituait un véritable contrat de louage de services en ce qu'il était assujetti au pouvoir de contrôle du payeur. L'appelante n'avait aucune chance de profit ni risque de perte et utilisait pour les fins de son travail le matériel et l'équipement fournis par la compagnie qui remboursait ses dépenses s'il y avait lieu.

[19] Je crois, en outre, pertinent de me référer au récent jugement dans l'affaire Francine Légaré et le ministre du Revenu national, A-392-98, où l'honorable juge Marceau de la Cour d'appel fédérale s'exprimait comme suit :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était “convaincu” paraît toujours raisonnable.

[20] Pour les raisons précédemment indiquées, l'appel est accueilli en ce que le travail exécuté par l'appelante au cours de la période en litige constituait un véritable contrat de louage de services.

Signé à Ottawa (Canada) ce 15e jour de juillet 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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