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Date: 19990716

Dossier: 1999-173-IT-I

ENTRE :

SHIRLEY E. MANUEL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1] Le présent appel, entendu à Edmonton (Alberta) le 3 juin 1999 sous le régime de la procédure informelle, concerne les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de l'appelante.

[2] Dans des avis de nouvelles cotisations visant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a inclus dans le calcul du revenu de l'appelante des prestations de retraite ou de pension s'élevant à 11 388 $ pour 1994, à 12 468 $ pour 1995 et à 5 230 $ pour 1996.

[3] Les faits ne sont pas contestés. L'appelante a épousé Donald S. Manuel (l'“ ex-conjoint ”) le 11 juin 1960; les deux époux se sont séparés au mois de mai 1985 et ils ont finalement divorcé le 12 mars 1993. Durant le mariage, l'ex-conjoint servait dans les Forces canadiennes; lorsqu'il a pris sa retraite, il était lieutenant-colonel. Aux termes du procès-verbal de transaction signé le 12 mars 1993, l'ex-conjoint devait payer chaque mois – et indéfiniment – à l'appelante une pension alimentaire de 1 018,03 $, et lui remettre la moitié de la pension de retraite qu'il devait toucher en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (la “ LPRFC ”). Le paragraphe 8 du procès-verbal de transaction est libellé dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

8. a) Les parties reconnaissent que l'épouse touchera une part des prestations de retraite que l'époux touchera en vertu du régime de pension de retraite des Forces canadiennes du fait de la cohabitation des parties du mois de juin 1960 au mois de mai 1985 et pour cette période. Les parties reconnaissent également que la Loi sur le partage des prestations de retraite, non encore en vigueur, peut permettre à l'épouse de toucher une somme forfaitaire correspondant à sa part des prestations de retraite de l'époux.

b) Les parties reconnaissent en outre que l'époux touche actuellement tous les mois, en vertu de son régime de pension de retraite des Forces canadiennes, des prestations de retraite dont le montant brut est de 2 743,77 $. Les parties conviennent que, jusqu'à ce que la loi susmentionnée soit adoptée, l'époux versera à l'épouse, sur son chèque de pension des Forces canadiennes, le montant de 1 018,03 $ par mois (soit le montant brut moins l'impôt fédéral, divisé par 2) à compter du 1er avril 1993.

c) Les parties conviennent qu'il sera tenu compte des paiements susmentionnés faits à l'épouse pour déterminer la valeur des prestations de retraite de l'époux en application du projet de loi. L'époux convient que les paiements susmentionnés à l'épouse seront rajustés en fonction de l'augmentation du coût de la vie ainsi qu'il est prévu dans la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes.

d) L'époux autorise par les présentes les autorités chargées de la gestion du régime de pension des Forces canadiennes à communiquer à l'épouse tout renseignement concernant sa pension.

e) Les parties conviennent également que chacune d'elles peut demander à la Cour les avis et directives nécessaires aux fins du partage entre elles des prestations de retraite.

[4] Les paragraphes 3 à 6 du jugement convenu rendu par la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta le 12 mars 1993 sont libellés dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

3. À compter du 1er avril 1993, le défendeur versera à la demanderesse, sur son chèque de pension des Forces canadiennes, le montant de 1 018,03 $ par mois, soit le montant brut des prestations moins l'impôt fédéral, divisé par deux, jusqu'à l'entrée en vigueur de la Loi sur le partage des prestations de retraite.

4. Les paiements faits conformément au paragraphe 3 des présentes seront pris en considération pour déterminer la valeur des prestations de retraite du défendeur en application de la loi non encore en vigueur et seront rajustés en fonction de l'augmentation du coût de la vie ainsi qu'il est prévu dans la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes.

5. Si le défendeur décède et que la demanderesse devient admissible à des prestations de survivant en vertu du régime de pension, seule la moitié des prestations de survivant lui sera versée. En outre, la demanderesse est par les présentes nommée fiduciaire de la succession du défendeur pour la part des prestations de survivant qui revient au défendeur, c'est-à-dire 50 p. 100. Si le défendeur décède et qu'un tiers a alors droit à des prestations de survivant en vertu du régime de pension, le tiers qui touche les prestations de survivant est par les présentes nommé fiduciaire de la demanderesse pour la moitié de ces prestations de survivant.

6. Le défendeur autorise les administrateurs ou les fiduciaires du régime de pension des Forces canadiennes à fournir à la demanderesse les renseignements qu'elle demandera à l'occasion sur les prestations de pension qui s'accumulent aux termes du régime en question.

[5] Les parties ont convenu que la seule question en litige en l'espèce est celle de savoir si le ministre a à juste titre inclus dans le calcul du revenu de l'appelante des prestations de retraite de 11 388 $ pour 1994, de 12 468 $ pour 1995 et de 5 230 $ pour 1996, en conformité avec l'alinéa 56(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[6] Le paragraphe 56(1) de la Loi est libellé en partie dans les termes suivants :

56. (1) Sommes à inclure dans le revenu de l'année. Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

Pensions, prestations d'assurance-chômage, etc. —toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

(i) d'une prestation de retraite ou de pension, y compris [...]

[7] Au cours de leurs excellentes plaidoiries, qu'ils ont soigneusement préparées, les avocats de l'appelante et de l'intimée ont tous deux cité trois affaires : Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795, Walker v. The Queen, 95 D.T.C. 753, et Turner v. The Queen, 1997 Carswell Nat. 84.

[8] J'ai étudié à fond la transcription des plaidoiries des avocats, la preuve documentaire et la jurisprudence citée.

[9] Il incombe à l'appelante en l'espèce d'établir selon la prépondérance des probabilités que les nouvelles cotisations n'étaient fondées ni en droit ni dans les faits.

[10] L'avocat de l'intimée soutient que le libellé de l'alinéa 56(1)a) de la Loi vise clairement les faits de la présente affaire. L'avocat de l'appelante soutient le contraire, au motif que les paiements que l'appelante a reçus de son ex-conjoint n'étaient pas des prestations de retraite, mais plutôt des paiements compensateurs faits en prévision du versement d'une somme forfaitaire au titre du partage de la pension; en outre, le paragraphe 8(6) de la LPRFC prévoyait que “ les montants payables en vertu de la présente partie ne sont pas susceptibles d'être cédés, grevés, saisis, anticipés ou donnés en garantie [...] ”.

[11] Bien qu'on ne s'y soit pas penché sur le sens à donner à l'expression “ prestation de retraite ” dans la Loi de l'impôt sur le revenu, l'affaire Clarke est d'une aide précieuse en l'espèce. Les affaires Walker et Turner étaient des plus intéressantes, bien qu'on y soit arrivé à des résultats différents et que les faits ne soient pas identiques à ceux de notre appel.

[12] La pension payée à l'ex-conjoint de l'appelante en application de la LPRFC appartenait exclusivement à celui-ci; il avait droit à cette pension en raison de ses vingt-cinq ans de service militaire. Il recevait un montant brut sur lequel il payait l'impôt fédéral; il versait à l'appelante la moitié du montant net conformément à l'entente intervenue entre les parties suivant le procès-verbal de transaction et à l'ordonnance judiciaire. L'appelante n'avait pas droit aux prestations de retraite prévues par la LPRFC. L'entente conclue entre les parties est très claire : l'ex-conjoint devait payer l'impôt sur ses prestations de retraite et remettre à l'appelante la moitié du solde jusqu'à ce que la pension puisse être divisée en deux sommes forfaitaires conformément à la Loi sur le partage des prestations de retraite. Les montants que l'appelante a reçus sont à mon avis des paiements faits après impôt sur un patrimoine familial. Il n'y avait, jusqu'à ce que la loi ait été modifiée, aucun lien entre l'appelante et les autorités chargées de la gestion du régime de pension.

[13] Compte tenu de toutes les circonstances, dont les plaidoiries des avocats, les admissions et la preuve documentaire à la lumière de la jurisprudence qui m'a été citée, je suis convaincu que l'appelante s'est acquittée de la charge qui lui incombait. Par conséquent, l'appel est admis, avec frais, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les montants de 11 388 $ pour 1994, de 12 468 $ pour 1995 et de 5 230 $ pour 1996 ne doivent pas être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante pour les années d'imposition en question à titre de prestations de retraite visées à l'alinéa 56(1)a) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 1999.

“ D. R. Watson ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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