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Date : 19980602

Dossier : 96-523-GST-G

ENTRE :

TWO CARLTON FINANCING LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'objet du présent appel portant sur une cotisation établie selon les dispositions relatives à la taxe sur les produits et services (“TPS”) de la Loi sur la taxe d'accise (la “Loi”) est de déterminer si l'appelante, Two Carlton Financing Ltd. (“Carlton”) a droit aux crédits de taxe sur les intrants (“CTI”) pour la période du 1er mars 1993 jusqu'au 30 novembre 1993 (la “période”). Le Ministre du Revenu national (le “Ministre”) a refusé la demande de CTI au motif que, pendant la période, Carlton n'exerçait pas une “activité commerciale” au sens du paragraphe 123(1) de la Loi, mais qu'elle offrait plutôt un service financier et que ses activités constituaient des “fournitures exonérées” au sens de la Loi. Un service financier est une fourniture exonérée de la TPS[1].

[2] Carlton a exprimé l'avis qu'elle exploitait une entreprise constituant une activité commerciale pendant la période et que, par conséquent, elle a droit de demander les CTI relativement aux biens et aux services qu'elle a acquis pour exploiter cette entreprise.

[3] Carlton a été constituée en personne morale en 1986 pour aider des particuliers commanditaires à emprunter de l'argent, habituellement auprès de banques, pour investir dans des sociétés en commandite dont les dirigeants de Carlton font la promotion. Carlton négociait des prêts auprès de banques canadiennes et percevait l'intérêt sur les prêts auprès des commanditaires pour paiement au prêteur. Ces activités constituaient un service financier qui est une fourniture exonérée. Le dernier prêt a été négocié par Carlton en 1988 et ce prêt est venu à échéance en 1992. En janvier 1993, selon James Penturn, président de Carlton, l'entreprise avait cessé d'exercer une activité commerciale. Du même coup, Carlton n'offrait plus un service financier.

[4] L'appelante concède que, avant 1993, elle n'exerçait pas une activité commerciale au sens de la Loi. L'appelante a néanmoins demandé au Ministre d'être inscrite selon l'article 240 de la Loi et elle l'a été à compter du 1er janvier 1991[2].

[5] Selon la déposition de Carlton, elle a acquis, le 1er mars 1993, l'entreprise de Blackstone Entertainment Ltd. (“Blackstone”), une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance. Jusqu'en 1988 inclusivement, Blackstone avait fait la promotion de sociétés en commandite comme véhicules de placement dans des productions cinématographiques et télévisuelles canadiennes, et elle administrait et gérait les sociétés en commandite pour le compte des commandités. Après 1988, la seule activité de Blackstone était l'administration et la gestion; c'est cette entreprise, qui comprenait une liste d'investisseurs potentiels, que Carlton a acquise. M. Penturn était le président de Blackstone au moment de la cession de l'entreprise.

[6] M. Penturn a décrit l'entreprise de Blackstone. Blackstone employait de 12 à 20 personnes. L'entreprise tenait une base de données d'environ 4 000 investisseurs. Elle percevait des revenus auprès des distributeurs, distribuait les revenus aux commandités, fournissait des services comptables et des renseignements fiscaux aux commandités et négociait le règlement des différends avec les distributeurs. M. Penturn a indiqué que Blackstone fournissait des services à environ une douzaine de sociétés en commandite en 1993. Il n'y avait aucune entente écrite pour les services de Blackstone entre Blackstone et une société en commandite quelconque.

[7] Blackstone n'a jamais déclaré de fournitures taxables. Les frais de gestion qu'elle payait à Amber Financial Services Ltd. (“Amber”), une autre société avec laquelle elle avait un lien de dépendance, n'étaient pas assujettis à la TPS, selon son ancien contrôleur, M. Hank Glastra, qui est également contrôleur de l'appelante, parce qu'il s'agissait de facturation entre entreprises[3]. M. Glastra a également déclaré dans son témoignage que Blackstone n'avait eu aucun revenu pour les années d'imposition 1988 à 1993 inclusivement.

[8] Selon M. Penturn, la raison pour laquelle Blackstone a cédé son entreprise était que Blackstone avait subi des pertes financières et qu'il “voulait protéger les employés dans une entreprise propre... et mieux servir les sociétés en commandite.” Carlton, qui avait cessé son activité commerciale antérieure et n'avait “virtuellement” aucun passif, était cette “entreprise propre”. Des documents établissant la cession de l'actif et du passif, y compris la cession du bail et l'avis au personnel, ont été rédigés et signés par les deux sociétés. Des modifications relatives à la paie, aux cotisations à la Croix-Bleue et à d'autres questions connexes ont été apportées. Dans l'avis au personnel, il était indiqué que Carlton remplirait des fonctions administratives pour toutes les entreprises du groupe de sociétés, appelé Skyld Group of Companies. L'appelante allègue qu'une cession de l'entreprise de Blackstone à Carlton a eu lieu le 1er mars 1993 et il n'y a aucune preuve du contraire.

[9] Les mois de mars et avril, a indiqué M. Penturn, sont des mois occupés. Des états de compte pour les sociétés en commandite et des renseignements sur l'impôt sur le revenu sont envoyés aux commanditaires, les rapports des distributeurs sont examinés car il faut s'assurer que tous les revenus dus aux sociétés en commandite sont remis par les distributeurs; les poursuites contre les distributeurs sont envisagées. Ces services, antérieurement exécutés par Blackstone, allègue l'appelante, ont été repris par elle à compter du 1er mars 1993.

[10] Dans l'exécution des services, Carlton subit notamment les frais suivants : salaires, frais de gestion, loyer, messageries, fournitures et matériel de bureau.

[11] Si je comprends bien le rôle de Carlton, l'appelante fournissait des services principalement à Mithras Management Ltd. (“Mithras”), le commandité de nombreuses sociétés en commandite dont le groupe lié d'entreprises était le promoteur[4]. M. Glastra a expliqué, dans une lettre du 2 mars 1994 à M. Savlov de Revenu Canada, que Carlton administre la perception et la distribution aux investisseurs des revenus reçus par Mithras. Il a expliqué que “à chaque fois qu'une distribution est faite pour le compte du commandité, des frais fixes sont facturés par le commandité aux sociétés en commandite pour les dépenses administratives.” M. Glastra a ajouté que la TPS est payable sur ces frais et a été remise à Revenu Canada. “Toutes les autres sommes servant à exploiter ou à financer [Carlton] proviennent des sommes qui sont encore disponibles et qui existaient avant la mise en oeuvre de la TPS.” Selon la preuve, Mithras avait confié à Amber au départ les services de gestion des frais et Amber avait donné le travail en sous-traitance à Carlton. De toute façon, il n'y avait aucune convention de gestion écrite entre les entreprises avant novembre 1994. Amber versait à Carlton des frais annuels pour ses services de gestion peu après la fin de l'exercice. Les frais payables à Carlton pour l'exercice terminé le 28 février 1994, ce qui comprend la période en question, ont été de 600 000 $, soit des frais mensuels de 50 000 $. (Depuis 1995, les frais sont payés mensuellement.)

[12] Pendant la période du 1er mars 1993 au 31 mai 1993, Carlton n'a pas perçu la TPS. Pour les périodes du 1er juin 1993 au 30 septembre 1993, elle n'a déclaré aucune vente ni aucun revenu, mais elle a fait des achats de 54 422,43 $. Pour le dernier trimestre de 1993, Carlton n'a encore une fois déclaré ni vente ni revenu, et aucun achat. Pour tous ces trimestres, elle a demandé des crédits de taxe sur les intrants[5]. Dans une lettre datée du 12 mai 1995, le comptable de Carlton, Donald B. Forman, C.A., a informé Revenu Canada que “au cours de 1993 et avant le 1er novembre 1994, Carlton n'avait eu aucune fourniture taxable au cours de l'étape de développement des activités commerciales.”

[13] En mars 1993, des états financiers ont été préparés pour l'exercice de 1993 de Carlton se terminant le 28 février 1993. (Des déclarations de revenus pour 1993, comprenant ces états financiers, ont été envoyés à Revenu Canada jusqu'au 10 février 1995 par M. Glastra.) L'actif de Carlton au 28 février 1993 comprenait de l'argent comptant, des parts de fonds du marché monétaire et des comptes débiteurs. Il y avait aussi une dette élevée envers des sociétés affiliées. La plus grande partie des revenus provenaient d'intérêts sur des dépôts. (Un montant de seulement 22 957 $ sur 164 940 $ en revenus n'était pas un revenu d'intérêt.) La plus grande partie des dépenses était d'ordre administratif et une fraction élevée des dépenses administratives était constituée de frais de gestion de 175 000 $ payés à Amber. Il n'y avait pas de frais administratifs payés ou payables à Blackstone. (Ces renseignements comparatifs pour 1992 montrent également que la plus grande partie d'un revenu provenait d'intérêts sur des sommes en dépôt.)

[14] Un document énumérant les changements dans les bénéfices non répartis de Carlton au 28 février 1993 a été produit. Selon ce document, Carlton a remis à M. Savlov des états financiers préliminaires “qui ont été préparés en même temps que le rajustement et la mise au point des états financiers du 28 février 1991”. Il semble que les états financiers originaux pour 1994 ont été faits le 8 mars 1994; le bilan au 28 février 1994 indique que les bénéfices non répartis pour Carlton au 28 février 1993 étaient de 792 351 $ et ont été ramenés à 342 243 $ une année plus tard. L'un des rajustements aux bénéfices non répartis à la fin de 1993 est un montant de frais administratifs de 115 000 $ facturé par Blackstone. Dans une note dans le document énumérant les modifications apportées aux bénéfices non répartis, il est expliqué que “avant le 28 février 1993, Blackstone... fournissait des services administratifs qui étaient nécessaires pour que... Carlton... s'acquitte de ses fonctions. Les frais administratifs sont fondés sur un pourcentage des dépenses engagées par Blackstone. Si le rôle d'agent pour les investisseurs diminuait, il en était de même des frais.” Après les rajustements, les bénéfices non répartis de Carlton à la fin de l'exercice 1993 sont imputés à un montant débiteur de 144 179 $.

[15] Les états financiers “redressés” pour 1993 de Carlton (et les renseignements comparatifs pour 1992) montrent qu'il n'y a aucun revenu d'intérêt provenant des dépôts; tout le revenu provient de frais. Toutefois, le montant de revenu dans les états financiers originaux et révisés est identique.

[16] Selon les états financiers originaux de Carlton pour 1994, également transmis plus tôt à Revenu Canada, la seule source de revenus pour l'année est constituée d'intérêts pour un montant de 82 802 $. Les états financiers ont été redressés le 23 juin 1997[6]. Selon l'état des résultats redressé, la seule source de revenus est des frais de consultation et de gestion, soit le montant de 600 000 $ facturé à Amber. Des frais de gestion de 183 538 $ payables à PFH Investments Limited figurent à titre de dépenses. Les actionnaires de PFH Investments Limited sont M. Penturn et sa soeur.

[17] Les bilans redressés au 28 février 1993 et 1994 et les états des résultats redressés pour 1993 et 1994, ainsi que les bénéfices non répartis, soulèvent des questions. Dans le bilan au 28 février 1993, on trouve comme actif un “placement” de 3 045 633 $ et, dans le bilan au 28 février 1994, on trouve dans l'actif un montant de 2 169 552 $ à la rubrique “Placement - reçus en dépôt”. Or il n'y a aucun revenu de placement dans l'état des résultats de 1993 ni dans celui de 1994. Les revenus pour les deux exercices proviennent de frais seulement. Je présume que les placements étaient producteurs de revenu - rien n'indiquait le contraire - et que les états financiers originaux indiquent plus clairement que les états financiers redressés quelles sont les sources de revenu.

[18] M. Penturn a expliqué pourquoi les états financiers redressés étaient nécessaires. Toutes les entreprises du groupe étaient en retard dans la tenue des documents comptables et elles essayaient de se mettre à jour. Par la même occasion, les entreprises “faisaient de leur mieux pour bien s'occuper des commanditaires.” Pour certaines entreprises, a déclaré M. Penturn, c'est seulement en 1996 et en 1997 que des déclarations de revenus ont été produites “pour de nombreuses années antérieures.” Un comptable agréé embauché par le groupe a eu la difficile tâche de mettre à jour les déclarations de revenus des entreprises.

[19] Plusieurs documents dans le cahier des documents de l'intimée sont reproduits sur du papier à en-tête d'un commandité d'une société en commandite et non de Carlton. L'intimée m'a demandé de conclure que cela donne à entendre que le commandité lui-même, et non Carlton, fournissait certains services aux commanditaires. M. Penturn a expliqué que tous les documents pour une société en commandite étaient envoyés avec le papier à en-tête du commandité, mais que les renseignements figurant dans le document, et le document lui-même, ont été préparés par Carlton.

[20] M. Penturn a concédé que plusieurs employés rémunérés par Carlton peuvent ne pas avoir été “au service exclusivement” d'une société dans le groupe Skyld.

[21] M. Glastra a déclaré dans son témoignage en mars 1993 qu'il a préparé un nouvel ensemble de livres comptables pour Carlton pour tenir compte de la cession de l'entreprise de Blackstone. Les frais de gestion pour les services rendus à Amber dans l'exercice de 1994 de Carlton au montant de 600 000 $ ont été calculés “peu après” la fin de l'exercice de Carlton et, a-t-il précisé, ont été payés peu après. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu'aucune facture n'a été envoyée à Amber et que le compte a été “payé” par une écriture de journal prenant effet le 28 février 1994.

[22] Carlton fournit actuellement des services administratifs, a fait observer M. Glastra. Elle perçoit et remet la TPS. À son avis, Carlton ne fait rien de différent aujourd'hui par rapport à ce qu'elle faisait en mars 1993. Il a concédé que ce n'est pas avant février 1995 que Carlton a déclaré pour la première fois des fournitures taxables.

[23] Voici comment l'“activité commerciale” d'une personne est définie au paragraphe 123(1) de la Loi :

a) l'exploitation d'une entreprise (à l'exclusion d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

...

[24] Sont compris parmi les entreprises :

les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

[25] On entend par l'expression “fournitures exonérées” toute fourniture décrite à l'Annexe V de la Loi. Les services financiers sont inclus dans la définition des fournitures exonérées[7].

[26] Carlton allègue qu'elle a le droit de demander le crédit de taxe sur les intrants car elle exerçait une activité commerciale pendant la période pertinente; son entreprise consistait à fournir “des services de gestion et d'administration” une fois qu'elle a acquis cette entreprise de Blackstone le 1er mars 1993. L'appelante dit qu'elle ne s'occupait pas de fournir des services financiers puisque le service financier ne comprend pas la fourniture de services de gestion et d'administration à une société, à une société en commandite ou à une fiducie, dont l'activité principale consiste à placer des sommes pour le compte d'actionnaires, de membres ou d'autres personnes : alinéa 123(1)q).

[27] Quelle activité Blackstone exerçait-elle le 1er mars 1993 et avant? Apparemment, si j'accepte le témoignage de M. Glastra, il semble que Blackstone n'exploitait pas une entreprise qui effectuait une fourniture taxable. Blackstone n'avait pas perçu la TPS sur tous les frais qu'elle avait facturés pour des services de gestion ou d'administration. De l'avis de M. Glastra, les services que Blackstone fournissait à Amber étaient exonérés de la TPS. M. Glastra a bel et bien affirmé que Blackstone a effectivement reçu des CTI. Il a également confirmé qu'il n'y avait pas eu de changement dans la nature de l'entreprise quand elle est passée de Blackstone à l'appelante. En fait, comme l'a indiqué l'avocat de l'intimée, il n'y avait que de minces indications sur les activités que Blackstone exerçait en réalité le 1er mars 1993 ou avant.

[28] C'est pourquoi l'avocat de l'intimée s'est demandé si Blackstone ne réalisait pas des fournitures taxables et si l'entreprise de Blackstone a été cédée à l'appelante, comment peut-on dire que l'appelante a effectué des fournitures taxables dans l'exploitation de la même entreprise?

[29] Comme Carlton n'a déclaré aucune fourniture taxable jusqu'en février 1995 et n'a pas perçu la TPS pendant la période, l'avocat de l'intimée a conclu que Carlton n'exerçait aucune activité commerciale pendant la période.

[30] L'appelante indique que, pendant la période, Carlton démarrait une entreprise. Son avocate a invoqué le bulletin d'interprétation no IT-364 de Revenu Canada pour alléguer qu'une entreprise commence au moment où une activité importante est entreprise qui fait partie ordinairement du processus de production de revenu dans ce type d'entreprise ou est un préliminaire essentiel à l'exploitation courante. L'avocate a aussi mentionné la décision du juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, qui a affirmé ce qui suit :

Pour ce qui est de la détermination du moment où une entreprise débute, il n'est pas réaliste de dire que c'est au moment où l'on commence à tirer de l'argent du commerce ou de la fabrication d'un bien ou de la prestation d'un service ou, à l'autre extrême, que c'est au moment où l'on a pour la première fois eu l'intention de lancer l'entreprise. Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres, mais, lorsqu'un contribuable a pris des mesures importantes, des mesures essentielles pour exploiter l'entreprise, il est juste de conclure que l'entreprise avait démarré[8]

[31] L'avocate a allégué que le 1er mars 1993, son client a pris des mesures importantes et essentielles pour commencer à exercer l'activité commerciale qui consiste à fournir des services d'administration et de gestion. L'appelante a acquis l'actif de Blackstone et a pris en charge son passif envers ses employés et son propriétaire. Tout l'actif de Blackstone, de même que le savoir-faire des employés, était nécessaire pour l'exercice de l'activité commerciale et l'appelante s'est acquittée de ces activités commerciales.

[32] En 1995, le comptable de l'appelante, M. Forman, a informé Revenu Canada que, au cours de 1993 et avant le 1er novembre 1994, Carlton n'avait eu aucune fourniture taxable. M. Forman a dit de cette période qu'il s'agissait de l'étape de développement des activités commerciales de l'appelante. M. Forman n'a pas été appelé à témoigner.

[33] Je trouve étrange la position de l'appelante selon laquelle, au cours de l'année civile 1993 et dans la première moitié de 1994, du moins, Carlton en était à l'étape du “démarrage” ou du “développement” de l'activité commerciale. L'appelante a indiqué clairement que, le 1er mars 1993, elle a acquis l'exploitation en activité de Blackstone, qui consistait à offrir des services d'administration et de gestion. Je crois savoir que, si une entreprise est cédée et qu'il s'agit d'une entreprise en activité, il y a continuité de l'exploitation.

[34] Par conséquent, si l'entreprise de Blackstone a été cédée en tant qu'entreprise en activité, Carlton a donc commencé à exploiter l'entreprise sans interruption le 1er mars 1993 et il n'y a eu aucune étape de “démarrage” ou de “développement” pour ce qui est de Carlton. L'entreprise a eu son étape de “démarrage” chez Blackstone. Il n'y a eu aucune étape de “développement” ou de “démarrage” une fois que Carlton eut acquis l'entreprise de Blackstone en tant qu'entreprise en activité, soit une entreprise qui avait des clients et des fonctions à remplir dans l'exploitation d'une entreprise arrivée à maturité à ce moment-là. Par conséquent, Carlton aurait dû percevoir la TPS et avoir droit aux CTI. Si en revanche elle n'a perçu aucune TPS, est-ce parce que Carlton n'avait pas encore commencé à exploiter l'entreprise qu'elle avait supposément acquise? Mars et avril sont des mois occupés pour l'entreprise; or Carlton n'a effectué aucune fourniture pendant ces mois. Il y a quelque chose ici qui ne va pas. S'il y a eu une période creuse dans l'exploitation de l'entreprise par Carlton après le 1er février 1993, on ne sait pas alors qui a exploité l'entreprise pendant ses “mois occupés”, du moins. Si Carlton n'a pas exploité l'entreprise une fois qu'elle devait supposément l'avoir acquise en tant qu'entreprise en activité, je n'ai alors devant moi aucune preuve pour conclure que Carlton avait l'intention d'exploiter l'entreprise qu'elle avait l'intention d'acquérir dans un délai raisonnable. Si en revanche Carlton a bel et bien exploité l'entreprise une fois qu'elle l'a acquise et que les choses sont telles que l'appelante dit qu'elles sont, toute personne raisonnable devrait alors conclure que Carlton a effectué des fournitures pendant ses “mois occupés” de mars et avril 1993. Or rien de ce que j'ai entendu au procès ne démontre que Carlton a exploité l'entreprise.

[35] Les définitions de “fourniture” et de “fourniture taxable” qu'on trouve au paragraphe 123(1) de la Loi sont suffisamment larges pour englober ensemble à peu près toutes les formes d'opérations : vente, cession, troc, échange, licence, location, bail, cadeau ou disposition faite dans le cours d'une activité commerciale. La définition d'“activité commerciale” au paragraphe 123(1) de la Loi n'exige pas expressément que des fournitures taxables soient réalisées. Il est néanmoins difficile d'imaginer qu'une entreprise puisse être exploitée sans que son activité ne soit assimilable à une fourniture.

[36] De façon concrète, dans l'exploitation d'une entreprise, sauf dans la mesure où il s'agit de réaliser des fournitures exonérées, presque toutes les activités constituent des fournitures. Par définition, ces fournitures sont des fournitures taxables. De toute façon, il y a activité commerciale si une entreprise participe à la réalisation de fournitures par la personne qui exploite l'entreprise et qui ne sont pas des fournitures exonérées. Puisque l'appelante n'a déclaré ni vente ni revenu pendant la période, on peut raisonnablement supposer qu'elle n'a pas exercé d'activité commerciale pendant la période et, si tel est le cas, l'appelante ne peut être jugée admissible aux CTI dans la période[9].

[37] Conformément au paragraphe 169(1) de la Loi, les CTI sont accordés si la taxe sur des intrants relativement à une fourniture devient payable ou est payée par une personne inscrite. Le recouvrement de la taxe payée est limité dans la mesure où les intrants ont été acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cours d'activités commerciales de la personne. Dans Nineteen Ninety Clothing Co. Inc. v. The Queen, [1994] GST C 84 (CCI), aux pages 84-85, le juge Garon, de la C.C.I., dans une remarque incidente, a dit :

En vertu du paragraphe 169(1) de la Loi, une personne a droit à un crédit de taxe sur les intrants au titre d'un service qu'elle acquiert uniquement si la taxe relative à la fourniture devient payable par la personne ou est payée par elle. D'une manière générale, l'acquéreur d'une fourniture taxable a droit à un crédit de taxe sur les intrants et peut recouvrer auprès de l'État la taxe qu'il a payée dans la mesure où il utilise le bien ou le service dans la production d'autres fournitures taxables.

Les CTI ne sont accordés que si les intrants pour lesquels ils sont demandés ont servi à la production d'autres fournitures taxables[10]. Carlton n'a déclaré aucune fourniture taxable pendant la période en question au cours de laquelle, si elle exploitait effectivement l'entreprise qu'elle prétend avoir acquis immédiatement à l'acquisition, des fournitures auraient été effectuées.

[38] Par conséquent, l'appelante n'a pas droit aux CTI pour la période et son appel est rejeté avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 1998.

“Gerald J. Rip”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour d'octobre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Annexe V de la Loi, Partie VII.

[2]               Les personnes qui effectuent des fournitures taxables dans le cadre d'une activité commerciale sont tenues d'être inscritesa. Les personnes qui ne sont pas tenues d'être inscrites peuvent s'inscrire volontairement si elles exercent une activité commercialeb. Il s'agit donc de savoir si, étant donné qu'elle n'exerçait pas des activités commerciales au moment de son inscription, Carlton pouvait dûment s'inscrire selon la Loi. Même si le Ministre a le pouvoir d'inscrire toute personne qui demande à le fairec, on peut dire que, dans le cas où un inscrit n'exerce pas une activité commerciale au moment de son inscription, l'inscription devrait être considérée comme nulle et ne pas lier le Ministred.

            Il se peut très bien que le paragraphe 241(1) doive être interprété de façon restrictive parce que le paragraphe 240(3) serait dénué de sens et inutile si le pouvoir du Ministre selon le paragraphe 241(1) d'inscrire toute personne qui le demande était suffisamment large pour comprendre n'importe qui sans condition. Une interprétation large aurait pour effet d'aller à l'encontre des présomptions interprétatives contre l'absurdité et l'incohérencee. Toutefois, selon les Notes techniques (mai 1990) accompagnant le paragraphe 240(3), il semblerait que la disposition a pour objet de procurer un allégement à certaines catégories spécifiques de personnes, comme les petits fournisseurs. À cet égard, on peut dire que le paragraphe 240(3) sert à guider le Ministre dans sa décision quant aux types de personnes à inscrire parmi celles qui demandent volontairement de le faire, sans concrètement limiter ses pouvoirs généraux d'accepter la demande de personnes qui ne répondent pas aux exigences du paragraphe 240(3). Si l'inscription d'une personne est jugée nulle, l'appel de cette personne doit alors être rejeté puisque le paragraphe 169(1) indique clairement que, pour avoir droit à un CTI, il faut nécessairement qu'une personne soit inscrite au préalable. Cette question n'a pas été soulevée devant moi et il pourrait être nécessaire d'y revenir plus tard.

__________________________

                a               Paragraphe 240(1) de la Loi.

                b               Alinéa 240(3)a) de la Loi.

                c               Paragraphe 241(1) de la Loi.

                d               Voir B.J. Northern Enterprises v. The Queen, [1995] GSTC 12-1, où la Couronne a invoqué comme précédents : M.R.N. c. Inland Industries Limited, [1974] R.C.S. 514 à la p. 524 (juge Pigeon); Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration, [1986] 3 C.F. 70. Pour l'analyse finale dans B.J. Northern, il n'était pas nécessaire que cet argument soit examiné, de sorte que la question reste entière. Voir aussi la Série des mémorandums sur la TPS, chapitre 2.3, “Inscription au choix” (juin 1995) où, à l'alinéa 6, le Ministère indique que l'auteur de la demande doit exercer une activité commerciale ou manifester une intention claire de le faire pour avoir droit à l'inscription volontaire.

                e               Voir Ruth Sullivan, ed., Driedger on the Construction of Statutes, 3rd. ed. (Toronto: Butterworths, 1994), aux pages 85-86 et 176.

[3]               Il n'existe aucune preuve que Carlton ou Amber ou toute autre société dans le même groupe de sociétés ait demandé à faire un choix conformément à l'article 156 de la Loi de sorte que les fournitures taxables entre des sociétés aussi étroitement liées soient réputées être faites sans contrepartie. L'avocate ne m'a mentionné aucune disposition de la Loi pour étayer la position de M. Glastra selon laquelle aucune TPS n'était payable sur d'autres opérations interentreprises et je n'ai pas demandé à l'avocate de le faire.

[4]               Pièce A-1, onglets 7, 8 et 9.

[5]               Pièce A-1, onglets 7, 8 et 9.

[6]               Cela s'est produit après que l'appelante s'est opposée à la cotisation en question le 8 mars 1995. L'avis de nouvelle cotisation pour la période se terminant le 30 novembre 1993 est daté du 10 février 1995.

[7]               Paragraphe 123(1) de la Loi et Partie VII de l'Annexe V.

[8]               Gatry v. The Queen, 94 DTC 1947 à la page 1949. Voir aussi Samson et Frères Ltée v. The Queen, 97 DTC 642 aux pages 645 à 646 (juge Dussault, C.C.I.).

[9]               Je ne pense pas qu'il soit nécessaire au moment du “démarrage” d'une entreprise, par exemple, que des fournitures soient effectuées pour qu'elle ait droit aux CTI. Les dépenses donnant lieu aux CTI doivent être faites avec l'intention d'exercer une activité commerciale ou dans le cours d'une activité commerciale. Il existe aussi des circonstances pour lesquelles aucune TPS n'est payée ou payable et où, malgré tout, le droit aux CTI reste (par exemple, lorsque des fournitures taxables sont réputées être détaxées selon un choix exercé en vertu de l'article 156).

[10]             Cette proposition est également étayée par l'article 141.01 de la Loi. Lorsqu'une entreprise participe à la réalisation de fournitures à la fois taxables et exonérées, l'article 141.01 de la Loi prévoit l'attribution des coûts à la réalisation de fournitures. Sous réserve de mes observations à la note en bas de page no 9, c'est seulement s'il y a de tels coûts et dans la mesure où ils ont été engagés pour la réalisation de fournitures taxables qu'ils donneraient droit aux CTI.

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