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Date : 19971127

Dossiers : 97-481-UI; 97-90-CPP

ENTRE :

LOUISE MOHR,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Regina (Saskatchewan) le 24 octobre 1997)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Il s'agit ici de savoir si Shelley Agnew (“Shelley”), qui gardait les enfants de Louise Mohr (l'“appelante”), exerçait un emploi assurable ou si elle était un entrepreneur indépendant. L'appelante et son mari ont trois enfants : Colin, qui est né en août 1990, Spencer, qui est né en septembre 1991 et Renee, qui est née en juin 1993. Le père travaille pour Saskatchewan Power et la mère travaille pour le service des incendies de Regina à titre d'administratrice. Le père et la mère exercent tous les deux des emplois à plein temps en ces qualités. Étant donné qu'ils travaillaient à plein temps, ils avaient besoin de quelqu'un pour garder leurs trois jeunes enfants.

[2] En janvier 1994, l'appelante et son mari se sont entendus avec Shelley pour que celle-ci garde les trois enfants aux conditions ci-après énoncées. Shelley se rendait chez l'appelante et son mari chaque jour de la semaine à 7 h 30 et y restait jusqu'à 17 h 30. Pendant cette journée de dix heures, Shelley gardait seule les trois enfants et était responsable de leur bien-être physique et émotionnel. Elle les faisait manger, elle les amenait au parc et à la bibliothèque. Elle pouvait les amener chez elle, dans son appartement, mais en fait elle devait les garder chez l'appelante parce qu'il n'était pas commode de les amener chez elle. De plus, en allant chez l'appelante, Shelley disposait de tout ce qu'il fallait pour s'occuper de jeunes enfants, par exemple, des bouteilles, des jouets et des articles comme des vêtements et des couches et des installations pour faire la lessive. Selon l'entente, Shelley faisait la lessive et effectuait de petits travaux ménagers de façon qu'en revenant à la maison le soir, les parents ne trouvent pas un amas de linge sale. Shelley jouissait d'une grande liberté pendant la journée dans la mesure où elle s'occupait des enfants d'une façon responsable. Elle pouvait faire à peu près ce qu'elle voulait. Toutefois, si elle devait utiliser un véhicule, l'appelante et son mari insistaient pour que Shelley utilise la fourgonnette familiale dans laquelle il y avait des ceintures de sécurité et des sièges appropriés pour protéger les enfants pendant le transport.

[3] Shelley était apparemment titulaire d'un baccalauréat en éducation; elle avait également suivi un cours de réanimation cardio-respiratoire ainsi qu'un cours de secourisme. Elle gagnait 50 $ par jour ou 250 $ par semaine et elle était rémunérée deux fois par mois, de sorte qu'il y avait chaque année 24 périodes de paie. Comme il en a été fait mention, elle a commencé à travailler pour la famille Mohr en janvier 1994 et a continué à travailler à cet endroit jusqu'en septembre 1997, lorsqu'elle est allée travailler ailleurs. De toute évidence, Shelley était une personne responsable.

[4] Il s'agit ici de savoir si les services fournis par Shelley peuvent être considérés comme étant régis par un contrat de louage de services, de sorte que l'emploi était assurable, ou si Shelley était un entrepreneur indépendant plutôt qu'une employée exerçant un emploi assurable conformément à la Loi sur l'assurance-chômage et au Régime de pensions du Canada.

[5] L'appelante soutient que Shelley était un entrepreneur indépendant parce que, à part les tâches assignées par l'appelante et son mari, elle jouissait d'une grande liberté d'action lorsqu'il s'agissait d'accepter de s'occuper d'autres enfants. Ainsi, en 1994, une enfant qui s'appelait Amanda Walton, qui avait huit ou neuf ans, avait besoin d'être gardée pendant que ses parents travaillaient. Shelley s'est entendue avec les parents d'Amanda pour que l'enfant se rende chez les Mohr à midi pour prendre son repas, puis de nouveau dans l'après-midi de 15 h 30 à 17 h 30 pour se faire garder tant que ses parents ne venaient pas la chercher. L'appelante a déclaré qu'elle n'était pas au courant des dispositions qui avaient été prises entre Shelley et les parents d'Amanda au sujet de la rémunération parce qu'elle estimait que cela ne la concernait pas. Toutefois, elle savait qu'Amanda venait chez eux et elle n'y voyait pas d'inconvénients.

[6] De même, en 1995, Shelley s'occupait de deux autres enfants qui s'appelaient Ben et Heidi, qui étaient frère et soeur. Ils étaient fort jeunes, l'un ayant six mois et l'autre environ deux ans et demi. Apparemment, les parents de Ben et de Heidi s'étaient entendus avec Shelley pour que celle-ci s'occupe des enfants et, lorsque l'appelante a pris connaissance de l'entente, elle ne s'y est pas opposée parce que Shelley semblait être capable de s'occuper de deux autres enfants et que cela n'arrivait que d'une façon occasionnelle, les enfants étant gardés sur une base moins fréquente. L'appelante ne savait pas combien d'argent les parents de Ben et de Heidi versaient à Shelley.

[7] De plus, il y avait un autre enfant, Nicholas, qui habitait de l'autre côté de la rue; ses parents travaillaient et ils ont demandé à l'appelante si Shelley pouvait parfois s'occuper de leur fils. Voici ce que l'appelante leur a répondu : “Il faut vous adresser à Shelley. Nous voulons bien, si elle accepte, mais il faut vous entendre avec elle.” Shelley a refusé de s'occuper de Nicholas, qui était un tout petit bébé. Toutefois, elle le gardait parfois chez l'appelante, mais uniquement en cas d'urgence, lorsque la personne qui s'occupait de Nicholas ne pouvait pas le garder et que les parents avaient besoin d'une gardienne à bref délai. Shelley s'occupait de Nicholas pour une demi-journée ou une journée, mais elle ne le faisait pas régulièrement.

[8] L'appelante a cité ces exemples, au sujet d'Amanda, de Ben et de Heidi et de Nicholas, pour montrer la latitude qu'avait Shelley, qu'elle n'était pas tenue de fournir ses services exclusivement aux enfants de l'appelante et de son mari et pour montrer que la situation de Shelley ressemblait davantage à celle d'une personne qui exploitait une entreprise pour des clients, notamment pour l'appelante et son mari. Cet argument est fondé. Shelley pouvait se servir à d'autres égards de la maison des Mohr comme elle l'entendait. Elle utilisait leur ordinateur pour effectuer ses propres travaux; elle exécutait des travaux à l'aiguille et d'autres travaux manuels et, de toute évidence, elle méritait la confiance que l'appelante et son mari lui accordaient.

[9] À un moment donné pendant l'automne 1995, Shelley voulait perfectionner ses connaissances; elle s'est rendue au Centre d'emploi du Canada pour se renseigner sur les cours qui étaient offerts. Lorsqu'on lui a demandé des renseignements au sujet de ses antécédents, il a été découvert que ni l'appelante ni elle ne versaient de cotisations d'assurance-chômage et de cotisations au Régime de pensions du Canada en ce qui concerne les services fournis et l'on s'est demandé si Shelley exerçait un emploi assurable. En février 1996, le ministre du Revenu national a décidé que Shelley était une employée et que son emploi était réputé avoir commencé en janvier 1995. Shelley et l'appelante ont interjeté appel contre cette décision et, à la fin de 1996, la décision du ministre a été confirmée. Un appel a ensuite été interjeté devant cette cour.

[10] Je me demandais si l'emploi pouvait être considéré comme occasionnel au sens de l'alinéa 3(2)b) de la Loi sur l'assurance-chômage. Toutefois, aucun argument n'a été avancé avec jurisprudence à l'appui au sujet de la mesure dans laquelle cette disposition a été interprétée; en l'absence d'arguments d'ordre juridique, j'ai tendance à croire qu'il ne s'agit pas d'un emploi occasionnel puisque le service était fourni d'une façon régulière et uniforme dix heures par jour, cinq jours par semaine, 52 semaines par année. Je crois que cela a pour effet d'exclure l'emploi de la catégorie des emplois occasionnels. Toutefois, il reste à savoir si Shelley était une employée ou un entrepreneur indépendant. Dans le cadre de l'argumentation, l'avocat de l'intimé m'a référé aux critères bien connus que la Cour d'appel fédérale a énoncés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Pour plus de commodité, j'appliquerai brièvement ces critères au présent cas.

[11] En ce qui concerne la question du contrôle, ce critère milite en faveur de l'existence d'un emploi par opposition à un travail effectué par un entrepreneur indépendant parce que les heures étaient fixées par l'appelante et que le service devait être fourni de façon à accommoder l'appelante et son mari, soit de 7 h 30 à 17 h 30. L'appelante assignait les tâches et celles-ci devaient être accomplies à sa satisfaction tant en ce qui concerne les soins physiques comme le fait de faire manger les enfants et de les laver et de faire la lessive, que les soins émotionnels à apporter dans une atmosphère où les enfants pouvaient se sentir en sécurité et à l'aise. Il existait un certain contrôle parce qu'en 1995, l'aîné aurait eu cinq ans et pouvait se plaindre à sa mère. Colin et Spencer auraient tous les deux pu se plaindre à leurs parents en 1995 et en 1996 s'ils n'étaient pas heureux ou si Shelley les avait traités d'une façon irresponsable. Par conséquent, bien qu'il n'y ait pas eu de supervision directe pendant la journée de dix heures, il existait un mécanisme de contrôle lorsqu'il s'agissait de savoir si l'on prenait soin des enfants d'une façon responsable et sûre et dans une atmosphère agréable. Quant au critère du contrôle, je crois qu'il milite en faveur de l'existence d'un emploi plutôt que d'un travail effectué à titre d'entrepreneur indépendant.

[12] En ce qui concerne la propriété des instruments de travail, ma première réaction est qu'on ne songe pas à des instruments dans le cas de services comme ceux-ci. Les instruments, dans un lieu de travail, sont habituellement des outils à la main, comme le marteau et la scie du menuisier, ou les outils du machiniste, comme un tour ou une perceuse à colonne. On ne songe pas à des instruments de travail dans le cas de la garde d'enfants, mais si l'on attribue à cette expression un sens plus large, c'est-à-dire qu'elle s'applique à des articles qui permettent de fournir un service, il s'agirait de la vaisselle et de la coutellerie utilisées pour nourrir les enfants, de la cuisinière servant à faire chauffer les aliments, des jouets, des couches, parce qu'il s'agit d'articles nécessaires lorsqu'on s'occupe d'un enfant en bas âge, ainsi que d'une fourgonnette pour transporter les enfants si l'on veut faire des sorties. Étant donné que tous ces “instruments de travail” appartenaient à l'appelante et étaient fournis par cette dernière, ce critère milite en faveur de l'existence d'un emploi.

[13] Le troisième critère se rapporte aux chances de bénéfice et aux risques de perte. À cet égard, l'appelante soutient que la possibilité pour Shelley de s'occuper d'autres enfants comme Amanda, Ben et Heidi, et Nicholas, ou de refuser de le faire, est une chance pour elle d'augmenter son revenu. Il est certain que Shelley pouvait le faire si l'appelante le lui permettait, mais je ne crois pas que ce soit le fait pertinent lorsqu'il s'agit d'appliquer le critère des chances de bénéfice ou des risques de perte. Je ne puis constater aucun risque de perte parce que, dans la mesure où les tâches assignées étaient accomplies, la rémunération quotidienne de 50 $ était versée. La rémunération n'était pas fixe, comme un taux horaire, mais elle était tout aussi sûre que le salaire horaire ou le salaire quotidien ou hebdomadaire qui pourrait être versé lorsque d'autres genres de services sont fournis. J'estime que les chances de bénéfice et les risques de perte militent en faveur de l'existence d'un emploi parce que la rémunération était garantie et qu'il n'y avait pas de risques de perte. La question de savoir si Shelley était prête à s'occuper d'autres enfants ne dépendait que d'elle et des parents des autres enfants. À mon avis, cela n'influe pas sur la relation permanente établie entre Shelley et l'appelante.

[14] Comme les parties l'ont fait savoir dans leurs plaidoiries, le critère d'intégration n'est pas pertinent en l'espèce. Shelley était la principale pourvoyeuse de soins pour le compte de l'appelante.

[15] Il est intéressant de noter de quelle façon cette affaire a pris naissance parce que, à mon avis, et je crois que cela ressort clairement du témoignage de l'appelante, Shelley et l'appelante n'ont jamais considéré ce service comme donnant lieu à un emploi assurable. Cette idée ne leur était tout simplement jamais venue à l'esprit et elles n'y auraient pas songé si ce n'avait été du fait que Shelley s'est rendue au Centre d'emploi du Canada pour se renseigner sur certains programmes dont elle pourrait se prévaloir. Par suite de sa demande de renseignements, un agent du Centre lui a demandé, comme il était logique de le faire, si elle exerçait un emploi assurable et ce qu'elle faisait. Après que Shelley eut raconté son histoire, toute une série d'enquêtes ont été faites en vue de savoir si le service qu'elle fournissait à l'appelante donnait lieu à un emploi assurable et, après de longues démarches, les parties se sont retrouvées devant cette cour.

[16] Je conclus en droit que Shelley exerçait un emploi assurable. C'est ce que dit la jurisprudence. Toutefois, j'aimerais ajouter que je ne puis concevoir qu'au moment où la législation a d'abord été édictée à la fin des années 1940 ou au moment où elle a été révisée, comme elle l'a été de temps en temps, je ne puis croire qu'on ait considéré, si ce n'est récemment, que le travail occasionnel d'une personne qui garde des enfants à domicile constitue un emploi assurable, rendant cette personne admissible aux prestations d'assurance-chômage. Nous vivons dans une société où les lois et règlements constituent de plus en plus une intrusion exagérée dans la vie des citoyens. Nous avons ici le cas d'une personne qui veut perfectionner ses connaissances et qui se renseigne sur le genre d'aide disponible, ce qui déclenche toute une série de conséquences, de sorte que Shelley et l'appelante se trouvent soudainement non seulement dans une relation employeur-employé, mais aussi dans une relation qui donne lieu à la nécessité de retenir et de verser des cotisations d'assurance-chômage et des cotisations au Régime de pensions du Canada. Cela montre jusqu'à quel point la société est réglementée d'une façon outrancière. Cependant, ce ne sont pas les juges qui édictent les lois; ils ne font que les interpréter et les appliquer à certaines situations, comme je me vois obligé de le faire en l'espèce. C'est avec réticence que je statue que Shelley exerçait un emploi assurable en 1995, en 1996 et en 1997 et que je rejette les appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de novembre 1997.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de janvier 1998

Monique Pelletier, réviseure

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