Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980310

Dossier: 95-3648-IT-G

ENTRE :

ANNE LYONS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec) le 27 octobre 1997, puis révisés à Ottawa (Ontario) le 10 mars 1998)

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), cotisation dont l'avis est daté du 26 octobre 1993 et par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a réclamé à l'appelante une somme de 20 074 $. Dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi, le ministre se fondait sur les faits énoncés au paragraphe 3 de la réponse à l'avis d'appel modifié, ainsi libellé:

[TRADUCTION]

a) durant toute la période pertinente, Gaston Régimbal était le conjoint de l'appelante;

b) en 1989 et en 1990, Gaston Régimbal travaillait pour Système Shatov International Ltée ( « Shatov » );

c) en novembre 1989 ou vers le mois de novembre 1989, Gaston Régimbal a donné pour instructions à Shatov de transférer son salaire à l'appelante;

d) conformément aux instructions reçues, Shatov a émis des chèques en faveur de l'appelante au cours de la période commençant le 28 novembre 1989 ou vers cette date et se terminant le 27 août 1990 ou vers cette date, soit des chèques représentant au total 21 000 $;

e) l'appelante n'a donné aucune contrepartie à Gaston Régimbal pour lesdits chèques;

f) de plus, l'appelante n'a jamais travaillé pour Shatov et n'a jamais donné de contrepartie à Shatov pour lesdits chèques;

g) le total des montants que Gaston Régimbal devait payer en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition au cours desquelles l'argent a été transféré ou une année d'imposition antérieure était de 20 074,04 $.

[2] L'appelante conteste la cotisation en cause pour deux motifs.

[3] Premièrement, elle fait valoir que la cotisation a été établie à l'égard d'un transfert d'actifs qui a eu lieu entre le 28 décembre 1989 et le 26 avril 1990. Elle soutient donc que l'intimée ne peut se fonder, comme elle le fait dans sa réponse, sur un transfert d'argent qui aurait eu lieu avant et après cette période.

[4] Deuxièmement, l'appelante soutient qu'elle n'a jamais eu la propriété bénéficiaire des chèques totalisant 21 000 $ qui ont été faits à son nom par l'employeur de son ex-mari, Système Shatov International ( « Shatov » ).

[5] En vertu de l'article 160 de la Loi, lorsqu'il y a un transfert de biens entre conjoints, le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

a) l'excédent de la juste valeur marchande des biens transférés sur la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour le bien,

b) le montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la Loi pour l'année d'imposition au cours de laquelle les biens ont été transférés ou une année d'imposition antérieure.

[6] Telle est la version de l'article 160 modifiée par 1980-81-82-83, ch. 140, applicable aux transferts de biens survenant après le 12 novembre 1981. Antérieurement, l'article 160 disposait que l'auteur et le bénéficiaire du transfert étaient solidairement responsables du paiement du moins élevé des deux montants suivants : a) la somme qu'il incombait à l'auteur du transfert de payer en vertu de la Loi le jour du transfert; b) la valeur des biens transférés. Donc, avant le 12 novembre 1981, le jour du transfert des biens était crucial dans l'établissement de l'obligation fiscale du bénéficiaire en vertu de l'article 160. La décision rendue par le juge Pinard de la section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Furfaro-Siconolfi v. M.N.R., [1990] 1 C.T.C. 188, citée par l'avocat de l'appelante, était fonction de cette ancienne version de l'article 160.

[7] Une analyse de la version actuelle de l'article 160 indique que le jour exact du transfert n'est plus important, car le bénéficiaire est responsable du paiement du montant que l'auteur du transfert doit payer pour l'année d'imposition au cours de laquelle les biens ont été transférés ou une année d'imposition antérieure. Dans l'avis de cotisation, le ministre a déterminé que le montant que devait M. Régimbal en vertu de la Loi était de 20 074 $. Par cette même cotisation, le ministre a déterminé que l'appelante était responsable du paiement de ce montant relativement à un transfert de biens survenu en 1989 et en 1990.

[8] La période exacte du transfert de biens dans les années 1989 et 1990 n'a donc aucune incidence sur la cotisation. S'il est établi que Gaston Régimbal devait payer un montant de 20 074 $ en vertu de la Loi pour l'année d'imposition au cours de laquelle les sommes ont été transférées ou une année d'imposition antérieure — et cela n'est pas contesté —, les mois exacts au cours desquels, d'après la cotisation, les transferts ont eu lieu dans ces années-là ne sont pas importants. Donc, je ne puis accepter le premier argument de l'appelante.

[9] En outre, l'appelante ne peut arguer qu'on a fait fi des principes de justice naturelle en ne lui indiquant pas dans la cotisation elle-même la période exacte du transfert des actifs. L'intimée, qui se fondait sur un document déposé par l'appelante sous la cote A-3, a clairement mentionné dans sa réponse à l'avis d'appel modifié les dates des transferts et a clairement indiqué dans sa liste de documents les chèques précis sur lesquels le ministre avait fondé sa cotisation.

[10] De plus, comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Riendeau v. The Queen, 91 DTC 5416, le cheminement de la pensée du ministre dans l'établissement d'une cotisation ne peut influer sur l'obligation d'un contribuable de payer l'impôt prévu par la Loi elle-même.

[11] Pour tous ces motifs, le premier argument de l'appelante doit être rejeté.

[12] En ce qui a trait au second argument de l'appelante, cette dernière soutient qu'elle n'a jamais eu la propriété bénéficiaire des chèques que Shatov lui a faits. J'ai entendu le témoignage de l'appelante et celui de son ex-mari, M. Régimbal. Pour commencer, je dirais que, vu ma décision sur le premier argument, j'admettrai en preuve tous les documents qui ont été déposés, sous réserve de l'objection soulevée par l'avocat de l'appelante. Ces documents indiquent le nombre exact de chèques qui ont été faits à l'appelante par Shatov et sur lesquels se fonde la cotisation; ces documents incluent aussi les relevés bancaires de l'appelante pour les années 1989 et 1990. Je considère ces documents comme tout à fait pertinents, et ils étaient dûment énumérés dans la liste de documents de l'intimée.

[13] M. Régimbal et l'appelante ont tous les deux témoigné que l'appelante n'avait jamais bénéficié de l'argent. Les chèques faits par Shatov à l'appelante représentaient le salaire de M. Régimbal. Le propre compte bancaire de M. Régimbal a été saisi par deux créanciers principaux : Revenu Canada et l'ex-épouse de M. Régimbal.

[14] L'appelante et M. Régimbal se sont mariés le 30 juin 1989. Ils s'étaient rencontrés huit mois avant le mariage. L'appelante travaillait pour la même compagnie — ce n'était pas Shatov — depuis seize ans, et son salaire hebdomadaire de 344 $ était régulièrement déposé dans son compte bancaire, comme en fait foi la pièce R-1. L'appelante a témoigné que, les premiers mois du mariage, son époux n'avait aucun revenu. Par contre, elle a dit qu'il était chargé de payer le loyer.

[15] Le 28 novembre 1989, M. Régimbal a donné pour instructions à son employeur, Shatov, dont il était actionnaire, d'émettre des chèques à l'ordre de l'appelante. Ainsi, son salaire ne serait pas saisi par ses créanciers. D'après les relevés bancaires déposés sous la cote R-1, un montant de 3 000 $ avait été déposé dans le compte bancaire de l'appelante le 29 novembre 1989, lequel montant correspond au montant exact du chèque fait à l'appelante le jour précédent. Un autre montant, de 1 000 $, a été déposé dans le même compte bancaire le 27 décembre 1989. Un chèque de 1 000 $ avait été émis en faveur de l'appelante le 22 décembre, et un autre chèque, d'un montant de 2 000 $, avait été émis en sa faveur le 28 décembre 1989. Selon l'appelante, le montant de 1 000 $ déposé dans son compte bancaire peut avoir été pris sur les chèques qui lui avaient été faits. Le 28 juin 1990, un montant de 1 600 $ a aussi été déposé dans le compte bancaire de l'appelante. Le 27 juin 1990, un chèque de 3 000 $ avait été fait à l'appelante.

[16] En outre, les relevés bancaires font état d'autres dépôts — mis à part le salaire de l'appelante — se situant entre 500 $ et 968 $. L'avocat de l'appelante soutenait que l'intimée n'avait pas prouvé que ces montants déposés dans le compte bancaire de l'appelante correspondaient aux chèques faits par Shatov à l'appelante. Sur ce point, c'est l'appelante qui a la charge de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les chèques qui lui ont été faits par Shatov n'étaient pas pour elle.

[17] L'appelante a dit qu'elle avait peut-être encaissé les chèques et remis l'argent à son époux, qui voyageait beaucoup et n'avait aucune carte de crédit. Elle a dit qu'elle ne savait pas que son époux devait de l'argent à Revenu Canada. Elle semblait savoir toutefois que le compte bancaire de son époux avait été saisi et elle a reconnu que c'est parce qu'elle ne voulait pas que le salaire de son époux soit saisi qu'elle avait accepté d'encaisser les chèques pour lui.

[18] Contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Delisle v. Canada, [1995] 1 C.T.C. 2007, citée par l'avocat de l'appelante, je ne suis pas convaincu que l'appelante n'a jamais utilisé cet argent pour elle et qu'elle agissait seulement comme mandataire de son époux à cette époque.

[19] Il est à noter que les relevés bancaires déposés sous la cote R-1 indiquent que l'appelante avait tous les mois dans son compte des sommes totales allant d'environ 3 000 $ à 6 000 $. Ces sommes sont beaucoup plus élevées que son propre salaire. Sauf pour ce qui est de son salaire, personne n'a expliqué de qui elle recevait ces sommes (si ce n'était pas de son époux) et ce que représentaient au juste les débits si ceux-ci n'étaient pas pour son propre usage. Ni l'appelante ni le témoin de la Banque Royale convoqué par l'appelante n'ont fourni d'explication sur ce point ou concernant les symboles figurant à côté des montants dans les relevés bancaires. L'avocat de l'appelante a seulement essayé de faire obstacle au dépôt de ces documents, qui sont à mon avis importants pour trancher les questions en litige dans cette affaire.

[20] On n'a présenté aucun élément de preuve pour contredire le contenu de ces documents, ce qui me porte à croire que l'appelante pouvait utiliser pour elle-même l'argent des chèques en question à l'époque où elle savait que le compte bancaire de son époux avait été saisi.

[21] De plus, le fait que M. Régimbal ait indiqué les montants des chèques dans ses déclarations d'impôt ne change pas le résultat. En fait, c'était son salaire, qu'il devait indiquer dans ses déclarations d'impôt et qu'il transférait simplement ensuite à l'appelante.

[22] La preuve dont je suis saisi ne me permet pas de conclure, comme dans l'affaire Wink v. M.N.R., [1988] 2 C.T.C. 2253, citée par l'avocat de l'appelante, que l'appelante et son époux n'avaient nullement l'intention d'effectuer un transfert valide ou de créer entre eux des droits juridiquement exécutoires. Je conclus donc que l'appelante n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités que le montant de 21 000 $ ne lui avait jamais été cédé ou transféré. En vertu de l'article 160 de la Loi, elle était donc responsable du paiement des 20 074 $ dus par M. Régimbal pour l'année d'imposition au cours de laquelle les biens ont été transférés ou une année d'imposition antérieure.

[23] L'appel est rejeté, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mars 1998.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 1998.

Benoît Charron, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.