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Date: 19980728

Dossier: 95-456-IT-G

ENTRE :

DATA KINETICS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I. :

[1] L'appelante, Data Kinetics Ltd., interjette appel contre des cotisations relatives aux années d'imposition ayant pris fin le 10 janvier 19931 et le 31 décembre 1993, cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction d'une partie des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental ( « RS & DE » ) que l'appelante avait initialement déduites en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et, en conséquence, a refusé le crédit d'impôt à l'investissement demandé en vertu des articles 127 et 127.1 de la Loi.

[2] En ce qui concerne l'exercice ayant pris fin le 10 janvier 1993, une déduction de 78 591 $ a initialement été refusée en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi, mais une déduction de 63 516 $ a été admise en vertu du paragraphe 37(2) à titre de dépense faite pour des activités de RS & DE exercées à l'étranger. Dans son avis d'appel modifié, l'appelante a déclaré que seul le montant de 63 516 $ était en litige. Par conséquent, sur le crédit d'impôt à l'investissement de 27 507 $ qui a été refusé en vertu des articles 127 et 127.1 de la Loi, seul un montant de 22 231 $ est en litige.

[3] En ce qui concerne l'année ayant pris fin le 31 décembre 1993, une déduction de 202 799 $ a été refusée en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi, montant dont 165 157 $ ont été admis en vertu du paragraphe 37(2) de la Loi à titre de dépense pour des activités de RS & DE exercées à l'étranger. En outre, l'appelante a choisi d'inclure un montant à l'égard des frais généraux de RS & DE dans le calcul de ses dépenses admissibles en utilisant la méthode du montant de remplacement visé par règlement, conformément à la division 37(8)a)(ii)(B) de la Loi. À cause de ce choix, le ministre a refusé la déduction des frais de communication d'un montant de 26 203 $ dans le calcul des dépenses admissibles conformément au paragraphe 37(1) de la Loi. Dans son avis d'appel modifié, l'appelante a déclaré que seul le montant de 191 360 $ est en litige, ce montant comprenant celui de 165 157 $ qui a été admis en vertu du paragraphe 37(2) et les 26 203 $ de frais de communication refusés. Par conséquent, sur le crédit d'impôt à l'investissement de 70 980 $ qui a été refusé, seul le montant de 66 976 $ est encore en litige. L'appelante a soutenu que les montants contestés sont des dépenses pour des activités de RS & DE exercées au Canada et que ces montants devraient donc être déductibles en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi. Par conséquent, elle devrait avoir droit à un crédit d'impôt à l'investissement en vertu des articles 127 et 127.1 de la Loi.

I.LES FAITS

[4] L'appelante a été constituée en vertu des lois de l'Ontario le 20 décembre 1977. Pendant toute la période pertinente, elle exerçait au Canada des activités de recherche scientifique et de développement à l'égard de systèmes logiciels d'avant-garde de gestion de mémoire et de gestion de données pour les gros ordinateurs.

[5] Les bureaux de l'appelante sont situés à Ottawa, où presque tout son personnel, composé d'une vingtaine d'employés, travaille. L'appelante n'a pas de bureaux ni d'employés à l'étranger. Les employés ont mis au point le logiciel pour gros ordinateurs à Ottawa, c'est-à-dire qu'ils y ont rédigé les programmes et qu'ils ont mis les logiciels à l'essai au Canada. À cette fin, ils ont utilisé un gros ordinateur situé aux États-Unis (les « É.-U. » ), auquel ils étaient raccordés.

[6] L'appelante ne possédait pas son propre gros ordinateur étant donné que ces appareils coûtent très cher. Elle faisait plutôt appel à un « centre de traitement à façon » qui lui assurait l'accès à un gros ordinateur. Un centre de traitement à façon est une entreprise qui possède au moins un gros ordinateur et qui loue l'accès à cet ordinateur. Il y a des centres de traitement à façon au Canada, mais l'appelante n'en a trouvé aucun qui satisfaisait à ses besoins.

[7] M. William Olders, président de l'appelante, et M. Peter Green, gestionnaire d'un gros ordinateur se trouvant au Canada, ont témoigné sur ce point particulier. L'appelante avait besoin d'un type particulier de gros ordinateur, soit un ordinateur qui fournissait une gamme complète de systèmes d'exploitation lui permettant de s'assurer que ses logiciels fonctionnaient bien dans tous les systèmes d'exploitation. En outre, à cause de la nature du développement expérimental effectué par l'appelante, de graves problèmes de fonctionnement auraient pu se présenter dans le système d'exploitation du gros ordinateur auquel l'appelante avait accès. Étant donné que les gros ordinateurs étaient partagés par plusieurs usagers, aucun centre canadien de traitement à façon n'était prêt à louer l'accès à l'appelante à ses fins. C'est pourquoi l'appelante n'a pas pu trouver au Canada un gros ordinateur qu'elle pouvait utiliser pour mettre à l'essai ses logiciels.

[8] Toutefois, l'appelante a trouvé aux É.-U. un gros ordinateur qui lui convenait. Cet ordinateur appartenait à Mantissa Corporation ( « Mantissa » ), une société de l'Alabama dont le principal établissement était situé à Birmingham (Alabama). Mantissa était une société très semblable à l'appelante, mais elle possédait son propre gros ordinateur. Mantissa utilisait son gros ordinateur aux mêmes fins que celles pour lesquelles l'appelante cherchait à utiliser un gros ordinateur et elle ne voyait pas d'inconvénients à ce que l'appelante mette à l'essai ses logiciels sur cet ordinateur. Le gros ordinateur de Mantissa se trouvait à Birmingham. L'appelante et Mantissa ont conclu une entente, qui prenait effet le 1er novembre 1991, par laquelle Mantissa acceptait de donner à l'appelante accès à son gros ordinateur (appelé dans l'entente le « réseau de communication : logiciels et matériel » , ou le « réseau Mantissa » ), et l'appelante convenait de payer à Mantissa des frais mensuels pour utiliser ou, plus exactement, pour avoir le droit d'utiliser le gros ordinateur.

[9] L'appelante a utilisé le gros ordinateur pour mettre à l'essai ses logiciels. Les employés de l'appelante qui travaillaient à Ottawa utilisaient une liaison à accès direct entre le bureau de l'appelante, à Ottawa, et le gros ordinateur afin d'effectuer les essais. Toutes les instructions et toutes les données étaient transmises entre Ottawa et Birmingham au moyen d'une ligne téléphonique spécialisée. L'appelante versait 26 203 $ à Unitel au titre des frais de communication relatifs à ces transmissions. Aucun employé de l'appelante ne s'est jamais rendu aux É.-U. pour faciliter les essais; il n'était pas nécessaire de le faire.

[10] Pendant l'année d'imposition qui a pris fin le 10 janvier 1993, l'appelante a versé à Mantissa un montant de 63 516 $, et elle a fait des déductions et demandé des crédits d'impôt à l'investissement à l'égard de ces dépenses en vertu de l'alinéa 37(1)a), du paragraphe 127(5) et de l'article 127.1 de la Loi. Pendant l'année d'imposition qui a pris fin le 31 décembre 1993, l'appelante a versé à Mantissa des sommes s'élevant à 165 157 $, et elle a fait des déductions et demandé des crédits d'impôt à l'investissement à l'égard de ces dépenses et des frais de communication de 26 203 $ en vertu des dispositions susmentionnées de la Loi.

II.LES POINTS LITIGIEUX

1.         Le choix du montant de remplacement visé par règlement qui a été effectué en vertu de la division 37(8)a)(ii)(B) empêchait-il l'appelante de déduire à titre de dépenses de RS & DE, en vertu du paragraphe 37(1), le montant de 26 203 $ qu'elle a dépensé pour la ligne de télécommunications spécialisée?

2.         Les montants de 63 516 $ et de 165 157 $ étaient-ils des dépenses courantes engagées par l'appelante pour des activités de RS & DE exercées au Canada?

III.ANALYSE

Première question : Frais engagés à l'égard de la ligne de télécommunications spécialisée

Arguments de l'appelante

[11] L'appelante a soutenu que faire relativement aux montants dépensés pour la ligne de télécommunications spécialisée le choix prévu au paragraphe 37(8) n'empêchait pas que ces montants soient des dépenses de RS & DE aux fins du paragraphe 37(1). L'appelante a soutenu que le choix prévu au paragraphe 37(8) n'empêche pas que ces montants soient déductibles en vertu du paragraphe 37(1).

Arguments de l'intimée

[12] L'intimée a soutenu que faire le choix prévu au paragraphe 37(8) avait pour effet de limiter le nombre de dépenses pouvant être considérées comme des dépenses de RS & DE. Selon l'avocat, les frais de communication n'étaient pas une dépense courante pour la location de matériel. Il s'agit plutôt de frais pour l'utilisation de matériel loué. Ce sont les frais que Data Kinetics a payés conformément à l'entente relative au partage de temps qui ont été engagés pour la location de matériel. D'autre part, les frais de communication se rapportent à l'utilisation de matériel qui était loué. Si une dépense se rapporte à l'utilisation (et non à la location), elle entre dans la catégorie des frais généraux. Si l'appelante voulait déduire ces dépenses, elle n'aurait pas dû faire le choix qu'elle a fait.

Analyse

[13] La division 37(8)a)(ii)(B) et le paragraphe 37(10) de la Loi prévoient qu'on peut faire un choix pour ce qui est du calcul des dépenses de RS & DE, et cela vaut pour les années d'imposition prenant fin après le 2 décembre 1992. Les dispositions en question se lisent comme suit :

37(8) Interprétation. Dans le cadre du présent article :

a) les mentions des dépenses afférentes aux activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

[...]

(ii) lorsqu'elles figurent ailleurs qu'au paragraphe (2), se limitent :

[...]

(B) si un contribuable en fait le choix sur formulaire prescrit et en conformité avec le paragraphe (10) pour une année d'imposition, aux dépenses engagées par lui au cours de l'année, représentant chacune :

(I) soit une dépense courante pour la location de locaux, d'installations ou de matériel servant à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada et qui y est attribuable en totalité, ou presque, à l'exception d'une dépense pour du mobilier ou de l'équipement de bureau de nature générale.

37(10) Moment du choix. Un contribuable présente le formulaire indiquant le choix prévu à la division (8)a)(ii)B) pour une année d'imposition le jour où il présente pour la première fois le formulaire visé au paragraphe (11) pour l'année.

[14] Selon cette méthode comportant un choix, on calcule un montant nominal ou un montant de remplacement pour certains frais généraux au lieu de déterminer et d'imputer ces dépenses d'une façon précise. Les frais généraux sont exclus des dépenses de RS & DE lorsque le contribuable choisit la méthode comportant un choix. En revanche, le contribuable a droit à un crédit d'impôt à l'investissement à l'égard d'un montant de remplacement visé par règlement selon la définition figurant au paragraphe 127(9) (voir le commentaire à ¶ 19,835b du CCH Canadian Tax Reporter). De plus, les dépenses de RS & DE admissibles en vertu de l'article 37 et le crédit d'impôt à l'investissement connexe sont limités notamment aux dépenses de location de matériel, à l’exception du mobilier ou de l'équipement de bureau de nature générale, utilisé en totalité, ou presque, dans des activités de RS & DE, ou au coût du matériel utilisé directement dans des activités de RS & DE (Robert E. Beam et Stanley N. Laiken, Introduction to Federal Income Taxation in Canada, 16e éd. (North York, CCH Canadian Limited, 1995-1996) à 606).

[15] L'intimée a soutenu que le montant qu'elle a dépensé pour la ligne de communication spécialisée ne peut pas être inclus dans les dépenses de RS & DE parce que ce montant était visé par le choix d'un montant de remplacement. L'avocat a soutenu qu'une ligne de communication spécialisée n'était pas du matériel utilisé dans des activités de RS & DE, mais qu'il s'agissait d'équipement de bureau de nature générale. Comme je l'ai ci-dessus mentionné, il faisait valoir que la dépense n'avait pas été faite pour la location de matériel servant à des activités de RS & DE, mais qu'elle l'avait plutôt été afin de permettre à l'appelante d'utiliser le gros ordinateur loué.

[16] Je ne souscris pas à l'interprétation que l'intimée a donnée à la division 37(8)a)(ii)(B). Le libellé de cette division ne donne pas à entendre que les paiements effectués pour l'utilisation du gros ordinateur et de la ligne servant à la transmission des données au gros ordinateur ou par le gros ordinateur devraient être traités différemment. Par conséquent, il n'est pas contesté que les paiements pour l'utilisation du gros ordinateur sont attribuables à la location de matériel. De fait, le mot anglais « lease » (bail) est défini notamment comme suit dans le Black's Law Dictionary :

[TRADUCTION]

Bail. [...]

Lorsqu'il est utilisé à l'égard d'un bien meuble matériel, le mot « bail » s'entend d'un contrat par lequel une personne qui est propriétaire de ce bien confère à une autre personne le droit de le posséder, de l'utiliser et d'en jouir pendant une période déterminée en échange du versement périodique d'un montant convenu, appelé le loyer. Undercofler v. Whiteway Neon Ad, Inc., 114 Ga. App. 644, 152 S.E. 2e éd. 616, 618.

[17] Le sous-alinéa 37(8)a)(ii) a été modifié par L.C. 1994, ch. 8, par. 4(2), applicable aux années d'imposition prenant fin après le 2 décembre 1992. La note explicative du ministère des Finances du mois de février 1994 qui était jointe au texte législatif modificateur est en partie ainsi libellée :

La nouvelle division 37(8)a)(ii)(B) de la Loi renferme la nouvelle méthode de remplacement qui permet de déterminer les dépenses pour activités de RS & DE. [...] Si le contribuable choisit la méthode de remplacement, les dépenses suivantes seront réputées être des dépenses pour activités de RS & DE exercées au Canada et seront, à cette fin, incluses dans le groupe de dépenses pour activités de RS & DE visé au paragraphe 37(1) de la Loi.

(1) Les dépenses courantes (en général, des dépenses de location) pour l'usage de locaux, d'installations ou de matériel servant aux activités de RS & DE exercées au Canada et qui y sont attribuables en totalité, ou presque, à l'exception des dépenses pour du mobilier ou de l'équipement de bureau de nature générale. [...] [Je souligne.]

Les tribunaux ont généralement fait remarquer que la politique et l'interprétation administratives ne sont pas des facteurs déterminants lorsqu'il s'agit d'interpréter une disposition législative, mais qu'elles ont une certaine valeur et, qu'en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un facteur important (Voir l'arrêt Gene A. Nowegijick v. Her Majesty the Queen, 83 DTC 5041, à la page 5044 (C.S.C.), le juge Dickson (au nom de la Cour), qui s'est référé à Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 R.C.S. 851, à la page 859, le juge de Grandpré). De même, les notes explicatives ont été considérées comme des outils d'interprétation législative dans l'arrêt The Queen v. The Estate of Harold Ast, 97 DTC 5197 (C.A.F.), où le juge en chef Isaac (les juges Robertson et McDonald souscrivant à son avis) a dit ceci, à la page 5201 :

Les interprétations administratives, comme les notes techniques, ne lient pas les tribunaux, mais elles peuvent avoir un certain poids et même constituer un facteur important dans l'interprétation des lois. Les notes techniques sont très largement acceptées par les tribunaux pour aider à l'interprétation des lois. L'importance accordée aux notes techniques au niveau de l'interprétation est particulièrement grande lorsque, au moment où une modification était à l'étude, le législateur était conscient que cette modification pouvait donner lieu à une interprétation administrative particulière, et qu'il a néanmoins décidé de l'adopter.

La note explicative que j'ai citée étaye mon interprétation de la disposition en question.

[18] Les deux parties ont admis que la ligne de communication était uniquement utilisée afin de transmettre des données entre l'établissement de l'appelante au Canada et le gros ordinateur de Mantissa. Le fait que les essais effectués sur le gros ordinateur de Mantissa sont admissibles à titre d'activité de RS & DE n'est pas non plus contesté. La ligne de communication était manifestement utilisée aux fins de l'activité de RS & DE et en faisait nécessairement partie. Par conséquent, les dépenses courantes engagées relativement à la ligne de communication ne se rapportaient pas à de l'équipement de bureau de nature générale et étaient entièrement attribuables au matériel ou aux installations servant aux activités de RS & DE au Canada. Je conclus donc que ces dépenses sont visées par le paragraphe 37(1).

Deuxième question : Les dépenses engagées pour l'utilisation du gros ordinateur se rapportaient-elles à des activités de RS & DE exercées au Canada ou bien à l'étranger?

Arguments de l'appelante

[19] L'appelante a soutenu qu'en déterminant l'endroit où l'activité admissible est exercée, il faut tenir compte de l'activité dans son ensemble. Il faut tenir compte de toute l'activité ou de tout le processus lorsqu'on détermine si l'activité est exercée au Canada ou si elle est exercée à l'étranger. Selon l'appelante, on ne doit pas diviser les essais en leurs différents éléments et répartir ces éléments entre les paragraphes 37(1) et 37(2). Les essais faisaient partie de la RS & DE et les activités de RS & DE dans leur ensemble étaient admissibles soit en vertu du paragraphe 37(1) soit en vertu du paragraphe 37(2).

[20] L'appelante a soutenu que les essais relatifs au programme d'ordinateur étaient effectués ou dirigés par quelqu'un au Canada, et que les résultats étaient transmis au Canada pour analyse. Par conséquent, les essais faisaient certainement partie du processus systématique de RS & DE dans son ensemble. L'avocat a soutenu qu'il faudrait mettre l'accent sur la question de savoir qui contrôlait et qui dirigeait en fait la recherche afin de déterminer si les activités de RS & DE étaient exercées au Canada ou si elles étaient exercées à l'étranger.

[21] L'appelante a invoqué la décision SassManufacturing v. M.N.R., 88 DTC 1363 (C.C.I.), à l'appui de l'argument selon lequel les essais font partie de l'ensemble du processus systématique des activités de RS & DE exercées au Canada. L'appelante s'est également appuyée sur la décision Tigney Technology Inc. v. The Queen, 97 DTC 414 (C.C.I.), dans laquelle le juge Bell a admis un appel dans des circonstances similaires2. Toutefois, elle a soutenu que son argument était plus solide que celui avancé dans l'affaire Tigney parce que, contrairement au contribuable dans cette affaire-là, ni les employés ni le matériel de l'appelante ne se sont jamais trouvés physiquement aux É.-U.

Arguments de l'intimée

[22] L'intimée a soutenu que le fait que l'appelante pouvait trouver uniquement aux É.-U. le gros ordinateur dont elle avait besoin pour exercer les activités de RS & DE n'est pas pertinent. Le législateur n'a pas rédigé la loi de façon à traiter les activités de RS & DE exercées par nécessité à l'étranger comme étant des activités de RS & DE exercées au Canada.

[23] Selon l'intimée, il est clair que le législateur voulait encourager les contribuables canadiens à exercer des activités de RS & DE, mais il est également clair que le législateur a fait une distinction entre les activités de RS & DE exercées au Canada et les activités de RS & DE exercées à l'étranger, étant donné le traitement différent prévu aux paragraphes 37(1) et 37(2).

[24] L'intimée a soutenu qu'en l'espèce, les essais en tant que tels constituaient des activités de RS & DE et qu'une partie des essais qui ont en fait été effectués à l'aide du gros ordinateur situé aux É.-U., à savoir l'exécution des programmes, constituaient des activités de RS & DE exercées à l'étranger. Selon l'intimée, il importe peu pour l'application de la loi qu'une liaison électronique ait été utilisée au lieu d'envoyer des employés aux É.-U.

[25] L'intimée a soutenu que l'utilisation du gros ordinateur est visée par l'alinéa 2900(1)d) du Règlement étant donné que l'activité qui consiste à mettre à l'essai la programmation informatique constitue en soi une activité qui est explicitement visée à l'alinéa 2900(1)d). Selon l'intimée, les alinéas 2900(1)a) à d) du Règlement énumèrent quatre genres différents d'activités qui constituent des activités de RS & DE. Si les activités du contribuable peuvent être décomposées en éléments constitutifs correspondant à ces genres d'activités, on peut alors appliquer à chacun de ces éléments le critère servant à déterminer si l'activité est exercée au Canada ou si elle est exercée à l'étranger.

[26] L'intimée a soutenu qu'en l'espèce, les essais avaient été effectués en partie aux É.-U. et en partie au Canada. Les dépenses relatives aux essais effectués aux É.-U. devaient être assujetties aux dispositions du paragraphe 37(2). De fait, toutes les autres dépenses qui se rapportent aux essais et qui ne sont pas contestées, à savoir les salaires et traitements des employés qui effectuaient les essais, ont été admises par le ministre en vertu du paragraphe 37(1).

[27] L'intimée a également cherché à distinguer les faits de l'affaire Tigney de ceux de la présente espèce. Dans la décision Tigney, le juge Bell, C.C.I., a conclu que la partie des recherches qui n'avait pas physiquement eu lieu au Canada était une partie isolée et relativement petite de l'investigation systématique qui se déroulait au Canada. L'intimée a soutenu qu'en l'espèce les essais effectués à l'aide du gros ordinateur n'étaient ni une partie isolée ni une partie relativement petite des activités de RS & DE. Elle a également remis en question la décision Tigney. Elle a fait valoir en effet que si l'on appliquait le critère établi dans la décision Tigney, il serait possible de conclure que, lorsque la partie des activités de RS & DE exercées à l'étranger est plus importante que la partie isolée et relativement petite de telles activités exercées au Canada, l'ensemble des activités de RS & DE serait nécessairement visé par le paragraphe 37(2)3.

Analyse

[28] Il s'agit de savoir si les activités de RS & DE exercées au Canada comprennent l'utilisation, par des personnes se trouvant au Canada qui s'occupent de l'élaboration au Canada de systèmes logiciels, d'un gros ordinateur se trouvant aux É.-U. pour l'essai des logiciels.

[29] Les passages pertinents du paragraphe 37(1) sont les suivants :

37(1) Activités de recherche scientifique et de développement expérimental. Le contribuable qui exploite une entreprise au Canada au cours d'une année d'imposition peut [...] déduire dans le calcul du revenu qu'il tire de cette entreprise pour l'année un montant qui ne dépasse pas l'excédent éventuel du total des montants suivants :

a) le total des montants dont chacun représente une dépense de nature courante qu'il a faite au cours de l'année ou d'une année d'imposition antérieure se terminant après 1973 :

(i) soit pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada directement par le contribuable ou pour son compte, en rapport avec une entreprise du contribuable, [...] [Je souligne.]

[30] Les passages correspondants du paragraphe 37(2) se lisent comme suit :

37(2) Activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées à l'étranger. Sont déductibles dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire pour une année d'imposition d'une entreprise de celui-ci, les dépenses de nature courante que celui-ci a faites au cours de l'année :

a) soit pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées à l'étranger directement par le contribuable ou pour son compte, en rapport avec l'entreprise.

[31] Les dépenses qui sont visées par le paragraphe 37(1) sont traitées d'une façon plus favorable sur le plan fiscal que celles qui sont visées par le paragraphe 37(2). Le paragraphe 37(1) prévoit des déductions à l'égard des dépenses courantes et des dépenses en capital pour des activités de RS & DE, dépenses ayant été engagées au Canada au cours de l'année ou au cours d'une année antérieure. Le paragraphe 37(2) ne prévoit des déductions qu'à l'égard de dépenses courantes pour des activités de RS & DE exercées à l'étranger, et uniquement à l'égard de l'année où les dépenses ont été faites. En outre, si les dépenses sont visées par le paragraphe 37(1), elles font partie d'un groupe de dépenses relatives aux activités de RS & DE. En vertu de l'article 127 de la Loi, le contribuable aurait droit à un crédit d'impôt à l'investissement ( « CII » ). Toutefois, il peut à son gré demander un remboursement en espèces égal au CII en vertu de l'article 127.1 de la Loi. Si c'était le paragraphe 37(2) qui s'appliquait aux dépenses de RS & DE, le contribuable n'aurait pas droit au crédit remboursable d'impôt à l'investissement.

[32] Il importe de noter qu'avant le 15 décembre 1987, un contribuable pouvait uniquement déduire, en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi, les dépenses faites au Canada pour les activités de RS & DE exercées au Canada. L'exigence selon laquelle les dépenses devaient être faites au Canada a été abrogée.

[33] Le paragraphe 37(7) de la Loi, tel qu'il était libellé pour l'année ici en cause, disait que l'expression « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » avait le sens qui lui était attribué par règlement. Le paragraphe 2900(1) du Règlement renferme la définition pertinente :

2900(1) Pour l'application de la présente partie ainsi que des articles 37 et 37.1 de la Loi, « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » s'entend d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse, c'est-à-dire:

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l'avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l'intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l'amélioration, même légère, de ceux qui existent;

d) les travaux relatifs à l'ingénierie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l'analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

[Les alinéas e) à k) ne s'appliquent pas.]

[34] L'article 2900 du Règlement définit les activités de RS & DE comme s'entendant d'une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse. Recherche ou investigation scientifique implique l'utilisation d'une méthode scientifique dans l'exécution des travaux. Dans le jugement Sass Manufacturing Limited v. M.N.R., 88 DTC 1363, le juge Sarchuk, de cette cour, a dit ceci, à la page 1371 :

À mon avis, le règlement 2900 exige que l'appelante produise des preuves convaincantes des expériences ou des analyses effectuées. Les mots "recherche systématique" impliquent l'existence d'expériences surveillées, la prise de mesures extrêmement précises et la confrontation des théories du chercheur à des preuves empiriques. La recherche scientifique doit s'entendre d'une entreprise visant à expliquer et à prédire, ainsi qu'à approfondir les connaissances relatives au domaine dont relève l'hypothèse formulée. Ce processus doit nécessairement s'accompagner d'expériences répétées pendant lesquelles on note avec soin les étapes suivies, les changements apportés et les résultats obtenus.

[35] J'aimerais faire remarquer que, lorsqu'elles convenaient que les activités de l'appelante constituaient des activités de RS & DE au sens de l'article 2900 du Règlement, les parties n'ont su s'entendre quant à savoir en quoi ces activités devaient être considérées comme des activités de RS & DE. Le libellé des dispositions de l'article 2900 du Règlement dans lesquelles sont définies les activités de RS & DE semble étayer chacune des interprétations possibles sous-tendant les positions respectives des parties. Si on considère les précisions que donnent les alinéas 2900(1)a) à d), on constate que chacun de ces alinéas décrit un genre de travail différent qui semblerait en soi admissible à titre d'activité de RS & DE pour l'application de l'article 37. Les essais constitueraient donc des activités de RS & DE dans la mesure où ils sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) et servent à les appuyer directement. Pareille interprétation semblerait étayer la position de l'intimée.

[36] D'autre part, si l'on mettait l'accent sur les mots « investigation ou recherche systématique » qui figurent au début de l'article 2900, l'interprétation semblerait favoriser alors la position de l'appelante, à savoir que les essais ne constituent pas en soi des activités de RS & DE, mais font simplement partie d'un processus d'investigation plus étendu qui ne peut être considéré comme une activité de RS & DE que dans son ensemble. En examinant le sens de l'expression activités de RS & DE, on a, dans un certain nombre de décisions, mis l'accent sur le sens des mots « recherche systématique » , par exemple, dans les décisions Sass, précitée, Canalerta Technologies Inc. v. M.N.R., 93 DTC 165 (C.C.I.), et Revelations Research Ltd. v. M.N.R., 92 DTC 1036 (C.C.I.).

[37] Je suis d'accord pour dire qu'en déterminant si une activité constitue une activité de RS & DE pour l'application de la Loi, il ne faut pas tenir compte des parties constituantes de cette activité, mais de l'activité dans son ensemble. Les essais ne seraient pas normalement considérés comme une activité de RS & DE admissible. Les essais ne deviennent une activité admissible que lorsqu'ils sont nécessaires en tant que partie intégrante de l'investigation expérimentale systématique, comme c'est ici le cas.

[38] Je souscris aux conclusions tirées dans la décision Tigney, précitée, où le juge Bell, de cette cour, a dit que les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sont de portée suffisamment large pour qu'on puisse considérer les activités dans leur ensemble plutôt que de les subdiviser en leurs parties constituantes. La conclusion tirée par le juge Bell est confirmée par les lignes directrices figurant dans la nouvelle circulaire IC-97-1 du 28 février 1997 intitulée : Recherche scientifique et développement expérimental — Lignes directrices administratives pour le développement de logiciels, où le ministre dit ceci, au paragraphe 2 :

La définition de ce qui constitue un projet de RS & DE ne vise pas à subdiviser en activités plus petites et probablement inadmissibles des projets de RS & DE qui ont été convenablement identifiés. Le concept d' « ensemble d'activités interreliées qui sont nécessaires... » intégré à la définition de projet de RS & DE implique qu'un projet réalisé en vue de l'avancement de la technologie sera évalué en tant qu'unité, à condition que toutes les activités rattachées au projet contribuent directement et pertinemment à l'atteinte du progrès technologique visé, comme l'exige le paragraphe 248(1) de la Loi.

Cette interprétation ne s'appliquait pas à l'époque qui nous intéresse en l'espèce, mais j'aimerais faire remarquer que les dispositions examinées dans la circulaire sont presque identiques à celles qui étaient en vigueur aux fins de la définition des activités de RS & DE au cours des années d'imposition ici en cause. Aucune modification majeure n'a été apportée au droit entre la période dont il s'agit en l'espèce et les périodes auxquelles la circulaire s'applique. La Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu de 1997, L.C. 1998, ch. 19, par. 239(1), a modifié le libellé de l'alinéa d) de la définition d' « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » et a placé toute cette définition dans le paragraphe 248(1) de la Loi. Toutefois, le nouveau libellé de l'alinéa d) ne semble que donner des précisions. Voir la note explicative du ministère des Finances du mois de décembre 1997 qui accompagnait la loi modificative.)

[39] Le ministre semble être en faveur de la répartition des dépenses liées aux essais entre celles qui se rapportent à des travaux exécutés au Canada et celles qui se rapportent à des travaux exécutés à l'étranger. Je ne souscris pas à cette approche. Même si je retenais l'interprétation favorable au ministre, à savoir que les essais constituent en soi des activités de RS & DE, le libellé des paragraphes 37(1) et 37(2) ne permet pas de diviser ainsi les essais. Ces paragraphes traitent des activités de RS & DE exercées au Canada et des activités de RS & DE exercées à l'étranger. Il n'est pas fait mention d'une partie des activités de RS & DE et on n'emploie pas d'expression du même genre qui justifierait la décomposition des activités de RS & DE dans l'application desdits paragraphes. En outre, si les essais étaient divisés en leurs parties constitutives et si ces parties étaient réparties entre les paragraphes en question, il n'est pas certain que chaque partie continuerait à constituer une activité de RS & DE. Si les parties constitutives, considérées isolément, ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 2900 du Règlement, ni le paragraphe 37(1) ni le paragraphe 37(2) ne s'appliqueraient étant donné que les activités ne seraient pas alors des activités de RS & DE.

[40] J'aimerais également faire remarquer que rien dans le libellé des dispositions pertinentes ou dans le sens qui leur est attribué ne donne à entendre que la détermination quant à l'endroit où une activité est exercée devrait se faire uniquement en fonction du coût des activités. Ce n'est pas la valeur pécuniaire ni le coût des éléments particuliers des activités de RS & DE qui est déterminant relativement à la question de savoir si celles-ci ont été exercées au Canada ou à l'étranger. Le fait que l'appelante a fait des dépenses importantes aux fins des essais n'est pas déterminant.

[41] Compte tenu de la preuve, il est certain que les activités de RS & DE étaient contrôlées et dirigées depuis le Canada. Les essais étaient effectués, dans des conditions faisant l'objet de contrôles, par l'équipe chargée du développement des logiciels au Canada. Quelqu'un au Canada donnait les instructions et était responsable des données, et les résultats étaient transmis au Canada pour analyse. Les dépenses de location faites aux É.-U. visaient simplement à faciliter un processus d'essai mécanique qui fait partie de l'ensemble du projet de RS & DE exécuté au Canada et qui sert à appuyer ce projet. Le gros ordinateur était simplement un outil nécessaire qui servait aux recherches effectuées au Canada.

[42] En l'espèce, il n'a pas été soutenu que le projet de développement de logiciels dans son ensemble n'était pas exécuté au Canada. L'argument du ministre était fondé sur le fait que les essais consistaient en partie dans l'utilisation d'un ordinateur situé à l'étranger. Toutefois, les essais effectués à l'aide du gros ordinateur en Alabama faisaient partie d'un ensemble d'activités interreliées qui, collectivement, étaient nécessaires à l'avancement des travaux de RS & DE qui s'effectuaient au Canada.

[43] Compte tenu de tous ces facteurs, les activités de RS & DE étaient manifestement exercées au Canada. Le paragraphe 37(1) s'applique donc à toutes les dépenses ici en cause.

[44] Pour tous ces motifs, les appels sont admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juillet 1998.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de janvier 1999.

Erich Klein, réviseur



1            L'exercice de l'appelante était réputé prendre fin le 10 janvier 1993 lorsque l'appelante a fusionné avec Aratek International Inc.

2            La décision rendue dans l'affaire Tigney a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale le 14 avril 1997; l'appel est encore en instance.

3            L'avocat n'était pas en faveur d'un tel résultat, mais, pour les raisons que je donnerai ci-dessous dans mon analyse, j'estime que si une partie suffisante de l'activité de RS & DE était exercée à l'étranger de sorte que, considérée dans son ensemble, l'activité était exercée à l'étranger, celle-ci serait visée par le paragraphe 37(2).

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