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Date: 19990114

Dossier: 97-1207-UI; 97-1208-UI

ENTRE :

GUYLAINE BOURGEOIS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

AMBULANCE 33-33 INC.,

intervenante,

ET

AMBULANCE 33-33 INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Shawinigan, le 3 novembre 1998, dans le but de déterminer si l'appelante Guylaine Bourgeois a exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage, du 13 août 1993 au 24 mars 1994, du 3 juin 1994 au 15 juin 1995 et du 21 novembre 1995 au 13 juin 1996, lorsqu'elle était au service d'Ambulance 33-33 Inc., le payeur.

[2] Par lettre en date du 1er mai 1997, l'intimé informa les appelantes que cet emploi n'était pas assurable, parce qu'il y avait un lien de dépendance entre le payeur et l'appelante Guylaine Bourgeois.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s'est basé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a) le payeur a été incorporé en 1988; (admis)

b) M. Serge Lacoursière était l'actionnaire unique du payeur; (admis)

c) depuis 1992, l'appelante est la conjointe de fait de M. Lacoursière; (admis)

d) depuis avril 1994, le couple a un enfant; (admis)

e) le siège social du payeur était situé à la résidence du couple; (admis)

f) une seule signature était nécessaire sur les chèques du payeur; (admis)

g) l'appelante avait une procuration pour signer les chèques du payeur; (admis)

h) l'exercice financier du payeur se terminait le 31 mars; (admis)

i) au cours des années 1993 à 1996, les recettes du payeur étaient les suivantes :

1993    1994     1995    1996

289 000 $ 288 000 $    286 000 $ 310 000 $

(admis)

j) le payeur oeuvrait principalement dans le domaine du transport ambulancier et également dans les domaines des communications et de la répartition; (admis)

k) le volume d'affaires du payeur était constant tout au long de l'année; (admis)

l) le payeur comptait sur les services de 4 techniciens-ambulanciers à temps plein, dont M. Lacoursière, et de 3 autres à temps partiel; (admis)

m) les techniciens-ambulanciers travaillaient 7 jours de 24 heures consécutifs et étaient en congé durant les 7 jours suivants; (admis)

n) chaque technicien-ambulancier devait assurer une présence de 50 heures par semaine au local du payeur; (admis)

o) le payeur faisait environ 50 transports ambulanciers par mois, à raison d'une moyenne de 40 kilomètres par transport; (admis)

p) en plus du travail ambulancier, M. Lacoursière s'occupait notamment du travail de bureau, de la facturation, des dépôts et des comptes à payer; (nié tel que rédigé)

q) les tâches de l'appelante consistaient notamment à répondre au téléphone et à faire la répartition, à faire les conciliations bancaires mensuellement, concilier les différents rapports produits à la Régie régionale à tous les 3 mois, faire et préparer les dépôts, les paies, les remises gouvernementales, faire la fermeture mensuelle des livres du payeur, facturer les clients, comptabiliser et payer les comptes à payer; (admis)

r) l'appelante travaillait pour le payeur depuis 1989; (admis)

s) l'appelante travaillait de son domicile; (admis)

t) aucun horaire de travail ne lui était imposé par le payeur; (admis)

u) ses heures de travail n'étaient pas comptabilisées; (admis)

v) elle pouvait s'occuper de leur enfant tout en faisant son travail; (nié tel que rédigé)

w) durant les périodes en litige, sa rémunération brute avait été établie à 1 000 $ par quinzaine; (admis)

x) cette rémunération tenait compte du fait qu'elle rendait des services au payeur, sans rémunération, hors des périodes en litige; (nié tel que rédigé)

y) entre le 1er janvier 1992 et le 11 février 1993, la rémunération de l'appelante est passée de 600 $ par quinzaine à 700 $ par quinzaine; (admis)

z) l'appelante déterminait elle-même ses périodes d'emploi; (nié)

aa) les prétendues périodes d'emploi de l'appelante ne correspondent pas avec les besoins du payeur; (nié)

ab) l'appelante et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu; (nié)

ac) le payeur n'aurait jamais engagé une personne non liée à des conditions à peu près semblables à celles offertes à l'appelante, et surtout pas pour de telles périodes. » (nié)

[4] Les appelantes ont reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elles ont niés, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses, à la fin de chacun.

Témoignage de Serge Lacoursière

[5] Monsieur Lacoursière est ambulancier, actionnaire et président du payeur. En 1988, il embauche Guylaine Bourgeois comme secrétaire de son entreprise, pour faire la tenue des livres, à temps partiel. À compter de 1992, l'appelante assume, en outre, la responsabilité de répartitrice pour le payeur. Elle doit être disponible 24 heures par jour, mais ne fait qu'environ trois heures de travail. Avec l'addition des municipalités de St-Séverin, St-Tite et Hérouxville, sa tâche augmente sans cesse. Pratiquement en même temps, soit en 1992, Serge Lacoursière et Guylaine Bourgeois commencent à avoir des relations plus intimes et à vivre ensemble. Le couple a un enfant le 25 avril 1994. Deux autres personnes ont déjà fait ce travail : Suzie Mailloux et Danielle Perron. Entre le 1er janvier 1992 et le 11 février 1993, la rémunération de Guylaine Bourgeois passe de 600 $ à 700 $ par quinzaine. Depuis ce temps, le salaire de Guylaine augmente progressivement jusqu'à 1 000 $ par quinzaine, au moment où les conjoints se séparent, en avril 1996, et cette dernière est toujours à l'emploi du payeur, 40 heures par semaine au taux horaire de 12,50 $, six mois par année plus ou moins, en 1998. Depuis 1989, l'appelante réclame chaque année des prestations d'assurance-chômage. En plus de son emploi pour le payeur, Guylaine occupe un emploi à la Caisse populaire de St-Tite. Le payeur emploie quatre techniciens à plein temps, deux à temps partiel et deux autres, l'année durant. Quand l'appelante est en arrêt de travail, c'est Serge Lacoursière qui fait son travail relatif à la répartition des payes, les déductions à la source et les paiements aux divers niveaux de gouvernement. Ce dernier a quitté l'école après son secondaire V. Serge décide la mise à pied de Guylaine, chaque année, vers le 31 mars selon les liquidités du payeur, mais techniquement pourrait le faire à n'importe quel temps de l'année, parce que le travail diminue de 25 % l'été. De toutes façons, il allègue que la mise à pied est causée par un manque de travail. Le payeur n'a pas les moyens de garder une secrétaire douze mois par année : il faut diminuer les dépenses pour payer les vacances des techniciens-ambulanciers. Le chiffre d'affaires du payeur se situe à environ 275 000 $ par année. À compter de 1992, le payeur commence à diminuer les salaires de Suzie Mailloux et Danielle Perron, pour éventuellement les remplacer par Guylaine Bourgeois, « parce qu'elle commençait à être ma conjointe » , dit Serge Lacoursière. Depuis ce temps, l'appelante fait la répartition et la comptabilité qui, à elle seule, occupe 80-90 % de son temps. Elle ne reçoit qu'un ou deux appels d'urgence par jour, soit environ 50 par mois. Cela permet à Guylaine de s'occuper de son bébé et des tâches de la maison. En 1994-95, cependant, elle peut le faire garder aussi peu que trois fois par semaine, alors que son horaire est de 40 heures. En fait, Guylaine ne travaille jamais 40 heures par semaine, mais le payeur la paie ainsi, tenant compte des heures qu'elle accumule d'autres semaines. Ce dernier est absolument incapable d'évaluer le temps travaillé par l'appelante au cours d'un certain mois : toute réponse à cette question n'est qu'approximative.

Témoignage de Guylaine Bourgeois

[6] Cette dernière fait vie commune avec Serge Lacoursière de 1992 à 1998. Depuis avril 1996, l'appelante travaille pour la Caisse populaire de St-Tite. Elle bosse de 10 à 20 heures par semaine pour la Caisse et de 10 à 40 heures par semaine pour le payeur, selon le temps travaillé à la Caisse. Le payeur lui paye ses services au taux de 12,50 $ l'heure. Guylaine est diplômée en technique administrative. En 1990, Serge Lacoursière propose à Guylaine un arrangement pouvant lui procurer des prestations de chômage quatre ou cinq mois par année. Elle dit : « Moi, point de vue comptabilité, point de vue administration, je suis capable de retarder certaines choses » . Ils retardent certains documents comptables. L'appelante n'avait aucun horaire de travail (p. 116 de la transcription), mais trimait entre six à huit heures par jour. En outre, son emploi l'astreignait à rester à la maison 24 heures par jour. La seule planche de salut était de traîner avec soi la radio, le téléphone cellulaire n'étant pas encore à leur disposition. Il s'agit presque d'une certaine forme de servitude, à moins d'avoir constamment une gardienne pour prendre soin de l'enfant. Après son accouchement, l'appelante demande des prestations de chômage durant les semaines qui lui sont permises par la loi, mais ne profite pas de sa période de congé de maternité. Elle accomplit ses tâches au bureau qui lui est fourni par le payeur de 9 h à 16 h ou 17 h. Après les heures de bureau, elle est encore en fonction pour répondre au téléphone dans le cadre de son travail de répartition : il y a des téléphones partout dans la maison. Seule la comptabilité est faite exclusivement dans le bureau, une tâche d'une quarantaine d'heures par semaine.

[7] À compter de l'octroi des contrats municipaux de répartition, la charge de travail augmente considérablement : les services ambulanciers, d'extinction des incendies, des premiers répondants et aussi d'aseptisation des draps. Guylaine affirme qu'elle aurait conclu le même contrat de travail avec le payeur, n'eût été son lien de dépendance (page 128 des notes de la transcription), sauf qu'elle n'aurait pas été vingt-quatre heures sur vingt-quatre chez lui. Malgré que le dernier jour de travail de l'appelante soit le 13 juin en 1996, Serge Lacoursière lui émet trois chèques : chèque 002193 pour 711,44 $ le 21 juin 1996, chèque 002373 pour 752,54 $ le 27 novembre 1996 et chèque 002383 pour 730,40 $ le 19 décembre 1996.

[8] L'appelante admet qu'elle a parfois rendu des services au payeur alors qu'elle était en période de chômage. Encore maintenant, l'appelante détient une procuration pour signer les chèques du payeur, bien qu'elle ne soit plus sa conjointe.

Témoignage de Marc Tremblay

[9] Agent des appels à Revenu Canada, monsieur Tremblay communique avec Guylaine Bourgeois le 21 février 1997, avec Serge Lacoursière, les 7 et 19 février, ainsi que le 5 mars 1997, et avec Claude Nadeau du Développement des ressources humaines en avril 1997. Il consulte les relevés d'emploi, les demandes de prestations d'assurance-chômage, les chèques de paye et les livres de salaire de l'appelante pour les années en litige. Cette dernière fait garder son enfant trois jours par semaine et s'en occupe elle-même durant les deux autres jours, en sus des 40 heures de travail qu'elle exécute. Le père aussi s'en occupe. Étant donné qu'elle est appelée à prendre des appels en dehors des heures normales de travail, le payeur a augmenté sa rémunération à 1 000 $ par quinzaine. Serge Lacoursière dit qu'après sa mise à pied depuis 1996, l'appelante n'a pas été remplacée pour la bonne raison qu'elle l'aidait sporadiquement et bénévolement, et cependant il est en preuve qu'il lui a versé trois chèques en date du 21 juin, du 27 novembre et du 19 décembre 1996 (pièce I-1). Le payeur s'est informé auprès d'autres confrères de sa profession quel était le salaire payé à une personne qui faisait le même travail que l'appelante. La réponse fut que ce travail commandait un salaire de 12,00 $ l'heure pour 40 heures de travail par semaine. L'appelante n'a pas vraiment d'horaire fixe et rigide, mais elle peut travailler de 10 h jusque dans l'après-midi et terminer dans la soirée chez elle, si elle n'a pas terminé son boulot. Les heures de travail ne sont pas comptabilisées, mais on estime qu'elle fait environ 40 heures par semaine.

[10] Monsieur Tremblay communique avec Claude Nadeau du Développement des ressources humaines et ce dernier l'informe que l'appelante s'est qualifiée pour des prestations d'assurance-chômage par 40 semaines d'emploi en 1993. Cela lui permettait de se qualifier pour 50 semaines de prestations et l'appelante n'a bénéficié que de 37 semaines. En 1994, elle se qualifie avec un relevé d'emploi de 26 semaines pour 48 semaines de prestations; elle n'en prend que 42. En 1995, l'appelante s'est qualifiée avec un relevé de 22 semaines pour avoir droit à 31 semaines de prestations et les prend toutes. Conclusion pratique : Guylaine Bourgeois n'écoulait pas nécessairement toutes ses prestations avant de poser une nouvelle demande.

[11] Finalement, monsieur Tremblay fait une recommandation au ministre que l'emploi soit exclu en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, parce que l'appelante reçoit au niveau de sa rémunération l'équivalent de ce qui est versé au payeur en octrois par la Régie régionale pour le travail de répartition, eu égard aux revenus du payeur; et parce que le payeur a omis de payer à l'appelante quelques semaines d'emploi inscrites aux livres de salaires; et enfin, parce que, entre les mois de décembre 1992 et août 1993, la rémunération brute de l'appelante est passée de 600 $ à 1 000 $ par quinzaine. En l'espace d'un an, l'appelante a reçu une augmentation de 400 $ par deux semaines.

[12] Concernant les modalités d'emploi, l'appelante peut prendre soin de son enfant, même quand elle est au travail; elle décide elle-même quand elle doit rendre ses services au payeur; elle rend des services bénévoles au payeur; elle n'a pas été remplacée après son départ; elle fait du travail à la maison.

Analyse des faits en regard du droit

[13] L'intimé admet que l'appelante était liée au payeur par un contrat de louage de services. Pour cette raison, il n'allègue que le lien de dépendance au soutien de sa Réponse à l'avis d'appel. Il y a lieu de se demander maintenant si l'appelante aurait reçu un traitement aussi avantageux n'eût été son lien de dépendance avec le payeur.

[14] L'intimé a-t-il agi d'une manière appropriée dans l'exercice du pouvoir que lui confère le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage?

[15] En effet, le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit :

« (2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[...] »

[16] Or, selon les alinéas 251(1)a) et (2)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Lorsque des personnes sont liées entre elles, on ne saurait parler d'emploi assurable à moins que le ministre du Revenu national n'en soit autrement convaincu conformément au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi ci-dessus.

[17] La Cour d'appel fédérale a rendu de nombreuses décisions importantes concernant l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[18] Dans la première décision Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N. (185 N.R. 73) du 25 juillet 1994, la Cour cite le procureur de l'intimé dont elle partage l'opinion :

« Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir. »

[19] Il se dégage donc quatre critères que la Cour canadienne de l'impôt peut appliquer pour décider si elle a droit d'intervenir :

le ministre du Revenu national

1) n'aurait pas tenu compte de toutes les circonstances;

2) aurait pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt;

3) aurait violé un principe de droit;

4) aurait appuyé sa décision sur des faits insuffisants.

[20] La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. (178 N.R. 361), le 1er décembre 1994, a résumé ainsi l'affaire Tignish Auto Parts Inc. :

« ... Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. ministre du Revenu national, l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. »

[21] Les appelantes plaident que l'intimé n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pour exclure l'emploi de Guylaine Bourgeois des emplois assurables.

[22] À ce sujet, l'honorable juge Isaac de la Cour d'appel fédérale rendant la décision de la Cour, dans l'arrêt Le Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (1997) 215 N.R. 352, dit ceci :

« Le juge suppléant de la Cour de l’impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l’impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n’auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n’avaient pas eu un lien de dépendance. S’il existe suffisamment d’éléments pour justifier la décision du ministre, il n’est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l’impôt d’infirmer la décision du ministre du simple fait qu’une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d’autres termes, ce n’est que lorsque la décision du ministre n’est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l’intervention de la Cour de l’impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. »

[23] La question qui se pose maintenant est de savoir s'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli que les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[24] À cette question, on peut répondre que :

a) Suzie Mailloux et Danielle Perron l'ont fait avant l'appelante;

b) Entre le 1er janvier et le 11 février 1993, la rémunération de Guylaine passe de 600 $ à 700 $ par quinzaine;

c) Depuis ce temps le salaire de Guylaine augmente progressivement jusqu'à 1 000 $ par quinzaine;

d) En avril 1996, les conjoints se séparent et l'appelante travaille toujours pour Serge au salaire de 12,50 $ l'heure, malgré leur rupture;

e) Son emploi pour le payeur astreint l'appelante à demeurer en disponibilité 24 heures par jour;

f) Un tel régime constitue en soi un véritable esclavage;

g) Depuis l'octroi des contrats municipaux de répartition et de premiers répondants, les tâches de l'appelante ont considérablement augmenté;

h) Malgré cela, l'appelante clame bien haut qu'elle aurait conclu le même contrat de travail avec le payeur, sans son lien de dépendance et malgré sa rupture;

i) L'appelante détient encore une procuration pour signer les chèques du payeur;

j) Le payeur s'est informé auprès d'autres collègues du même métier quel était le salaire payé à une personne pour faire le même travail et ceux-ci lui ont répondu : 12 $ l'heure, peut-être un peu plus, pour 40 heures d'ouvrage. L'appelante gagne actuellement 12,50 $ de l'heure;

k) Malgré qu'elle ait eu droit à 50 semaines de prestations en 1993, 48 semaines en 1994 et 31 en 1995, l'appelante n'en a pris que 37 en 93, 42 en 94 et 31 en 95, contrairement à l'usage général.

[25] Tous ces faits étaient devant le ministre du Revenu national au moment de sa décision.

[26] Considérant la preuve faite, les documents produits par les parties; considérant l'ensemble des modalités d'emploi de l'appelante, comme la durée de son emploi, sa rémunération et les autres circonstances, je suis d'avis qu'un contrat à peu près semblable aurait pu être passé entre l'appelante et un payeur qui n'ont pas de lien de dépendance.

[27] Pour ces motifs, les appels sont accueillis et l'emploi de l'appelante durant les périodes en cause est assurable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 1999.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

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