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Date: 19991206

Dossiers: 95-209-IT-G; 95-1938-IT-G

ENTRE :

ALAMEDA HOLDINGS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L'appelante est une société en faillite. La société 125978 Canada Inc. a été autorisée à poursuivre les appels en vertu de l'article 38 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité par décision de la Cour supérieure du Québec du district de Montréal en date du 26 février 1999.

[2] L'appel du dossier numéro 95-209(IT)G concerne une cotisation établie le 28 avril 1993 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante. Les appels du dossier numéro 95-1938(IT)G concernent des cotisations établies le 18 mars 1994 pour les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante.

Questions en litige

[3] La cotisation établie le 28 avril 1993 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante fait suite à un jugement de cette Cour en date du 8 mars 1993 sur consentement à jugement produit par les parties. L'avis de cotisation fait état d'un impôt au montant de 138 762,05 $, d'intérêt sur arriérés d'un montant de 340 121,14 $, d'un remboursement au titre de dividendes (“ RTD ”) de 5 333,00 $, d'un crédit de 70 270,75 $ au compte de l'impôt en main remboursable au titre de dividendes (“ IMRTD ”) et d'un solde impayé de 441 314,19 $ (pièce R-1, onglet 3). Seul le montant des intérêts est contesté.

[4] La cotisation pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante qui avait fait l'objet de l'appel et du consentement à jugement mentionné ci-haut avait été établie le 7 mars 1984. Au cours de son année d'imposition 1974, l'appelante avait disposé de deux immeubles et traité chacune des transactions comme donnant lieu à un gain en capital. L'effet d'un tel traitement par l'appelante donnait lieu à une augmentation de son compte IMRTD. Par la cotisation du 7 mars 1984, le Ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) considéra que les deux transactions n'entraînaient pas chacune la réalisation d'un gain en capital mais plutôt d'un revenu d'entreprise. L'impôt fut alors établi à 260 158,80 $, l'intérêt à 193 593,17 $, le RTD à 446,00 $, l'IMRTD à néant et le solde dû à 421 069,97 $ (pièce R-1, onglet 2). Le règlement intervenu entre les parties et qui fit l'objet du consentement à jugement ainsi que du jugement du 8 mars 1993 était que l'une des transactions entraînait la réalisation d'un gain en capital et l'autre d'un revenu d'entreprise.

[5] L'appelante ne conteste que le montant d'intérêt de la cotisation établie le 28 avril 1993 suite au jugement en prétendant d'une part que le montant de la cotisation précédente établie le 7 mars 1984 aurait été payé suite à la réception de l'avis de cotisation et, d'autre part, que le Ministre ne saurait cotiser un montant d'intérêt lorsqu'il a lui-même indiqué, dans sa correspondance avec l'appelante entre la date de la cotisation et celle du jugement sur consentement qu'il n'y avait aucun solde impayé et que l'appelante recevrait un remboursement. Sur ce point, l'appelante soulève l'application de la doctrine de l'“ estoppel ” ou des fins de non-recevoir.

[6] Par ailleurs, les cotisations établies le 18 mars 1994 pour les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante ont été établies suite à la cotisation du 28 avril 1993 pour l'année 1974 de l'appelante. Cette dernière cotisation avait pour effet d'augmenter le solde du compte IMRTD de l'appelante pour cette année par rapport à la cotisation antérieure du 7 mars 1984 puisqu'il était reconnu que l'une des deux transactions donnait lieu à un gain en capital et non à un revenu d'entreprise. Toutefois, compte tenu des RTD dont l'appelante avait déjà bénéficié aux cours des années précédentes, le solde de son compte IMRTD à la fin de chacune de ses années d'imposition 1982 et 1983 fut réduit à néant et les RTD déjà obtenus pour ces années furent annulés. La difficulté tient ici au fait qu'aucune nouvelle cotisation réduisant le solde du compte à néant pour les années 1982 et 1983 par suite de la nouvelle cotisation du 7 mars 1984 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante n'a été fait à l'époque. La raison serait que cette dernière cotisation n'aurait jamais été entrée dans le système informatique de Revenu Canada concernant les sociétés “ CORPAC ” et ainsi qu'aucune nouvelle cotisation n'aurait été établie pour chacune des années d'imposition subséquentes et plus particulièrement pour les années 1982 et 1983.

[7] En établissant les cotisations du 18 mars 1994 à l'égard des années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante, le Ministre s'est fondé sur les dispositions du paragraphe 152(4.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) qui autorise les cotisations corrélatives à certaines conditions. Toutefois, l'appelante soutient que ces années sont prescrites et que la disposition invoquée par le Ministre n'est pas applicable en l'espèce.

Résumé de la preuve

[8] M. Mark Schwartz a d'abord témoigné pour l'appelante. C'est lui qui en 1970 ou 1971 a créé cette société pour le bénéfice de ses filles. L'objet de la société était de détenir des immeubles. À cette époque, M. Schwartz était très actif dans la construction résidentielle dans l'ouest de l'île de Montréal ainsi que sur la Rive-Sud. Quelques 500 maisons par années étaient construites par plusieurs sociétés qu'il contrôlait dont l'une des principales était Saratoga Construction Inc.

[9] En 1975, le groupe de sociétés fut l'objet d'une enquête dirigée par les services des enquêtes spéciales de Revenu Canada. L'enquête dura plusieurs années, des saisies de documents furent effectuées notamment aux bureaux des avocats, des notaires et des comptables ainsi qu'à la résidence de M. Schwartz. Selon celui-ci, ce ne sont pas tous les documents saisis qui furent retournés et les autres le furent “ pêle-mêle ”. M. Schwartz a aussi fait état d'une grande confusion qui régnait au cours de ces années. Ainsi, selon lui, le service de recouvrement de Revenu Canada qui avait une liste de toutes les sociétés et des terrains que celles-ci possédaient se mit à exiger des garanties de chacune d'elles à tel point que tout était mêlé et qu'il ne peut aujourd'hui dire qui devait quoi et qui a payé quoi.

[10] Le 7 mars 1984, l'appelante fut cotisée pour une somme substantielle pour son année d'imposition 1974. L'appelante s'opposa à la cotisation et interjeta appel. Selon M. Schwartz, en 1993, en cours d'audition, il y eut règlement suite à la suggestion faite en ce sens par le juge Garon de cette Cour. Bien qu'il affirme n'avoir pas été très heureux de ce dénouement, M. Schwartz dit avoir accepté le règlement à la condition d'obtenir un remboursement immédiat. On lui aurait alors fait valoir que cela ne prendrait pas plus de 30 jours. Or, l'appelante ne reçut jamais de remboursement. Au contraire, la cotisation établie le 28 avril 1993 suite au règlement intervenu lors de l'audition et au jugement qui lui donnait effet faisait état d'intérêts sur arriérés d'un montant de 340 121,14 $ puisque Revenu Canada renversant sa position antérieure tenait maintenant pour acquis que le montant de la cotisation établie le 7 mars 1984 qui avait fait l'objet de l'appel n'avait jamais été acquitté (pièce A-9).

[11] M. Schwartz a en effet soumis en preuve plusieurs documents de Revenu Canada, dont des avis de cotisation, des états de compte et un chèque de remboursement, tous portant une date entre 1985 et 1993 et indiquant que l'appelante n'avait aucun solde à payer au cours de cette période et qu'elle avait même droit à un remboursement pour certaines années (pièces A-1 à A-5 et A-7).

[12] M. Schwartz affirme que pour autant qu'il s'en souvienne le montant de la cotisation du 7 mars 1984 a été payé bien qu'il ne se rappelle pas que le montant aurait été acquitté en un seul paiement. Selon lui, les montants des cotisations étaient généralement acquittés en plusieurs versements sur une base continue.

[13] M. Schwartz affirme qu'aucun montant n'était dû au gouvernement puisque, entre 1984 et 1985, il fallait payer tout ce qui était dû car autrement il aurait été impossible de poursuivre les opérations.

[14] M. Schwartz n'a soumis en preuve aucun document de l'appelante ou d'une autre société du groupe pouvant démontrer que le montant de la cotisation du 7 mars 1984 a effectivement été acquitté.

[15] Par ailleurs, la note 2 aux états financiers de l'appelante en date du 30 novembre 1987 (pièce R-1, onglet 5) mentionne ce qui suit sous le titre “ Contingent Liability ”:

In March 1984, Revenue Canada Taxation had issued Notices of Reassessments for the period 1974 to 1981, amounting to approximately $367,000 including interest to date of the reassessment.

The company has filed Notices of Objection relating to these reassessments and has not made a provision for income taxes relative thereto, since the amount payable cannot be determined with sufficient precision. The effect of any settlement would be corrected to retained earnings.

(le souligné est de moi)

[16] Invité à commenter cette note au regard d'une autre note accompagnant les états financiers de l'appelante au 30 novembre 1993 dans laquelle il n'est pas fait mention que le montant de la cotisation représentait une dette éventuelle, M. Schwartz a simplement répondu que le comptable lui avait dit qu'il s'agissait là d'une procédure normale.

[17] M. Daniel Benson, comptable agréé, chez Friedman & Friedman, la firme responsable de la comptabilité pour le groupe de sociétés dans lesquelles M. Schwartz avait un intérêt dont les sociétés Saratoga (“ le groupe Saratoga ”) a aussi témoigné.

[18] M. Benson qui a travaillé pour le groupe Saratoga à compter de 1979, a d'abord souligné qu'avant 1982 il faisait partie de l'équipe de vérification responsable d'établir les états financiers et qu'il s'est joint au groupe de fiscalité de 1982 à 1988. Dans son témoignage, M. Benson signale les problèmes survenus suite à l'enquête et aux cotisations dont certaines dataient de 1977. Il affirme que le dossier de toutes les sociétés était en quelque sorte “ gelé ” à Revenu Canada, que des paiements étaient faits tous les mois et qu'il est possible que des sociétés aient effectué des paiements pour d'autres. Selon lui, c'est M. Pierre Turcotte, le contrôleur interne des sociétés, qui s'occupait des paiements.

[19] M. Benson dit se souvenir de l'avis de cotisation du 7 mars 1984 qui a été remis aux avocats Phillips & Vineberg pour qu'ils fassent opposition et interjettent appel. Il soutient que le montant de la cotisation a fait l'objet d'un paiement par l'appelante elle-même ou par d'autres sociétés. Il réitère que c'était le contrôleur qui était responsable de négocier et de faire les paiements et qu'il n'a pas de connaissance personnelle directe que la dette a effectivement été acquittée.

[20] En 1993, à la demande des avocats représentant l'appelante, M. Benson s'est rendu à Revenu Canada pour vérifier la correspondance et les documents se rapportant aux paiements. Comme les fonctionnaires de Revenu Canada ne possédaient que les relevés informatiques, M. Benson dit n'avoir pu pousser plus loin sa vérification des relevés. Comme l'appelante n'avait pas non plus conservé de documents, M. Benson affirme n'avoir pu valider les relevés informatiques de Revenu Canada ce dont il a fait part aux avocats. Ces derniers auraient alors obtenu plusieurs documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information mais aucun se rapportant au recouvrement.

[21] Bien qu'il affirme que suite aux cotisations dont certaines dateraient de 1977 de même qu'aux projets de cotisations connus depuis 1977 ou 1978 certaines des sociétés auraient eu droit à des réductions d'impôts ou à des crédits suite à des reports de pertes, M. Benson admet qu'il n'a personnellement aucune connaissance qu'un paiement quelconque aurait été fait pour l'appelante par l'une de ces sociétés entre 1982 et 1988. Toutefois, il affirme qu'avant 1982 des paiements étaient ainsi faits par les sociétés opérantes ainsi que par M. Schwartz pour des impôts payables par des sociétés du groupe.

[22] M. Benson affirme aussi que tous les paiements faits sont comptabilisés et qu'il n'y a donc pas lieu d'ajouter une note aux états financiers à cet égard. Ainsi, selon lui, la note portée aux états financiers du 30 novembre 1987 (pièce R-1, onglet 5) n'a rien à voir avec le paiement lui-même. Pourtant, comme le souligne l'avocat de l'intimée, dans la note ajoutée aux états financiers du 30 novembre 1993 (pièce R-2, page 7, note 7.b)), la note indique que suite au jugement sur consentement l'appelante anticipait un remboursement substantiel y compris les intérêts d'un montant approximatif de 550 000 $ et non une cotisation de 414 314,69 $ puisque Revenu Canada avait, de façon constante, émis des états de compte indiquant que la société ne devait aucune somme pour les années antérieures. Ainsi, selon lui, de telles notes pourraient donc en pratique se rapporter tout autant à des paiements qu'à des remboursements. La réponse de M. Benson a simplement été que les notes étaient différentes. L'explication est pour le moins vague.

[23] Dans son témoignage, M. Benson a également affirmé avoir pris connaissance d'un rapport sur opposition dans lequel on indique au paragraphe 3 qu'il n'y a “ aucun problème de recouvrement à signaler ” et que l'impôt a été payé (pièce A-10, page 2).

[24] Pour le moment, mon seul commentaire est, encore ici, qu'aucune preuve directe n'a été apportée qu'un paiement quelconque du montant cotisé le 7 mars 1984 ait été effectué par l'appelante ou pour son compte par d'autres sociétés.

[25] M. Pierre Turcotte, contrôleur interne pour le groupe Saratoga de 1977 à 1984, a aussi témoigné pour l'appelante. M. Turcotte a quitté ses fonctions au cours de l'été 1984 pour des raisons personnelles mais serait demeuré en contact avec M. Schwartz jusqu'à l'automne de la même année.

[26] M. Turcotte affirme qu'il se souvient de la cotisation du 7 mars 1984. Selon lui, l'avis de cotisation aurait été remis aux vérificateurs externes, Friedman & Friedman. Il affirme que le gouvernement avait beaucoup de garanties et qu'il avait été décidé de procéder au paiement du montant de la cotisation. Il dit ne pas se souvenir des détails de l'arrangement à cet égard puisque ce sont les vérificateurs qui s'occupaient de cela. Il affirme qu'une demande de paiement a été faite et que le montant de la cotisation a été payé par les sociétés Saratoga. Faisant appel à son expérience, il affirme qu'il y avait toujours des arrangements de paiement par émission de chèques “ postdatés ” sur une période de 6 à 12 ou 15 mois, généralement en montant égaux, et ce, particulièrement dans le cas de cotisations importantes. Il ajoute que lorsqu'il y avait des montants à recevoir par certaines sociétés du groupe ces crédits étaient appliqués en réduction des montants dus par d'autres sociétés. Selon lui, la conciliation serait inscrite aux livres de la société Saratoga puisque c'est elle qui émettait les chèques pour le groupe de sociétés. Les montants payés apparaîtraient comme des “ avances ” faites à l'appelante. M. Turcotte admet n'avoir pas vérifié si les chèques avaient été encaissés. Il admet également qu'il ne faisait pas la conciliation bancaire et conclut son témoignage en disant que dans le cas de cette cotisation les paiements se seraient échelonnés sur une période d'un an à un an et demie.

[27] Plusieurs fonctionnaires de Revenu Canada ont également été appelés à témoigner par l'avocat de l'appelante. Il s'agit de M. Carl Deslongchamps, M. Pierre Brodeur, Mme Hélène Chaîné, Mme Monique Déry et M. Normand Durocher.

[28] M. Deslongchamps a pris connaissance du dossier de l'appelante en février 1993, soit quelque temps avant l'audition de l'appel de la cotisation du 7 mars 1984. M. Deslongchamps était à ce moment à la division des appels. D'abord convaincu que la position de Revenu Canada était valable au mérite, il a été amené à changer de position lors de l'audition et à participer à une proposition de règlement en acceptant que l'une des deux transactions en litige soit considérée comme donnant lieu à un gain en capital plutôt qu'à un revenu d'entreprise. La proposition aurait été acceptée par l'appelante à la condition que le dossier soit traité rapidement et que le chèque de remboursement soit émis aussitôt que possible. Selon l'information que M. Deslongchamps possédait alors, soit les données du système CORPAC pertinentes à l'appelante, il n'y avait aucun solde à payer de sorte qu'il a tenu pour acquis que le montant de la cotisation en litige avait été payé et il s'est engagé à ce que le tout se fasse rapidement. Une fois que le dossier de l'appelante lui fut retourné, M. Deslongchamps l'aurait lui-même remis pour traitement à la division des oppositions à un certain M. Jean-Guy Francoeur. Par la suite, le dossier lui aurait été remis à nouveau et il l'aurait alors acheminé à Mme Blais-Chénard à la section “ Programme de solution de problèmes ”.

[29] C'est environ une semaine plus tard que Mme Blais-Chénard l'aurait rappelé pour l'informer que la cotisation du 7 mars 1984 n'avait jamais été entrée dans le système CORPAC et qu'il y avait donc eu une erreur dans la mise à jour du système informatique.

[30] Comme les représentants de l'appelante prétendaient que le montant du compte avait été payé, M. Deslongchamps affirme que des recherches furent alors entreprises sur toutes les sociétés du groupe mais que personne n'a pu retracer quelque paiement que ce soit par l'une ou l'autre de ces sociétés. Aucun paiement n'était non plus indiqué dans le système central CORPAC.

[31] Par la suite, de nouvelles discussions eurent lieu avec l'avocat de l'appelante qui a été informé de ce résultat. On lui a alors demandé de fournir des preuves puisque le contribuable prétendait avoir fait des paiements. L'avocat n'en avait pas. Toutefois, il a donné une liste de toutes les sociétés qui auraient pu être visées puisqu'il y aurait alors eu une somme d'environ 400 000 $ en trop appartenant à l'appelante. De nouvelles vérifications sur le système CORPAC dans lequel sont entrées tant les cotisations que les paiements ne donnèrent aucun résultat. Les dossiers de recouvrement ne contenaient pas non plus d'informations selon lesquelles des paiements auraient été faits par d'autres sociétés. M. Deslongchamps a affirmé que Mme Blais-Chénard lui avait même envoyé la reconstitution des comptes de toutes les sociétés visées préparée par Mme Déry. Comme personne n'avait pu retracer quelque preuve de paiement que ce soit, il fut décidé de ne pas envoyer de chèque de remboursement et de référer le dossier à la section des oppositions pour émission d'une nouvelle cotisation.

[32] M. Pierre Brodeur, vérificateur à Revenu Canada travaillait à la section des recouvrements de 1984 à 1988. D'abord, il a affirmé que le nom d'Alameda lui était inconnu bien qu'il connaisse celui de Saratoga, celui des Habitations Montvillage Inc. (une société du groupe) et celui de M. Mark Schwartz. Suite à des recherches effectuées à Montréal le matin même de l'audition des présents appels, personne n'aurait pu retracer un dossier quelconque de recouvrement concernant l'appelante et datant de la période de 1984 à 1988. Selon lui, un dossier de recouvrement n'existerait que dans la mesure où un solde dû serait demeuré impayé. Bien qu'il reconnaisse que certaines garanties étaient données par certaines sociétés pour d'autres et notamment par l'appelante si on se fie à une lettre qui lui était adressée en date du 10 mars 1985 (pièce A-12), M. Brodeur ne se souvient pas quelles garanties spécifiques auraient été données par quelles sociétés et pour lesquelles. Il ne se rappelle pas non plus de mesures particulières de recouvrement quant aux sociétés du groupe dont on lui avait confié la responsabilité puisque selon lui des garanties existaient déjà. Il n'a pas de souvenir non plus si la cotisation du 7 mars 1984 a fait l'objet de mesures de recouvrement. Enfin, quant à la question de paiement, M. Brodeur affirme que tous les paiements sont indiqués au système CORPAC et qu'il n'existe qu'un seul système en ce qui concerne les encaissements. Quant aux dossiers de recouvrement, ils contiennent généralement plutôt les informations pertinentes au contribuable ainsi que les garanties, la correspondance et les ententes.

[33] Mme Hélène Chaîné est agent de cotisation et s'occupe plus particulièrement des problèmes dans les dossiers. Dans son témoignage, elle a notamment expliqué que tous les paiements par chèque font l'objet d'une double entrée dans les systèmes informatisés et ainsi qu'un paiement fait par une société serait inscrit au système CORPAC. De même, elle a expliqué qu'il est possible que des sociétés qui ont des crédits puissent les transférer à d'autres sociétés ce qui survient généralement suite à une cotisation. À l'aide des états de comptes et des relevés CORPAC concernant l'appelante, Saratoga Construction Ltd. et Saratoga Construction Inc. elle a relevé trois chèques datés du 5 décembre 1976, du 26 décembre 1976 et du 28 janvier 1977 au montant de 21 190,83 $ chacun qui ont initialement été crédités par erreur au compte de Saratoga Construction Ltd. alors qu'ils devaient l'être à celui de l'appelante. L'erreur a été corrigée par la suite et on a attribué les crédits à l'appelante aux même dates. Selon Mme Chaîné, il s'agissait donc de chèques enregistrés dans le mauvais compte et non d'un transfert de crédits d'une société à l'autre. Suite à son analyse des états de comptes et des relevés CORPAC depuis 1976, Mme Chaîné affirme d'une part que la cotisation du 7 mars 1984 n'a jamais été inscrite dans le système CORPAC avant mars 1993 suite à ce qui est indiqué comme étant une erreur au système, erreur enregistrée pour la première fois en date du 15 mars 1984 et, d'autre part, qu'aucun paiement n'a été fait par ou pour l'appelante en rapport avec cette cotisation.

[34] Mme Chaîné a également témoigné concernant les cotisations établies le 18 mars 1994 pour les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante. Elle a expliqué de façon détaillée la façon dont le crédit de 70 270,75 $ au compte IMRTD résultant de la cotisation établie le 28 avril 1993 suite au jugement sur consentement avait été appliqué aux années d'imposition postérieures à 1974 et à 1975. Selon elle, compte tenu des remboursements déjà obtenus par l'appelante pour ces années postérieures, il ne restait aucun solde pour 1982 et 1983 d'où les cotisations du 18 mars 1994 pour annuler les remboursements déjà obtenus par l'appelante alors qu'elle n'y avait pas droit.

[35] Mme Monique Déry est agent des services aux sociétés à Revenu Canada. En 1993, elle a reçu de Mme Blais-Chénard une demande qui lui provenait de M. Deslongchamps de sortir les états de comptes détaillés pour certaines sociétés du groupe dont Habitations Montvillage Inc., Saratoga Holdings, Saratoga Construction et l'appelante, Alameda Holdings. Mme Déry a également retranscrit les notes (T2020) au dossier de l'appelante (pièce R-3). Elle signale qu'il y avait définitivement un problème dans le système informatique sans toutefois pouvoir expliquer lequel et la cause. Il est à signaler que la toute première note au dossier date de janvier 1985. Elle se lit :

Cotisation se procure les T2. Appels ne veulent pas que l'on émette d'avis de nouvelle cotisation.

[36] La deuxième en date de mars 1985 se lit :

T867 rejetées pour 1974-1975.

Cotisation a besoin des T2. TX9 pour 1973 à 1979 en

opposition. Premier contact avec Alain Ducharme.

Rappeler dans 1½ mois.

[37] En date du 9 décembre 1985, une autre note indique ce qui suit :

Rejet T867 – 1974, 1975, 1978. Raison I.M.R.T.D. T867 à reprendre selon Correction des erreurs. Après contact avec Ottawa raison du rejet, que le RAP T867 78 ne

change pas la réduction. (Erreur sur T867). Hélène Chaîné appelle aux Appels, les dossiers sont au ministère de la Justice.

F/UP 28 février 1986 pour traiter message + T867.

[38] Ces notes qui constatent le rejet n'expliquent toutefois pas pourquoi les années subséquentes dont les années 1982 et 1983 n'ont pas à l'époque fait l'objet de nouvelles cotisations.

[39] Selon Mme Déry, aucune interception automatique des remboursements d'impôt à l'appelante n'aurait été placée sur le système informatique avant une interception en date du 11 septembre 1995. Une interception désignée comme Interception IBM aurait été inscrite en date du 21 juillet 1986 afin, selon Mme Déry, que toute nouvelle information puisse être vérifiée par la personne ayant placé ce type d'interception.

[40] Mme Déry a également expliqué qu'une interception des remboursements automatiques n'a pas pour effet d'empêcher les paiements d'impôts ou les transferts d'impôts d'être inscrits au système.

[41] À l'examen de l'état de compte de la société Saratoga Construction Ltd. (pièce R-6), Mme Déry n'a pu retracer aucun paiement ou transfert au bénéfice de l'appelante autre qu'à l'égard des trois chèques de 21 190,83 $ crédités initialement par erreur à Saratoga Construction Ltd. plutôt qu'à l'appelante les 5 et 26 décembre 1976 et le 28 janvier 1977. Tel que mentionné plus haut, l'erreur a été corrigée et les paiements ont été crédités à l'appelante (pièce R-4).

[42] Quant à la société Saratoga Construction Inc., l'état de compte (pièce R-7) ne démontre pas non plus que des transferts auraient été faits au bénéfice de l'appelante. L'état de compte n'indique qu'une série de six paiements de 4 920 $ s'échelonnant de septembre 1988 à février 1989 pour un total de 29 520 $.

[43] En somme, selon Mme Déry il est impossible de retracer une série de paiements qui se seraient échelonnés sur une période de 6 à 14 ou 15 mois et qui auraient été faits au bénéfice de l'appelante pour une somme globale de 421 069 $.

[44] L'avocat de l'appelante a également appelé à témoigner M. Normand Durocher, agent de recouvrement à Revenu Canada. Selon celui-ci, la preuve de réclamation en rapport avec la faillite de l'appelante en date du 19 juin 1998 a été faite à partir de la nouvelle cotisation établie en 1993 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante et des cotisations établies subséquemment pour les années 1982, 1983 et 1990 et non de la cotisation établie en 1984 pour l'année d'imposition 1974 laquelle n'apparaît d'ailleurs nulle part dans le système CORPAC ou dans le dossier de recouvrement de l'appelante. Selon lui, ce dossier de recouvrement n'a été ouvert qu'en juin 1993, environ un mois après la cotisation. M. Durocher dit avoir vérifié les années précédentes jusqu'en 1980 et même avant pour établir si l'appelante était endettée et si des paiements avaient été faits. Il affirme que si des paiements avaient été faits suite à la cotisation établie en 1984, l'information pertinente aurait été indiquée au système. Selon lui, il ne s'est absolument rien passé et il n'y a eu aucun paiement depuis 1980. Le fait que la cotisation établie en 1984 n'était pas indiquée au système n'aurait pas empêché que des paiements soient crédités s'ils avaient été faits. M. Durocher affirme également que si des sommes avaient été retenues dans le compte d'une autre société plutôt que d'être transférées au compte de l'appelante, la société concernée aurait été avisée qu'elle possédait des crédits excessifs et les sommes auraient été remises après un certain temps.

[45] Somme toute, encore ici, la preuve n'apporte aucun élément qui puisse permettre d'établir qu'un paiement quelconque aurait été fait par l'appelante elle-même ou par une autre société pour son bénéfice ou qu'un transfert quelconque aurait été effectué du compte d'une autre société en rapport avec la cotisation établie en 1984 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante.

1) Cotisation du 28 avril 1993 concernant l'année d'imposition 1974 de l'appelante (dossier no. 95-209(IT)G)

a) Position de l'appelante

[46] L'avocat de l'appelante conteste l'élément intérêt de la cotisation établie en 1993 pour l'année 1974 de l'appelante d'abord en soutenant qu'il y a de nombreux éléments de preuve démontrant que la cotisation établie en 1984 pour cette même année aurait été payée. Ensuite, en invoquant la doctrine de l'“ estoppel ” ou de la “ fin de non-recevoir ”, il soutient que le Ministre ne peut être autorisé à prétendre qu'il n'y a pas eu de paiement alors qu'il a clairement laissé entendre le contraire durant plusieurs années et que l'appelante a de ce fait subi un préjudice en interjetant appel de cette cotisation et en acceptant un règlement en 1993 avec la croyance qu'elle obtiendrait alors un remboursement.

[47] Sur la question du paiement, l'avocat de l'appelante reconnaît par ailleurs un certain nombre d'éléments qui indiqueraient que le paiement n'a pas été effectué. Le témoignage de Mme Chaîné est dans ce sens puisque l'analyse historique des documents retracés indique non seulement qu'il n'y a pas eu de paiement mais également que la cotisation établie en 1984 n'a jamais pu être enregistrée dans le système informatique. L'avocat de l'appelante reconnaît également que la note inscrite aux états financiers pour l'année d'imposition se terminant le 30 novembre 1987 donne également à penser que l'appelante n'a pas payé le montant de la cotisation.

[48] Malgré ces éléments, l'avocat de l'appelante en relève plusieurs qui favorisent, selon lui, la thèse du paiement. Ainsi, dit-il, il a été démontré que le groupe Saratoga ne pouvait continuer ses opérations sans faire des paiements et donner des garanties. Le témoignage de M. Deslongchamps de Revenu Canada établit également que les documents consultés indiquaient que tous les paiements avaient été faits ce qui est confirmé par le vérificateur externe qui a affirmé que l'appelante n'avait aucune dette impayée.

[49] Les états de compte et un chèque en provenance du Ministère du Revenu soumis en preuve (pièce A-1 à A-5 et A-7) indiquent également soit un solde de zéro soit un remboursement. L'avocat de l'appelante signale également le fait qu'à l'époque, en 1984, un contribuable qui contestait une cotisation avait néanmoins l'obligation de payer et que l'article 225.1 de la Loi n'a été ajouté que pour les années postérieures à 1985. Ainsi, Revenu Canada avait le droit de poursuivre le recouvrement de la dette malgré l'opposition et l'appel. L'avocat signale également que l'interception IBM indiquée au système informatique a été annulée au début des années 1990 puisqu'il y a eu remboursement de certaines sommes à l'appelante à cette époque. Enfin, l'avocat de l'appelante rappelle que la preuve démontre qu'il y a effectivement eu certaines erreurs en ce qui concerne des paiements par une société pour une autre et ainsi que des erreurs aurait pu également se produire en ce qui concerne le paiement de la cotisation établie en 1984.

[50] L'avocat de l'appelante estime de plus qu'un contribuable ne peut se défendre adéquatement que dans la mesure où les documents de Revenu Canada sont complets ce qui n'est pas le cas ici puisque les dossiers de recouvrement n'ont pu être retracés. L'avocat note également l'absence de M. Ducharme dont le témoignage aurait pu apporter des éclaircissements. Il estime que Revenu Canada doit accepter la responsabilité pour le fait que tout le monde a tenu pour acquis que la cotisation avait été payée et ce, jusqu'au moment du règlement intervenu en 1993.

[51] L'avocat de l'appelante soutient ensuite que la seule raison pour laquelle l'appelante a interjeté un appel de la cotisation, qu'elle a poursuivi cet appel et qu'elle a finalement accepté un règlement est qu'elle pouvait obtenir un remboursement d'impôt ce que tout le monde avait d'ailleurs confirmé à l'époque. Ainsi, M. Schwartz, le principal intéressé, aurait été trompé par cette présentation des faits de la part des employés de Revenu Canada ce qui l'aurait incité à agir au détriment des intérêts de l'appelante d'où la doctrine de l'estoppel ou celle de la fin de non-recevoir invoquée pour faire rejeter la cotisation quant au montant des intérêts.

[52] Dans ses observations écrites soumises après l'audition, l'avocat de l'appelante élabore toute une théorie sur l'application de la doctrine de l'estoppel ou de la fin de non-recevoir qui empêcherait l'intimée de faire valoir que l'appelante n'a pas payé la cotisation de 1984 et donc que la cotisation de 1993 ne serait pas valide quant aux intérêts cotisés.

[53] Ainsi, l'avocat de l'appelante soutient que la doctrine de l'estoppel se retrouve en droit civil sous une autre appellation soit celle de la “ fin de non-recevoir ” qui en possède les mêmes caractéristiques et dont les conditions d'application sont les mêmes. Notant toutefois que des différences existent entre les deux concepts, différences sur lesquelles il n'estime pas nécessaire d'élaborer, l'avocat de l'appelante affirme néanmoins que l'objectif ultime ou le but des deux concepts est essentiellement le même et que leur application entraîne en pratique les mêmes conclusions. Ainsi, l'avocat de l'appelante soutient que Revenu Canada ne peut maintenir et confirmer de façon constante le paiement d'une dette et par la suite nier l'existence d'un tel paiement lorsque le supposé débiteur a engagé des frais importants dans le but de se faire rembourser les sommes dont Revenu Canada a clairement reconnu le paiement. Finalement, l'avocat affirme, à la lumière de la jurisprudence concernant la doctrine de l'estoppel dans les juridictions de common law au Canada, que ce serait parodier la justice que de suggérer que Revenu Canada, par les actes de ses fonctionnaires puisse être tenu responsable dans toutes les provinces et territoires du Canada sauf au Québec à cause de l'application du droit civil. Selon lui, les conséquences des gestes posés devraient être les mêmes partout. Au soutien de ses arguments, l'avocat de l'appelante se réfère aux décisions dans les affaires suivantes :

- Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona Corp., [1976] C.A. 395 (C.A.Q.);

- Banque Nationale du Canada c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339 (C.S.C.);

- Québec (Procureur général) c. le Tribunal d'arbitrage de la fonction publique, [1998] R.J.Q. 2771 (décision de la Cour supérieure du Québec actuellement en appel);

- Gabias v. Mainville, [1922] R.J.Q. 32 (vol. 33) (C.B.R.) ;

- Rawleigh v. Dumoulin, [1926] R.C.S. 551 (C.S.C.).

b) Position de l'intimée

[54] Se fondant sur l'analyse des fins de non-recevoir faite par le juge Beetz de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Soucisse (précitée) et en s'appuyant sur la doctrine, l'avocat de l'intimée affirme qu'une défense de non-recevoir ne peut être utilisée pour éteindre un droit mais uniquement pour en empêcher l'exécution. Selon lui, comme il ne s'agit pas ici d'une procédure de recouvrement d'une dette fiscale mais bien d'un appel d'une cotisation, la seule façon pour l'appelante de faire modifier le montant des intérêts cotisés est de prouver que la dette a été éteinte.

[55] Comme argument subsidiaire, l'avocat de l'intimée soutient qu'à tout événement l'appelante n'a pas établi les éléments nécessaires à l'application d'une fin de non-recevoir et n'a invoqué aucune règle de droit spécifique sur laquelle elle serait fondée. En effet, dit-il, les fins de non-recevoir doivent se distinguer de la doctrine de l'estoppel qui elle ne fait pas partie du droit du Québec. Sur ce point, l'avocat de l'intimée se réfère aux propos du juge Mignault de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Grace and Company v. Perras, [1921] 62 R.C.S. 166 à la page 172, propos repris par le juge Beetz dans l'affaire Soucisse (précitée) aux pages 360 et 361. De plus, dans l'affaire Rawleigh v. Dumoulin (précitée) le juge Mignault de la Cour suprême du Canada affirmait ceci à la page 556 :

On peut dire en thèse générale qu'aucune fin de non-recevoir n'est accueillie en l'absence d'une règle de droit qui l'admette.

[56] Par ailleurs, l'avocat de l'intimée souligne que la fin de non-recevoir sur laquelle on s'est fondé dans l'affaire Soucisse (précitée) était le comportement fautif de la partie contre laquelle cette fin de non-recevoir était invoquée et qu'elle tirait sa source de l'ancien article 1053 du Code civil du Bas-Canada (actuel article 1457 du Code civil du Québec). Ainsi, selon l'avocat de l'intimée, de façon à pouvoir présenter une telle “ défense ” l'appelante se devait de prouver la faute du Ministre, le dommage causé et le lien entre la faute et le dommage. Selon lui, cette preuve n'a pas été faite. Une erreur a été commise, certes, par les mandataires du Ministre qui ont affirmé à l'appelante que sa dette était payée et qu'elle recevrait un remboursement. Selon l'avocat de l'intimée, cette erreur n'a été commise que le jour du procès et elle a été corrigée aussitôt qu'elle a été découverte. Il s'agit d'une erreur faite de bonne foi et non le résultat d'une négligence.

[57] Cette erreur, poursuit l'avocat de l'intimée, doit être examinée à la lumière du fait que le Ministre n'a jamais représenté que la dette avait été réglée ou effacée. L'avocat de l'intimée soutient, vu l'importance de la dette et la note aux états financiers de 1987, que l'appelante savait que la dette n'avait pas été payée. De surcroît, aucun détail n'a pu être apporté lors de l'audition concernant le moment ou la façon dont le ou les prétendu(s) paiement(s) avait(aient) été fait(s). Finalement, l'avocat de l'intimée fait valoir que l'insistance à obtenir un remboursement immédiat est aussi compatible avec la thèse voulant que l'appelante était au courant de l'erreur commise par le Ministre et qu'elle a choisi de ne pas la corriger espérant ainsi recevoir un montant auquel elle n'avait pas droit. Ceci étant, l'avocat de l'intimée estime que c'est l'appelante qui a ainsi commis une faute et qu'elle ne peut invoquer sa propre turpitude.

[58] L'avocat de l'intimée soutient que l'allégation de l'appelante selon laquelle elle a subi un dommage en signant un consentement à jugement qu'elle n'aurait pas signé n'eut été de la promesse d'un remboursement est discutable, intéressée et non supportée par la preuve présentée. Ainsi, dit-il, l'appelante n'a aucunement tenté d'introduire quelque procédure que ce soit devant la Cour canadienne de l'impôt soit pour faire modifier le jugement sur la base que de nouvelles informations avaient été découvertes après qu'il avait été rendu soit pour interjeter un appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale ou devant la Cour d'appel fédérale. L'avocat de l'intimée affirme que l'inférence qu'on peut tirer de ce défaut d'agir est que le fait que la dette ait été payée ou non n'était pas une considération importante pour la signature du consentement à jugement ou que l'appelante était moins concernée par le consentement à jugement que par la possibilité de bénéficier de l'erreur du Ministre. Ainsi, quelle que soit l'hypothèse retenue, l'appelante n'a subi aucun dommage en signant le consentement à jugement.

[59] Finalement, l'avocat de l'intimée estime que même si la Cour en venait à la conclusion que le Ministre est en faute et que l'appelante a subi des dommages en signant le consentement à jugement, aucun lien n'a été établi entre cette faute et le dommage puisque celui-ci résulterait plutôt de l'inaction de l'appelante après que l'erreur eut été découverte. De plus, comme il a été allégué que le but de la poursuite de l'appel de la cotisation par l'appelante était essentiellement fondé sur le fait qu'elle s'attendait à un remboursement, c'est sa propre méprise et non la présentation erronée du mandataire du Ministre qui est la cause du dommage.

[60] L'avocat de l'intimée invoque également la fin de non-recevoir fondée sur la règle nemo auditur turpitudinem suam allegans à laquelle il est fait référence dans l'affaire Soucisse (précitée) et estime qu'aucun comportement illicite ou immoral de la part du Ministre n'a été démontré dans la présente affaire.

c) Analyse

[61] Le paragraphe 161(1) de la Loi prévoit qu'un contribuable doit payer des intérêts au taux prescrit sur tout excédent du total des impôts payables pour une année sur le total des impôts payés “ pour la période au cours de laquelle cet excédent est impayé ”. En 1993, en cotisant l'appelante pour son année d'imposition 1974, le Ministre a tenu pour acquis que le montant de la cotisation précédente pour la même année d'imposition, soit la cotisation du 7 mars 1984 n'avait pas été payée et il a donc cotisé des intérêts en conséquence. Il appartenait donc à l'appelante de démontrer, par prépondérance des probabilités, que le montant de cette cotisation avait été payé. On pourrait ajouter que le montant de la cotisation représente une dette civile et que la preuve du paiement d'une telle dette incombe au débiteur en vertu du principe énoncé à l'article 2803 du Code civil du Québec. Comme le soulignent les auteurs Jean Pineau, Danielle Burman et Serge Gaudet dans leur ouvrage intitulé Théorie des Obligations, 3ème éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1996, page 489, #324 :

Selon le principe établi par l'article 2803 C.c.Q. le créancier doit prouver l'existence de l'obligation et le débiteur doit en prouver l'exécution.

[62] Or, cette preuve de paiement n'a pas été faite par l'appelante. Au-delà des simples affirmations, hypothèses, suggestions et insinuations, il n'y a absolument rien dans la preuve qui pourrait tendre à démontrer qu'un paiement quelconque a été fait quant au montant de la cotisation établie en 1984. Au contraire.

[63] Bien que les dossiers de recouvrement des sociétés du groupe Saratoga dont faisait partie l'appelante n'ont pu être retracés, les relevés de compte de Revenu Canada pour les sociétés concernées ne présentent pas le moindre indice qu'un paiement ou qu'un transfert quelconque ait pu être fait par ou pour le compte de l'appelante. La suggestion que des transferts auraient été faits par les différentes sociétés du groupe Saratoga pour le compte de l'appelante n'est aucunement appuyée par les documents soumis en preuve. Il en est de même de celle voulant que le montant de 421 069,97 $ aurait été payé par 6 à 14 ou 15 chèques étalés sur une période d'une année à une année et demie.

[64] Il est curieux de constater que l'appelante ait pu produire des documents d'époque en provenance de Revenu Canada, tels des états de comptes, copies de chèques de remboursement ou avis de cotisation indiquant un solde néant et qu'elle n'ait pas été en mesure de présenter aucun de ses propres documents internes ou non, qui aurait pu fournir un indice, si faible soit-il, d'un paiement quelconque du montant de la cotisation établie en 1984.

[65] D'ailleurs, la note aux états financiers de 1987 produits par l'intimée (pièce R-1, onglet 5) est, à mon avis, révélatrice de la situation et ne fait que confirmer qu'il n'y a jamais eu de paiement. Je la reproduis à nouveau pour fin de commodité :

2: CONTINGENT LIABILITY

In March 1984, Revenue Canada Taxation had issued Notices of Reassessments for the period 1974 to 1981, amounting to approximately $367,000 including interest to date of the reassessment.

The company has filed Notices of Objection relating to these reassessments and has not made a provision for income taxes relative thereto, since the amount payable cannot be determined with sufficient precision. The effect of any settlement would be corrected to retained earnings.

(le souligné est de moi)

[66] Certes, il y a eu erreur de la part des fonctionnaires de Revenu Canada. Ce fait a été clairement établi. L'erreur initiale résulte de l'impossibilité d'introduire les éléments de la cotisation du 7 mars 1984 au système informatique. Les soldes et remboursements générés par le système l'ont donc été en l'absence des données relatives à cette cotisation. L'engagement de procéder rapidement à un remboursement lors du règlement intervenu en rapport avec cette cotisation en 1993 n'est encore ici que la conséquence de l'erreur initiale. On n'est pas surpris non plus de constater qu'aucune mesure de recouvrement n'ait été prise contre l'appelante en l'absence de données inscrites au système concernant la cotisation établie.

[67] L'appelante soutient que l'application de la doctrine de l'estoppel ou celle de la fin de non-recevoir devait recevoir application pour empêcher le Ministre de cotiser des intérêts puisqu'il a toujours laissé entendre et indiqué par ses fonctionnaires que le montant de la cotisation avait été payé et que l'appelante a ainsi agi à son propre détriment en interjetant un appel de cette cotisation, en poursuivant cet appel et en signant un consentement à jugement.

[68] D'abord, je dirai que la position de l'appelante est pour le moins ambivalente. L'avocat de l'appelante a tenté par tous les moyens de me convaincre que l'appelante avait bel et bien acquitté la cotisation du 7 mars 1984 et que l'appel devrait être admis sur la base de la preuve présentée à cet égard. Puis, l'avocat de l'appelante soutient que celle-ci a été trompée par les fonctionnaires de Revenu Canada qui ont indiqué tant par écrit qu'oralement qu'il n'existait aucun solde à payer et qu'une telle présentation des faits aurait incité l'appelante à agir à son détriment en interjetant appel, en poursuivant cet appel et en signant le consentement à jugement. Si l'appelante était convaincue qu'elle avait payé comme on a tenté de le démontrer, on se demande bien comment elle peut prétendre avoir été trompée par Revenu Canada et que la présentation des faits de la part des fonctionnaires puisse être à l'origine de sa position quant à l'opportunité d'interjeter l'appel, de le poursuivre et de signer le règlement. La suggestion de l'avocat de l'intimée que l'appelante savait qu'elle n'avait pas payé et qu'elle a tenté d'exploiter l'erreur commise à son avantage n'exprime pas une théorie totalement farfelue et les faits soumis en preuve peuvent très certainement conduire à une telle inférence.

[69] Dans le Volume 1 de son ouvrage Droit Administratif, 4e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1996, aux pages 48 et suivantes, l'auteur Patrice Garant procède à une analyse historique de l'application du Code civil à la Couronne depuis la décision du Conseil privé rendue en 1886 dans l'affaire Exchange Bank of Canada v. The Queen, (1886) 11 A.C. 157. À la page 53 de cette analyse, il y écrit notamment ceci :

Plus récemment, la Cour d'appel et la Cour supérieure n'hésitent pas à réaffirmer que si la couronne est assujettie à la common law, c'est “in Quebec, generally speaking, as codified in the Civil Code... and the Code of civil procedure”156. Ce principe s'applique également à la couronne fédérale157.

Dans le vaste champ des contrats et de la responsabilité civile notamment, il a donc presque toujours été admis par la jurisprudence qu'à défaut de disposition expressément dérogatoire, en droit statutaire ou en vertu de la prérogative, on doit appliquer à la couronne, aussi bien provinciale que fédérale, le Code civil du Québec et le Code de procédure civile, tout comme dans les autres provinces on applique la common law158.

En 1989, la Cour suprême confirmait que “l'Acte de Québec a établi la primauté du droit civil en matière de propriété et de droits civils”159. Selon la Cour, les personnes morales publiques sont régies par le droit public et la common law de droit en tout ce qui concerne leur statut et leurs pouvoirs; pour le reste, s'il y a lieu de se tourner vers le droit commun, c'est le Code civil qui s'applique: “le droit civil est le droit commun du Québec”160. Que ce soit en matière contractuelle ou délictuelle, les personnes morales publiques, ce qui à notre avis inclut la couronne, sont “assujetties dans l'exercice pratique de leurs pouvoirs discrétionnaires” aux normes de conduite du droit civil161.

_________________________________

156. Société des Alcools du Québec c. Steinberg, précité, note 139, p. 2705.

157. Société du crédit agricole du Canada c. Smyth, [1994] R.J.Q. 1107, 1110, “il ressort clairement de la doctrine et de la jurisprudence qu'au Québec la Couronne fédérale n'est assujettie qu'aux codes civil et de procédure”.

158. Voir sur ces questions, infra, les chapitres VII et XIX.

159. Laurentide Motels c. Beauport (ville de), [1989] 1 R.C.S. 705, 722 (J. Beetz) 737 (J. L'Heureux-Dubé).

160. Id., p. 724; P.A. CÔTÉ, “La détermination du domaine du droit civil en matière de responsabilité civile de l'Administration québécoise”, Mélanges Jean Beetz, Éd. Thémis, 1995, p.395-404.

161. Id. p. 725; pour les autres provinces, ces normes sont celles de la common law de droit privé: Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228.

[70] L'avocat de l'appelante a invoqué la doctrine de l'estoppel et celle des fins de non-recevoir. Selon lui, les caractéristiques et les conditions d'application de ces deux institutions sont semblables tout comme devraient l'être leurs effets. Selon moi, il s'agit d'une simplification abusive. J'estime que la doctrine de l'estoppel ne peut être invoquée dans la présente affaire et que c'est le Code civil du Québec qui s'applique. Dans l'affaire Soucisse (précitée), le juge Beetz de la Cour suprême du Canada distingue les deux concepts tout en reconnaissant qu'il y a souvent eu confusion entre les deux et l'utilisation des deux vocables. Il se réfère notamment à l'opinion du J. Mignault dans l'affaire Grace and Company (précitée) selon laquelle le concept d'estoppel tel qu'il est appliqué dans le système anglais est inconnu en droit civil. Toutefois, il y reconnaît expressément l'existence des fins de non-recevoir en droit civil et que l'un des fondements possibles d'une fin de non-recevoir puisse être le comportement fautif d'une partie par référence aux articles 1053 et suivants du Code civil du Bas Canada (actuels articles 1457 et suivants du Code civil du Québec).

[71] Comme l'avocat de l'appelante ne s'est référé à aucune règle particulière du Code civil du Québec au soutien de la fin de non-recevoir invoquée, il n'est pas possible d'établir de façon exacte les conditions qui auraient dû être satisfaites pour réussir sur cette base. Toutefois, si l'on tient pour acquis comme l'a fait l'avocat de l'intimée qu'une fin de non-recevoir puisse être fondée sur les articles 1457 et suivants du Code civil du Québec, encore aurait-il fallu prouver la faute, le dommage et le lien de causalité entre les deux. Or, au delà des affirmations de M. Schwartz, force est de constater qu'aucun dommage réel n'a été prouvé, pas plus qu'il n'a été démontré que l'appelante avait été incitée à agir à son propre détriment. On se demande bien comment un contribuable peut prétendre qu'interjeter appel d'une cotisation de 421 069,97 $, de poursuivre cet appel et de régler finalement le litige partiellement à son avantage puissent être des gestes qu'il pose à son détriment, et ce, que l'impôt ait été payé ou non. À moins, évidemment, que l'appel ne soit totalement frivole. Je n'accepte pas le témoignage de M. Schwartz lorsqu'il affirme que l'appel n'a été interjeté, poursuivi et finalement réglé que pour récupérer des sommes déjà payées. Comme si l'établissement de la responsabilité fiscale de l'appelante n'avait eu aucune importance si l'impôt n'avait pas déjà été payé. D'une part, dans la mesure où les dirigeants de l'appelante étaient convaincus que le montant de la cotisation avait été payé on voit mal comment on peut maintenant affirmer que la décision d'interjeter appel, celle de le poursuivre et celle de régler aient été provoquées par les affirmations des fonctionnaires de Revenu Canada. D'autre part, dans la mesure où ces dirigeants savaient ou auraient dû savoir que le montant de la cotisation était impayé, on ne saurait non plus imputer au Ministre la responsabilité d'avoir provoqué les actions de l'appelante dans la recherche d'un avantage indu puisque celle-ci savait que la présentation des faits par les fonctionnaires de Revenu Canada était erronée. Dans un tel cas, on ne pourrait que conclure que c'est l'appelante qui est responsable de son propre malheur.

[72] Comme je l'ai dit, j'estime que la doctrine de l'estoppel n'est aucunement applicable dans la présente affaire. Toutefois, je me permettrai quant même quelques observations vu la position prise par l'avocat de l'appelante à cet égard.

[73] Dans l'affaire Canadian Superior Oil v. Hambly, [1970] R.C.S. 932, le juge Martland de la Cour suprême du Canada résumait les éléments essentiels de l'“ estoppel by representation ” de la façon suivante aux pages 939 et 940 :

The essential factors giving rise to an estoppel are I think:

(1) A representation or conduct amounting to a representation intended to induce a course of conduct on the part of the person to whom the representation is made.

(2) An act or omission resulting from the representation, whether actual or by conduct, by the person to whom the representation is made.

(3) Detriment to such person as a consequence of the act or omission.

[74] Comme on le voit, l'intention de provoquer une ligne de conduite constitue un élément essentiel de la doctrine de l'“ estoppel by representation ”. À ce sujet, dans l'ouvrage de Bower et Turner : The Law Relating to Estoppel by Representation, 3rd ed., Butterworths, London, 1977, on insiste sur l'aspect essentiel de cet élément de la manière suivante à la page 93 :

It is clear that for the purposes of estoppel, no less than for those of an action for misrepresentation, inducement in fact is established by proof that the representation was made both with the object, and with the result, of inducing the representee to alter his position. Neither element suffices without the other. To prove the representor's intention to produce the effect comes to nothing, unless the effect itself be proved; and it is equally idle to establish the result, unless it be also shown that the representor, actually or presumptively, intended to bring it about.

[75] Or, dans la présente affaire non seulement cet élément intentionnel n'a jamais été prouvé, il n'a même jamais été allégué. Il n'aurait jamais pu l'être non plus vu l'absurdité de la position dans laquelle se serait placé le Ministre dans un tel cas. Il y a eu erreur et la présentation erronée des faits est le résultat simple de cette erreur, rien de plus. On n'aurait pas pu prétendre que cette présentation erronée de la part des fonctionnaires aurait été faite avec une quelconque intention d'induire un comportement ou un autre de la part de l'appelante. Une telle suggestion aurait tenu du ridicule.

[76] Au regard de ce seul élément fondamental de l'“ estoppel by representation ”, une défense fondée sur cette doctrine n'aurait eu, de toute façon, aucune chance de réussir.

[77] En conclusion, j'estime que l'appelante n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le montant de la cotisation établie le 7 mars 1984 pour son année d'imposition 1974 avait été acquitté et ainsi que la cotisation établie le 28 avril 1993 serait erronée quant aux intérêts cotisés.

[78] De plus, l'appelante n'a pas démontré que le Ministre n'était pas en droit d'établir la cotisation du 28 avril 1993 comme il l'a fait. J'estime donc que la cotisation est valide. En conséquence, l'appel de cette cotisation est rejeté.

2) Cotisations du 18 mars 1994 concernant les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante (dossier no. 95-1938(IT)G).

a) Position de l'appelante

[79] Tel que mentionné plus haut, ces cotisations ont été établies dans le but de réduire à néant le compte IMRTD de l'appelante et d'annuler les remboursements de 17 500 $ et de 3 436,01 $ déjà obtenus pour les années 1982 et 1983 respectivement. L'avocat de l'appelante soutient que ces cotisations ne sont pas valides puisqu'elles ont été établies après la période normale de cotisation. Il prétend également que le Ministre ne pouvait utiliser les dispositions du paragraphe 152(4.3) de la Loi concernant les cotisations corrélatives au motif que la nouvelle cotisation établie le 28 avril 1993 pour l'année 1974 de l'appelante suite au jugement sur consentement a eu pour effet d'augmenter et non de réduire le compte IMRTD de l'appelante pour son année d'imposition 1974. Ainsi, les nouvelles cotisations viseraient à pallier au fait qu'aucun ajustement n'a été apporté au solde de ce compte pour les années postérieures à 1974 et notamment pour 1982 et 1983 suite à la cotisation établie le 7 mars 1984 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante puisque c'est suite à cette cotisation que le solde du compte aurait dû être réduit.

b) Position de l'intimée

[80] L'avocat de l'intimée soutient que les cotisations sont valides en invoquant l'application du paragraphe 152(4.3) de la Loi. Selon lui, les cotisations tiennent compte du solde du compte IMRTD tel qu'établi par la cotisation du 28 avril 1993 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante de même que des remboursements déjà obtenus au cours des années subséquentes de sorte qu'aucun montant n'était remboursable pour les années 1982 et 1983 puisque le total du montant remboursable avait été obtenu pour les années postérieures à 1974 mais antérieures aux années 1982 et 1983 tel qu'expliqué par Mme Chaîné de Revenu Canada.

c) Analyse

[81] Le paragraphe 152(4.3) prévoit ce qui suit :

Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), lorsqu'une cotisation ou une décision d'appel a pour effet de modifier un solde donné applicable à un contribuable pour une année d'imposition donnée, le ministre peut ou, si le contribuable en fait la demande par écrit, doit, avant le dernier en date du jour d'expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année d'imposition subséquente et de la fin du jour qui tombe un an après l'extinction ou la détermination de tous les droits d'opposition ou d'appel relatifs à l'année donnée, établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'impôt, des intérêts ou des pénalités payables, ou déterminer de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, en vertu de la présente partie par le contribuable pour l'année subséquente, mais seulement dans la mesure où il est raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation ou la détermination se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l'année donnée.

[82] Cette disposition a été ajoutée par L.C. 1993, chap. 24 art. 90(2) et modifiée par L.C. 1994 ch. 21 par. 76(2). Elle est applicable aux nouvelles cotisations établies après le 10 juin 1993, pour des années d'imposition, et aux montants déterminés de nouveau après cette date, pour des années d'imposition, relativement à des changements de solde visant d'autres années d'imposition effectués par suite de cotisations établies après le 20 décembre 1991 ou de décisions d'appel rendues après cette date. Toutefois, la mention, au paragraphe 152(4.3) de la Loi, du jour de l'extinction ou de la détermination de tous les droits d'opposition ou d'appel relatifs à l'année donnée vaut mention du 10 juin 1993 s'il tombe avant cette date.

[83] Cette règle transitoire couvre la présente situation et rend le paragraphe 152(4.3) de la Loi théoriquement applicable puisque les nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1982 et 1983 ont été établies le 18 mars 1994 soit dans l'année suivant le 10 juin 1993, date à laquelle le droit d'appel pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante est réputé avoir été déterminé puisque le jugement a été rendu le 8 mars 1993.

[84] Lors de la cotisation du 7 mars 1984 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante, le solde du compte IMRTD avait été établi à néant. Lors de la cotisation du 28 avril 1993 suivant le jugement sur consentement, il a été établi à 70 270,75 $. Il y a donc eu augmentation et non diminution du solde. Le fait d'établir de nouvelles cotisations pour les années 1982 et 1983 en réduisant le solde du compte IMRTD à néant et en annulant les remboursements de 17 500 $ et de 3 436,01 $ déjà obtenus pour ces années ne résulte donc pas logiquement de la modification du solde du compte établi par la cotisation du 28 avril 1993 puisqu'il a alors été augmenté.

[85] En réalité, c'est suite à la cotisation du 7 mars 1984 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante par laquelle le solde du compte IMRTD était réduit à néant que le Ministre aurait dû établir de nouvelles cotisations et annuler les remboursements obtenus pour les années postérieures à 1974, y compris les années 1982 et 1983. Si de telles cotisations avaient été établies au moment opportun, de nouvelles cotisations corrélatives auraient pu être établies suite au jugement sur consentement en invoquant le paragraphe 152(4.3) de la Loi pour les années postérieures à 1974, et ce, de façon à refléter l'augmentation du solde du compte résultant du jugement et reflété dans la cotisation établie le 28 avril 1993.

[86] Comme le Ministre n'a pas établi de nouvelles cotisations pour les années postérieures à 1974 et plus particulièrement pour les années d'imposition 1982 et 1983 suite à la nouvelle cotisation établie le 7 mars 1984 il ne pouvait invoquer le paragraphe 152(4.3) de la Loi pour le faire le 18 mars 1994 puisqu'il n'est pas raisonnable de considérer que ces nouvelles cotisations se rapportent à la modification du solde du compte IMRTD résultant de la cotisation établie le 28 avril 1993 suite au jugement sur consentement. Comme je l'ai dit, la modification du solde pour l'année 1974 consistait en une augmentation et non en une diminution de ce solde.

[87] Affirmer que le résultat pour les années d'imposition 1982 et 1983 est de toute façon le même que si le Ministre avait établi des cotisations en temps opportun pour ces années suite à la cotisation établie le 7 mars 1984 pour l'année d'imposition 1974 ne change rien à la question. Le Ministre n'est pas autorisé à faire indirectement ce que la Loi ne lui permet pas de faire directement.

[88] Les appels des cotisations établies le 18 mars 1994 pour les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante sont donc admis et les cotisations sont annulées.

[89] En résumé, l'appel de la cotisation établie le 28 avril 1993 pour l'année d'imposition 1974 de l'appelante est rejeté et les appels des cotisations établies le 18 mars 1994 pour les années d'imposition 1982 et 1983 de l'appelante sont admis et les cotisations sont annulées, le tout avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 1999.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.

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