Date: 19990112
Dossier: 95-1435-IT-G
ENTRE :
ROBERT B. FURUKAWA,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Appel entendu le 5 novembre 1998 à Calgary (Alberta) par l'honorable juge G. J. Rip
Motifs du jugement
Le juge Rip, C.C.I.
[1] L'appelant, Robert B. Furukawa, avait interjeté appel à l'encontre de la cotisation pour 1992 qui avait été établie à son égard et dans laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) avait refusé une déduction de 7 500 $ relativement à de prétendus frais d'exploration au Canada (les “ FEC ”)[1]. L'appel avait été entendu le 13 mars 1996 par feu mon collègue le juge Sobier, de la C.C.I., et un jugement admettant l'appel avait été rendu le 17 avril 1996. Ce jugement est publié dans [1996] 2 C.T.C. 2641. Le juge Sobier avait statué que certaines actions n'étaient pas des “ actions exclues ” en vertu du sous-alinéa 6202.1(2)b)(i) du Règlement de l'impôt sur le revenu (le “ Règlement ”) et étaient donc des actions accréditives au sens de l'alinéa 66(15)d.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”). La Couronne avait porté ce jugement en appel devant la Cour d'appel fédérale, qui, le 20 janvier 1997, a accueilli l'appel, a annulé le jugement et a renvoyé l'affaire :
[...] au juge de la Cour canadienne de l'impôt afin que l'instruction se poursuive sur le fondement que le juge entende et règle la question de savoir si les actions visées constituaient des “ actions exclues ” aux termes du paragraphe 6202.1(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu. [...]
[2] La Cour d'appel laissait M. Furukawa libre de présenter des éléments de preuve en sus des faits dont il avait été convenu avant le procès. Voici ce que dit l'exposé conjoint des faits[2] :
[TRADUCTION]
1. L'appelant est un particulier qui réside au 8315, Hawkview Manor Link, à Calgary (Alberta), T3G 3H6.
2. Provident Ventures Corporation (“Provident”) est une corporation qui a été constituée en Alberta et qui est régie par la Business Corporations Act de cette province. Les titres de Provident ont été cotés à la Bourse de l'Alberta en 1989. [... La pièce] “A” [... est] une liste des opérations relatives aux actions de la compagnie pour l'année civile 1991. L'appelant a été administrateur et dirigeant de Provident dès sa création à la fin des années 80, mais a cessé d'être administrateur le 26 janvier 1994.
3. Bearcat Explorations Ltd. (“Bearcat”) est une corporation qui a été constituée en Alberta et qui est régie par la Business Corporations Act de cette province. L'appelant est administrateur de Bearcat depuis la fin des années 80.
4. L'appelant est devenu actionnaire de Bearcat à la fin des années 80. La participation de l'appelant dans Bearcat s'établit comme suit :
Avant mai 1990
58 500 actions ordinaires
Juin 1991
75 500 actions ordinaires
Mai 1992
75 500 actions ordinaires
Juin 1993
75 500 actions ordinaires
Août 1994
94 374 actions ordinaires
4 350 actions privilégiées
Juin 1995
137 974 actions ordinaires
[...]
5. Lumberton Mines Limited (“Lumberton”) est une corporation qui a été constituée en Alberta et qui est régie par la Business Corporations Act de cette province. Pendant toute la période en question, elle était une filiale de Bearcat. L'appelant est devenu administrateur de Lumberton à la fin des années 80. [... La pièce] “B” [... contient] les états financiers de Lumberton pour l'exercice clos le 30 novembre 1992, ainsi que les chiffres comparables pour l'exercice clos le 30 novembre 1991.
6. Au début de 1991, Lumberton a dressé un “résumé” faisant état des modalités d'un placement privé de 3 000 000 $ qui offrait aux investisseurs l'occasion de participer au financement de certaines activités d'exploration pétrolifère et gazière (le “financement par placement privé”). On donnait aux investisseurs l'occasion de participer à l'entreprise par l'acquisition d'“unités”. Les détails relatifs à l'acquisition des unités sont exposés dans le résumé joint à l'annexe “C”. [Voir l'annexe des présents motifs.]
7. En 1991, Lumberton a vendu des unités à divers souscripteurs, dont l'appelant, qui a fait l'acquisition d'un quart d'unité pour la somme de 7 500 $. L'appelant a fait l'acquisition de son quart d'unité dans le cadre d'une entente conjointe conclue avec MM. Zawatski, Neustater et Maier, le groupe faisant l'acquisition de deux unités, qui ont été détenues en fiducie par M. Maier.
8. [... La pièce] “D” [... est] une photocopie du chèque de l'appelant, d'un montant de 22 500 $, pour l'acquisition de son quart d'unité (7 500 $) et pour l'achat d'une unité par sa conjointe (15 000 $).
9. [... La pièce] “E” [... est] une copie du reçu de l'appelant, daté du 26 mars 1991, relativement à l'achat, ainsi que d'un “reçu modifié” accompagnant une lettre datée du 26 février 1992. [Voir l’annexe des présents motifs]
10. Dans le cadre de l'achat des unités, Lumberton a accepté d'émettre en faveur de l'appelant “certaines actions accréditives”[1] de Lumberton et de “renoncer” en faveur de l'appelant, conformément au paragraphe 66(12.6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”), aux frais d'exploration au Canada (“FEC”) d'un montant égal à la contrepartie de 7 500 $. [... La pièce] “F” [... est] une photocopie du certificat d'actions que Lumberton a émis en faveur de l'appelant et [... la pièce] “G” [... est] la “convention d'émission des actions accréditives”.[*]
______________
[1] Le différend entre les parties tient à la question de savoir si ces actions sont en fait des “ actions accréditives ” au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.
11. Lumberton a imputé la totalité du prix d'achat des unités aux actions de Lumberton et a consacré la totalité du produit de la vente des unités aux activités d'exploration au Canada et a renoncé à tous les FEC en faveur des investisseurs, dont l'appelant.
12. En ce qui concerne les autres éléments que Lumberton s'est engagée, d'après le résumé, à offrir aux investisseurs :
a) le terrain de golf Palmer n'a toujours pas vu le jour et Provident s'est réorientée vers la commercialisation d'eau embouteillée;
b) l'appelant a renoncé en faveur de Lumberton (sans frais) à son droit de se voir céder une participation dans le pipeline[2], dans le cadre de l'échange d'actions dont il est question au paragraphe 17 du présent document;
c) l'appelant n'a jamais reçu de laissez-passer au terrain de golf Palmer ni n'a joui de l'option d'achat d'un terrain, et il a renoncé en faveur de Lumberton (sans frais) à son droit de recevoir ces avantages, dans le cadre de l'échange d'actions dont il est question au paragraphe 17 du présent document;
d) l'appelant a reçu 125 actions de Provident le 10 août 1995 ou vers cette date. [... La pièce] “H” [... est] une copie de la lettre d'accompagnement [voir l'annexe des présents motifs] et du certificat d'actions.
___________
[2] Le pipeline était un gazoduc d'un diamètre de 8 pouces qui s'étendait sur 5 milles.
13. Revenu Canada n'a pas vérifié les “valeurs attribuées”, telles qu'elles sont mentionnées dans le résumé. L'appelant et l'intimée jugent tous les deux que ces “valeurs attribuées” ne sont pas exactes.
14. Par une lettre datée du 15 mai 1992, Lumberton a fait parvenir à l'appelant un chèque d'un montant de 7,81 $ représentant une partie des recettes tarifaires du pipeline Grassy, correspondant à la possession d'une unité, pour les mois de janvier, de février et de mars 1992. [... La pièce] “I” [... est] une copie de la lettre en question. De temps à autre, l'appelant a reçu d'autres montants au titre des recettes tarifaires du pipeline de Grassy Hill. Le montant total que l'appelant a reçu à compter du moment où il a fait l'acquisition des actions de Lumberton jusqu'au moment où il a renoncé à son droit de toucher une participation dans le pipeline (4 mai 1995) a été légèrement supérieur à 125 $.
15. En 1991 et 1992, Lumberton a fait l'objet d'une enquête menée par la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta (“CVMA”) pour avoir soi-disant violé la Securities Act, ainsi que ses règlements d'application et les politiques connexes, à la suite du financement par placement privé. Les violations en question, qui ont été commises par inadvertance selon Lumberton, étaient les suivantes :
(i) exposés inexacts présentés aux souscripteurs concernant les éléments constituant les unités du placement privé, éléments que Lumberton n'avait pas ou qu'elle n'était pas en mesure d'accorder au moment de l'offre;
(ii) exposés présentés aux souscripteurs concernant l'obtention d'une liste des titres de Lumberton cotés à la Bourse de l'Alberta;
(iii) placements privés fondés sur une exonération prévue par la loi de l'obligation de présenter un prospectus et de s'inscrire, ce qui a donné lieu à un nombre d'opérations avec les acquéreurs supérieur au maximum (50) prévu par cette exonération;
(iv) production tardive de certains formulaires relativement à deux placements privés.
16. Le conflit entre la CVMA et Lumberton a été réglé et, dans le cadre du règlement, Lumberton a été tenue de faire une offre de résiliation aux souscripteurs qui ont participé au placement de 1991 et, conformément à une offre datée du 3 décembre 1992, Lumberton a offert de racheter les actions de l'appelant. [... La pièce] “J” [... est] une copie de cette offre. L'appelant n'a pas accepté cette offre.
17. Par une lettre datée du 25 avril 1994, Bearcat a offert, entre autres choses, d'échanger les actions de Lumberton détenues par les investisseurs contre des actions de Bearcat. L'appelant a accepté l'offre de Bearcat et a signé une décharge datée du 5 mai 1994 à l'égard de cette offre. [... La pièce] “K” [... est] une copie de ce document.
18. Par une lettre datée du 11 juillet 1994, l'appelant a reçu un certificat d'actions relativement à ses actions de Bearcat. [... La pièce] “L” [... renferme des] copies de la lettre et du certificat d'actions.
19. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1992, l'appelant a réclamé une déduction de 7 500 $ sur son revenu au titre des FEC auxquels Lumberton a renoncé en sa faveur.
20. Par un avis de nouvelle cotisation daté du 24 mars 1994, le ministre a rejeté la demande de déduction d'un montant de 7 500 $ pour l'année d'imposition 1992 de l'appelant à l'égard des FEC auxquels Lumberton a renoncé en faveur de ce dernier. [... La pièce] “M” [... est] une copie de l'avis de nouvelle cotisation.
21. L'appelant a déposé un avis d'opposition à la nouvelle cotisation dans le délai prévu par la Loi et le ministre a confirmé la nouvelle cotisation le 24 janvier 1995. [... Les pièces] “N” et “O” [sont] respectivement [... des] copies de l'avis d'opposition et de l'avis de ratification.
[3] Le seul élément de preuve supplémentaire présenté lors de la poursuite de l'instruction tient à la lecture d'extraits de l'interrogatoire préalable de M. Purdy, le répartiteur de Revenu Canada.
[4] Les avocats conviennent que les dispositions pertinentes du paragraphe 6202.1(1) du Règlement sont les sous-alinéas b)(iii) et (iv), qui se lisent comme suit :
6202.1(1) Pour l'application de l'alinéa 66(15)d.1) de la Loi, est une action exclue l'action nouvelle du capital-actions d'une corporation si au moment de son émission, selon le cas :
[...]
b) une personne ou une société a l'une des obligations suivantes, conditionnelles ou non, immédiates ou futures (à l'exception d'une obligation exclue relative à l'action), qu'il est raisonnable de considérer comme étant, directement ou indirectement, un remboursement ou une remise par la corporation ou par une personne apparentée à celle-ci de tout ou partie de la contrepartie pour l'action émise ou la participation dans la société qui acquiert l'action :
[...]
(iii) transférer un bien,
(iv) conférer par ailleurs un avantage, de quelque façon que ce soit, y compris le versement d'un dividende;
[5] Dans l'affaire Esplen v. The Queen[3], le juge Bonner, de la C.C.I., a traité de la question du statut des actions accréditives en vertu de l'article 6202 du Règlement. Il disait à la page 1276 :
[...] Les dispositions législatives qui sont en cause ont été adoptées en vue d'encourager l'investissement dans l'exploration et la mise en valeur de ressources minérales. La loi a pour objet de permettre à un investisseur de souscrire des actions accréditives d'une corporation. Le but visé est que la corporation utilise les fonds de souscription à des fins d'exploration, qu'elle renonce à ses dépenses d'exploration en faveur de l'investisseur et que ces dépenses soient considérées aux fins de la Loi comme des dépenses de l'investisseur. Manifestement, le but visé n'est pas atteint si le prix de souscription est diverti des fins d'exploration et utilisé dans le cadre d'une espèce d'arrangement visant à permettre à l'investisseur de recouvrer une partie ou l'ensemble de son argent si la performance financière de l'action est décevante. [...]
[6] Les observations du juge Bonner cadrent avec l'argument du ministre selon lequel le but sous-jacent au paragraphe 6202.1(1) du Règlement est de faire en sorte que les sommes investies dans des actions accréditives servent effectivement comme capital de risque dans le secteur des ressources naturelles. Les actions exclues n'entrent pas dans la définition d'“ action accréditive ” aux fins de l'alinéa 66(15)d.1) de la Loi.
[7] Pour qu'une action soit considérée comme une action exclue en vertu des sous-alinéas 6202.1b)(iii) ou (iv) du Règlement, il faut qu'il soit satisfait à plusieurs exigences : au moment où les actions sont émises, une personne doit avoir l'obligation, conditionnelle ou non, de transférer un bien ou de conférer un avantage au contribuable, le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage peut être immédiat ou futur, et il faut qu'il soit raisonnable de considérer le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage comme étant, directement ou indirectement, un remboursement ou une remise de la contrepartie versée pour les actions émises.
[8] Je dois d'abord déterminer si la Lumberton avait l'obligation, conditionnelle ou non, de transférer un bien ou de conférer un avantage à M. Furukawa lorsque les actions de la Lumberton ont été émises. Le ministre soutenait que les éléments mentionnés dans le résumé figurant à la pièce “ C ” annexée à l'exposé conjoint des faits (le “ résumé ”) représentent de telles obligations. À certains moments durant le procès, on ne voyait pas clairement quel ensemble d'unités l'appelant avait acquis et, partant, quels biens supplémentaires il devait recevoir avec les actions[4]. Toutefois, un examen de l'exposé conjoint des faits et des éléments de preuve présentés au cours des deux parties du procès indiquent que l'appelant avait acquis une participation représentant le quart d'une unité achetée avec un groupe d'investisseurs, soit des investisseurs qui, ensemble, avaient acheté deux unités, qu'on appelle parfois une “ unité double ”. Les éléments accessoires en cause sont liés à l'achat d'une unité double. C'est ce qu'indique une lettre de la Lumberton à l'appelant en date du 10 août 1995, qui disait que, pour régler une injustice entre les investisseurs qui avaient acheté une seule unité et ceux qui en avaient acheté deux, la Lumberton émettrait 1 000 actions ordinaires de la Provident aux investisseurs ayant acheté deux unités. Ainsi, l'appelant a reçu un certificat au titre de 125 actions de la Provident (1 000 actions/2 x 25 p. 100).
[9] Le résumé indique que les investisseurs pouvaient souscrire une unité de 60 000 actions ordinaires avec droit de vote ou deux unités de 120 000 actions ordinaires avec droit de vote. Le résumé indique en outre que, lorsqu'il fait une telle acquisition, l'investisseur reçoit des éléments accessoires, soit deux laissez-passer à vie au Palmer Bar Golf Course, une fois celui-ci aménagé, ainsi qu'un terrain à bâtir d'un quart d'acre au Palmer Bar Golf Course, une fois celui-ci aménagé, et une participation de 1,4 p. 100 dans le pipeline Grassy.
[10] Le résumé indiquait également que les nouveaux actionnaires devaient recevoir “ en outre, sans qu'aucune somme ne soit prélevée sur la participation dans Lumberton Mines Limited ”, les éléments accessoires décrits précédemment. Il semble donc que l'actionnaire acquérait 120 000 actions ordinaires avec droit de vote de la Lumberton et que les éléments accessoires étaient simplement des éléments supplémentaires.
[11] Toutefois, est-ce que les éléments accessoires correspondent à une obligation? L'appelant soutient que non et dit qu'il n'a pas reçu bon nombre des éléments qui avaient été promis et que ceux qu'il a effectivement reçus n'avaient guère de valeur intrinsèque. Le fait que l'appelant n'a pas reçu tous ces éléments n'est pas pertinent aux fins de l'analyse, car, en vertu de l'alinéa 6202.1b) du Règlement, la personne devait avoir une obligation lorsque les actions de la Lumberton ont été émises. En outre, l'obligation peut être conditionnelle ou non et peut être immédiate ou future. Le résumé représente indéniablement une offre destinée à faire en sorte que des investisseurs agissent sur la foi des affirmations qui y sont faites. La commission des valeurs mobilières de l'Alberta était de cet avis, semble-t-il, car elle a conclu que la Lumberton avait enfreint la législation de la province en matière de valeurs mobilières et avait fait des affirmations inexactes à des investisseurs. L'obligation juridique à laquelle donnait lieu le résumé est également étayée par les reçus délivrés par la Lumberton, qui confirment que l'appelant devait recevoir les éléments accessoires.
[12] L'avocat de l'appelant soutenait que M. Furukawa n'estimait pas être en droit de recevoir les avantages décrits dans le résumé, car il n'avait pas acheté une unité complète. Je ne suis pas d'accord. L'appelant savait qu'il faisait partie d'un groupe qui achetait deux unités. Il savait que le groupe était en droit de recevoir les éléments accessoires liés à l'achat d'une unité double et que lui-même recevrait sa part proportionnelle des éléments accessoires. Bien que n'ayant pas conclu l'opération en vue d'acquérir les éléments accessoires, il espérait — s'il n'avait pas d'attente raisonnable à cet égard — recevoir sa part des éléments accessoires.
[13] Je n'accorde pas beaucoup de poids à l'argument de l'appelant selon lequel il n'a pas reçu certains des éléments accessoires comme le lot situé au terrain de golf ou les laissez-passer à vie. Ces éléments dépendaient indéniablement de l'achèvement du terrain de golf et devaient donc être octroyés ultérieurement. L'alinéa 6202.1b) du Règlement prévoit que l'obligation peut être conditionnelle et que le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage peut être un événement futur. Le fait que l'obligation conditionnelle n'était que cela ne soustrait pas l'appelant à l'application du règlement.
[14] Donc, à mon avis, il y avait une obligation de transférer un bien à l'appelant lorsque les actions de la Lumberton ont été émises. Je dois maintenant déterminer s'il s'agissait d'un remboursement ou d'une remise de l'ensemble ou d'une partie de la contrepartie versée par l'appelant pour les actions.
[15] Dans les motifs de son jugement, le juge Sobier, de la C.C.I., avait statué que les éléments accessoires représentaient des “ clauses attrayantes ” utilisées pour commercialiser les actions accréditives. En fait, le vérificateur de Revenu Canada voyait les éléments accessoires ainsi. L'avocat de l'appelant soutenait que cette conclusion invalidait l'argument du ministre selon lequel il s'agissait d'une remise de la contrepartie. Il n'en est pas nécessairement ainsi. Selon les circonstances, une “ clause attrayante ” peut ou non correspondre à la remise d'une contrepartie. Par exemple, lorsqu'un fabricant offre un rabais au consommateur final qui envoie par la poste, au fabricant ou à son représentant, un coupon indiquant qu'il a acheté le produit du fabricant, le fabricant se trouve à offrir une “ clause attrayante ” à ses clients éventuels, aux fins de la promotion du produit. Pour le consommateur, le rabais est une remise d'une partie du prix d'achat, soit une remise de la contrepartie qu'il a payé pour le produit.
[16] Les parties reconnaissent que le montant intégral investi par M. Furukawa et reçu par la Lumberton à l'émission des actions représentait des FEC. Ainsi, ces fonds ne pouvaient être restitués aux actionnaires. Comme le soutenait l'avocat du ministre, les éléments accessoires devaient être payés par la Lumberton sur ses profits ou actifs et constituaient donc une remise indirecte de la contrepartie. L'avocat du ministre soutenait que le fait que les fonds particuliers reçus en contrepartie aient été utilisés pour effectuer le remboursement n'avait pas d'importance, pourvu que les actifs ou profits de la compagnie aient été réduits par suite du remboursement. C'est vrai, mais cela ne règle pas la question qui m'est soumise, vu toutes les circonstances entourant l'émission des actions et l'octroi des éléments accessoires.
[17] Aux termes de l'alinéa 6202.1(1)b) du Règlement, il faut qu'il soit “ raisonnable ” de considérer le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage comme étant une remise de la contrepartie versée. Le mot “ raisonnable ” implique un examen des faits objectif plutôt que subjectif. Il faut se demander si une personne raisonnable évaluant les circonstances estimerait que les éléments accessoires représentaient une remise de la contrepartie versée pour les actions. Bien que la Lumberton ait été juridiquement obligée de fournir ces éléments accessoires, un examen de ses états financiers indique clairement que la Lumberton n'était pas en mesure de remplir l'obligation à ce moment ni dans un avenir proche ou raisonnable. Donc, une personne raisonnable accorderait probablement peu d'importance aux éléments accessoires dans l'ensemble de l'arrangement. D'un point de vue réaliste, la personne ne s'attendrait guère à bénéficier des clauses attrayantes. De plus, comme l'avait conclu le juge Sobier, de la C.C.I., les avantages n'avaient guère de valeur intrinsèque. Bien que le juge Sobier soit parvenu à sa conclusion en prenant en considération le paragraphe 6202.1(2) du Règlement, cela s'applique également à la question qui m'est soumise. Les éléments accessoires liés aux actions de la Lumberton, bien qu'étant dus à l'appelant, ne semblent pas avoir influé sur la décision de l'appelant d'acheter les actions et ne peuvent raisonnablement être considérés comme une remise de la contrepartie de 7 500 $ versée pour les actions. Les actions de la Lumberton ne sont pas des actions exclues selon la définition des sous-alinéas 6202.1(1)b)(iii) ou (iv) du Règlement. L'appel est admis, avec dépens.
[18] Au cours de la poursuite de l'instruction, l'avocat de l'appelant a soutenu que le sous-procureur général n'alléguait pas dans la réponse à l'avis d'appel que, dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant, le ministre s'était fondé sur l'hypothèse que le bien transféré ou l'avantage conféré représentait un remboursement ou une remise, à l'appelant, de la contrepartie que l'appelant avait versée pour les actions de la Lumberton. La raison de cette omission, concluait-il, tenait au fait que le ministre n'avait pas fait cette hypothèse. Le ministre n'a pas établi à l'égard de l'appelant une cotisation basée sur le fait que le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage représentait un remboursement ou une remise de la contrepartie. C'était là la conclusion du juge Sobier, de la C.C.I. La cotisation dont la Cour est saisie, disait l'avocat, partait nettement du principe que des actions deviennent des actions exclues du simple fait du transfert du bien ou de l'octroi de l'avantage et que le bien ou l'avantage représentait un élément de commercialisation.
[19] L'avocat a renvoyé à la décision rendue récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Continental Bank of Canada v. Canada, [1998] 2113 E.T.C., dans laquelle la Cour suprême a statué que le sous-procureur général n'était pas en droit d'avancer un nouveau fondement à l'appui d'une cotisation faisant l'objet d'un procès. Comme le juge McLachlin l'a déclaré :
Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin [paragraphe 152(4)].
(Voir aussi l'opinion du juge Bastarache, à laquelle souscrivait le juge McLachlin.)
[20] L'avocat de l'appelant me demandait donc de faire fi de l'argument du sous-procureur général selon lequel le transfert du bien ou l'octroi de l'avantage représentait un remboursement ou une remise de la contrepartie, car tel n'était pas le fondement de la cotisation. Puisque j'ai examiné la question selon les directives de la Cour d'appel fédérale et que l'appelant a gain de cause, il n'est pas nécessaire maintenant de se pencher sur l'argument de l'avocat concernant l'arrêt Continental Bank, précité. Je suis convaincu que je pouvais donner effet et que j'ai donné effet aux directives de la Cour d'appel fédérale[5]. Il est inutile d'appeler de nouveaux témoins pour déterminer si le ministre a utilisé comme fondement de la cotisation le paragraphe 6202.1(1) du Règlement.
Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de janvier 1999.
“ G. J. Rip ”
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 23e jour d’août 1999.
Mario Lagacé, réviseur
Annexe des motifs du jugement
[Omise]
[1] À la demande que le procureur général du Canada lui avait faite pour que cet appel soit régi par la procédure générale plutôt que par la procédure informelle, conformément aux paragraphes 18.11(1) et (5) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Cour avait, le 16 octobre 1995, ordonné notamment que cet appel soit plutôt régi par la procédure générale et que, conformément au paragraphe 18.11(6), les frais entraînés pour l'appelant soient payés par l'intimée.
[2] Les pièces annexées à l'exposé conjoint des faits qui sont nécessaires pour une meilleure compréhension des présents motifs sont reproduites à l'annexe des présents motifs.
[*] Dans la convention, l'investisseur “ souscrit 15 000 actions [dans la Lumberton...] et offre [...] 7 500 $ [...] ”.
[3] 96 DTC 1272 (C.C.I.).
[4] Les biens supplémentaires indiqués à la pièce “ C ” annexée à l'exposé conjoint des faits concernant l'acquisition d'une unité et l'acquisition de deux unités sont appelés des “ éléments accessoires ”.
[5] Après l'audience relative à la poursuite de l'instruction, les avocats des deux parties ont fait parvenir des observations écrites au sujet de questions soulevées par l'arrêt Continental Bank.