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Date: 20000104

Dossier: 1999-3637-EI

ENTRE :

CERTIFIED VERBATIM REPORTING SERVICES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Saskatoon (Saskatchewan) le 30 novembre 1999. L’appelante a interjeté appel de décisions selon lesquelles ses trois actionnaires et administratrices, à savoir Loraine Smith, Cheryl Feader et Merle Chovin, étaient embauchées en vertu de contrats de louage de services, qu’elles étaient des employées, qu’elles n’avaient pas de lien de dépendance avec l’appelante et que, par conséquent, leur emploi n’était pas exclu. Les décisions, fondées sur l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, ont été rendues en vertu du paragraphe 93(3).

[2] Les paragraphes 8 à 10 de la réponse se lisent ainsi :

[TRADUCTION]

8. Le 25 août 1998, l’appelante a interjeté appel de la décision devant le ministre.

9. En réponse à l’appel, le ministre a décidé que l’emploi pour la période du 1er janvier 1997 au 29 mai 1998 était assurable puisque les travailleuses et actionnaires étaient employées en vertu d’un contrat de louage de services et qu’elles n’avaient pas de lien de dépendance avec l’appelante.

10. Le ministre a appuyé sa décision sur les hypothèses de fait suivantes :

a) les faits admis ci-dessus;

b) l’appelante possède et exploite une entreprise de sténographie judiciaire;

c) parmi les services fournis par l’appelante figurent la sténographie judiciaire, la préparation des transcriptions et des services d'enregistrement d’éléments de preuve;

d) l’appelante est liée par contrat avec le gouvernement de l’Alberta pour offrir des services aux tribunaux criminels et civils;

e) l’entreprise de l’appelante n’est pas saisonnière;

f) l’appelante a été constituée en 1984;

g) les actions avec droit de vote se répartissent ainsi :

Nom

Proportion des actions

Loraine Smith

33 1/3 p. 100

Merle Chovin

33 1/3 p. 100

Cheryl Feader

33 1/3 p. 100

h) les travailleuses et actionnaires sont également administratrices de l’appelante;

i) les travailleuses et actionnaires ne sont pas liées entre elles et travaillent pour l’appelante depuis de nombreuses années;

j) outre les travailleuses et actionnaires, l’appelante emploie d’autres travailleurs à titre de sténographes judiciaires;

k) les travailleuses et actionnaires ont été embauchées à titre de sténographes judiciaires et de gestionnaires de bureau;

l) les fonctions des travailleuses et actionnaires comprenaient principalement la sténographie judiciaire et la gestion de bureau. Elles effectuaient cette dernière tâche à tour de rôle;

m) les fonctions de gestionnaire de bureau comprenaient les relations avec les clients, la paie, la tenue de livres, l’embauchage, la formation, la supervision, le travail de bureau, les commandes de fournitures, la liaison avec le gouvernement et des tâches de gestion;

n) d’autres travailleurs étaient embauchés pour les mêmes services que les travailleuses et actionnaires sauf qu’ils n’accomplissaient pas de fonctions d’administration ou de gestion;

o) les travailleuses et actionnaires accomplissaient leurs fonctions chez l’appelante et chez les clients;

p) tous les mois, chaque travailleuse et actionnaire touchait un chèque de 2 500,00 $ qui était leur rémunération;

q) les travailleuses et actionnaires avaient déterminé qu’un salaire annuel de 30 000,00 $ était raisonnable; il s’agit du montant qu’elles déclaraient sur le feuillet T4;

r) chaque travailleuse et actionnaire avait le droit de toucher intégralement les revenus réels découlant de son travail de sténographe judiciaire;

s) les autres travailleurs touchaient à peu près le même salaire que les travailleuses et actionnaires mais ne recevaient qu’un pourcentage des revenus qu’ils produisaient pour leur travail de sténographe judiciaire;

t) le salaire des travailleuses et actionnaires excédant le salaire annuel de 30 000,00 $ était déclaré sur un feuillet T4A;

u) le salaire des autres travailleurs excédant leur salaire annuel était aussi déclaré sur un feuillet T4A;

v) l’appelante a établi des feuillets aux travailleuses et actionnaires contenant les renseignements suivants pour l’année d’imposition 1997 :

Travailleuses/ actionnaires

Montants figurant sur les feuillets T4

Montants figurant sur les feuillets T4A (Commissions)

Loraine Smith

30 000,00 $

31 703,00 $

Merle Chovin

30 000,00 $

23 333,00 $

Cheryl Feader

30 000,00 $

19 300,00 $

w) des retenues ont été faites sur le salaire de chaque travailleur au titre du Régime de pensions du Canada, de l’assurance-emploi et de l’impôt;

x) les travailleuses et actionnaires travaillaient normalement 45 heures par semaine, de 8 h 30 à 17 h 30;

y) les travailleuses et actionnaires n’étaient pas tenues de tenir un registre des heures travaillées ni de soumettre des feuilles de temps. Les heures étaient toutefois consignées pour la facturation des clients;

z) les autres travailleurs travaillaient les heures prévues chaque jour. Ils étaient tenus de consigner les heures travaillées et les factures des clients étaient préparées en fonction de ces heures;

aa) si une travailleuse et actionnaire n’était pas disponible, une autre travailleuse et actionnaire effectuait le travail;

bb) l’appelante fournissait les instruments de travail nécessaires, l’équipement et les locaux meublés et en était propriétaire;

cc) les travailleuses et actionnaires n’étaient pas supervisées ni ne recevaient d’ordre et elles aidaient à diriger l’entreprise de l’appelante;

dd) les travailleuses et actionnaires n’engageaient aucune dépense pour accomplir leurs fonctions.

[3] Loraine Smith a témoigné en ce qui concerne les hypothèses du paragraphe 10. La Cour conclut ce qui suit :

b) Exact.

c) Les mots « éléments de preuve » sont inexacts. Le mot « témoignages » serait exact. De plus, sans conclure quoi que ce soit sur les services fournis par l’appelante, il ressort de la preuve que l’appelante serait un courtier de services de sténographie judiciaire plutôt qu’un « fournisseur » .

d) Le contrat est conclu avec le gouvernement de la Saskatchewan.

e), f), g), h) et i) Exacts.

j) Les mots « a recourst aux services » seraient probablement plus justes que le mot « emploie » .

k) Il faudrait supprimer les mots « embauchées à titre de » pour que cette hypothèse soit exacte.

l) Exact.

m) Exact, mais le titre de « gestionnaire de bureau » devrait être remplacé par « actionnaires » .

n) Exact, mais le système de rémunération est différent et le mot « embauchés » devrait être supprimé.

o) Les actionnaires travaillaient également à leur bureau situé à la maison d’où elles effectuaient la plupart de leurs transcriptions.

p) Les actionnaires recevaient un « prélèvement » mensuel (pas une « rémunération » ) qui variait d’une année à l’autre. Le prélèvement était déduit de leur salaire de sténographe judiciaire. Il n’existe aucune preuve selon laquelle le compte de prélèvements se soit trouvé en déficit à un moment quelconque à l’égard de l’une ou l’autre des actionnaires.

q) Faux, voir l'alinéa.

r) Exact.

s) Exact, mais le mot « salaire » est inexact; il faudrait lire « honoraires » .

t) Voir l'alinéa p). L’excédent des honoraires bruts de sténographie judiciaire sur les prélèvements de chaque actionnaire était versé à mesure qu’elles le gagnaient et inscrits sur leur feuillet T4A.

u) Le mot « salaire » est peut-être inexact. Voir ci-dessous.

v) Les feuillets indiquent peut-être ces chiffres mais la pièce A-5 montre des chiffres différents. Le mot « commissions » est inexact.

w) Exact, mais le mot « salaire » devrait être remplacé par « revenu » .

x) Faux. Chaque actionnaire travaillait aussi longtemps qu’il était nécessaire pour terminer son travail de sténographe judiciaire.

y) Exact.

z) Chaque travailleuse facturait ses heures de présence au tribunal au client, qui était habituellement un cabinet d’avocats, par l’entremise de la société Certified Verbatim. Ces heures étaient les seules qui étaient consignées.

aa) Exact.

bb) Faux. L’équipement de chaque sténographe judiciaire est perfectionné et lui appartient. Il coûte environ 20 000 $. L’appelante fournissait un service de réponse téléphonique et de rendez-vous, du papier à en-tête et une salle de rencontres pour les interrogatoires préalables. Quelques transcriptions étaient effectuées dans les locaux de l’appelante. La plupart, toutefois, étaient effectuées au bureau des sténographes situé à la maison. La plupart des sténographies étaient effectuées chez les clients.

cc) Les mots « aidaient à diriger » devraient être remplacés par « administraient conjointement » et c’est exact.

dd) Faux. Toutes les dépenses de sténographie judiciaire étaient engagées par l’actionnaire pour elle-même et étaient les siennes.

[4] L’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi est ainsi libellé :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière; [...]

[5] Dans l’affaire Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (C.A.F.) 87 DTC 5025, la Cour a déclaré ce qui suit :

aux pages 5026 et 5027 :

La jurisprudence a établi une série de critères pour déterminer si un contrat constitue un contrat de louage de services ou un contrat d’entreprise. Bien qu’il en existe d’autres, les quatre critères suivants sont les plus couramment utilisés :

a) le degré, ou l’absence, de contrôle exercé par le prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l’intégration des travaux effectués par les prétendus employés dans l’entreprise de l’employeur présumé.

[...]

à la page 5030 :

C’est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, qui parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s’est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s’agit d’un contrat d’entreprise. Si la réponse est négative, alors il s’agit d’un contrat de service personnel.

[6] À la lumière de ces critères et compte tenu des aspects reliés au travail de sténographie judiciaire des trois actionnaires, la Cour conclut ce qui suit :

(a) L’appelante n’exerçait pas de contrôle sur les actionnaires. Celles-ci fixaient les rendez-vous pour elles-mêmes. Elles préparaient elles-mêmes la facturation pour le travail qu’elles avaient accompli.

(b) Les sténographes judiciaires fournissaient leurs propres instruments de travail sauf dans le cas de la salle de rencontres.

(c) Chaque sténographe judiciaire et actionnaire avait des chances de bénéfice et des risques de perte. L’appelante établissait la facturation brute de chacune d’elle.

(d) Quiconque était sténographe judiciaire pouvait accomplir leur travail. Elles s’échangeaient librement le travail. Elles n’étaient pas intégrées à l’entreprise de l’appelante lorsqu’elles effectuaient le travail de sténographe judiciaire.

[7] Par conséquent, en ce qui concerne les services qu’elles fournissaient en tant que sténographes judiciaires, la Cour conclut qu’elles n’étaient pas assujetties à un contrat de louage de services et qu’elles n’étaient pas des employées. Aucune des trois n’exerçait un contrôle distinct sur l’appelante; cette dernière n’exerçait pas non plus un contrôle sur aucune d’elles en ce qui avait trait à leurs services de sténographie judiciaire. Les actionnaires exploitaient leur propre entreprise à titre de sténographes judiciaires. L’appelante n’était qu’une simple fiduciaire des actionnaires et sténographes en ce qui concerne ces services. La Cour adopte la décision du juge suppléant Rowe (C.C.I.) dans l’affaire Juby c. Canada [1995] A.C.I. no 984, 95-518 (U.I.) et le raisonnement à l’appui de ses conclusions. L’appel est accueilli en ce qui concerne les services et les revenus de sténographie judiciaire des actionnaires.

[8] Par ailleurs, les tâches administratives des trois actionnaires posent un plus grand problème à la Cour. Au cours de la période qui nous occupe, les actionnaires administraient l’appelante à tour de rôle pendant une semaine complète, aux trois semaines. Elles divisaient entre elles le profit annuel net de l’appelante tiré de frais que l’appelante réclamait d’autres sténographes judiciaires. Ces frais consistaient en un pourcentage des honoraires perçus par d’autres sténographes judiciaires qui obtenaient du travail par l’entremise de l’appelante. De ces sommes, l’appelante payait le loyer de ses bureaux, les frais de photocopie, de téléphone et des services ainsi que tous les autres frais de bureau. En août, à la fin de l’exercice de l’appelante, le solde était divisé également entre les trois actionnaires et constaté par un feuillet T4A. En général, elles touchaient environ 1 000 $ chacune. En 1997, toutefois, elles ont touché environ 13 000 $ chacune. En contrepartie, chaque actionnaire administrait le bureau à tour de rôle aux trois semaines. Elles devaient répondre au téléphone, acquitter les factures, fixer les rendez-vous et assurer une présence pendant les heures de bureau. Pendant cette semaine-là, l’administratrice pouvait vaquer à ses affaires personnelles dans ses temps libres, soit dactylographier ses transcriptions ou faire tout ce qui lui plaisait, du moment qu’elle accomplissait les tâches administratives de l’appelante qui lui incombaient cette semaine-là. Habituellement, les actionnaires s’acquittaient des tâches administratives à tour de rôle, mais elles échangeaient les semaines à l’occasion.

[9] Les trois actionnaires travaillaient dans l’harmonie parfaite. Elles touchaient l’excédent de leurs honoraires de sténographe judiciaire supérieurs à 30 000 $ en tirant elles-mêmes un chèque du compte de l’appelante. Le talon de chèque en était bien souvent la seule preuve. Entre elles, elles se considèrent comme des associées et ne tiennent pas du tout compte de l’existence de la société. Elles fonctionnent et agissent ensemble comme un petit partenariat très agréable. En conséquence, la question est de savoir s’il y avait véritablement absence d’un lien de dépendance entre elles et l’appelante et si, de ce fait, les tâches administratives constituaient un emploi assurable.

[10] L’alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l’assurance-emploi sont ainsi libellés :

5(2) N’est pas un emploi assurable

[...]

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

5(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

D’après la preuve, chaque actionnaire accomplissait indépendamment ses tâches administratives au besoin et, par ailleurs, travaillait de manière complètement autonome par rapport aux autres actionnaires et à l’appelante. Les actionnaires n’étaient donc pas liées entre elles, et n’avaient pas de lien de dépendance entre elles ni avec l’appelante.

[11] Les critères établis dans la décision Wiebe Door s’appliquent de la manière suivante aux fonctions administratives des actionnaires :

(a) Le contrôle. Les actionnaires devaient assurer une présence aux bureaux de l’appelante pendant un nombre d’heures prescrites et leurs tâches principales consistaient à s’occuper des affaires de celle-ci.

(b) Les instruments de travail. Les instruments du travail administratif se trouvaient dans l’établissement de l’appelante et le travail devait s’accomplir à cet endroit.

(c) Les risques. Les chances de bénéfice et les risques de perte pour les fonctions autres que celles de sténographe judiciaire incombaient entièrement à l’appelante. Les actionnaires ne risquaient pas de subir des pertes (sauf pour les heures consacrées aux tâches) mais elles pouvaient toucher un revenu si l’appelante faisait des bénéfices. La société assumait les risques.

(d) L’intégration. En ce qui concerne les fonctions administratives, les actionnaires faisaient partie intégrante de l’entreprise de l’appelante. Elles devaient être sur les lieux pour répondre au téléphone et pour accomplir toute autre tâche au besoin. De plus, contrairement à leur travail de sténographe judiciaire où tous les sténographes pouvaient se substituer les uns aux autres, seules les actionnaires remplissaient les fonctions administratives sur une base hebdomadaire.

[12] En conséquence, les actionnaires ont choisi une structure d’entreprise qui leur permettait de voir à l’aspect administratif de l’appelante et de le gérer à l’intérieur de cette structure. L’administration incombait à l’appelante et les actionnaires accomplissaient le travail administratif en tant qu’employées de celle-ci. Pour ce faire, elles étaient employées de l’appelante en vertu d’un contrat de louage de services.

[13] L’appel est accueilli et le dossier est renvoyé au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle évaluation en conséquence.

Signé à Ottawa, Canada, le 4 janvier 2000.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de juin 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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