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Date: 19980811

Dossier: 96-4142-IT-G

ENTRE :

GENE DORIS ARMSTRONG,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel d'une cotisation, au montant de 88 880,59 $, émise en vertu du paragraphe 159(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) suite à l'attribution par l'appelante de ladite somme, provenant de la succession de feu Herman Brock Armstrong (le « défunt » ), sans avoir au préalable obtenu un certificat de décharge du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu du paragraphe 159(2).

POINT EN LITIGE

[2] La question dont je suis saisi est de savoir si l'appelante peut contester la cotisation d'impôt sur le revenu qui a été établie à l'égard du défunt.

FAITS

[3] Les parties ont convenu de certains faits, soit :

[TRADUCTION]

a) Brock Armstrong a été administrateur de la Rogers and Associates Management Limited (la « Rogers » ) du 23 janvier 1978 au 31 mars 1985;

[...]

j) Brock Armstrong est décédé le 14 juillet 1992;

k) l'appelante, Mme Gene Doris Armstrong, était le « responsable » chargé de gérer ou garder la succession de Brock Armstrong ou de s'en occuper autrement;

l) l'appelante a réparti les biens de la succession de Brock Armstrong entre plusieurs personnes ou les a attribués à une seule personne, et les biens en question étaient sous sa garde en sa qualité de responsable;

m) l'appelante n'a pas obtenu le certificat prévu au paragraphe 159(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu;

n) la valeur des biens qui ont été répartis ou attribués était de 88 880,59 $.

[4] Le défunt a d'abord été l'objet d'une cotisation au montant de 345 979,87 $, dont l'avis est daté du 27 février 1987, en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi. Il s'est opposé à cette cotisation, puis le ministre a établi à son égard une nouvelle cotisation réduisant la première cotisation de 10 811,57 $; l'avis de la nouvelle cotisation est daté du 12 octobre 1988. À cette époque, l'obligation fiscale totale, y compris les intérêts, était de 391 715,97 $. Le défunt n'a jamais fait de démarches pour s'opposer à cette nouvelle cotisation ou pour en interjeter appel. Le délai imparti pour engager l'une ou l'autre de ces procédures est expiré depuis longtemps.

[5] La Rogers avait été l'objet d'une cotisation au titre de retenues à la source non remises, de pénalités et d'intérêts en juillet et août 1984 et en septembre 1985.

[6] Le 30 septembre 1985, Me Malcom D. Lennie ( « Me Lennie » ) a, au nom de la Rogers, accepté de remettre à Revenu Canada le produit net de la vente de tous les actifs de la Rogers, soit du mobilier de bureau et une petite parcelle de terrain (le « terrain » ).

[7] En 1985, la valeur imposable du terrain aux fins des taxes municipales était de 3 900 $.

[8] Le 10 mars 1986, Me Lennie a avisé Revenu Canada que, dès qu'il serait déneigé, le terrain serait mis en vente par l'intermédiaire d'un agent immobilier et que l'on s'attendait à ce que la vente négociée rapporte un montant brut d'environ 12 000 $.

[9] Le 23 juillet 1986, Me Lennie a envoyé à Revenu Canada un chèque au montant de 20 000 $ devant être appliqué en réduction de la dette de la Rogers, et il a confirmé que le terrain avait été mis en vente et qu'aucune offre n'avait encore été reçue. Il est à supposer que les 20 000 $ représentaient la valeur nette de la vente du mobilier de bureau.

[10] Le 8 octobre 1985, Revenu Canada a déposé un bref d'exécution (fieri facias) auprès du bureau du shérif d'Edmonton.

[11] Le 17 février 1987, Revenu Canada a avisé le bureau du shérif qu'il ne croyait pas qu'il existait des actifs pouvant faire l'objet d'un recouvrement. Il a ajouté que le terrain était le seul élément d'actif dont il était au courant. Il a demandé au shérif de se rendre au bureau de Me Lennie, d'essayer de saisir tout élément d'actif existant, puis d'émettre un rapport d'exécution nulla bona.

[12] Le jour suivant, un huissier s'est rendu sur place, conformément aux instructions qu'on lui avait données, et a confirmé qu'il n'y avait aucun élément d'actif à saisir.

[13] Le 25 février 1987, un shérif adjoint a signé un affidavit indiquant que, à sa connaissance, la Rogers ne possédait aucun bien susceptible de saisie ni de réalisation en vertu du bref d'exécution.

[14] Le 17 janvier 1991, Me Lennie a communiqué une offre de la part de quatre clients, y compris le défunt, selon laquelle ils payeraient à Revenu Canada 250 $ par mois au titre de la dette.

[15] De son vivant, le défunt a fait 17 paiements mensuels de 250 $, effectués le premier de chaque mois, à Revenu Canada de mars 1991 à juillet 1992.

[16] Un autre paiement de 250 $ a été effectué le 1er août 1992, environ 16 jours après son décès. Ce dernier paiement a vraisemblablement été effectué au moyen d'un chèque postdaté que Revenu Canada avait conservé et qu'il a encaissé avant d'apprendre la mort du défunt et avant que la banque n'en soit au courant.

[17] Le 3 mai 1993, le Tribunal des successions du district judiciaire d'Edmonton a émis des lettres d'homologation conférant l'administration des biens du défunt à sa veuve, l'appelante en l'espèce, cette dernière ayant été assermentée pour administrer bien et fidèlement la succession en honorant les créances légitimes sur le défunt.

[18] Le droit de propriété sur le terrain est encore enregistré au nom de la Rogers, et le bref d'exécution a été déposé contre lui. En 1995, la municipalité a enregistré un avis de recouvrement de taxes, mais l'on m'avise qu'aucune démarche n'a été faite relativement à cet avis. En 1995, Revenu Canada estimait que le terrain avait une valeur brute de 9 000 $.

ANALYSE

[19] En vertu du paragraphe 159(2), avant d'attribuer les biens d'un défunt à un de ses bénéficiaires, l'exécuteur testamentaire doit demander et obtenir du ministre un certificat de décharge. Ce paragraphe se lit comme suit :

(2) Certificat avant répartition

Quiconque, à l'exclusion d'un syndic de faillite, est cessionnaire, liquidateur, séquestre, séquestre-gérant, administrateur, exécuteur testamentaire ou une autre semblable personne (appelé « responsable » au présent article), chargé de gérer, liquider ou garder quelque bien, entreprise ou succession d'une autre personne ou de s'en occuper autrement, doit, avant de répartir entre plusieurs personnes ou d'attribuer à une seule des biens sous sa garde en sa qualité de responsable, obtenir du ministre, par demande faite sur formulaire prescrit, un certificat attestant qu'ont été versés les montants:

a) d'une part, dont un contribuable est redevable en vertu de la présente loi pour l'année d'imposition au cours de laquelle il y a répartition ou attribution ou pour une année d'imposition antérieure;

b) d'autre part, du paiement desquels le responsable est, en cette qualité, redevable ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il le devienne,

ou attestant que le ministre a accepté une garantie pour le paiement de ces montants.

[20] Le paragraphe 159(3) est la disposition en vertu de laquelle un exécuteur testamentaire est personnellement redevable d'un montant qu'il a attribué à un bénéficiaire avant d'avoir obtenu ou sans avoir obtenu le certificat exigé au paragraphe 159(2). Le paragraphe 159(3) se lit comme suit :

(3) Responsabilité personnelle

Le responsable qui, en cette qualité, répartit entre plusieurs personnes ou attribue à une seule des biens sous sa garde sans le certificat prévu au paragraphe (2) à l'égard des montants visés à ce paragraphe est personnellement redevable de ces montants, jusqu'à concurrence de la valeur des biens répartis ou attribués; le ministre peut alors établir une cotisation à l'égard du responsable de la façon prévue à l'article 152, et cette cotisation a le même effet qu'une cotisation établie en vertu de cet article.

[21] Je suis convaincu que, après l'expiration du délai imparti pour former un appel contestant la nouvelle cotisation, dont l'avis est daté du 12 octobre 1988, le défunt, de son vivant, et sa succession n'avaient plus de recours. La Cour d'appel fédérale a traité justement de cette question dans l'affaire The Minister of National Revenue and the Executors of the Estate of the late Hugh John Flemming, 84 DTC 6345. Le sommaire résume succinctement la décision rendue dans cette affaire. Il se lit comme suit :

[TRADUCTION]

La Cour a conclu que les contribuables ne pouvaient contester la cotisation qu'en vertu des dispositions en matière d'appel qui figurent dans la Loi de l'impôt sur le revenu. À cet égard, aucune distinction ne pourrait être établie entre des questions de « quantum et responsabilité » et celles d' « autorité légale » .

[22] L'appelante en l'espèce soutient que, du fait que la cotisation d'impôt qui a été établie à son égard se fonde sur celle établie à l'égard de son époux, elle peut contester la validité de la cotisation concernant ce dernier. Je ne le pense pas. Vu que l'appelante ne pouvait pas contester la cotisation en sa qualité d'exécutrice testamentaire chargée de la succession, comment pourrait-elle maintenant le faire en conséquence du fait qu'elle a contrevenu au paragraphe 159(2)? Sa responsabilité à l'égard de la dette de son époux résulte du fait que, en s'acquittant de ses responsabilités en tant qu'exécutrice testamentaire, elle ne s'est pas conformée au paragraphe 159(2). Elle n'avait qu'à se conformer aux dispositions du paragraphe 159(2) de la Loi, et elle n'aurait alors eu aucune obligation fiscale. Sa position juridique ne saurait être plus forte après qu'avant un manquement aux dispositions du paragraphe 159(2).

[23] Le testament indique bien clairement que l'appelante était la seule bénéficiaire de la succession. L'attribution de biens en cause était donc une attribution de la succession à l'appelante à titre personnel.

[24] L'appelante n'a pas témoigné au procès, et aucune tentative pour justifier ses actions n'a été faite. Il semble, bien que je n'aie pas à décider cette question, que l'intimée en l'espèce aurait pu poursuivre l'appelante à titre personnel à l'égard de la dette de son époux devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, et y recouvrer le même montant, pour le motif que l'appelante avait omis, en sa qualité d'exécutrice testamentaire, de payer les dettes de la succession comme elle s'était engagée sous serment de la faire et comme elle était tenue de le faire en droit. La première obligation d'un exécuteur testamentaire est de payer les frais funéraires, après quoi il doit honorer les créances légitimes sur le défunt avant de répartir ou d'attribuer les biens de la succession. Les dispositions des paragraphes 159(2) et (3) ne font que faciliter la tâche à Revenu Canada lorsqu'il s'agit de percevoir ce qui lui est dû où un exécuteur testamentaire n'acquitte pas une dette envers Revenu Canada avant la répartition ou l'attribution des biens. On ne m'a présenté aucun élément de preuve indiquant que l'appelante, en s'acquittant de ses responsabilités en tant qu'exécutrice testamentaire, avait publié d'avis afin de déterminer s'il existait des créanciers, ou même qu'elle était au courant de la dette envers Revenu Canada.

[25] L'appel est rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 1998.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifié conforme ce 29e jour de mars 1999.

Stephen Balogh, réviseur

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