Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000828

Dossier: 1999-4348-IT-I

ENTRE :

HARJINDER SINGH BAINS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1] Les présents appels sont interjetés à l’encontre des cotisations établies pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996. Au cours de chacune de ces années, l’appelant a indiqué un montant de 5 380 $ dans sa déclaration de revenus au titre de montant pour conjoint. La disposition applicable de la Loi de l’impôt sur le revenu était l’alinéa 118(1)a) qui, pendant les années en litige, était ainsi rédigé :

(1) Le produit de la multiplication du total des montants visés aux alinéas a) à d) par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

a) Crédit de personne mariée — si, à un moment de l'année, le particulier est marié et subvient aux besoins de son conjoint, le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivant :

5 000 $ – (C – 500 $)

où :

C représente le plus élevé de 500 $ et de soit le revenu du conjoint pour l'année soit, si le particulier et son conjoint vivent séparés à la fin de l'année pour cause d'échec du mariage, le revenu du conjoint pour l'année pendant le mariage et alors qu'ils ne vivaient pas séparés;

[2] Je ne me préoccupe pas en l’espèce de l’arithmétique. Le crédit d’impôt non remboursable correspond à 17 p. 100 de 5 000 $ indexé à la hausse en vertu de l’article 117.1. L’unique question est celle de savoir si, pendant les années en litige, l’appelant subvenait aux besoins de sa conjointe.

[3] Selon les faits, en 1984, l’appelant a épousé Daljit Kaur dans un village en Inde. En 1991, il est déménagé au Canada où il vit depuis. Sa conjointe et ses enfants sont demeurés en Inde, où ils vivaient avec le père de l’appelant, Gurbachan Singh Zaildar. La conjointe de l’appelant est venue le rejoindre au Canada en 1997.

[4] L’appelant a indiqué dans son témoignage qu’en 1994, il a fait parvenir, par l’entremise d’un ami, M. Tarlok Singh Tiwana, 1 300 $ en espèces à son père pour le soutien de sa conjointe et 1 500 $ par l'entremise du India Foreign Exchange Centre Inc. Aucun reçu n’a été produit. Il affirme qu’en 1995, il a envoyé 6 100 $ (150 000 roupies) à son père par l'intermédiaire du India Foreign Exchange Centre Inc. Un reçu de ce montant a été produit. Il indique le nom de l’expéditeur (le frère de l’appelant) Daljit Singh ainsi que le nom et l’adresse de la personne à qui l’argent a été envoyé de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Gurbachan Singh Zaildar ou Kuldeep Singh

VPO. Kot Fatuhi. Teh. Garhshankar. Dist. Hoshiarpur.

Expéditeur : Daljit Singh*****TRÈS URGENT*****

[5] Kuldeep Singh était prétendument le frère de l’appelant. L’appelant a indiqué dans son témoignage qu’en 1996, il a envoyé 7 547 $ (200 000 roupies) à son père de la même manière.

[6] Il était encore indiqué que l’expéditeur était Daljit Singh, et l’adresse était la même que l’année précédente, sauf que la note TRÈS URGENT a été omise.

[7] L’appelant, sa conjointe, son père, son frère Daljit Singh et son ami Tarlok Singh Tiwana, ont tous témoigné. Mme Darling, agente des appels, a témoigné pour le compte de l’intimée.

[8] Avant que j’examine la preuve plus en détail, deux remarques devraient être faites. Le droit à un crédit d’impôt en vertu de l’alinéa 118(1)a) ne dépend pas du montant d’argent qui a été dépensé pour le soutien du conjoint. Le seul facteur restrictif est le revenu du conjoint. La Loi n’exige pas non plus qu’il soit prouvé, au moyen de reçus, que l’argent a été envoyé par le conjoint qui demande le crédit à l'autre conjoint. Lorsque les conjoints vivent ensemble, le soutien peut être présumé. Lorsque, comme en l’espèce, ils vivent séparés, il revient au conjoint qui demande le crédit de démontrer qu’il a dépensé l’argent pour le soutien de l'autre conjoint.

[9] En l’espèce, la preuve n’était pas très claire.

[10] Les témoins ont indiqué dans leur témoignage que dans un village de l’Inde il aurait été inhabituel, si ce n’est impossible, d’envoyer de l’argent directement à une femme. Par conséquent, l’argent a été envoyé au père de l’appelant qui l’a placé à la banque et qui en donnait à la conjointe de l’appelant lorsque c’était nécessaire.

[11] Les transferts de 1995 et de 1996 ont été effectués en août ou en septembre. Il semble un peu étrange qu’ils aient été faits sous forme de montant forfaitaire au cours de la dernière partie de l’année. En outre, le père de l’appelant a indiqué dans son témoignage que l’argent lui était livré chez lui dans son village en espèces à partir d’une plus grande ville, parfois par quelqu’un à moto, et il le déposait dans son propre compte bancaire où il était mélangé à ses propres fonds. Puisque la preuve a révélé qu’il y avait deux banques dans le village, on peut se demander pourquoi il n’aurait pas été plus sûr et plus efficace de simplement transférer les fonds par voie électronique à la banque locale.

[12] L’appelant a indiqué dans son témoignage que, puisqu’il ne pouvait pas lire ni écrire en anglais, les opérations ont été effectuées par son frère qui connaissait la personne au India Foreign Exchange Centre Inc., M. Sharma Sanjokt.

[13] Les deux reçus que j’ai mentionnés ci-dessus du India Foreign Exchange Centre Inc. ont d’abord été produits au procès, mais ne l’ont jamais été à la Section des appels. En réalité, lorsque Mme Darling a demandé des reçus, le seul qui lui a été remis était celui au montant de 10 384 $ qui avait été envoyé par le frère de l’appelant à son père par l'intermédiaire du India Foreign Exchange Centre Inc. L’appelant a indiqué dans son témoignage qu’il avait été remis “ par erreur ” et qu’il représentait en fait un montant que son frère envoyait à son père pour acheter une parcelle de terrain en Inde. Ce genre de situation n'a pas pour effet de renforcer la crédibilité de l’appelant.

[14] Il semble également y avoir un certain mélange des fonds parmi les membres de la famille. On aurait emprunté de l’argent du frère de l’appelant, du moins en relation avec le montant de 6 100 $ qui, selon l’appelant, a été envoyé en 1995, et aucune preuve claire n’atteste du remboursement.

[15] L’élément de preuve le plus solide dont je dispose est le paiement de 7 547 $ effectué en 1996. Le livret de banque de l’appelant de la Banque Royale indique qu’un retrait par chèque de 7 547,04 $ a été effectué le 18 septembre 1996. Un reçu de Canada Trust également daté du 18 septembre 1996 indique que le dépôt d’un chèque de 7 547,04 $ a été fait au compte de M. Sharma Sanjokt. M. Sharma Sanjokt est, semble-t-il, le propriétaire ou un agent du India Foreign Exchange Centre Inc. La manière dont l’argent s’est retrouvé dans son compte à Canada Trust au lieu de celui de l’organisme de change demeure un mystère. Le 23 septembre 1996, un reçu de 7 547 $ a été envoyé par le India Foreign Exchange Centre Inc.

[16] Je suis confronté en l’espèce à une panoplie d’invraisemblances et de lacunes dans la crédibilité, dont :

– de l’argent envoyé en Inde par l’entremise d’un ami;

– de l’argent livré à moto dans un village éloigné de l’Inde;

– des sommes d’argent reçues par un patriarche vénérable et distribuées tel qu’il le juge convenable au bénéfice de la conjointe de l’appelant;

– un reçu de 10 384 $ déposé comme preuve à l’appui alors qu’en réalité ce n’était pas le cas;

– une prétendue pension alimentaire de 6 100 $, alors qu’en réalité rien dans la preuve n’indique que l’argent de l’appelant a été utilisé;

– un organisme de transfert de devises quelque peu mystérieux où les paiements ont été faits à une personne qui le contrôle.

[17] Qu’est-ce que tout cela signifie? Il serait facile de rejeter les appels pour les trois années. Je ne crois pas toutefois qu’il s’agirait d’un règlement juste des appels. La preuve pour les années 1994 et 1995 est trop problématique pour me permettre d’admettre les appels pour ces années. Pour 1996 toutefois, je crois qu’une preuve prima facie a été établie selon laquelle l’appelant a retiré 7 547,04 $ de son propre compte et a pris des dispositions pour faire transférer le montant à son père en Inde pour le soutien de sa conjointe. Il faut bien prendre soin dans des affaires de ce genre de ne pas rejeter trop vite totalement une cause simplement parce qu’il y a des invraisemblances et des lacunes occasionnelles dans la crédibilité. Tous les témoins de l’appelant ont témoigné à l’aide d’un interprète. Il y a eu tout au long du procès et, j’imagine, lors des discussions avec le ministère du Revenu national, des problèmes linguistiques ainsi que des différences culturelles importantes. La Cour doit en tenir compte avant de décider que la cause d’un appelant doit être rejetée.

[18] J’admets par conséquent l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie pour l’année 1996 et je défère cette cotisation au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l’appelant a droit au crédit en vertu de l’alinéa 118(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[19] Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies pour les années 1994 et 1995 sont rejetés.

[20] Le résultat est partagé, et il n’y a aucune adjudication des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.