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Date: 19980918

Dossier: 96-2508-IT-G

ENTRE :

AUTOBUS THOMAS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s’agit d’appels de cotisations pour les années d’imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 de l’appelante concernant l’application de la Partie I.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ), soit l’ « Impôt des grandes sociétés » .

[2] Aux fins de ces cotisations, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a ajouté au capital de l’appelante en vertu du paragraphe 181.2(3) certaines dettes de celle-ci envers la Banque Nationale du Canada (la « Banque » ) en rapport avec le financement de véhicules neufs, soit des autobus scolaires, acquis par elle des manufacturiers de ces véhicules.

[3] Les paragraphes 1 à 10 de l’Avis d’appel fournissent un résumé des faits que la preuve apportée lors de l’audition vient toutefois modifier de façon substantielle. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin. Ces paragraphes 1 à 10 de l’Avis d’appel se lisent ainsi :

1. L’appelante est un concessionnaire d’autobus de marque Thomas et achète la plupart des autobus nécessaires à l’exploitation de son commerce de Thomas Built Buses of Canada Limited, laquelle est située en Ontario;

2. Dans tous les cas, l’appelante achète du manufacturier les véhicules nécessaires à son exploitation au moyen de contrats de vente conditionnelle qui interviennent entre le manufacturier et l’appelante, le tout tel qu’il sera plus amplement démontré lors de l’audition;

3. En vertu desdits contrats de vente conditionnelle, le manufacturier se réserve la propriété des véhicules jusqu’au parfait paiement de ces derniers;

4. Préalablement aux commandes des véhicules chez le manufacturier, l’appelante aura autorisé une institution financière, soit la Banque Nationale du Canada, dans le cadre d’une entente de financement d’inventaires en gros, à payer directement le manufacturier pour les autobus commandés, le tout tel qu’il sera plus amplement démontré lors de l’audition;

5. Suite au paiement des autobus par la Banque Nationale du Canada, le manufacturier cède et transporte alors à cette dernière tous ses droits dans les contrats de vente conditionnelle intervenus entre le manufacturier et l’appelante, le tout tel qu’il sera plus amplement démontré lors de l’audition;

6. Des contrats de vente conditionnelle interviennent pour chaque achat d’autobus et les droits de propriété dans chaque véhicule sont cédés individuellement à la Banque Nationale du Canada, le tout tel qu’il sera plus amplement démontré lors de l’audition;

7. Aucune somme d’argent ne transite entre la Banque Nationale du Canada et l’appelante;

8. Suite à ce transport des contrats de vente conditionnelle, la propriété des véhicules commandés par l’appelante passe donc du manufacturier à la Banque Nationale du Canada;

9. Bien que l’appelante soit endettée envers la Banque Nationale du Canada pour l’inventaire d’autobus, il n’y a dans les faits, relativement à ce financement, aucun prêt ni avance entre l’appelante et la Banque Nationale du Canada, cette dernière finançant plutôt l’acquisition des contrats de vente conditionnelle du manufacturier à même ses propres fonds, le tout tel qu’il sera plus amplement démontré lors de l’audition;

10. L’appelante n’émet aucun billet à la Banque Nationale du Canada pour payer ou garantir le financement de l’inventaire d’autobus.

[4] Dans la Réponse à l’avis d’appel, le Sous-procureur général du Canada, au nom de l’intimée, expose ses prétentions aux paragraphes 12 à 15 dans les termes suivants :

12. Il soutient que les dettes de l’appelante envers la Banque Nationale du Canada constituent des prêts ou avances consentis par une institution financière.

13. Il soutient que les relations juridiques entre l’appelante et la Banque Nationale du Canada ne sont pas des relations d’acheteur et de vendeur.

14. Il soutient que la créance du manufacturier pour le prix de vente de chaque véhicule a été novée au profit d’une nouvelle dette entre la Banque Nationale du Canada et l’appelante, laquelle consistait effectivement en un prêt ou une avance aux fins de l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

15. Subsidiairement, les dettes de l’appelante envers la Banque Nationale du Canada constituaient des dettes sous forme d’obligations, d’hypothèques, d’effets, d’acceptations bancaires ou de titres semblables, au sens de l’alinéa 181.2(3)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[5] À l’audition, l’avocate de l’intimée a modifié l’ordre de ses prétentions s’appuyant d’abord sur l’alinéa 181.2(3)d) et « subsidiairement » sur l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi. La portion pertinente du paragraphe 181.2(3) dans ses versions française et anglaise est la suivante :

(3) Le capital d’une société, sauf une institution financière, pour une année d’imposition correspond à l’excédent éventuel du total des éléments suivants :

...

c) les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l’année;

d) ses dettes à la fin de l’année sous forme d’obligations, d’hypothè-ques, d’effets, d’accep-tations bancaires ou de titres semblables.[1]

(3) The capital of a corporation (other than a financial institution) for a taxation year is the amount, if any, by which the total of

...

(c) the amount of all loans and advances to the corporation at the end of the year,

(d) the amount of all indebtedness of the corporation at the end of the year represented by bonds, debentures, notes, mortgages, bankers’ acceptances or similar obligations.1

[6] En réalité, ce n’est pas avec un seul manufacturier mais bien avec deux que l’appelante et la Banque faisaient affaires au cours des années en litige.

[7] Précisons d’abord qu’une limite de crédit de 10 000 000 $ a été accordée par la Banque à l’appelante suite à une demande de financement d’inventaire formulée par cette dernière. La demande initiale en date du 20 septembre 1985 était pour des crédits de 2 000 000 $, montant qui a été porté à 10 000 000 $ par la suite. La partie pertinente de cette demande pour les fins du présent litige se lit comme suit :

Nous demandons à utiliser votre service de financement d’inventaire d’articles neufs que nous destinerons à de la vente au détail et, à cet effet, nous sollicitons de votre Banque les crédits en “gros” jusqu’à concurrence d’un montant de $2 000 000 ou de toute autre somme que vous voudrez bien nous consentir en sus dans le cours normal de nos affaires et ce, en conformité avec les dispositions des présentes.

Une fois la présente demande acceptée, nous convenons:

A) Que les contrats ou factures de vente conditionnelle représentant l’achat par nous d’articles neufs, dès qu’acquittés par votre bureau payeur pour notre compte auprès du fabricant ou de son distributeur selon le cas, seront dus et payables par nous aux termes de la cession transport apparaissant audit document et porteront intérêts au taux bancaire en vigueur à la date du paiement et établi par votre Banque;

B) Que nous avons pris connaissance des termes, conditions et clauses du contrat ou de la facture de vente conditionnelle et qu’aux termes de la cession transport par le fabricant ou son distributeur, vous serez subrogé dans tous ses droits, recours et privilèges, et nous renonçons à l’avance à vous opposer tous moyens de défense que nous aurions pu opposer au fabricant ou son distributeur, reconnaissant qu’en tout temps vos droits sont et seront incontestables;

C) Que vous portiez au débit de votre compte spécial (20-22) le montant de chaque contrat ou facture d’achat payé par vous, ce compte spécial étant et constituant un poste comptable interne de votre banque;

D) Que les relevés remis mensuellement indiquant les débits portés à ce compte spécial seront réputés exacts et acceptés par nous, si vous ne recevez pas dans un délai de 30 jours de la date d’expédition de ces relevés un avis écrit signalant toute erreur.

[8] Monsieur Jean-Guy Bernier, président de l’appelante, a témoigné sur la séquence des événements et des transactions avec les manufacturiers et la Banque aux fins d’obtenir livraison des autobus commandés par l’appelante et destinés à la vente au détail. Son témoignage a été complété par celui de monsieur Réal Bolduc, directeur des comptes à la succursale de la Banque avec laquelle l’appelante faisait affaires à Drummondville.

[9] Les documents soumis en preuve permettent de retracer, par l’utilisation d’un exemple, les différentes transactions depuis la commande d’un véhicule neuf par l’appelante jusqu’à la livraison de celui-ci à un conducteur désigné par elle. Ainsi dans l’exemple choisi, l’appelante a, le 3 juin 1993, commandé le véhicule à un premier manufacturier, en l’occurrence la Société Navistar International du Canada Inc. ( « Navistar » ), selon les spécifications désirées (pièce A-1, onglet 16, document 1). Navistar fabrique et assemble la majeure partie des composantes des véhicules à l’exception de la carrosserie. Le 3 juillet 1993, Navistar a confirmé la réception de la commande en émettant un rapport informatique indiquant les spécifications de toutes les composantes du véhicule (pièce A-1, onglet 16, document 2).

[10] Une fois la fabrication du châssis et l’assemblage des autres composantes terminées, Navistar a, le 21 septembre 1993, fait parvenir une facture à l’appelante et à la Banque pour le véhicule. Celui-ci était identifié par un numéro de série pour le châssis et un autre pour le moteur. Le prix indiqué à la facture était de 29 555,05 $[2] (pièce A-1, onglet 16, document 3). La Banque a acquitté cette facture à l’aide d’une traite et a porté le montant au débit du compte réservé aux opérations de financement de véhicules de l’appelante en date du 23 septembre 1993. Des intérêts ont été imputés à compter de cette date (pièce A-1, onglet 3).

[11] Le 22 septembre 1993, le deuxième manufacturier, Thomas Built Buses of Canada Limited ( « Thomas » ), qui assemble les composantes de la carrosserie, a confirmé à l’appelante la réception de la commande afin de procéder à cet assemblage et compléter le véhicule (pièce A-1, onglet 16, document 4). Une fois le véhicule ou, si l’on veut, le châssis complété par Navistar celui-ci est alors transporté chez Thomas qui en confirme la réception à l’appelante. Dans le cas du véhicule qui nous occupe, cette confirmation a eu lieu le 12 octobre 1993 (pièce A-1, onglet 16, document 5).

[12] En date du 22 novembre 1993, une facture indiquant un prix de 18 301,50 $[3] a été envoyée par Thomas à l’appelante et à la Banque en rapport avec la commande de la carrosserie portant le numéro de série 54043. La facture indique que le prix net est payable dans les 30 jours (pièce A-1, onglet 16, document 6). Toutefois, selon l’information obtenue avec l’accord des avocats des parties suite à l’audition, le véhicule complété est demeuré plusieurs mois chez le manufacturier, l’appelante n’en ayant pris livraison que le 12 juillet 1994. De plus, malgré la mention du terme de 30 jours sur la facture, la somme de 18 301,50 $ n’aurait été acquittée par la Banque que le 4 ou le 5 juillet 1994 soit à peu près en même temps que la signature et la cession et transport du contrat de vente conditionnelle.

[13] Le 5 juillet 1994, un contrat de vente conditionnelle a été signé entre Thomas (le vendeur) et l’appelante (l’acheteur) pour le même véhicule portant le numéro de série 54043C sur une formule type de la Banque. Dans la colonne « solde » un seul montant apparaît, celui de 18 301,50 $ qui figure également à la ligne « GRAND TOTAL » . Dans le même document, le vendeur Thomas, pour valeur reçue, a cédé le contrat à la Banque la subrogeant dans tous ses droits. Les parties pertinentes de ce contrat aux fins du présent litige sont les suivantes :

1. Le prix ou la somme payable par l’acheteur au vendeur sera le montant de $18301.50 payable sur demande, avec intérêt avant comme après échéance au taux annuel de ..................... pour cent, lequel pourra de temps à autre être modifié sur avis de la Banque Nationale du Canada.

...

3. L’acheteur promet de payer le solde du prix d’achat au vendeur, sur demande. Le titre de propriété à la marchandise demeure au vendeur aux risques de l’acheteur jusqu’à quittance du prix d’achat, en espèces, et l’acheteur devra garder ladite marchandise “in trust”, sujette à aucun usage, en sa place d’affaires habituelle, et libre à examen par le vendeur, ou son représentant, en tout temps.

4. A défaut de paiement ou de s’en tenir aux termes de ce contrat, le solde impayé dû par l’acheteur au vendeur deviendra échu et payable immédiatement sans mise en demeure, ni demande de paiement, et le vendeur pourra, avec ou sans procédures légales, prendre possession immédiate de la marchandise et poursuivre l’acheteur pour le solde impayé.

...

7. Advenant le cas où l’acheteur vend, hypothèque ou dispose autrement, en entier ou en partie, desdites marchandises avec ou sans le consentement du vendeur, il devra en garder le produit en dépôt pour le vendeur, séparément de ses propres fonds et en faire remise complète au vendeur, sur-le-champ. Advenant que le produit ou une partie soit sous forme d’autres marchandises, l’acheteur reconnaît et admet plein droit de propriété du vendeur au titre de ces effets et marchandises.

8. Par la présente, l’acheteur accepte la vente des marchandises décrites plus haut et sur exécution de ce contrat par le vendeur, accuse réception d’une copie, accepte et reconnaît l’avis et l’exécution de transport de ce contrat, ainsi que tous les droits et avantages présents et futurs s’y accroissant, à la Banque Nationale du Canada et accepte que ces droits et bénéfices soient exercés par ou pour le compte dudit concessionnaire.

...

Signé à Drummondville, Canada, ce 5e jour de juillet 1994

Vendeur THOMAS

BUILT BUSES OF

CANADA LIMITED

P.O. BOX 580,

WOODSTOCK, ONTARIO

Par (signé par [illisible])

Acheteur AUTOBUS

THOMAS, INC.

DRUMMONDVILLE

P.Q.

Par (signé par Lyne Thivierge)

______________________TRANSPORT_____________________

POUR VALEUR REÇUE, le vendeur accepte le contrat ci-dessus et par les présentes vend, transporte et cède ledit contrat à la Banque Nationale du Canada sans recours, et subroge expressément ladite Banque dans tous ses droits, titres et intérêts dans et aux effets ci-dessus décrits.

Signé à Drummondville, Canada, ce 5e jour de juillet 1994

VENDEUR THOMAS BUILT BUSES

OF CANADA LIMITED

P.O. BOX 580,

WOODSTOCK, ONTARIO

PAR (signé par [illisible])

[14] Le 12 juillet 1994, un représentant de l’appelante prenait livraison du véhicule et signait une formule d’acceptation (Vehicle Acceptance Form) (pièce A-1, onglet 16, document 8).

[15] Finalement, le 25 août 1994, le véhicule a été vendu à la Commission scolaire Laurenval (pièce A-1, onglet 16, document 9).

[16] Selon le relevé de la Banque intitulé « FINANCEMENT EN GROS - RELEVÉ MENSUEL D’INVENTAIRE ET DES FRAIS » en date du 31 juillet 1994 (pièce A-1, onglet 3), sous le nom du marchand « Autobus Thomas #2 » on retrouve d’abord en rapport avec le véhicule #54043 la mention d’un montant de 29 555,05 $ escompté en date du 23 septembre 1993, la mention de 285 jours, soit le nombre total de jours de la date du paiement à celle du relevé, la mention d’intérêts antérieurs accumulés au montant de 1 367,23 $, la mention des intérêts du mois à payer de 25,91 $ et finalement le coût total de l’unité en date du relevé soit la somme de 30 948,19 $.

[17] Dans une deuxième série de documents, également en date du 31 juillet 1994, sous le nom du marchand « Autobus Thomas #1 » on retrouve en rapport avec le véhicule #54043 la mention d’un montant de 47 856,55 $ escompté en date du 5 juillet 1994. Il s’agit en fait du montant total des deux factures des manufacturiers, soit celle de Navistar pour un montant de 29 555,05 $ et celle de Thomas pour un montant de 18 301,50 $. On y indique que les intérêts du mois à payer pour 27 jours sont de 272,75 $ pour un coût total de l’unité à la date du relevé de 48 129,30 $.

[18] Lors de son témoignage, monsieur Bolduc, de la Banque, a distingué les deux types de compte avec marges de crédit consenties par la Banque à l’appelante, soit un compte comportant une marge de crédit pour les opérations courantes et le compte de « marge de crédit - gros » pour financer les achats de véhicules neufs. Alors que l’appelante peut tirer des chèques sur le premier compte c’est la Banque et non l’appelante qui paye directement les factures des manufacturiers en ce qui concerne l’achat des véhicules neufs. Selon monsieur Bolduc, les intérêts sont calculés quotidiennement, à un taux flottant, sur ce qu’il désigne comme le solde de la « marge de crédit » utilisée pour l’achat de véhicules neufs.

[19] Quant à la méthode de financement par contrat de vente conditionnelle, monsieur Bolduc a expliqué que la Banque aurait pu financer autrement et alors prendre une autre garantie comme une hypothèque mobilière ou encore une garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les Banques. Toutefois, selon lui le contrat de vente conditionnelle permet d’avoir une garantie complète sur chaque véhicule de sorte que la Banque peut ainsi financer 100 p. cent du prix des véhicules achetés et non pas seulement 50 p. cent ce qui serait le cas si une autre méthode comme un prêt traditionnel et un autre type de garantie était utilisé. Monsieur Bolduc a reconnu que la Banque acquitte les factures des deux manufacturiers mais que le contrat de vente conditionnelle ne couvre que le prix de la facture du second manufacturier. Des intérêts sont imputés tel qu’expliqué plus haut dès le paiement au premier manufacturier. Par ailleurs, lorsque l’appelante vend le véhicule au détail, elle fait alors un chèque sur son « compte opérations » pour le total de ce que monsieur Bolduc désigne comme étant les « avances » consenties par la Banque.

[20] Monsieur Bolduc affirme que l’appelante n’a signé aucun autre effet tel un billet relativement à l’achat d’un véhicule en particulier et que la Banque ne détient en réalité que le contrat de vente conditionnelle. Selon lui, tous les achats de véhicules neufs par l’appelante sont financés de cette façon.

[21] Pourtant, aux états financiers de l’appelante pour les quatre années en litige on retrouve à l’actif du bilan au poste « Stocks » le prix des véhicules neufs, châssis et carrosseries et au passif au poste « Effets à payer » les montants dus pour l’achat des véhicules neufs. La note complémentaire signale toutefois que « les effets à payer sont garantis par une partie du stock de véhicules neufs... » .

[22] Monsieur André Paquin, de la firme de comptables Verrier Paquin Hébert qui a procédé à la vérification des états financiers de l’appelante pour son année d’imposition 1994, affirme dans son témoignage que si le solde du prix de vente constitue un compte à payer, il n’est pas représenté par un « effet à payer » au sens d’un chèque ou d’un billet qui aurait été émis par l’appelante. Selon lui, l’utilisation d’un poste désigné « Effets à payer » dans les états financiers de 1994 serait simplement due au fait que sa firme comptable aurait procédé de la même façon que la firme comptable Raymond, Chabot, Martin, Paré pour les trois années précédentes, sans faire plus de vérification.

[23] L’avocat de l’appelante soutient que l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi n’est pas applicable en l’espèce car les montants dus par l’appelante à la Banque ne constituent pas des montants dus à l’égard de prêts ou d’avances qui auraient été consentis par celle-ci mais bien des soldes de prix de vente dus à la Banque suite à la cession des contrats de vente conditionnelle par le vendeur Thomas et la subrogation de la Banque dans tous ses droits en vertu du contrat. La relation juridique établie en serait ainsi une de vendeur-acheteur ou de créancier-débiteur et non une de prêteur-emprunteur. L’argument est aussi fondé sur l’absence de tradition d’une somme d’argent entre la Banque et l’appelante, condition essentielle pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un prêt entre eux (article 2314 du Code civil du Québec). L’avocat de l’appelante fonde ses arguments notamment sur les décisions dans les affaires suivantes:

- Banque nationale du Canada c. Québec (Sous-Ministre du Revenu), [1997] R.D.F.Q. 124 (C.A.Q.);

- Marcelon Inc. c. Le Sous-Ministre du Revenu du Québec, [1991] R.D.F.Q., 3 (C.Q.);

- Spencer Investments Ltd. v. M.N.R., 72 DTC 1028 (C.A.I.).

- United Trailer Co. Ltd. v. M.N.R., 61 DTC 1162 (C. de l’É.);

- Homes Provisioners (Manitoba) Ltd. v. M.N.R., 58 DTC 1183 (C. de l’É.).

[24] Quant à l’utilisation du terme « avances » à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi, l’avocat de l’appelante estime qu’on doit lui donner le sens d’acomptes tel que décidé par cette cour dans l’affaire Oerlikon Aérospatiale Inc. et Sa Majesté La Reine, 97 DTC 694[4] et qu’en ce sens il n’y a eu dans la présente affaire aucun paiement d’avances.

[25] Somme toute, l’avocat de l’appelante soutient que la dette de l’appelante en rapport avec l’achat des véhicules neufs constitue essentiellement un solde de prix de vente et que la Banque et l’appelante n’ont aucunement établi une relation de prêteur-emprunteur mais plutôt une relation de vendeur-acheteur. Cette relation résulte de la subrogation au terme de la cession à la Banque du contrat de vente conditionnelle par le vendeur Thomas. Selon lui, le fait qu’il y ait un double financement auprès de deux manufacturiers ne modifie pas cette relation puisque le contrat de vente conditionnelle établit la garantie de la Banque sur le véhicule entier décrit au contrat. Finalement, il soutient qu’il ne saurait être ici question de novation au simple prétexte que le taux d’intérêt du contrat peut être modifié. Les intérêts ne sont qu’un accessoire de la dette dont la modification ne peut entraîner la novation de la dette en un prêt par la Banque à l’appelante.

[26] Selon l’avocat de l’appelante, l’alinéa 181.2(3)d) n’est pas non plus applicable en l’espèce puisque le seul document existant entre la Banque et l’appelante est le contrat de vente conditionnelle. Selon lui, la preuve démontre que l’appelante n’a émis aucun effet comme des billets ou des traites. En réalité, dit-il, les seules traites émises l’ont été en paiement des factures des manufacturiers par la Banque elle-même et non par l’appelante. Enfin, l’avocat de l’appelante soutient que la notion de capital aux fins de l’impôt de la Partie I.3 ne vise que les dettes à long terme et qu’un solde du prix de vente au terme d’un contrat de vente conditionnelle ne présente pas cette caractéristique.

[27] Pour sa part, l’avocate de l’intimée soutient que l’alinéa 181.2(3)d) a pour but d’inclure dans le capital toute forme de dette représentée par un effet ou un titre de financement et qu’un contrat de vente conditionnelle transporté à la Banque constitue un tel titre puisqu’il confère en réalité une super garantie à celle-ci qui demeure propriétaire du véhicule jusqu’à parfait paiement. À cet égard, l’avocate de l’intimée se réfère plus particulièrement aux définitions des termes « bonds » , « debentures » , « notes » , « mortgages » et « bankers acceptances » que l’on retrouve dans Black’s Law Dictionary (West Publishing Co.) et The Dictionary of Canadian Law (Carswell) et d’où ressort la caractéristique commune qu’il s’agit d’instruments de financement. Si la dette représentée par le solde du prix de vente ne peut être considérée comme étant sous la forme d’un prêt ou d’une avance, elle ne peut non plus être classée comme un simple compte fournisseur puisqu’elle est précisément sous forme d’un instrument de financement particulier. Selon elle, le contrat de vente conditionnelle devrait être traité comme les autres instruments de financement énumérés à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi qui ne vise pas exclusivement les instruments de financement à long terme comme le prétend l’avocat de l’appelante.

[28] L’avocate de l’intimée signale aussi que le contrat de vente conditionnelle contient également un engagement de payer le prix sur demande et représente donc à cet égard un effet à payer qui ne peut être assimilé à un simple compte fournisseur. Elle se réfère également au traitement, aux états financiers, des sommes dues comme étant des « effets à payer » et à l’absence de réserve de la part des vérificateurs.

[29] L’avocate de l’intimée soutient également que la somme due par l’appelante au premier manufacturier (Navistar) pour la fabrication du châssis et l’assemblage de ses composantes n’est pas couvert par le contrat de vente conditionnelle. Selon elle, cette somme est due au terme d’un prêt ou d’une avance par la Banque qui a acquitté la facture du manufacturier au nom de l’appelante. Sur ce point, elle ajoute que la tradition d’argent nécessaire à la conclusion d’un contrat de prêt peut être réalisée par le moyen d’une délégation de paiement.

[30] Il importe d’abord de souligner l’exigence du sous-alinéa 181(3)b)(i) en ce qui concerne le calcul des valeurs et des montants aux fins de l’impôt de la Partie I.3. Cette disposition prescrit que les montants à utiliser sont :

(i) ... ceux qui figurent au bilan présenté aux actionnaires de la société — s’il s’agit d’une société qui n’est ni une corporation d’assurance à laquelle le sous-alinéa (ii) s’applique, ni une banque — ou aux associés de la société de personnes, ou, si un tel bilan n’est pas dressé conformément aux principes comptables généralement reconnus ou si aucun bilan n’est dressé, ceux qui y figureraient si un tel bilan était dressé conformément à ces principes.

[31] Malgré le témoignage du comptable, monsieur André Paquin, selon lequel il n’a constaté aucun effet à payer en rapport avec l’achat de véhicules neufs par l’appelante, la note de vérification accompagnant les états financiers de 1994, à l’instar de celles des années précédentes, signale bien qu’ils ont été établis selon les principes de comptabilité généralement reconnus. De même, si monsieur Paquin estime que les sommes à payer par l’appelante s’apparentent aux comptes à payer sous le poste « Créditeurs » et que pour les années subséquentes elles ont été inscrites sous un poste désigné « Financement de véhicules » rien dans son témoignage ne vient établir de façon claire que les principes de comptabilité généralement reconnus n’auraient pas été respectés au cours des années en litige. Si on ne tenait compte que de cet élément, on pourrait conclure que le montant des « effets à payer » a été correctement inclus dans le capital de l’appelante aux fins de l’impôt de la Partie I.3 de la Loi. Toutefois, il me paraît nécessaire de pousser plus loin l’analyse puisque le simple titre donné à un poste particulier des états financiers ne permet pas nécessairement de déterminer le caractère juridique de ce qu’il est censé représenter.

[32] L’appelante est l’acheteur des véhicules et la Banque en finance l’acquisition. C’est aussi évidemment l’appelante qui vend les véhicules au détail bien que la Banque se soit réservé le titre de propriété jusqu’à parfait paiement en s’étant fait transporter par le vendeur Thomas le contrat de vente conditionnelle. Cette vente d’un bien dont l’appelante n’est pas propriétaire ne cause aucun problème et ne peut être frappée de nullité puisque l’appelante devient subséquemment propriétaire en acquittant le solde du prix de vente envers la Banque aussitôt la transaction complétée (article 1713, 2e alinéa du Code civil du Québec). La Banque n’acquiert pas de véhicules et n’en vend pas. Elle en finance simplement l’acquisition par l’appelante et ce sont les caractéristiques de ce financement qu’il importe de préciser pour déterminer si les alinéas 181.2(3)c) et d) sont applicables ou non.

[33] La preuve apportée dans la présente affaire est loin d’établir que la relation juridique entre la Banque et l’appelante en est simplement une de vendeur-acheteur ou de créancier-débiteur par opposition à celle de prêteur-emprunteur. L’utilisation d’un contrat de vente conditionnelle comme garantie du paiement du prix pour chacun des véhicules acquis par l’appelante ne couvre qu’une partie du financement consenti par la Banque et qui correspond au prix facturé par le manufacturier Thomas pour l’assemblage de la carrosserie, c’est-à-dire, dans l’exemple choisi, la somme de 18 301,50 $. Il s’agit du seul montant indiqué au contrat de vente conditionnelle comme étant dû au manufacturier Thomas et dont le paiement est garanti par le contrat. En transportant le contrat à la Banque, Thomas ne peut lui céder plus de droits qu’il n’en a lui-même malgré la rétention du titre de propriété sur le véhicule entier. Je reviendrai plus loin sur la nature même de la garantie prévue à ce contrat.

[34] Je traiterai d’abord de la somme de 29 555,05 $ payée par la Banque le 23 septembre 1993 au manufacturier Navistar suite à l’émission de la facture en date du 21 septembre 1993 (pièce A-1, onglet 16, document 3). Cette somme à l’égard de laquelle des intérêts pour un total de 285 jours ont été portés au compte de l’appelante en date du 31 juillet 1994 (pièce A-1, onglet 3, 1ère page) résulte, à mon avis, d’un prêt ou d’une avance consentie par la Banque à l’appelante.

[35] D’abord, dans le document intitulé « Demande de financement d’inventaire » en date du 20 septembre 1985 (pièce A-1, onglet 2) il est prévu que la Banque consentira des crédits à l’appelante et qu’elle paiera pour son compte auprès du fabricant ou de son distributeur « les contrats ou factures de vente conditionnelle représentant l’achat ... d’articles neufs » . En réalité, la Banque a payé pour le compte de l’appelante le montant de la facture de Navistar qui ne prévoit aucune garantie spécifique pouvant être cédée à la Banque telle la rétention du titre de propriété comme c’est le cas au terme du contrat de vente conditionnelle avec le manufacturier Thomas.

[36] Il est vrai qu’il n’y a eu aucune tradition ou remise d’argent par la Banque à l’appelante mais simplement un paiement direct par la Banque au manufacturier d’un montant dû par l’appelante. Qu’il s’agisse d’une délégation ou d’une simple indication de paiement n’a pas vraiment d’importance et peut assurément dans de telles circonstances être décrit comme un prêt ou une avance par la Banque à l’appelante. Dans The Dictionary of Canadian Law (Carswell, 1991) à la page 589, on retrouve sous le terme « loan » notamment ce qui suit :

Includes money advanced on account to a person in any transaction which, whatever form it takes, is substantially a loan to such person, or one securing the repayment by such person of the money advanced.

[37] Dans le Black’s Law Dictionary, Sixth Edition (West Publishing, 1990) à la page 936, on retrouve sous le terme « loan » ce qui suit :

“Loan” includes: (1) the creation of debt by the lender’s payment of or agreement to pay money to the debtor or to a third party for the account of the debtor.

[38] Pour autant que je considère le paiement par la Banque au manufacturier Navistar pour le compte de l’appelante comme étant en substance un prêt à l’appelante, il n’y a pas lieu de s’attarder sur le sens à donner au terme « avances » tel qu’utilisé à l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi et auquel on reconnaît généralement tant en droit qu’en finance et en comptabilité le sens de prêt tout autant que celui d’acompte.

[39] Ma conclusion est donc que les sommes payées par la Banque au manufacturier Navistar et à d’autres manufacturiers pour le compte de l’appelante et qui ne sont pas couvertes par un contrat de vente conditionnelle résultent de prêts par la Banque à l’appelante et doivent à ce titre être incluses dans le capital de celle-ci par application de l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi dans la mesure où de telles sommes sont dues à la Banque à la fin d’une année d’imposition donnée. Même si, par quelque magie, on considérait que la somme due est couverte et garantie par le contrat de vente conditionnelle avec le manufacturier Thomas, elle serait alors, elle aussi, couverte par l’alinéa 181.2(3)d) pour les raisons indiquées ci-après.

[40] Qu’en est-il maintenant de la somme due par l’appelante au manufacturier Thomas et qui est couverte par le contrat de vente conditionnelle transporté à la Banque suite à son paiement par cette dernière? D’emblée, je reconnais la distinction établie dans les nombreuses décisions auxquelles s’est référé l’avocat de l’appelante. Un solde de prix de vente est une dette qui ne résulte pas d’un prêt ou d’une avance. Il y a d’abord entre le manufacturier Thomas et l’appelante une relation vendeur-acheteur régie par un contrat de vente conditionnelle au terme duquel le titre de propriété demeure au vendeur jusqu’à parfait paiement. Sur paiement par la Banque, le contrat lui est transporté et le vendeur lui cède tous ses droits dont celui dans le titre de propriété. La Banque devient créancière de l’appelante avec les droits du vendeur sans plus et sans avoir établi de relation prêteur-emprunteur entre elle-même et l’appelante en ce qui concerne cette somme. L’alinéa 181.2(3)c) de la Loi ne saurait s’appliquer à cette situation. Toutefois, il reste à déterminer si l’alinéa 181.2(3)d) couvre cette forme de dette.

[41] Il importe de préciser d’abord que ce qui est désigné comme étant un contrat de vente conditionnelle réfère en réalité à ce qu’il est convenu d’appeler en droit civil une vente à tempérament laquelle est clairement définie à l’article 1745 du Code civil du Québec comme étant une vente à terme et non une vente conditionnelle ou une vente dite sous condition suspensive.[5]

[42] Les dispositions du Code civil du Bas-Canada concernant la vente à tempérament, soit les articles 1561a à 1561j, introduits en 1888 et 1947, ont été abrogés en 1971 par l’introduction de la Loi de la protection du consommateur (1971 L.Q. c. 74 art. 120). Les articles 29 à 42 de cette nouvelle loi proposaient alors un régime juridique spécifique pour la vente à tempérament entre un commerçant et un consommateur. Quant aux ventes à tempérament entre d’autres parties et notamment entre deux commerçants, aucune disposition spécifique ne venait réglementer un tel contrat qui était ainsi tributaire de la volonté des parties.

[43] Dans le but de protéger plus adéquatement les parties à un contrat de vente à tempérament non régi par la Loi de la protection du consommateur on a réintroduit dans le Code civil du Québec qui est entré en vigueur en 1994 de nouvelles dispositions encadrant l’exercice du droit des parties à un tel contrat. Il s’agit des articles 1745 à 1749 prescrivant notamment la publication de la réserve de propriété dans le registre des droits personnels et réels mobiliers afin de la rendre opposable aux tiers.

[44] La vente à tempérament est un contrat dont l’origine est fort lointaine et les nouvelles règles du Code civil du Québec n’en changent pas la nature qui est essentiellement celle de constituer, à cause de la réserve de propriété, une sûreté réelle dont ces nouvelles règles ne font qu’accentuer le caractère. Dans son texte intitulé « Précis sur la vente » [6], le professeur Pierre-Gabriel Jobin commente l’introduction des nouvelles règles notamment dans les termes suivants au paragraphe 215, à la page 505 :

Voilà donc dans le Code civil des mesures de protection qui visent notamment les commerçants. Le législateur reconnaît enfin que bien des commerçants, surtout de petits commerçants, ont besoin de protection juridique, ce qu’il a oublié trop souvent par le passé. Il reconnaît que la vente à tempérament est essentiellement un contrat de financement, et que la réserve de propriété n’est rien d’autre qu’une sûreté, dont l’exécution peut causer un préjudice considérable à l’acheteur, aux sous-acquéreurs et à leurs créanciers. C’est pourquoi le législateur a imposé certains mécanismes de protection pour l’exécution du droit à la reprise de possession, mesures calquées sur celles de l’exécution d’une hypothèque, spécialement la prise en paiement.

(le souligné est de moi,

les notes sont omises)

[45] Traitant un peu plus loin des règles sur la prise en paiement au paragraphe 223 à la page 513 il ajoute :

Ce droit est compréhensible si l’on se rappelle que la réserve de propriété, dans la vente à tempérament, constitue essentiellement une sûreté réelle pour le vendeur. Il convient, en principe, de soumettre l’exécution de toute sûreté aux mêmes mécanismes et aux mêmes restrictions.

(le souligné est de moi,

la note est omise)

[46] Si la ressemblance entre la vente à tempérament et l’hypothèque est encore plus frappante en common law à cause de la réserve du titre de propriété (legal title) par le créancier, il n’en reste pas moins qu’en droit civil la dette garantie aux termes de chacun des contrats l’est sous la forme d’une sûreté réelle. Vue sous cet angle, la vente à tempérament me paraît représenter une forme de financement qui présente une certaine similitude avec une hypothèque ou même avec une obligation au terme de laquelle une garantie générale ou spécifique est donnée à l’égard de certains biens ou encore au terme de laquelle une sûreté réelle est consentie sur un bien particulier. En ce sens, j’estime qu’un montant dû en vertu d’un contrat de vente à tempérament au terme duquel une sûreté réelle est consentie sur le bien acquis est, aux fins de l’alinéa 181.2(3)d) de la Loi, une dette couverte par les termes « sous forme d’obligations, d’hypothèques ... ou de titres semblables » dans la version française et « represented by bonds, debentures, ... mortgages ... or similar obligations » dans la version anglaise de cette disposition.

[47] Le législateur n’a pas cru opportun de limiter de quelque façon que ce soit la portée des termes prêts et avances à l’alinéa 181.2(3)c) ni ceux des termes obligations, hypothèques, effets et acceptations bancaires à l’alinéa 181.2(3)d) de telle sorte qu’il est, à mon avis, faux de prétendre qu’on ne voulait couvrir que les dettes à long terme en vertu de ces alinéas.

[48] Comme un prêt bancaire, qu’il soit à court, moyen ou long terme et qu’il soit ou non assorti de garanties spécifiques est visé par l’alinéa 181.2(3)c), il est logique de conclure qu’une somme due à la même institution au terme d’un contrat comportant l’octroi d’une sûreté réelle soit couverte par l’alinéa 181.2(3)d) dans la mesure où cette sûreté représente une garantie spécifique sinon supérieure du moins équivalente à celle que confère une hypothèque. On ne peut tout de même pas prétendre que la dette est assimilable à celle due en vertu d’un simple compte fournisseur.

[49] Un point additionnel mérite d’être signalé. Le document intitulé « Contrat de vente conditionnelle » (pièce A-1, onglet 1) contient au paragraphe 1 une stipulation concernant le paiement dans les termes suivants :

Le prix ou la somme payable par l’acheteur au vendeur sera le montant de $18 301.50 payable sur demande, avec intérêt avant comme après échéance au taux annuel de ............ pour cent, lequel pourra de temps à autre être modifié sur avis de la Banque Nationale du Canada.

[50] Par ailleurs, au paragraphe 3 du même contrat on retrouve une promesse de payer le solde du prix de vente qui est libellée en ces termes :

L’acheteur promet de payer le solde du prix d’achat au vendeur, sur demande.

[51] Il s’agit là d’une formulation qui s’apparente à celle que l’on retrouve généralement dans un billet promissoire et qui confère en quelque sorte un caractère hybride au contrat. Dans l’ouvrage de Crawford et Falconbridge « Banking and Bills of Exchange » (Toronto, Canada Law Book Inc. 1986, Volume 2), au paragraphe 6202 aux pages 1818 et 1819, les auteurs présentent un contrat semblable sous le titre « lien notes » dans les termes suivants :

A common use of notes in Canada for a hundred years has been in connection with instalment purchases of goods, in both consumer and commercial transactions. From time to time the courts have been required to consider whether knowledge by the holder of the fact that a note originated in such a transaction was knowledge of conditionality. Although that task was common enough in other jurisdictions it was only in Canada that the courts referred to the instruments involved as “lien notes”, presumably intending to reflect the dual character of the transaction involving both a charge on goods and a promise to pay their price.

(le souligné est de moi)

(les notes sont omises)

[52] Lors de l’introduction de l’ « Impôt des grandes sociétés » en 1989, un commentateur[7], comptable de profession, a reconnu que les titres désignés comme « lien notes » étaient couramment utilisés par les concessionnaires d’automobiles comme une méthode de financement des biens figurant à l’inventaire et a fait valoir qu’on pouvait adopter la position que de tels titres ne devraient pas être couverts par le nouvel impôt. Les arguments au soutien de cette position étaient, d’une part, que l’effet juridique de tels titres n’était pas évident au niveau du traitement comptable et, d’autre part, que ces titres représentaient des dettes à court terme ne pouvant ainsi être considérés du capital externe utilisé pour financer les opérations d’une société. J’estime ces arguments sans fondement. D’abord, comme il s’agit avant tout de dettes comportant une garantie spécifique le traitement comptable ne devrait comporter, à mon avis, rien de particulièrement complexe. Ensuite, rien ne vient limiter l’application du paragraphe 181.2(3) et plus spécifiquement des alinéas 181.2(3)c) et d) aux dettes à court terme. Si telle avait été l’intention du législateur, il lui aurait suffi d’édicter l’alinéa 181.2(3)f) de la Loi. Enfin, j’ajouterai qu’un autre commentateur[8], également comptable, a reconnu d’emblée un peu plus tard que les titres désignés comme « lien notes » étaient couverts par toutes les lois édictant une taxe sur le capital. Le financement bancaire pour l’acquisition de la totalité des biens neufs figurant à l’inventaire d’une société avec garantie absolue donnée à l’égard de chaque bien représente pour cette société une façon d’utiliser des fonds ou un capital externe sur une base constante pour financer ses opérations. Je ne vois aucune raison de principe pour qu’un tel mode de financement échappe aux dispositions de l’alinéa 181.2(3)d) de la Loi pour autant, par ailleurs, que les dettes ainsi créées ne représentent pas, du point de vue juridique, « des prêts ou des avances » couverts par l’alinéa 181.2(3)c) de la Loi.

[53] Toutefois, vu la conclusion à laquelle j’en suis arrivé concernant les dettes garanties par les contrats de vente à tempérament il n’est pas nécessaire de me prononcer de façon définitive sur la question de savoir si les mêmes dettes sont également « sous forme ... d’effets ... ou de titres semblables » en vertu de l’alinéa 181.2(3)d) de la Loi ou encore « represented by ... notes ... or similar obligations » selon les termes utilisés dans la version anglaise de la même disposition. Je remarquerai simplement qu’à première vue je suis loin d’être convaincu que ces termes ne peuvent couvrir une promesse de payer une somme à demande au motif qu’une telle promesse fait partie d’un document intitulé « Contrat de vente conditionnelle » . D’ailleurs, pour revenir au premier point, c’est effectivement comme étant des « effets à payer » que les dettes de l’appelante ont été portées à son bilan pour les années en litige.

[54] En conséquence de ce qui précède, les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 1998.

« P.R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]           Jusqu’au 20 décembre 1991, l’alinéa 181.2(3)d) se lisait, en français :

d)          de ses dettes à la fin de l’année sous forme d’obligations, d’effets, de mortgages, d’hypothèques ou de titres semblables.

            et en anglais :

(d)         the amount of all indebtedness of the corporation at the end of the year represented by bonds, debentures, notes, mortgages, hypothecs or similar obligations.

[2]           Un montant de 2 068,85 $ est ajouté comme taxe sur les produits et services ( « TPS » ) pour un total de 31 623,90 $. Puisque le montant payé par la Banque n’est que de 29 555,05 $ je présume que le montant de la taxe a été acquitté directement par l’appelante.

[3]           Un montant de 1 281,11 $ est ajouté comme TPS pour un total de 19 582,61 $. Puisque le montant payé par la Banque et couvert par le contrat de vente conditionnelle n’est que de 18 301,50 $ je présume que le montant de la taxe a été acquitté directement par l’appelante.

[4]           Cette décision est actuellement en appel à la Cour d’appel fédérale.

[5]           Cette disposition réflète la position adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Venne c. Québec (CPTA), [1989] 1 R.C.S. 880.

[6]           Dans les textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, La réforme du Code civil, Les Presses de l’Université Laval, 1993, page 365.

[7]           David M. Williamson, « Large Corporations Tax » , 1990 Conference Report, A.C.E.F. 11:1 à la page 11:19.

[8]           Eric A. Ostfield, « Coping with the Large Corporations Tax and Provincial Capital Taxes » , 1992 Conference Report, A.C.E.F.30:1 à la page 30:6.

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