Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980807

Dossier: 97-1410-IT-I

ENTRE :

TOVA MARKOVZKI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelante interjette appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu établie pour l'année d'imposition 1992. Dans le calcul de son revenu pour l'année en cause, l'appelante a déclaré une perte au titre d'un placement d'entreprise de 20 000 $ et demandé la déduction de 15 000 $ en résultant, du fait que la perte était une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, communément appelée “ PDTPE ”. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé la déduction de la PDTPE au motif que la perte ne tombait pas sous le coup des dispositions de l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) parce qu'elle avait été subie par une fiducie dans des circonstances où les dispositions des paragraphes 104(1) et (2) de la Loi, qui auraient permis à l'appelante de déduire les pertes subies par la fiducie ou de faire en sorte que la perte en question lui revienne conformément au paragraphe 75(2) de la Loi, ne s'appliquaient pas.

[2] L'appelante a déclaré dans son témoignage qu'elle travaille dans le domaine des placements et qu'elle a investi dans des créances hypothécaires à titre personnel dans le but d'en tirer un revenu. En 1983, avec de l'argent qu'elle avait accumulé au cours de sa carrière, elle a commencé à investir dans différentes créances hypothécaires, parfois par l'intermédiaire d'une compagnie à numéro dont elle était propriétaire, parfois à titre personnel. Au cours de l'année d'imposition 1990, elle a subi des pertes qu'elle a déclarées à titre de PDTPE dans sa déclaration de revenus, et la déduction en résultant a été admise. Elle a déclaré qu'elle avait obtenu une marge de crédit de sa banque et qu'elle avait dû lui fournir une liste de ses placements, produite sous la cote A-1. Le 18 juin 1987, a-t-elle déclaré, elle a investi le montant de 20 000 $ — en son nom — et elle a conclu une entente — la pièce A-2 — avec William Clarfield, un courtier en hypothèques agréé. Elle avait fait affaires avec Clarfield auparavant et elle travaillait dans le bureau de ce dernier lorsqu'elle a appris que Gooden Holdings Ltd. (Gooden) cherchait à obtenir un prêt hypothécaire — de 350 000 $. Outre l'appelante, qui a investi 20 000 $, il y avait d'autres investisseurs — qui ont investi différents montants — comme en fait foi la pièce A-3. L'appelante a expliqué que Clarfield ne fournissait pas les noms des investisseurs pour des raisons de confidentialité, ainsi que l'a indiqué Clarfield dans une lettre qu'il a adressée à l'appelante — pièce A-4 — en date du 29 mai 1998. De l'avis de l'appelante, la transaction était simple; dans une lettre de rapport — pièce A-5 — qu'il lui a adressée en date du 20 octobre 1987, Clarfield confirmait la participation de l'appelante au prêt hypothécaire consenti à Gooden et joignait une copie de la lettre de rapport des procureurs. L'appelante a affirmé avoir déclaré à titre de revenu l'intérêt que Clarfield lui a versé — représentant sa part du paiement hypothécaire de Gooden. Lorsqu'elle avait investi le montant de 20 000 $ en question, elle avait remis son chèque à Clarfield en fiducie, expressément dans le but de participer au prêt hypothécaire consenti à Gooden. En 1995, il est devenu évident que Gooden était incapable de rembourser l'emprunt hypothécaire; l'appelante a reçu de Clarfield une lettre — pièce A-6 — datée du 29 juin 1995, dans laquelle il expliquait qu'il ne restait plus d'argent pour payer les personnes qui avaient investi dans l'hypothèque de deuxième rang.

[3] Lors du contre-interrogatoire, l'appelante a été priée de se reporter à sa déclaration de revenus de 1992 — pièce R-1. Elle a convenu qu'à la page 3 de sa déclaration, elle avait joint un état des revenus de placement T5 indiquant qu'elle avait reçu le montant de 3 498,60 $ de “ William Clarfield en fiducie ”.

[4] Mark Lapedus, le représentant de l'appelante, a fait valoir qu'il était évident que le montant de 20 000 $ que l'appelante avait investi par l'entremise de William Clarfield, un courtier en hypothèques agréé, était destiné au prêt hypothécaire consenti à Gooden, dont le remboursement devait être garanti personnellement. Aux termes de l'entente conclue avec Clarfield — pièce A-2 — l'appelante devait avoir droit à 3/55e de chaque paiement effectué conformément aux modalités du prêt hypothécaire, ce qui représentait sa participation au prêt hypothécaire. M. Lapedus a fait valoir que l'appelante avait déclaré le revenu reçu sous forme d'intérêt hypothécaire et qu'il était raisonnable qu'elle ait droit à une PDTPE lorsqu'il s'est avéré qu'elle avait fait un mauvais placement. À son avis, la méthode de placement en cause était monnaie courante dans le secteur du courtage hypothécaire et visait à faciliter l'administration du prêt : l'emprunteur effectuait un paiement à une personne désignée, qui calculait ensuite le montant à remettre à chaque investisseur en proportion du montant investi.

[5] L'avocate de l'intimée a fait valoir que l'entente conclue par l'appelante avec Clarfield établissait clairement l'existence d'une relation de fiduciaire et que ce dernier avait agi en tout temps en qualité de fiduciaire et qu'il n'était pas simplement le mandataire de l'appelante aux fins du placement effectué dans le prêt hypothécaire consenti à Gooden.

[6] Dans l'affaire Fraser v. The Queen, 91 DTC 5123, Madame le juge Reed, de la Section de première instance de la Cour fédérale, était saisie de l'appel d'une contribuable faisant partie d'un groupe de 94 personnes ayant acheté des unités dans un mécanisme de placement détenant un fonds commun de créances hypothécaires géré par une maison de courtage professionnelle. Aux pages 5127 et suivantes, Madame le juge Reed s'est exprimée dans les termes suivants :

LE DROIT

Aucun point de droit n'est remis en cause ici. Les deux avocats conviennent que, si la partie demanderesse détenait une participation dans une fiducie, les pertes ont été subies par la fiducie et ne peuvent, sur le plan fiscal, être transmises au contribuable. (Cette position a été nuancée à la fin de l'audience; voir en page 13 ci-après.)

Le paragraphe 104(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

Aux fins de la présente loi, et sans que l'assujettissement du fiduciaire ou des représentants légaux à leur propre impôt sur le revenu en soit atteint, une fiducie est réputée être un particulier relativement aux biens de la fiducie; ...

En outre, le paragraphe 104(1) de ladite loi se lit comme suit :

Dans la présente loi, fiducie ou succession, (appelées toutes deux “fiducies” dans la présente sous-section), signifie également le fiduciaire ou l'exécuteur testamentaire, l'administrateur successoral, l'héritier ou tous autres représentants légaux ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie.

La Loi ne donne aucune définition d'une “fiducie”. Dans Andrews' Estate v. M.N.R. (1966), 42 Tax ABC 303, on trouve le passage suivant :

[TRADUCTION]

Une fiducie est une obligation équitable en vertu de laquelle une personne (“le fiduciaire”) est tenue d'administrer les biens dont elle a le contrôle (“les biens de la fiducie”) pour le compte d'un groupe de personnes (“les bénéficiaires ou cestuis que trust) dont il peut faire partie lui-même, et dont n'importe quel membre peut faire exécuter l'obligation.

Dans l'ouvrage de D.M.W. Waters intitulé Law Trusts in Canada (2e édition, 1984), les trois caractéristiques d'une fiducie sont décrites aux pages 10 à 14 de la façon suivante : (1) il existe un lien de fiduciaire quand une personne détient des biens et les administre pour le compte d'une autre personne; (2) les biens appartiennent conjointement au fiduciaire et au bénéficiaire; et (3) le créancier d'un fiduciaire failli n'a aucun droit sur les biens de la fiducie (le fiduciaire joue deux rôles : il administre la fiducie et il gère ses affaires personnelles et autres). On trouve, aux pages 107 à 128 du même ouvrage, les trois “certitudes” nécessaires à l'existence d'une fiducie : la certitude d'intention, la certitude d'objet et la certitude de but.

L'avocat de la partie demanderesse soutient qu'une relation de mandataire a été instaurée, citant la définition qu'en donne F.M.B. Reynolds dans Bowstead on Agency (15e édition, 1985), à la page 1 :

[TRADUCTION]

Il y a relation de mandataire entre deux personnes lorsque l'une d'elles consent, expressément ou implicitement, à ce que l'autre agisse en son nom et que cette autre personne agit ainsi ou convient de le faire. La personne qui agit pour le compte de l'autre est le mandataire et celle au nom de laquelle le mandataire agit est le mandant. Toute personne autre que le mandataire ou le mandant est un tiers.

L'avocat évoque en outre les distinctions entre une relation de mandataire et une fiducie, exposées dans l'ouvrage précité de M. Waters, aux pages 42 à 46 :

[TRADUCTION]

... Sauf dans les cas exceptionnels de la représentation par nécessité ou du mandat imposé à soi-même, le mandant et le mandataire sont liés par contrat, tandis que la fiducie expresse est un mode de transfert de propriété. Le mandataire se conforme aux instructions du mandant pendant la durée du contrat et sert en fait d'intermédiaire permettant au mandant d'entretenir des liens directs et habituellement contractuels avec des tiers. En revanche, le fiduciaire expressément désigné n'est ni le mandataire du constituant, ni celui du bénéficiaire.

...

Non seulement le fiduciaire expressément désigné se voit-il confier la propriété des biens de la fiducie, mais encore est-il habilité à passer des contrats avec des tiers comme s'il pouvait également jouir de la propriété de ces biens, étant personnellement responsable desdits contrats. Le tiers ne se préoccupe ni du droit, pour le fiduciaire, de recouvrer ses dépenses sur les biens de la fiducie, ni de la question de savoir si les biens de la fiducie sont suffisants pour dédommager le tiers si celui-ci intentait une poursuite. Le fiduciaire est aussi personnellement responsable envers le tiers des délits que ses mandataires ou lui-même peuvent commettre, que ce soit ou non dans le cadre de leurs fonctions.

ANALYSE -- FIDUCIE OU RELATION DE MANDATAIRE?

Toutes les caractéristiques d'une fiducie se retrouvent indéniablement en l'instance : Marlowe-Yeoman a reçu des fonds de la partie demanderesse et d'autres personnes et acheté des créances hypothécaires moyennant un escompte ou consenti des prêts sur la garantie de biens hypothéqués. Cette propriété et ces activités de gestion profitaient aux membres de G.M.S. Les hypothèques en question étaient assujetties à une double propriété, au sens donné à cette expression à l'égard des biens d'une fiducie. Les biens étaient également à l'abri d'un fiduciaire failli. Les biens n'appartenaient pas à Marlowe-Yeoman; ils étaient détenus pour le compte d'autres personnes.

L'avocat de la partie demanderesse admet l'existence des caractéristiques d'une fiducie. Il soutient pourtant qu'aucune fiducie n'a été créée en l'instance parce que, du point de vue des “trois certitudes”, il n'y avait pas de certitude d'intention. Les avocats des deux parties conviennent qu'il y a certitude d'objet et de but.

On s'est appuyé sur la déposition de M. Lansdell au sujet de l'intention. Celui-ci a indiqué qu'il n'avait pas l'intention de créer une fiducie et qu'il connaissait les exigences de la loi à cet égard. De toute évidence, ce témoignage a été fourni après coup et dans un but intéressé. Il est difficile d'y prêter foi, d'autant plus qu'il aurait été possible de donner expressément avis de cette intention au moment où G.M.S. a été mis sur pied. En outre, ce qui importe avant tout, c'est l'intention du cédant, et non celle de M. Lansdell. De toute façon, l'intention se dégage de l'ensemble des éléments de preuve, y compris la conduite des parties et le libellé des documents qu'elles se sont transmis, et non uniquement du point de vue subjectif d'une seule personne. L'existence de la certitude d'intention ne fait guère de doute à mon avis. L'intention était que la partie demanderesse confie des fonds à Marlowe-Yeoman qui en assurerait la gestion, par l'entremise de Griffith et au profit de la partie demanderesse, en achetant des hypothèques et que les profits tirés de ces opérations soient réinvestis au nom de la partie demanderesse.

En ce qui concerne les autres aspects invoqués par l'avocat à l'appui de sa thèse voulant qu'il y ait eu relation de mandataire, ceux qui portent sur les conditions qui ont pu s'appliquer aux syndicats hypothécaires que la partie demanderesse a mis sur pied avant 1973 ne sont pas pertinents en l'instance. Seule la situation de G.M.S. doit être examinée. En outre, même si les rapports entre la partie demanderesse et Marlowe-Yeoman ont pu être établis par contrat, il ne s'agit pas d'une relation de mandataire. La partie demanderesse ne pouvait exercer de contrôle véritable sur les activités du fiduciaire. Certes, les clients-investisseurs considérés dans leur ensemble auraient sans doute pu forcer M. Lansdell à se ranger à leur point de vue ou à modifier les modalités de participation à G.M.S. s'ils avaient convenu d'une approche commune, mais ce contrôle n'est pas celui qu'un mandant exerce sur un mandataire.

La partie demanderesse a été invitée à contribuer à un fonds devant servir à faire l'acquisition de prêts hypothécaires. G.M.S. était un fonds à capital variable dont les bénéfices étaient automatiquement réinvestis. La valeur de la participation de la partie demanderesse était calculée en fonction du prix d'une unité de fonds. La partie demanderesse pouvait se retirer en liquidant sa participation ou en demandant que celle-ci soit rachetée. Elle ne pouvait à elle seule modifier les modalités de sa participation. M. Lansdell a souligné qu'en fait aucun membre n'avait jamais demandé le rachat de sa participation. Lorsque le fonds a connu des difficultés en raison de pertes importantes, le droit de rachat a été suspendu.

L'entente portant création de G.M.S. stipulait entre autres choses que les dirigeants avaient toute discrétion et devaient gérer le fonds au profit des membres. Cela ne correspond pas à la notion de contrôle qu'un mandant exerce sur un mandataire, même si ce dernier est un spécialiste. Comme l'a souligné l'avocat de la partie défenderesse,

[TRADUCTION]

... Marlowe-Yeoman est le propriétaire, Marlowe-Yeoman est celui qui prend les risques. Marlowe-Yeoman doit traiter avec les débiteurs. Par conséquent, ces investisseurs particuliers ont un intermédiaire ... Ils ne contrôlent ni le sort de ces prêts hypothécaires, ni le réinvestissement de leur participation.

Sur la foi des éléments de preuve, je conclus que les hypothèques acquises par Marlowe-Yeoman l'ont été au profit de la partie demanderesse et d'autres personnes, mais non pour leur compte, comme l'aurait fait un mandataire.

L'avocat de la partie défenderesse a cité le passage suivant, tiré des pages 1 et 2 de l'ouvrage de Sheridan et Keeton, The Law of Trusts :

[TRADUCTION]

La fiducie est l'une des plus importantes et des plus souples institutions du droit anglais moderne. Lorsqu'il s'agit de gérer des biens appartenant à plus d'un adulte, seule la compagnie à responsabilité limitée y est comparable. Les fiducies servent davantage à administrer des investissements, tandis que les compagnies s'occupent de commerce, mais ces deux façons de distinguer l'administration d'un bien de sa jouissance présentent autant de souplesse.

...

Le recours à des fiducies à des fins commerciales est monnaie courante, notamment pour gérer des biens en nom collectif ou fournir des services de placement. Les fiducies d'investissement à participation unitaire sont un mécanisme de placement courant de nos jours. Les membres du public contribuent au capital du fonds, qui est investi dans des actions. Celles-ci appartiennent aux fiduciaires qui les détiennent au nom des souscripteurs en proportion du capital souscrit par chacun d'eux. L'acquisition des actions et les opérations sur ces titres sont confiées à une société de gestion qui répond de ses activités aux fiduciaires. Sous réserve des frais de la société de gestion, les revenus et les gains (ou les pertes) en capital reviennent de façon proportionnelle aux souscripteurs (ou à leurs cessionnaires), qui sont les bénéficiaires de la fiducie. La fiducie d'investissement à participation unitaire est une fiducie en bonne et due forme, contrairement à la société d'investissement, qui présente des objectifs semblables mais une structure différente. Une société d'investissement est une société à responsabilité limitée effectuant des placements en actions. L'investisseur dans une société de placement achète des actions d'une compagnie. Il n'est pas le bénéficiaire d'une fiducie. La personne qui achète des actions d'une société d'investissement et celle qui détient une unité en qualité de bénéficiaire d'une fiducie peuvent toutes deux participer à la propriété d'un portefeuille constitué et géré par des experts. Dans le cas de la fiducie d'investissement à participation unitaire, le bénéficiaire peut facilement liquider son investissement en vendant ses unités au fiduciaire. Ce dernier a toujours été en mesure de racheter la participation du bénéficiaire dans la mesure où la transaction était équitable ...

Je suis convaincue que la structure mise en place en l'instance était de cette nature. Plutôt que des actions, le fiduciaire détenait des créances hypothécaires.

Paragraphe 75(2)

Comme nous l'avons dit plus tôt, un argument nouveau a été soulevé le dernier jour de l'audience. Selon cet argument, le paragraphe 75(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquerait en l'instance. Ledit paragraphe se lit comme suit :

Lorsque, en vertu d'une fiducie créée de quelque façon que ce soit depuis 1934, des biens sont détenus à condition

a) que ces derniers ou des biens qui leur sont substitués puissent

(i) revenir à la personne dont les biens, ou les biens qui leur sont substitués, ont été reçus directement ou indirectement, ou

(ii) être transportés à des personnes devant être désignées par cette personne à une date postérieure à la création de la fiducie, ou

b) que, pendant la vie de la personne dont les biens ou les biens qui leur sont substitués ont été reçus directement ou indirectement, il ne soit disposé des biens qu'avec son consentement ou suivant ses instructions,

tout revenu ou perte résultant des biens ou de biens y substitués ou tout gain en capital imposable ou perte en capital déductible provenant de la disposition des biens ou de biens y substitués est réputé, durant la vie de cette personne, pendant qu'elle réside au Canada, être un revenu ou une perte, selon le cas, ou un gain en capital imposable ou une perte en capital déductible, selon le cas, de cette personne.

L'avocat de la partie demanderesse soutient que cette disposition s'applique, de telle sorte que sa cliente pourrait se prévaloir des pertes subies par la fiducie.

La partie défenderesse soutient pour sa part que les fiducies assujetties au paragraphe 75(2) sont celles dont la création constitue le principal objet de l'opération fiduciaire, et non celles où la transaction obéit essentiellement à des motifs commerciaux, la fiducie elle-même étant purement accessoire à cet objet. Le passage suivant de l'analyse faite par M. L. Raphael dans son ouvrage intitulé Canadian Income Taxation of Trusts, pages 139 et 140, est cité :

[TRADUCTION]

Les tribunaux ont statué que, lorsque la fiducie ne constitue pas la principale opération mais se révèle purement accessoire au transfert et sert à garantir le prix d'un bien transféré, elle n'est pas assujettie au paragraphe 75(2).

La partie défenderesse soutient que, en l'instance, la principale opération consiste pour la partie demanderesse à confier des fonds au syndicat à des fins de placement, la fiducie étant uniquement un moyen pratique de constituer une masse de fonds suffisante pour procéder aux placement envisagés. En d'autres termes, cet argument signifie, si je comprends bien, que le paragraphe 75(2) s'applique au revenu tiré de biens, et non au revenu tiré d'une entreprise. Comme, en l'instance, la fiducie servait aux fiduciaires à produire un revenu d'entreprise pour le compte de la fiducie, ledit paragraphe ne s'applique pas.

En outre, la partie défenderesse fait valoir que le paragraphe 75(2) ne s'applique que si le bénéficiaire jouit d'un droit de réversion, et que ce droit n'existe pas en l'instance. Elle soutient que, même si l'entente visant G.M.S. stipule que la partie demanderesse peut réclamer la vente ou le rachat de ses unités et qu'aucun nouvel investissement ne doit avoir lieu avant le rachat des participations ayant fait l'objet d'une demande, il n'existe pas de droit de rachat absolu. Elle affirme que la documentation ne confère pas de droit de réversion absolu. J'estime que cette interprétation du paragraphe 75(2) et des faits en l'instance est correcte. À mon avis, le paragraphe 75(2) porte sur le cas où l'ensemble des biens de la fiducie peut revenir au constituant (alinéa 75(2)a)) ou demeure sous son contrôle pendant la durée de la fiducie (alinéa 75(2)b)). Rien ne laisse supposer que la deuxième situation existe en l'espèce, et les faits n'établissent pas l'existence de la première situation. Les biens n'étaient pas détenus par les fiduciaires sous réserve du droit de réversion visé à l'alinéa 75(2)a).

CONCLUSION

J'ai examiné très soigneusement les faits en cause parce que la partie demanderesse soutient que cette conclusion entraîne un résultat injuste. Pendant les sept années au cours desquelles le portefeuille de G.M.S. a été rentable, la partie demanderesse et d'autres membres de G.M.S. ont incorporé à leur revenu leur part des bénéfices de G.M.S. aux fins de l'impôt. Les avocats conviennent qu'il est maintenant impossible de réviser les cotisations relatives à ces années. En dépit de ce résultat peut-être injuste, je suis dans l'obligation de conclure que la partie demanderesse a été cotisée correctement au titre des pertes survenues pendant l'année d'imposition 1982.

À ces motifs, la requête de la partie demanderesse est rejetée.

[7] En appel - 95 DTC 5684 - le juge Hugessen s'est exprimé dans les termes suivants pour la Cour d'appel fédérale, à la page 5685 :

Malgré les arguments habiles de M. Davies, nous sommes tous d'avis qu'il n'y a pas de raison d'intervenir dans cette affaire. Le juge de première instance devait déterminer, d'après les faits pertinents, si les gestes posés par les parties en 1973, et attestés par leurs documents et les mesures qu'elles ont prises, peuvent être considérés en droit comme la création d'une fiducie. Le juge a conclu que tel était le cas et que les trois éléments du critère applicable, soit l'intention, le sujet et l'objet, étaient présents. Elle a spécifiquement examiné et rejeté la prétention de l'appelante voulant que l'entité créée ait été en fait une forme de syndicat de copropriétaires ou de colocataires qui était géré par un agent. Les raisons pour lesquelles elle en a décidé ainsi sont convaincantes. Sa conclusion selon laquelle les appelants avaient l'intention de créer une fiducie est au fond une conclusion de fait et nous ne sommes pas convaincus que cette conclusion est manifestement déraisonnable.

Pour ce qui a trait au deuxième argument soulevé par l'appelante, une fois qu'il est établi qu'il s'agissait d'une fiducie, nous sommes tout à fait convaincus que le degré élevé d'autonomie et d'indépendance dont bénéficiaient les fiduciaires est incompatible avec la notion de simple fiducie, telle qu'elle semble ressortir de Panamerican Trust Co. c. MRN, 49 DTC 672.

Le juge de première instance a spécifiquement indiqué que le résultat atteint, bien que correct comme nous l'avons constaté, était “inéquitable”. Nous partageons son avis et, bien que l'appel doive être rejeté, il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

[8] Le représentant de l'appelante a fait valoir que les faits en l'espèce se distinguaient de ceux de l'affaire Fraser, précitée, parce que l'appelante et d'autres personnes ont investi dans une hypothèque donnée et non pas dans des unités détenant un fonds commun de créances hypothécaires. Il ressort toutefois clairement de l'entente — pièce A-2 — et des autres documents que les parties avaient l'intention manifeste de créer une fiducie expresse. Dans l'entente en question, Clarfield est appelé le “ fiduciaire ”. Le feuillet T5 a été remis à l'appelante par “ William Clarfield en fiducie ”. Le paragraphe 6 de l'entente produite sous la cote A-2 stipule ceci :

[TRADUCTION]

[S]i Clarfield n'accorde pas le prêt au demandeur (Gooden) ... le montant investi est remis immédiatement au participant (l'appelante) sans intérêt ni déduction, et la présente entente est nulle et non avenue. (L'italique est de moi.)

[9] Cependant, une fois que le montant de 20 000 $ avait été investi par Clarfield dans le prêt hypothécaire consenti à Gooden et que l'appelante avait le droit de recevoir 3/55e des paiements mensuels, il ressort clairement d'autres dispositions de l'entente que Clarfield agissait pour le compte de tous les investisseurs, au point où il ne révélait pas leur identité aux autres investisseurs. Conformément au paragraphe 7 de l'entente, l'appelante ne pouvait s'opposer à une modification des modalités du prêt hypothécaire dans la mesure où Clarfield acceptait la modification demandée par Gooden et où des participants représentant une participation d'au moins 51 p. 100 dans le prêt consenti à Gooden l'acceptaient également. En cas de défaut de Gooden, le paragraphe 8 de l'entente conférait à Clarfield ou à un administrateur agissant pour son compte le pouvoir de prendre toute décision ou mesure, ou d'intenter tout recours, jugé opportun, à sa discrétion, pour autant que des personnes ayant avancé 51 p. 100 du prêt de 350 000 $ soient d'accord avec la décision, la mesure ou le recours. Si l'appelante avait tenté de faire exécuter une mesure de réparation sans le consentement de Clarfield, elle aurait découvert que l'hypothèque était enregistrée au bureau d'enregistrement sous le nom de William Clarfield, en fiducie, conformément aux modalités énoncées au paragraphe 18, et elle n'aurait eu aucun moyen de forcer Gooden à lui verser des montants représentant sa participation de 3/55e ou d'obtenir une saisie en réalisation de la garantie hypothécaire ou autres réparations, mise à part la possibilité que Clarfield agisse à sa discrétion après avoir obtenu le consentement de participants représentant 51 p. 100 de l'investissement total. Le fait que Clarfield n'a pas révélé le nom des autres investisseurs est une autre indication qu'il a agi en tout temps en qualité de fiduciaire et qu'il était le fiduciaire de l'appelante et des autres investisseurs. Il était davantage qu'un intermédiaire ou un simple fiduciaire, comme ce serait le cas du mandataire qui sert un but donné, alors que le fiduciaire attend un moment ou un événement précis pour remettre les biens en fiducie aux bénéficiaires. La fonction de Clarfield ne se limitait certainement pas à ne détenir un droit de propriété que pour le compte de l'appelante, qui détenait seulement 3/55e du montant total de la créance hypothécaire. Il ressort clairement du libellé de l'entente de placement — pièce A-2 — que l'appelante ne pouvait à aucun moment faire en sorte que le bien lui revienne. Dans l'affaire Low v. The Queen 93 DTC 927, le juge Brulé, de la Cour canadienne de l'impôt, a statué qu'une société ne détenait pas un condominium en fiducie pour le contribuable ou en tant que mandataire de celui-ci parce que les administrateurs et les dirigeants de cette société ne pouvaient pas exercer leur pouvoir discrétionnaire d'engager ses éléments d'actif sans les instructions de l'épouse du contribuable. En outre, le juge Brulé a semblé accepter la proposition selon laquelle, lorsqu'une simple fiducie existe, le bénéficiaire de la fiducie doit être traité comme le propriétaire du bien.

[10] Il est évident que l'appelante a effectué un placement dans une fiducie à l'égard de laquelle William Clarfield agissait comme fiduciaire et que la fiducie tirait un revenu d'intérêt d'un prêt consenti à Gooden et garanti par une hypothèque. Le placement effectué par l'appelante par l'intermédiaire de la fiducie de Clarfield ne constituait pas une part du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise et la perte de l'appelante ne résultait pas de la disposition d'une dette d'une société privée sous contrôle canadien, ni ne répondait par ailleurs aux conditions énoncées à l'alinéa 39(1)c) de la Loi. Bien qu'il soit regrettable que l'appelante ait choisi cette méthode de placement particulière, il ne revient pas à la Cour de la placer dans la position où elle se serait trouvée si elle avait modifié les modalités de son placement ou choisi un mode différent pour réaliser son objectif. À mon avis, la décision rendue dans l'affaire Fraser, précitée, s'applique aux faits de l'espèce.

[11] L'appel est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 7e jour d'août 1998.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de mars 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.