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Date: 19980602

Dossier: 97-1084-IT-I

ENTRE :

LUCIEN MARQUIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s’agit d'un l’appel concernant l’année d’imposition 1993.

[2] L’appelant a témoigné au soutien de son appel; il a expliqué avoir cautionné un prêt au montant de 34 000 $ octroyé à M. Jean-Guy Asselin personnellement par la Banque Nationale du Canada le 12 juin 1989.

[3] Connaissant très bien Jean-Guy Asselin, l’appelant avait accepté de l’endosser pour qu’il obtienne ce prêt au montant pré-indiqué dans le but d'investir dans la compagnie 2644-8472 Québec Inc. pour laquelle il travaillait. Il s’agissait d’une entreprise dont la vocation était l'impression de documents.

[4] Une partie de l'argent du prêt fut utilisée pour l’acquisition de 33 1/3 % du capital-actions de la compagnie et la balance fut injectée dans la compagnie sous forme d’avances et ce, en qualité d’administrateur.

[5] Pour garantir les risques inhérents à son endossement, l’appelant a indiqué avoir exigé que les actions nouvellement acquises et obtenues des suites du prêt garanti par son endossement lui soient données en garantie. Conséquemment, Jean-Guy Asselin aurait cédé son certificat d’actions en faveur de l’appelant, après l’avoir endossé.

[6] Le certificat d’actions portant le No. 1 et représentant 1 000 actions ordinaires fut ainsi cédé à l’appelant le jour même de son émission. L’endos dudit certificat fut complété en conséquence.

[7] Deux descriptifs du certificat d'actions furent mis en preuve. La preuve n’a jamais expliqué le pourquoi des indications différentes décrites à l’endos dudit certificat; je fais notamment référence au fait qu’un premier indiquait qu’un montant de 1 000 $ avait été payé pour les actions alors que l’autre faisait état d’un déboursé de 35 000 $.

[8] La copie des états financiers pour l’année se terminant le 31 août 1990 procure cependant la réponse véritable en indiquant que le montant payé pour les actions a été de 1 000 $. Le même document indique que Jean-Guy Asselin détenait une créance de 24 000 $ décrite comme suit :

4. DETTES À LONG TERME 1990

Financement sur des améliorations locatives

pour un montant de 19000,00 $ payable le

14 janvier 1994. Le taux d'intérêt est de

10 % par année. Les intérêts débutent le

15 janvier 1990 19 000,00 $

Financement à payer à McCutcheon Graphique

Inc., sur équipement. Le mode de remboursement

s'effectue de la manière suivante : le montant

entre le prix facturé et le prix net sur les

achats du mois précédent diminue la solde

à payer 12 346,63

Avances des administrateurs, sans modalité de

remboursement ni d'intérêts

Mme Claudette Asselin : 84 000,00

M. Jean-Guy Asselin : 24 000,00

139 346,63

Partie de la dette à long terme échéant en deçà

d'un an 2 000,00

137 346,63

[9] La preuve n’a pas permis de découvrir à quoi avait servi le 8 000 $, soit la différence entre le montant déboursé pour les actions et l’avance consenti à la compagnie 2644-8472 Québec Inc. et le montant du prêt de 34 000 $.

[10] Près de 4 ans plus tard, l’institution prêteuse, la Banque Nationale du Canada, exigeait de l'appelant le solde dû de 31 646 $ sur le prêt consenti à Asselin le 12 juin 1989 ce dernier n'ayant manifestement pas respecté ses obligations.

[11] La semaine suivante, soit le 11 mai, Jean-Guy Asselin faisait cession de ses biens. Suite à la demande péremptoire de paiement par la Banque Nationale du Canada, l’appelant signait en faveur de ladite institution bancaire un billet à demande des suites de son endossement.

[12] Se croyant propriétaire des actions émises au nom de Jean-Guy Asselin, l’appelant fit valoir ses droits auprès du syndic dans le but de recouvrer les sommes qu’il devait désormais à la Banque Nationale du Canada, en vertu du billet qu'il avait dû signer. Ces démarches se sont avérées vaines et il n'a pu recouvrer quelque montant que ce soit. Il a donc perdu 31 646 $ à cause de son endossement.

[13] Ce sont là grosso modo les faits qui ont motivé l’appelant à prétendre que sa perte devait être qualifiée de perte au titre de placement d'entreprise.

[14] L'appelant a soutenu que la qualification devait s’apprécier lors de la période de la faillite où il était lui-même devenu actionnaire. Était-il vraiment actionnaire de la compagnie au moment de la faillite? J’en doute; d’ailleurs la preuve à cet égard a été déficiente, l’appelant ne sachant pas si les transferts des actions étaient assujettis à certaines restrictions; il n’a d’ailleurs jamais démontré qu’il avait été associé aux affaires de la compagnie avant la faillite. Aucune preuve testimoniale ou documentaire n'a établi que le transfert d'actions avait été autorisé et ratifié par le conseil d'administration de la compagnie. Il s'agissait d'une compagnie privée dont le transfert d'actions devait sans doute être assujetti à certaines restrictions ou tout au moins certaines formalités.

[15] De toute façon, souscrire au raisonnement de l’appelant n’aurait pas pour effet de lui donner raison sur son appel puisque la prépondérance de la preuve est à l’effet que la valeur des actions dont il s’est attribué la propriété ne valait carrément pas le montant de son estimation; bien au contraire, la prépondérance de la preuve est à l’effet que lesdites actions étaient sans valeur au pair; et qu'un montant de 1 000 $ seulement avait été déboursé pour leur acquisition. Quelle en était la valeur au moment du transfert effectif qui devait avoir lieu le jour où la banque exerçait ses droits en vertu du cautionnement? Étant donné le court délai entre ce moment et la date de la faillite, il y a lieu de présumer que les actions n'avaient aucune valeur au moment du transfert.

[16] Il n’y a aucun doute que le cautionnement signé par l’appelant le 12 juin 1989 n’avait pas un objectif de viabilité économique; il s’agissait d’un acte guidé et commandé par des préoccupations qui n’avaient strictement rien à voir avec un quelconque espoir de tirer profit ou avantage. Connaissant très bien Jean-Guy Asselin, il a posé ce geste généreux. D’ailleurs, le cautionnement ne profitait aucunement à la compagnie émettrice des actions, il bénéficiait exclusivement à Jean-Guy Asselin ès-qualité d’individu responsable et autonome. Ce dernier aurait très bien pu décider de dilapider le produit du prêt, l’investir ailleurs, payer des dettes ou s’acheter une automobile ou tout autre bien de consommation.

[17] Comment prétendre ou soutenir que la caution avait un objectif économique puisque dans l'éventualité du remboursement du prêt cautionné, l'appelant n'aurait profité d'aucun avantage ou profit?

[18] Si un actionnaire cautionne un prêt contracté par la compagnie dans laquelle il détient ses actions, il m’apparaît raisonnable de penser qu’il s’agit là d’un acte juridique qui peut améliorer ou bonifier la valeur des actions détenues. En d'autres termes, le cautionnement peut générer un profit ou entraîner une perte.

[19] En l’espèce, l’argent obtenu le fut par un tiers qui lui a investi dans la compagnie. La plus-value ou l'espérance de profits bénéficiait à l'actionnaire et non à l'appelant endosseur.

[20] Il n’y avait aucune relation directe entre le cautionnement et l’acquisition des actions. Si la compagnie émettrice des actions avait connu succès et prospérité, les avantages, profits ou plus-value auraient essentiellement profité au détenteur des actions et aucunement à celui qui en avait la garde ou le contrôle physique essentiellement.

[21] Selon l’appelant, la garde des actions devait se transformer en droit de propriété dans l’hypothèse où l’emprunteur ne rencontrait pas ses obligations auprès de l’institution prêteuse. Cela était peut-être possible mais le transfert de propriété desdites actions requérait l’exécution d’un certain nombre de formalités et modalités, ce qui n’a pas été démontré. D’ailleurs l’appelant a reconnu qu’il ignorait si le transfert des actions était assujetti à des restrictions. Il n'y a eu aucune preuve de la date ou du moment du transfert lequel ne pouvait avoir lieu avant le contrat de défaut de l'emprunteur principal à l'endroit de ses obligations vis-à-vis l'institution financière. D'autre part, quelle était la véritable valeur des actions? La preuve ne l'a pas établi.

[22] Pour avoir raison, il eût fallu que l’appelant fasse la démonstration, par une prépondérance de la preuve, qu’au moment où il a décidé d’investir à titre de caution, cela devait générer un espoir raisonnable d’enrichissement. Pareille preuve était impossible du fait que l’endossement a entraîné l’octroi du prêt sur lequel l’appelant n’avait aucun contrôle direct ou indirect. Il ne pouvait même pas influencer ou orienter l’utilisation des fonds obtenus grâce à son endossement. D’ailleurs, le fait que seulement 1 000 $ ait servi à l’acquisition du capital-actions de la compagnie et la balance à titre d’avances de fonds à la même compagnie est très significatif sur le peu de pouvoir, même l’absence totale d’emprise de l’appelant sur l’investissement qui a découlé du prêt.

[23] Pour ce qui est des droits hypothétiques que pouvait lui conférer le certificat d’actions, je suis plutôt d’avis que cela a essentiellement démontré que l’acte de cautionnement générait non pas un espoir de gain ou profit mais plutôt une possibilité de perte. En d’autres termes, si les choses devaient bien aller pour l’emprunteur, l’appelant n’en tirait aucun avantage ou gain et n’était jamais mis à contribution; par contre, si tout allait mal, l’appelant était automatiquement perdant. Je ne vois pas comment il aurait théoriquement pu tirer avantage directement ou indirectement de son endossement. En tout cas, la preuve n’en a pas été faite.

[24] Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 1998.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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