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Date: 19990709

Dossier: 97-974-IT-I

ENTRE :

JACQUELINE B. MacLEOD (MARWICK),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels interjetés par Jacqueline B. MacLeod (Marwick) (l'appelante) à l'encontre de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) pour les années d'imposition 1993 et 1994. Ces cotisations ont été établies pour le motif que l'appelante avait omis de remettre au receveur général, conformément au paragraphe 108(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu pris en vertu de l'alinéa 221(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), l'impôt qui devait aux termes du paragraphe 153(1) de la Loi être retenu sur les salaires d'employés. En outre, le ministre a imposé à l'appelante une pénalité en vertu de l'alinéa 227(8)a) de la Loi. Pour établir la cotisation, il s'est fondé sur le fait que Minda Perez (Mme Perez) et Esmenia Paeste (Mme Paeste) étaient employées par l'appelante aux termes de contrats de louage de services du mois de mars 1993 au mois d'octobre 1993 et du mois de novembre 1993 au mois d'octobre 1994 respectivement.

[2] L'appelante soutient que, pour établir les cotisations en cause, le ministre s'est fondé sur deux hypothèses fondamentalement viciées. Premièrement, l'appelante fait valoir que Mmes Paeste et Perez étaient des entrepreneures indépendantes et non des employées, comme l'a supposé le ministre, et que, par conséquent, elle n'avait pas à retenir quelque montant que ce soit sur les salaires qu'elle leur versait pour leur travail, ni n'est tenue de payer l'impôt, l'intérêt ou les pénalités établis.

[3] Subsidiairement, l'appelante fait valoir que, si Mmes Paeste et Perez étaient des employées, le ministre a commis une autre erreur en supposant qu'il était également entendu entre l'appelante d'une part et Mmes Paeste et Perez d'autre part que les montants que ces dernières allaient toucher pour leurs services devaient être considérés comme des montants nets et que, par conséquent, en plus de payer ces montants, l'appelante était tenue de payer des montants correspondant à ceux des retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu, des cotisations au Régime de pensions du Canada et des cotisations d'assurance-chômage.

[4] De plus, l'appelante soutient que, s'il était déterminé que Mmes Paeste et Perez étaient ses employées, il s'ensuivrait qu'elle serait tenue de payer des pénalités en vertu de l'alinéa 227(8)a) de la Loi et des intérêts conformément au sous-alinéa 227(8.3)a)(ii) de la Loi. Or, soutient l'appelante, puisque Mmes Paeste et Perez résidaient au Canada, elle n'est pas tenue de payer pour leur compte l'impôt que le ministre a établi à tort en se fondant sur le paragraphe 227(8.4) de la Loi, et elle n'est pas tenue de payer le montant plus élevé d'intérêt que le ministre a établi à tort en se fondant sur le sous-alinéa 227(8.3)a)(i) de la Loi.

Témoignage de l'appelante

[5] Depuis 1989, l'appelante exploite chez elle une entreprise appelée Fine Design Corporate Promotions[1]. En juillet 1992, elle a donné naissance à une fille, Rachel, et elle a pris congé pendant quelque temps. En mars 1993, elle a décidé de retourner au travail et se trouvait de ce fait dans la nécessité d'engager une gardienne d'enfant. Elle s'est donc adressée à une agence et, en temps opportun, elle a fait passer une entrevue à Minda Perez, qu'elle a ensuite engagée. Elle a témoigné qu'initialement elle avait prévu engager une aide familiale résidante. Elle a donc informé Mme Perez qu'elle avait un appartement de deux chambres à coucher et que, puisque le bébé couchait dans la deuxième chambre, Mme Perez allait devoir vivre dans le solarium. L'appelante a dit que, puisqu'elles reconnaissaient toutes les deux le caractère peu satisfaisant de cette façon de faire, elles ont convenu que Mme Perez n'habiterait pas chez l'appelante. En échange, l'appelante s'est engagée à fournir à Mme Perez un laissez-passer de la Toronto Transit Commission (TTC). L'appelante a soutenu qu'elle avait offert de rémunérer Mme Perez au taux de 5,50 $ l'heure et de la payer toutes les deux semaines. Mme Perez a accepté l'offre et a commencé à travailler le 5 mars 1993. L'appelante l'a congédiée en octobre 1993, parce que, dit elle, elle l'avait prise à maltraiter son enfant en lui criant après.

[6] L'appelante a rencontré Mme Paeste par l'entremise d'une amie. Elle lui a fait passer une entrevue, a discuté des exigences du travail et lui a offert également une rémunération de 5,50 $ l'heure qui serait payée toutes les deux semaines. D'après l'appelante, Mme Paeste a accepté ces modalités, mais elle a insisté pour être payée comptant. Mme Paeste a gardé la fille de l'appelante d'octobre 1993 à la mi-octobre 1994, quand elle a été congédiée pour avoir omis d'informer l'appelante que sa fille était tombée et s'était blessée en jouant sur une glissoire dans un terrain de jeu.

[7] En ce qui concerne Mmes Perez et Paeste, l'appelante soutient que, aux termes des contrats conclus, elle devait les payer 5,50 $ l'heure, selon le nombre d'heures qu'elles passaient effectivement avec son enfant. Elle a nié expressément que les montants payés étaient des montants nets ou qu'elle avait convenu de payer l'impôt sur le revenu ainsi que les cotisations au RPC et les cotisations d'assurance-chômage pour leur compte. Elle a témoigné en outre qu'elle n'avait remis aucune formule TD-1 à Mmes Perez et Paeste puisqu'elle ne les considérait pas comme ses employées[2], et que, pour la même raison, elle avait refusé à Mme Perez le feuillet T4 qu'elle avait demandé. Aucune indemnité de départ n'a été versée dans les deux cas, et aucun relevé d'emploi n'a été délivré.

[8] L'appelante a témoigné que Mmes Paeste et Perez étaient toutes deux des gardiennes d'enfants expérimentées, qu'elles n'avaient pratiquement pas besoin d'instructions sur la façon dont elles devaient s'acquitter de leurs tâches, et qu'elle ne leur en avait pas donné sur des questions comme les aliments à donner à l'enfant, l'heure des repas ou du bain et ainsi de suite, si ce n'est [TRADUCTION] “ quelques directives de base ”. Elle a témoigné que toutes deux avaient apporté des jouets et des livres pour enfants, qu'elles utilisaient lorsqu'elles gardaient. Elle a allégué également que Mmes Paeste et Perez s'occupaient toutes deux d'autres enfants (à titre de gardiennes d'enfants rémunérées) au cours des périodes pendant lesquelles elles travaillaient pour elle et que toutes deux avaient souvent amené sa fille chez sa belle-soeur, chez sa mère et chez elles, sans avoir demandé ou reçu sa permission.

[9] Minda Perez et Esmenia Paeste ont toutes deux témoigné pour le compte de l'intimée :

Mme Perez a témoigné qu'elle avait obtenu son emploi chez l'appelante par l'intermédiaire de l'agence de gardiennes d'enfants Dear Nanny. Elle devait travailler de 8 h à 18 h, cinq jours par semaine. Elle a prétendu qu'elle avait demandé 700 $ par mois et que l'appelante lui avait cependant offert 650 $ en promettant une augmentation après trois mois. Mme Perez a accepté et, après trois mois, a-t-elle affirmé, son salaire a été augmenté tel qu'il avait été promis. À ses dires, elle devait être payée toutes les deux semaines un montant net, après prélèvement et remise par l'appelante de l'impôt sur le revenu, des cotisations au RPC et des cotisations d'assurance-chômage, comme cela était requis. Mme Perez soutient également que, à plusieurs occasions après avoir quitté son emploi chez l'appelante, elle a demandé sans succès un feuillet T4. Elle avait reçu des instructions de l'appelante quant aux soins à donner à l'enfant et quant aux autres travaux à effectuer dans l'appartement, et l'appelante lui avait fourni tous les articles nécessaires pour s'occuper de son enfant. Mme Perez n'a pas travaillé pour d'autres employeurs au cours de cette période; en fait, a-t-elle affirmé, elle n'avait pas le droit de le faire selon les conditions du permis de travail délivré par le ministère de l'Immigration[3]que l'appelante avait obtenu pour elle. Elle a nié avoir été congédiée et a affirmé qu'elle avait quitté son emploi chez l'appelante après avoir trouvé ailleurs un emploi plus rémunérateur.

Esmenia Paeste a témoigné qu'elle avait été engagée en novembre 1993 pour s'occuper de la fille de l'appelante et pour faire de légers travaux ménagers, la lessive et un peu de cuisine. Le taux de rémunération établi par l'appelante était de 650 $ par mois, ce qui, d'après Mme Paeste, devait être un montant net, après prélèvement de l'impôt sur le revenu, des cotisations au RPC et des cotisations d'assurance-chômage. Elle devait travailler de 8 h à 18 h, cinq jours par semaine. La première journée, l'appelante est restée avec Mme Paeste pour lui faire part de ses exigences concernant les soins à donner à l'enfant. Mme Paeste n'a apporté aucun jouet ni aucun autre matériel qui aurait pu être nécessaire puisque tous ces articles étaient fournis par l'appelante. Cette dernière lui a également fourni un laissez-passer de la TTC parce que son permis de travail comportait comme condition qu'elle habite chez l'employeur alors que l'appelante lui avait dit qu'elle n'avait [TRADUCTION] “ pas de place dans son appartement. Elle préférait que je ne vive pas chez elle ”. Mme Paeste a affirmé qu'elle avait sans exception touché 325 $ deux fois par mois, comptant, selon sa préférence. Elle a catégoriquement nié le témoignage de l'appelante concernant le montant du salaire qu'elle avait reçu, et elle a expressément rejeté les affirmations de l'avocat de l'appelante selon lesquelles, à certains moments, elle avait touché un montant inférieur au montant convenu[4]. Elle a également soutenu qu'elle avait certes rencontré d'autres gardiennes s'occupant d'autres enfants, mais qu'elle n'avait gardé aucun autre enfant au cours de sa période d'emploi chez l'appelante. Au moment où il a été mis fin à son emploi, Mme Paeste a demandé une lettre de référence à l'appelante, qui a accédé à sa demandé.

[10] L'intimée a également fait entendre Frederick Thomas Burgess (M. Burgess), vérificateur des feuilles de paie pour Revenu Canada, qui a effectué la vérification en l'espèce par suite d'une plainte déposée par Mme Paeste selon laquelle elle était incapable d'obtenir de l'appelante un feuillet T4 pour 1993 et 1994. Pour préparer le premier feuillet T4 de Mme Paeste, M. Burgess a tenu compte de la plainte et de la conversation qu'il avait eue avec Mme Paeste. Il a alors communiqué avec l'appelante, qu'il a rencontrée à plusieurs reprises; sur la foi des renseignements ainsi recueillis, il a inclus Mme Perez dans la vérification. Après avoir terminé son examen, M. Burgess a établi une cotisation à l'égard de l'appelante. À cette fin, il a supposé que les montants payés à Mmes Perez et Paeste étaient des montants nets à partir desquels il a établi les montants bruts en incluant l'impôt sur le revenu, les cotisations au RPC, les cotisations d'assurance-chômage, la valeur des laissez-passer de la TTC et, initialement, dans le cas de Mme Paeste, la valeur du logement et des repas. En ce qui concerne le logement et les repas, M. Burgess affirme qu'il s'est fondé sur des déclarations de Mme Paeste selon lesquelles elle devait être, selon l'entente conclue, une aide familiale résidante. Cependant, après avoir fait d'autres vérifications, M. Burgess a conclu que le T4 initialement établi pour Mme Paeste était erroné et il a établi un T4 modifié qui excluait la valeur du logement et des repas. Il a été tenu compte de ce changement dans les cotisations finalement établies à l'égard de l'appelante.

Thèse de l'appelante

[11] L'appelante soutient que Mmes Perez et Paeste étaient toutes deux des entrepreneures indépendantes et non des employées. Au soutien de cette thèse, elle affirme qu'elle n'a pas supervisé leur travail dans le sens traditionnel du terme, qu'elle n'a exercé à peu près aucun contrôle sur la façon dont toutes deux se sont occupées de sa fille, que chacune d'elles a fourni ses propres “ instruments de travail ”, comme des livres et des jouets pour enfants, pour amuser l'enfant dont elles avaient soin et pour l'éduquer, qu'elles amenaient l'enfant au parc, chez d'autres personnes et chez elles et qu'elles se réservaient le droit de refuser de travailler un jour donné en donnant un court préavis. D'après l'appelante, ce sont là tous des facteurs qui établissent que Mmes Perez et Paeste doivent être considérées comme des travailleuses autonomes[5]. L'appelante allègue également que Mmes Perez et Paeste ont toutes deux pris soin d'autres enfants à d'autres endroits et que, par conséquent, on peut dire qu'elles exploitaient une entreprise de gardiennage d'enfants pour elles-mêmes.

Conclusion

[12] Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[6], le juge d'appel MacGuigan, après avoir passé en revue un certain nombre de décisions portant sur la distinction entre un contrat d'entreprise et un contrat de louage de services, a dit ce qui suit:

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[Les caractères gras sont de moi.]

[13] Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante que les facteurs comme le fait, pour une gardienne, de garder un enfant chez elle, de prendre soin d'enfants de plusieurs familles à la fois, de fournir des livres et des jouets pour les enfants et de fournir ses services à l'extérieur de la maison du parent pourraient indiquer un haut degré d'indépendance et pourraient signifier que la gardienne est une travailleuse autonome. Cependant, à mon avis, une bonne partie du témoignage de l'appelante à cet égard a été contredite par Mmes Perez et Paeste. Il est d'autant plus difficile de déterminer la véritable nature des contrats dont il s'agit en l'espèce que des parties du témoignage de ces trois témoins sont douteuses et que, dans le cas de l'appelante, son témoignage s'est révélé à plusieurs égards non crédible. En outre, en ce qui concerne le témoignage de Mmes Perez et Paeste, le fait que l'anglais n'est manifestement pas leur langue principale présente une autre difficulté. En fait, à plusieurs reprises leur réponse faisait voir que ni l'une ni l'autre, mais surtout Mme Perez, ne comprenait pleinement la question qui lui était posée.

[14] Plusieurs facteurs m'amènent à conclure que l'on ne peut se fier au témoignage de l'appelante sur la nature de l'emploi qu'occupaient Mmes Perez et Paeste.

Je ne peux accepter son témoignage selon lequel elle ne leur a donné aucune directive précise sur la manière dont elles devaient s'occuper de sa fille. Après avoir entendu et observé l'appelante au cours du procès, je peux raisonnablement inférer qu'elle devait être un employeur très présent et qu'elle n'aurait, en aucun cas, confié son enfant à une bonne d'enfants sans lui donner des instructions claires et précises.

L'appelante a témoigné que, pendant qu'elles travaillaient pour elle, Mmes Paeste et Perez avaient toutes deux gardé un certain nombre d'autres enfants. En contre-interrogatoire, elle a concédé qu'elle “ croyait ” que Mme Paeste s'était occupée d'un autre enfant, de deux ans, dont elle avait oublié le nom, et que Mme Perez s'était occupée du même enfant. Mmes Perez et Paeste ont toutes deux soutenu que personne d'autre ne les avait employées pour garder des enfants pendant les périodes pertinentes. Je préfère leur témoignage à celui de l'appelante.

Les affirmations de l'appelante selon lesquelles Mmes Perez et Paeste ont gardé son enfant ailleurs que chez elle (et plus précisément que Mme Paeste a gardé l'enfant chez la mère de l'appelante à plusieurs occasions), sont également peu convaincantes. En outre, l'appelante a témoigné que Mme Paeste n'avait amené l'enfant chez sa mère que lorsqu'elle-même le lui avait expressément demandé.

Mmes Perez et Paeste avaient toutes deux besoin d'un permis de travail, qu'elles ont obtenu du ministère de l'Immigration. Ce permis indiquait que l'appelante était l'employeur, que Mmes Paeste et Perez n'étaient pas autorisées à faire un travail autre que celui qui était indiqué (Mme Paeste comme bonne/domestique, et Mme Perez, comme aide ménagère) et qu'il leur était interdit de travailler pour un employeur autre que l'appelante. L'appelante a concédé qu'elle avait elle-même demandé les permis de travail au ministère de l'Immigration, mais elle a nié avoir vu les documents eux-mêmes. Tout bien considéré, qu'elle ait vu ou non ces documents, je suis convaincu que l'appelante connaissait les conditions et les restrictions auxquelles était assujettie la permission qu'avaient reçue Mmes Paeste et Perez de travailler au Canada.

La preuve a établi également que, en 1993, l'appelante avait ouvert à Revenu Canada un compte de paie pour les retenues à la source. Elle affirme qu'elle a agi ainsi [TRADUCTION] “ pour avoir un compte en règle au cas où [elle aurait] un jour des employés ” dans son entreprise de marketing, mais [TRADUCTION] “ cela n'est jamais arrivé ”. Elle a soutenu qu'elle n'avait pas ouvert le compte en prévision de l'embauchage éventuel de gardiennes d'enfants, mais, en contre-interrogatoire, elle a déclaré qu'elle l'avait ouvert pour [TRADUCTION] “ toute, vous voyez, toute aide familiale résidante éventuelle, en plus des employés que j'aurais pu engager pour mon entreprise ”. Ces déclarations ont été contredites par M. Burgess, qui a témoigné que l'appelante l'avait informé que deux comptes de paie distincts avaient été ouverts, l'un pour la gardienne d'enfants et l'autre, pour son entreprise[7].

Il y a une autre partie du témoignage de l'appelante qu'il convient d'examiner. Le 30 septembre 1994 ou vers cette date, l'appelante a écrit une lettre de référence pour Mme Paeste, dans laquelle elle a écrit ceci :

[TRADUCTION]

J'atteste par les présentes avoir fait appel aux services de Jasmine Paeste pour garder ma fille pendant approximativement un an et deux mois.

Au cours de cette période, elle a rempli des fonctions courantes de gardienne d'enfants, c'est-à-dire qu'elle a notamment nourri, baigné et changé ma fille et a joué avec elle. Ma fille avait 13 mois lorsque Jasmine a commencé à s'en occuper. Jasmine a également effectué de légers travaux ménagers et a préparé certains des repas de la famille. Elle est particulièrement bonne dans les travaux ménagers. Je n'ai plus besoin des services de Jasmine parce que m'a fille fréquente maintenant un centre préscolaire.

Je recommande Jasmine pour tout autre poste de gardienne d'enfants (particulièrement avec un enfant de moins de deux ans) ou pour un poste comportant l'accomplissement de travaux ménagers dans une maison privée ou dans l'industrie hôtelière[8].

L'appelante a témoigné qu'elle ne se souvenait pas d'avoir écrit cette lettre, mais elle a concédé ceci : [TRADUCTION] “ Cela ressemble à ma signature. ” Cette lettre contredit son témoignage selon lequel Mme Paeste n'était pas tenue d'effectuer des travaux ménagers. En outre, l'appelante mentionne expressément dans sa lettre qu'elle n'avait plus besoin des services de Mme Paeste parce que sa fille fréquentait un centre préscolaire, déclaration qui contredit carrément son témoignage selon lequel elle a congédié Mme Paeste parce que cette dernière avait omis de l'informer que sa fille avait eu un accident au terrain de jeu.

Ces éléments, combinés avec les autres contradictions relevées dans le témoignage de l'appelante, m'empêchent d'accepter la version de l'appelante sur la nature de l'emploi.

[15] Tout bien considéré, je suis convaincu que ni Mme Perez ni Mme Paeste ne se sont engagées à fournir les services en question à l'appelante en tant que personnes exploitant une entreprise pour leur compte. Toutes deux ont conclu avec l'appelante une entente aux termes de laquelle elles s'engageaient à travailler à temps plein pour une période indéterminée contre rémunération. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis convaincu que l'appelante a exercé un “ contrôle ” quant à l'endroit, au moment et à la façon dont le travail devait être effectué et qu'elle l'a fait dans la mesure requise dans les circonstances de la présente affaire. En outre, il n'y a devant moi aucune preuve acceptable qui établisse que Mme Perez ou Mme Paeste étaient employées par d'autres personnes en tant que gardiennes d'enfants au cours des périodes pertinentes, ce qui est une autre raison pour laquelle j'arrive à la conclusion qu'elles n'étaient pas des entrepreneures indépendantes. Je conclus par conséquent que la relation entre l'appelante et les deux gardiennes d'enfants traduit, dans les deux cas, l'existence d'un contrat de louage de services.

Argument subsidiaire

[16] L'avocat de l'appelante a dit que la contribuable reconnaît que, si Mmes Paeste et Perez étaient effectivement des employées, elle aurait dû effectuer des retenues à la source. L'avocat a donc très justement posé la question suivante : sur quels montants les retenues auraient-elles dû être effectuées, sur ceux que l'appelante a effectivement payés ou sur ceux que, suivant les allégations de Revenu Canada, elle doit être considérée comme ayant payés?

[17] La question soulevée par l'appelante est valable. Il n'y a aucun litige entre les parties concernant les montants qui ont été payés à Mmes Perez et Paeste[9]. Il n'est pas non plus contesté que le vérificateur a établi les cotisations en supposant que l'appelante et les employées s'étaient entendues pour qu'il y ait majoration des montant payés. L'appelante soutient tout simplement qu'elle a payé à Mmes Perez et Paeste un montant brut et elle convient qu'elle aurait dû retenir sur ce montant brut les montants requis et qu'elle ne l'a pas fait.

[18] Il est juste de dire que l'entente que les gardiennes d'enfants et l'appelante ont conclue en ce qui concerne le calcul de la paie est loin d'être claire. L'avocat de l'appelante a fait valoir que tout malentendu pouvait avoir résulté des problèmes de langue et de communication, ce qui ne manque pas d'une certaine plausibilité. Il est certainement vrai que Mmes Perez et Paeste avaient de la difficulté à comprendre les questions et à y répondre lors de l'interrogatoire principal et du contre-interrogatoire. Compte tenu de la preuve, je ne suis pas convaincu que les montants que Mmes Perez et Paeste ont touchés étaient des montants nets, ainsi qu'on l'a prétendu. En outre, leur témoignage sur la “ paie nette ” donne à penser qu'il a pu être le résultat des discussions qu'elles ont eues avec Revenu Canada et, peut-être, d'une rationalisation après coup.

[19] J'ai par conséquent conclu qu'aucune entente de majoration n'existait entre l'appelante et les deux gardiennes d'enfants. En conséquence, je conclus également que l'appelante a omis d'effectuer les retenues à la source sur leur paie et que ces retenues devraient être calculées en fonction des montants bruts que les gardiennes d'enfants ont touchés. Ainsi que l'a fait remarquer l'avocat de l'appelante, les règles qui s'appliquent lorsqu'un employeur omet d'effectuer les retenues à la source à l'égard d'un employé diffèrent de celles qui s'appliquent lorsqu'un employeur effectue les retenues à la source et ne les verse pas[10]. Aux termes des dispositions en question, l'employeur qui effectue des retenues à la source, mais qui omet de les verser, est tenu de payer l'impôt ainsi que l'intérêt et les pénalités applicables. En revanche, l'employeur qui n'effectue aucune retenue à la source à l'égard d'un employé qui réside au Canada n'est pas tenu de payer l'impôt qui aurait dû être retenu[11].

[20] Dans les cas où elle a payé le montant brut et omis d'effectuer les retenues à la source, la contribuable est tenue de payer une pénalité égale à 10 p. 100 du montant qui aurait dû être retenu et de payer l'intérêt sur ce montant, conformément à l'alinéa 227(8)a). En outre, elle est également tenue de payer des intérêts conformément au sous-alinéa 227(8.3)a)(ii).

[21] Par conséquent, les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que Mmes Perez et Paeste étaient toutes deux employées par l'appelante aux termes de contrats de louage de services et que les montants qui leur ont été payés par

l'appelante étaient des montants bruts sur lesquels elle a omis de retenir l'impôt, comme elle y était tenue en vertu de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juillet 1999.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour d'avril 2000.

Erich Klein, réviseur

ANNEXE

Loi de l'impôt sur le revenu

153 (1) Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

un traitement, un salaire ou autre rémunération;

[...]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière, au sens du paragraphe 190(1), compte non tenu des alinéas d) et e) de la définition de cette expression.

221(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

prendre les mesures réglementaires prévues par la présente loi;

227(8) Sous réserve du paragraphe (8.5), toute personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant au cours d'une année civile conformément au paragraphe 153(1) ou à l'article 215 est passible d'une pénalité :

soit de 10 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu;

227(8.3) La personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant conformément aux paragraphes 135(3), 153(1) ou 211.8(2) ou à l'article 215 doit payer au receveur général des intérêts sur ce montant calculés au taux prescrit :

s'il s'agit d'un montant à déduire ou à retenir sur un paiement à une autre personne en application du paragraphe 153(1), pour la période commençant le quinzième jour du mois qui suit le mois au cours duquel le montant aurait dû être déduit ou retenu ou à toute date antérieure qui peut être fixée par règlement pour l'application de ce paragraphe, et se terminant :

le jour du paiement du montant au receveur général, si cette autre personne ne réside pas au Canada,

(ii) au premier en date du jour du paiement du montant au receveur général et du 30 avril de l'année qui suit l'année au cours de laquelle le montant aurait dû être déduit ou retenu, si cette autre personne réside au Canada;

227(8.4) La personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant conformément soit au paragraphe 135(3) sur un paiement fait à une autre personne, soit au paragraphe 153(1) sur un montant payé à une autre personne qui ne réside pas au Canada ou qui n'y réside que par application de l'alinéa 250(1)a), doit payer, au nom de cette autre personne, à titre d'impôt en vertu de la présente loi, la totalité du montant qui aurait dû être ainsi déduit ou retenu et a le droit de déduire ou de retenir ce montant sur tout montant payé à cette autre personne ou porté à son crédit, ou de le recouvrer autrement de cette autre personne.

Règlement

108(1) Sous réserve des paragraphes (1.1), (1.11) et (1.12), les montants déduits ou retenus au cours d'un mois aux termes du paragraphe 153(1) de la Loi doivent être remis au receveur général au plus tard le 15e jour du mois suivant.



[1]               À toutes les époques pertinentes, l'appelante était une employée contractuelle du gouvernement de l'Ontario; elle participait à l'élaboration de différentes publications, etc., et paraît avoir travaillé dans divers ministères.

[2]               La formule TD-1 est généralement remise à un employé par un employeur afin qu'y soient inscrits les exemptions personnelles de base de l'employé et d'autres renseignements pertinents de manière à permettre à l'employeur de calculer avec exactitude les retenues à la source qui doivent être versées à Revenu Canada.

[3]               Pièce R-2.

[4]               Les montants en question sont ceux énumérés dans la pièce A-4 produite par l'appelante.

[5]               Robert Sheffield c. M.R.N., 95-707(UI), [1995] A.C.I. no 1591; Tania Linsenmeier c. La Reine (C.C.I., non publié, 96-143(IT)I).

[6]               87 DTC 5025, à la page 5030 (version française: [1986] 3 C.F. 553, à la page 564.)

[7]               En ce qui concerne le compte de paie de l'entreprise, M. Burgess a déterminé qu'il n'y avait aucun employé et que, d'après ses souvenirs, il a fermé ce compte de paie à la suite de sa rencontre avec l'appelante.

[8]               Pièce R-1.

[9]               En faisant cette observation, je ne tire aucune conclusion précise sur l'exactitude de ces montants.

[10]             Les premières sont énoncées aux paragraphes 227(8), (8.3) et (10) de la Loi alors que les deuxièmes sont énoncées aux paragraphes 227(9), (9.1), (9.2), (9.4) et (10.1).

[11]             Voir le paragraphe 227(8.4) de la Loi.

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