Date: 19990719
Dossier: 97-840-UI
ENTRE :
BOB WEATHERBY,
appelant,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Motifs du jugement
Le juge suppléant Porter, C.C.I.
[1] L'appel a été entendu à Edmonton (Alberta) le 22 avril 1998.
[2] L'appelant est un malentendant, mais il est parfaitement capable de lire. Il a obtenu les services d'un interprète utilisant le processus de sous-titrage en temps réel.
[3] L'appelant interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le “ ministre ”), datée du 22 avril 1998, selon laquelle l'emploi qu'il a exercé pour Alberta Custom Golf and Repair Inc. (la “ compagnie ”) du 1er avril au 30 septembre 1996 et du 1er avril au 30 septembre 1997 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la “ Loi sur l'a.-c.) et de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi sur l'a.-e. ”). Le motif de la décision était le suivant :
[TRADUCTION]
[...] Il y avait un lien de dépendance entre Alberta Custom Golf and Repair Inc. et vous. Par conséquent, vous exerciez un emploi exclu.
[4] On a précisé que la décision avait été prise en application de l'article 93 de la Loi sur l'a.-e. et qu'elle était fondée sur l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'a.-c. et l'alinéa 5(3)a) de la Loi sur l'a.-e.
[5] Les faits établis révèlent que, pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant travaillait pour la compagnie, dont il détenait le tiers des actions, à un champ d'exercice pour golfeurs situé à Edmonton (Alberta). Il avait notamment pour tâches de fabriquer des bâtons de golf, de les vendre, d'en faire la réparation et l'ajustement et d'assurer le service après-vente. La question est de savoir si l'appelant avait ou non un lien de dépendance avec la compagnie. Cette question mixte de fait et de droit doit être tranchée conformément aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, telles qu'elles ont été interprétées par les tribunaux au fil des ans.
Le droit
[6] Dans le régime établi par la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation d'emploi, et que d'autres seraient des emplois “ exclus ”, soit des emplois qui, au moment de la cessation d'emploi, ne donneraient pas droit à des prestations. Un arrangement conclu entre personnes traitant ensemble avec lien de dépendance entre dans la catégorie des “ emplois exclus ”. Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du système, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.
[7] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage est libellé en partie dans les termes suivants :
3(2) Les emplois exclus sont les suivants :
[...]
c) sous réserve de l'alinéa d) [qui renvoie à des personnes et à des personnes morales liées, ce qui ne s'applique pas en l'espèce], tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :
(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu, [...]
[8] L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu est libellé ainsi :
la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait. (Les italiques et le caractère gras sont de moi.)
[9] Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu précise que la question de savoir si des personnes traitaient ensemble sans lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question factuelle doit être tranchée dans le cadre du droit et est en réalité une question mixte de fait et de droit; voir la décision rendue par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises et al. v. The Queen, 97 DTC 302.
[10] Le sens de l'expression “ arm's length ” (lien de dépendance) a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Dans la mesure où l'expression a été utilisée dans des affaires de fiducie et de succession, cette jurisprudence n'a pas été prise en considération au Canada pour l'interprétation de lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110.
[11] Dans l'examen de la signification de “ lien de dépendance ”, il ne faut pas perdre de vue les termes de la Loi que j'ai précédemment indiqués en caractères gras, soit “ n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné ”. Au Canada, la jurisprudence, comme le fait remarquer le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M., précitée, a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Compte tenu de l'inclusion de ces termes dans la Loi, je ne suis pas certain que cette approche soit nécessairement la seule qui doive être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans un certain nombre des principales causes faisant jurisprudence au Canada. En général, il s'agissait d'une seule personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire sans lien de dépendance, en soi, cela n'a pas été suffisant pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations avec lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 72 DTC 6470 (C.S.C.).
[12] En fait, ce que disent ces jugements, c'est que, si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches dans l'autre, même si elle le fait systématiquement dans le cadre d'une opération commerciale ordinaire, elle traite encore avec elle-même, et l'opération demeure par nature une opération “ avec lien de dépendance ”.
[13] Cependant, le simple fait que ces causes faisant jurisprudence comportaient de telles situations factuelles ne signifie pas que des personnes pouvant habituellement être dans une relation avec lien de dépendance ne peuvent en fait, à un moment donné, traiter ensemble sans lien de dépendance, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre traiter ensemble avec lien de dépendance. Ces causes sont tout simplement des exemples de ce que n'est pas une relation sans lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération sans lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères ou tests pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.
[14] La notion de “ lien de dépendance ” a été examinée par le juge Bonner, de la C.C.I., dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111, dans laquelle il disait, aux pages 117 et 118 :
On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :
a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,
b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et
c) le contrôle “ de facto ” (réel).
[...]
En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :
[TRADUCTION]
Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même “ cerveau ”, on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne “ dictait ” les “ conditions de la transaction ” au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.
[...]
Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.
[15] Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197, dans laquelle il déclarait, à la page 203 :
La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire.
[16] Bon nombre de ces décisions, comme je l'ai dit, se fondent sur la relation existant entre les parties, critère qui a été déterminé comme étant absolument concluant. On y trouve peu d'indications claires quant à la nature de l'opération ou de la transaction elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour fédérale d'Australie dans l'affaire The Trustee for the Estate of the late AW Furse No 5 Will Trust v. FC of T, 91 ATC 4007/21 ATR 1123. À propos d'une loi semblable de ce pays, le juge Hill écrivait :
[TRADUCTION]
En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher en vertu du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention pertinente traitaient ensemble sans lien de dépendance relativement à cette convention. La seconde est de savoir si le montant du revenu imposable pertinent est supérieur au montant mentionné au paragraphe comme étant le “ montant correspondant au lien de dépendance ”.
On ne doit pas régler la première des deux questions uniquement en tranchant la question de savoir si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'insistance est plutôt mise sur la question de savoir si ces parties, relativement à la convention, traitaient ensemble sans lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, traiter ensemble sans lien de dépendance. Ce qui ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente par rapport à la question à trancher au regard du paragraphe [...] [Je souligne.]
[17] Le juge Bowman, de la C.C.I., a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, à la page 311 :
Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.
Le concept du lien de dépendance a évolué.
[18] En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 (entendue devant un tribunal appelé “ court of Sessions ”), les lords juges écossais examinaient un cas dans lequel les parties étaient dans une situation comportant un lien de dépendance. Ils formulaient des observations favorables sur l'approche adoptée par Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur disait que deux questions devaient être prises en considération relativement à la notion de “ lien de dépendance ”. Il s'agissait premièrement de savoir si une représentation distincte ou autre représentation professionnelle était possible pour chacune des parties et deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation qui nous occupe, s'il y avait “ présence ou absence d'une négociation de bonne foi ”.
[19] Aux États-Unis, la notion de “ lien de dépendance ” a été définie comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ; 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :
[TRADUCTION]
“ Une vente sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques contraires. ”
[20] J'ai analysé ces affaires dans Campbell and M.N.R. (96-2467(UI) et 96-2468(UI)) et les principes qui y sont énoncés. J'adhère à tout ce que j'ai dit dans cette affaire.
[21] En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes anglais “ dealing at arm's length ” (traiter avec quelqu'un sans lien de dépendance) est de donner un exemple. Disons que deux personnes, deux étrangers, qui font du commerce sur le marché négocient ensemble, l'une pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services, l'autre pour avoir le plus grand nombre possible ou la meilleure qualité possible de produits ou services; ces personnes, dirait-on, traitaient ensemble sans lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, agissaient dans l'intérêt sous-jacent d'une aide mutuelle ou d'une façon différente de celle dont on traiterait avec un étranger, ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs avoir sur le marché libre, ces personnes, dirait-on, ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance.
[22] Si la relation elle-même (encore là, il faut se rappeler que la version anglaise de la Loi ne dit pas “ where they are in a non arm's length relationship ”, soit le fait, pour deux parties, d'être dans une relation avec lien de dépendance; elle dit “ where they are not dealing with each other at arm's length ”, soit le fait pour deux parties de ne pas traiter ensemble sans lien de dépendance) est telle qu'une partie est sensiblement en mesure d'influencer l'autre ou d'exercer un contrôle ou un pouvoir sur l'autre ou que les deux parties ont une relation dans laquelle elles fonctionnent ou dirigent leur entreprise très étroitement, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, la Cour pourrait bien conclure, si elle ne dispose d'aucune preuve claire du contraire, que les parties ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. Cela ne signifie toutefois pas que les parties ne peuvent réfuter cette conclusion. On doit cependant à mon avis faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui sont dans ce qu'on pourrait appeler une “ relation avec lien de dépendance ” peuvent assurément traiter ensemble sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, s'associer et ainsi ne pas traiter ensemble sans lien de dépendance.
[23] En définitive, s'il y a un doute dans l'interprétation à donner à ces termes, je ne puis que me fonder sur les propos tenus par Mme le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S., à la p. 10 :
Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
[24] Au bout du compte, on en revient aux deux personnes, aux deux étrangers, qui font du commerce sur le marché. La question pertinente est de savoir si le même genre d'indépendance d'esprit, d'indépendance quant aux objectifs, d'intérêts économiques contraires et de négociations de bonne foi caractérisait les opérations en cause, comme on pourrait s'y attendre dans cette situation commerciale. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération ou de transaction qui a eu lieu, la Cour peut conclure que les parties traitaient ensemble sans lien de dépendance. Si un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.
Les faits
[25] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé n'ont guère été contestées, sauf certains faits fondamentaux particuliers, et elles sont énoncées dans les termes suivants dans la réponse à l'avis d'appel :
[TRADUCTION]
la payeuse exploite un champ d'exercice pour golfeurs et effectue la réparation et la vente au détail de bâtons de golf; (admis)
l'entreprise de la payeuse est de nature saisonnière; les activités commencent chaque année vers le début du mois d'avril et se terminent autour de la première semaine du mois d'octobre, selon les conditions météorologiques; (admis)
le travailleur, Terry Forman et Joan Kucher sont actionnaires à parts égales de la payeuse; (admis)
le travailleur et Terry Foreman sont les administrateurs de la payeuse; (admis)
les actionnaires de la payeuse ne sont pas liés entre eux; (admis)
les décisions relatives aux activités de l'entreprise sont prises par vote majoritaire des actionnaires; (admis)
le travailleur occupait le poste de gérant du club, de vendeur et de responsable de l'entretien, et ses fonctions consistaient notamment à fabriquer des bâtons de golf, à les réparer, à les ajuster et à en faire la vente ainsi qu'à assurer le service de vente et d'après-vente dans un champ d'entraînement ouvert au public; (admis, sauf que l'appelant soutient qu'il n'était pas le gérant)
en plus du travailleur, la payeuse employait six ou sept autres personnes; (admis)
le travailleur travaillait du lundi au vendredi de 8 h à 17 h et le samedi de 8 h à 15 h; (admis)
le travailleur s'acquittait de ses fonctions au lieu d'affaires de la payeuse; (admis)
le travailleur n'engageait aucune dépense dans l'exécution de ses fonctions; (admis)
le travailleur devait toucher un salaire mensuel de 2 500 $ payable une fois par mois; (admis)
le travailleur avait son mot à dire au sujet du salaire qu'il touchait; (admis dans une certaine mesure, mais l'appelant affirme que son salaire a été négocié puis fixé à la suite d'un vote majoritaire)
le travailleur n'était pas toujours payé pour les services qu'il rendait à la payeuse; (contesté)
le travailleur n'était pas toujours payé de façon régulière, il a par exemple souvent dû attendre plusieurs mois avant de toucher son salaire; (contesté)
les autres employés de la payeuse étaient payés régulièrement; (admis)
le travailleur a fourni des services à la payeuse en dehors des périodes en cause, sans rétribution; (contesté; l'appelant affirme qu'il a été payé pour tous les services qu'il a rendus)
les heures du travailleur n'étaient ni consignées ni contrôlées; (admis; la personne chargée de superviser les autres travailleurs n'était pas tenue de consigner les heures du travailleur)
les heures des autres employés étaient consignées ou contrôlées; (admis)
le travailleur n'a touché aucune rémunération pour les heures de travail supplémentaires car il était payé à salaire; (admis)
les autres employés de la payeuse ont touché une rémunération pour les heures de travail supplémentaires, le cas échéant; (admis)
lorsque le travailleur n'était pas au travail, les autres travailleurs s'occupaient des ventes et d'autres tâches générales se rapportant au champ d'exercice, mais aucun autre employé ne s'occupait du travail de réparation et de fabrication des bâtons de golf; (contesté; l'appelant soutient que d'autres travailleurs effectuaient exactement le même travail que lui)
le travailleur ne pouvait être congédié; (contesté, il soutient qu'il a en fait été congédié)
les autres employés de la payeuse pouvaient être congédiés; (admis)
le travailleur n'était pas supervisé dans l'exécution de ses fonctions; (contesté)
la relation de travail entre la payeuse et le travailleur n'était pas à peu près semblable à celle qui existait entre la payeuse et les autres employés; (contesté)
la payeuse et le travailleur avaient entre eux un lien de dépendance. (contesté)
[26] L'appelant a témoigné, ainsi que son épouse, Meryl Weatherby, dont il est séparé depuis un certain nombre d'années, et Ralph Schubert, un agent des appels de Revenu Canada.
[27] La preuve a révélé que l'appelant avait acquis une formation spécialisée en Ohio, qu'il était un fabriquant de bâtons de golf accrédité (classe A) et qu'il était capable de réparer des bâtons de golf et d'en effectuer l'entretien. Dans ce contexte, l'appelant et deux autres actionnaires à parts égales étaient les détenteurs des actions ordinaires de la compagnie qui exploitait le champ d'exercice en question. L'appelant a été engagé par la compagnie pour travailler au champ d'exercice pendant toutes les périodes pertinentes moyennant un salaire de 2 500 $ par mois. L'entreprise était saisonnière; elle fermait l'automne et rouvrait au printemps suivant. L'appelant touchait son salaire pour les mois au cours desquels l'entreprise était ouverte au public, et il ne travaillait pas pendant les mois d'hiver — il était mis en disponibilité.
[28] Il est clair que les actionnaires n'étaient pas des personnes liées entre elles au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu.
[29] Bien qu'il y eût eu trois actionnaires, la compagnie ne comptait que deux administrateurs, soit Terry Forman et l'appelant. À cet égard, les choses ne sont pas claires car des procès-verbaux de réunions des administrateurs indiquent la présence et la participation de la troisième actionnaire, Joan Kucher.
[30] Il est clair que l'appelant a touché son salaire tous les mois, de façon régulière. Les autres employés, sauf Terry Forman, étaient payés à l'heure. Le salaire de l'appelant a été établi initialement au cours d'une assemblée des actionnaires et, par la suite, chaque printemps au cours d'une réunion des administrateurs. Je suis convaincu, compte tenu de la preuve, que l'appelant n'a pas tout simplement déterminé son propre salaire, qu'il a dû négocier en réalité non seulement avec Terry Forman, mais aussi avec la troisième actionnaire, pour obtenir le salaire qu'il a touché. À mon avis, il s'agissait clairement d'une négociation mettant en présence des intérêts économiques divergents.
[31] L'appelant a témoigné que, au mois de mai 1998, il a été congédié par Terry Forman, qui n'était pas satisfait de son travail. Bien que l'on puisse se demander si, à titre d'administrateur et collègue, l'un des deux pouvait congédier l'autre, j'ai conclu, compte tenu de la preuve, que Terry Forman, qui semblait être davantage le gestionnaire des activités commerciales, avait beaucoup plus d'influence que l'appelant sur les questions d'organisation et d'exploitation de l'entreprise. Que cela soit le fait d'une étrange relation d'affaires avec la troisième actionnaire ou du handicap physique de l'appelant, on ne saurait le dire. Néanmoins, la preuve m'a parfaitement convaincu que l'appelant devait certainement se plier aux décisions commerciales de Terry Forman et qu'il a effectivement été congédié par ce dernier. Il ne pouvait certainement pas continuer à jouer le même rôle dans l'entreprise sans l'approbation de Terry Forman, laquelle a été retirée en mai 1998.
[32] Il n'y a eu aucune preuve que l'appelant n'a pas touché son salaire régulièrement et au moment prévu, ou qu'il l'a remis à la compagnie. Les hypothèses faites pour le compte du ministre à cet égard étaient à mon avis de pures conjectures et n'avaient aucun fondement.
[33] La preuve sur la question de savoir si l'appelant a travaillé pour la compagnie sans être payé en dehors de la saison régulière n'est pas claire. De toute évidence, en tant qu'administrateur et actionnaire, il avait intérêt à s'occuper des questions commerciales qui se posaient en dehors de la saison. Il y avait des choses à régler après la fermeture de l'entreprise à l'automne et d'autres choses à faire avant qu'elle rouvre au printemps suivant. Le travail de l'appelant était cependant lié aux activités de l'entreprise en saison : il devait répondre aux besoins du public. Je n'ai pu conclure à l'existence d'une preuve établissant que le travailleur avait effectué un travail de cette nature, c'est-à-dire répondre aux besoins du public, en dehors des mois au cours desquels il avait été payé. Il était sur les lieux soit pour des raisons commerciales, comme pour assister à des réunions des administrateurs, soit à des fins de planification ou relativement à des leçons qu'il donnait de sa propre initiative dans un collège de l'endroit, ce qui n'avait rien à voir avec la compagnie, à part le fait qu'il utilisait les lieux avec la permission de Terry Forman.
[34] La question de l'inscription de ses heures de travail a aussi été soulevée par le ministre. Honnêtement, il ne s'agit à mon avis que d'une tentative pour brouiller les pistes. L'appelant a été engagé pour travailler à titre de superviseur; il avait une formation et des connaissances spécialisées et il devait jouer un rôle clé dans l'exploitation quotidienne de l'entreprise. La décision de la compagnie de lui payer un salaire dans ce contexte paraît être tout à fait normale. Puisqu'il n'était pas payé à l'heure, qu'il était plutôt payé pour effectuer un travail, l'appelant n'avait pas à consigner ses heures.
[35] Enfin, le ministre a fait grand cas des formulaires remplis par l'appelant aux fins de sa demande de prestations. Initialement, l'appelant ne croyait pas avoir droit à des prestations d'assurance-chômage parce qu'il était actionnaire de la compagnie et que, pour cette raison, il ne pouvait en faire la demande. On l'a par la suite informé que tel n'était pas le cas. Nul doute que les formulaires, qui sont compliqués pour n'importe qui, l'étaient encore plus pour l'appelant. Je n'ai rien vu dans l'ensemble de la preuve portant sur cette question qui enlève quoi que ce soit au caractère légitime de la situation de l'appelant ou qui atténue de quelque façon que ce soit sa crédibilité.
Conclusion
[36] Je suis parfaitement convaincu, après avoir entendu tous les témoignages, que l'appelant était un témoin honnête et crédible. Son témoignage a été corroboré par celui de son épouse, dont il est séparé depuis quelque six ans, et qui était à mon avis elle aussi un témoin parfaitement crédible.
[37] Je suis tout à fait convaincu que l'appelant a dû négocier ses conditions de travail avec les autres actionnaires, qui avaient des intérêts économiques divergents, et en particulier avec son collègue administrateur Terry Forman, qui contrôlait certainement son travail, même s'il ne le supervisait pas directement, et qui l'a finalement congédié. Le salaire a été régulièrement payé et il n'était pas incompatible avec le travail effectué. L'appelant aurait pu être payé davantage ailleurs, mais, encore là, avec son handicap, il aurait peut-être été incapable de trouver un emploi semblable; il a donc accepté ce salaire. À cet égard, je n'ai aucun doute qu'il traitait avec la compagnie sans lien de dépendance, comme il l'a fait tout au long des périodes au cours desquelles il a travaillé pour celle-ci. Comme les personnes faisant du commerce sur le marché, que j'ai mentionnées précédemment, il a négocié le meilleur salaire possible dans les circonstances. Les intérêts de la compagnie différaient de ceux de l'appelant, qui ne pouvait certainement pas fixer son salaire lui-même. Il y avait au moins deux âmes dirigeantes à l'oeuvre.
[38] Enfin, s'il subsistait quelque doute que ce soit dans la présente affaire, j'adopterais les propos de Mme le juge Wilson, de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Abrahams c. P.G. Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, où, à la page 10, elle a dit ceci :
Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
[39] Quoique ces propos concernent l'interprétation du libellé d'une loi, et évidemment, bien qu'il incombe toujours à l'appelant d'établir les faits, ce point de vue a été cité avec une certaine approbation par la Cour d'appel fédérale. En fait, je n'ai aucun doute, car l'appelant m'a parfaitement convaincu, compte tenu de la preuve, qu'il traitait avec la compagnie sans lien de dépendance. À mon avis, son emploi était assurable.
[40] Il se peut, dans la présence affaire, que les représentants du ministre aient mal compris la situation de l'appelant, et je ne veux absolument pas dire que ce dernier devrait jouir d'un traitement spécial du fait de son handicap, mais je crois qu'il est regrettable qu'une personne handicapée comme l'appelant ait dû travailler si fort et pendant si longtemps pour obtenir les prestations auxquelles elle a clairement droit. Il serait peut-être du devoir du ministre de veiller à ce que, dans ce genre de situation, ses représentants fassent un effort supplémentaire pour bien comprendre la situation d'une personne avant de décider qu'elle ne peut toucher de prestations. De toute évidence, il est beaucoup plus difficile pour une personne dans la situation de l'appelant d'essayer d'obtenir les redressements habituels en appel et, pour cette seule raison, il faut faire preuve d'encore plus de diligence dès le début.
[41] En conséquence, l'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.
Signé à Calgary (Alberta), ce 19e jour de juillet 1999.
“ Michael H. Porter ”
J.S.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 5e jour de juin 2000.
Philippe Ducharme, réviseur