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Date: 19991103

Dossier: 98-2697-IT-I

ENTRE :

AYER'S CLIFF INVESTMENTS INTERNATIONAL INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P. R. Dussault, C.C.I.

[1] L'appel dont il s'agit est interjeté à l'encontre d'une cotisation pour l'année d'imposition 1994 de l'appelante. Cet appel a été entendu sous le régime de la procédure informelle de notre cour, et le représentant de l'appelante, M. Ari Wloski, a limité l'appel à 12 000 $ conformément à l'article 18.12 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, bien que le montant de l'impôt fédéral en cause soit supérieur à 12 000 $.

[2] Dans la cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) n'a pas admis la demande de déduction de frais de recherche scientifique et de développement expérimental ( « RSDE » ), ni la demande de crédit d'impôt à l'investissement ( « CII » ), et il a fait des ajustements connexes, sur la base des hypothèses de fait énoncées au paragraphe 4 de la réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ). Ce paragraphe se lit comme suit :

[TRADUCTION]

a) durant l'année d'imposition en cause, l'appelante était une société privée sous contrôle canadien;

b) l'exercice de l'appelante allait du 1er mai au 30 avril;

c) pour l'année d'imposition 1994, l'appelante a indiqué les montants suivants dans le calcul des frais de RSDE et de dépenses admissibles à un CII :

Détails Montants

Matières consommées 6 542 $

Sous-traitance 63 248 $

TOTAL 69 790 $

d) l'élément « sous-traitance » incluait une somme de 60 000 $, soit une rémunération payable à Ari Wloski, administrateur et seul actionnaire de l'appelante;

e) la somme mentionnée au paragraphe précédent n'a jamais été versée par l'appelante à Ari Wloski;

f) dans ses déclarations de revenu (T-1), Ari Wloski n'a jamais indiqué comme revenu la somme mentionnée à l'alinéa d);

g) après évaluation des projets à l'égard desquels l'appelante avait indiqué des frais de RSDE et un CII, notre scientifique est arrivée à la conclusion que les projets n'étaient pas admissibles comme projets de RSDE;

h) ainsi, pour l'année d'imposition en cause, le ministre n'a pas admis le montant suivant comme frais de RSDE :

Dépenses courantes

Matières consommées 6 542 $

Sous-traitance 63 248 $

Total partiel 69 790 $

Moins

Crédit d'impôt du Québec (25 021 $)

CII de l'année précédente (6 783 $)

Total des frais de RSDE refusés 37 986 $

i) pour l'année d'imposition en cause, le ministre n'a pas admis non plus le montant suivant comme dépenses admissibles à un CII et n'a en conséquence pas accordé à l'appelante le CII demandé :

Dépenses courantes

Matières consommées 6 542 $

Sous-traitance 63 248 $

Montant de remplacement visé par

règlement 65 680 $

Total partiel 135 470 $

Moins

Crédit d'impôt du Québec (25 021 $)

Dépenses non admissibles à un CII 110 449 $

Réduction du CII admissible:

110 449 $ X 35 % = 38 657 $

j) pour l'année d'imposition en cause, le ministre n'a pas admis la déduction de 60 000 $ demandée au titre de frais de RSDE, soit une rémunération qui était payable à Ari Wloski, administrateur et seul actionnaire de l'appelante, mais qui n'a jamais été versée par l'appelante;

k) pour l'année d'imposition en cause, les dépenses suivantes, qui avaient été indiquées comme frais de RSDE, ont été déduites des revenus généraux d'entreprise par le ministre :

Matières consommées 6 542 $

Sous-traitance 3 248 $

l) de plus, pour l'année d'imposition en cause, le ministre a ajouté aux revenus de l'appelante 6 783 $ au titre du CII obtenu pour l'année précédente.

[3] Selon le paragraphe 5 de la Réponse, il s'agit de savoir pour l'année en cause :

[TRADUCTION]

a) si les projets à l'égard desquels l'appelante a indiqué des frais de RSDE et un CII sont bel et bien admissibles comme projets de RSDE;

b) si le ministre était fondé à rejeter la demande de déduction de 60 000 $ au titre de frais de RSDE, soit une rémunération qui était payable à Ari Wloski, administrateur et seul actionnaire de l'appelante, mais qui n'a jamais été versée par l'appelante;

c) si le ministre était fondé à porter en déduction des revenus généraux d'entreprise les dépenses qui avaient été indiquées comme frais de RSDE;

d) si le ministre était fondé à ajouter aux revenus de l'appelante 6 783 $ au titre du CII obtenu pour l'année précédente;

e) si, dans la mesure où la Cour conclut que les projets à l'égard desquels l'appelante a indiqué des frais de RSDE et un CII sont bel et bien admissibles comme projets de RSDE, les calculs des frais de RSDE et de dépenses admissibles à un CII ont été correctement établis.

[4] Au début de l'audience, M. Wloski a admis que la somme de 60 000 $ indiquée comme rémunération payable à lui-même n'avait en fait jamais été versée. Selon le paragraphe 78(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), la somme est donc réputée ne pas avoir été engagée comme dépense au cours de l'année d'imposition 1994 de l'appelante.

[5] Les dépenses restantes à la base de la réclamation de l'appelante sont donc de 6 542 $ — matières consommées — et de 3 248 $ — sous-traitance.

[6] M. Ari Wloski et son épouse, Mme Jackie Wloski, ont témoigné pour l'appelante. Mme Hanna Karczewska, conseillère scientifique de Revenu Canada, et M. Christopher Bradley, vérificateur, ont témoigné pour l'intimée.

[7] D'après sa demande de déduction de frais au titre d'activités de RSDE exercées au Canada (pièce R-5, section 1.1), la compagnie appelante participe depuis 1987 à la « mise au point de systèmes de construction hautement efficaces et peu coûteux, principalement axés sur l'efficacité structurale et énergétique » . Dans le même document, le nom donné au projet pour l'année d'imposition 1994 de l'appelante est « La synthèse d'expériences relatives à des menuiseries de poutres-caissons enchevêtrées, plus un assembleur automatisé de composantes structurales (plate-forme mobile) » .

[8] D'après la description du projet qui a été produite avec le formulaire T661(E) rév. 94, l'objectif pour l'année d'imposition 1994 semble avoir été de mettre au point une menuiserie de poutres-caissons enchevêtrées faisant partie de la structure d'une maison avec les murs, le toit et les planchers, ainsi qu'un assembleur structural robotisé.

[9] En fait, un ouvrage expérimental — une maison — a été construit à Wentworth (Québec) en 1990-1991, soit un ouvrage utilisant un enchevêtrement de poutres-caissons en contreplaqué. Au cours de l'année d'imposition 1994, l'appelante aurait participé à un processus d'expérimentation à long terme des composantes structurales « en temps réel et à échelle réelle » , pour choisir le meilleur système de menuiserie et mettre au point un système d'assemblage robotisé afin de produire des poutres-caissons.

[10] Après que l'appelante eut produit sa demande, ainsi qu'un rapport de six pages décrivant de façon extrêmement générale le projet, l'objectif de celui-ci, l'avancement technologique visé, les incertitudes technologiques en cause et les travaux technologiques effectivement accomplis, on a demandé à l'appelante de fournir des renseignements plus techniques, comme l'exige le formulaire T661 (pièce R-5, section 1.2, lettre du 8 novembre 1995 et pièce jointe de Hanna Karczewska).

[11] Plus précisément, on a demandé à l'appelante de fournir de l'information technique sur les points suivants :

[TRADUCTION]

incertitudes technologiques réglées du 01-05-1993 au 30-04-1994;

travaux techniques effectués du 01-05-1993 au 30-04-1994;

documentation et rapports techniques établis entre le 01-05-1993 et le 30-04-1994;

liste des entrepreneurs et sous-traitants ayant exercé pour vous des activités de RSDE entre le 01-05-1993 et le 30-04-1994.

[12] Comme suite à cette demande, M. Ari Wloski a envoyé à Mme Karczewska une copie du même rapport que celui qui est mentionné au paragraphe 10 des présents motifs, avec un sommaire du projet à long terme de l'appelante (pièce R-5, section 1.3).

[13] Après une inspection sur place faite par Mme Karczewska elle-même et une inspection faite ensuite par un consultant externe de Revenu Canada, Mme Karczewska a établi un rapport en matière d'admissibilité, en date du 9 janvier 1996 (pièce R-5, section 1.4). Dans ce rapport, elle évaluait comme suit le projet de l'appelante :

[TRADUCTION]

Évaluation

La présente évaluation se fonde sur les éléments suivants : la description de projet fournie pour 1994, l'inspection sur place faite par moi-même le 30 septembre 1994, l'inspection faite par le consultant externe le 7 septembre 1995 et les rapports d'évaluation établis après chaque inspection sur place.

Le contribuable soutient que, en 1994, le travail relatif à l'expérimentation à long terme du système structural a été réalisé.

D'après l'information que j'ai obtenue lors de l'inspection sur place et d'après les rapports du consultant externe, il semble n'y avoir aucun nouvel élément de preuve établissant qu'un travail de développement expérimental systématique a été accompli par le contribuable en 1994 (voir le rapport du consultant externe).

Le contribuable n'a pas démontré que les essais ont été effectués dans le cadre de l'approche prévue, selon une hypothèse de départ qui a été confirmée par voie d'expérimentation ou d'analyse.

Aucune donnée particulière recueillie au cours de la période des essais ne m'a été présentée lors de mon inspection sur place ou n'a été présentée au consultant externe lors de sa propre inspection sur place.

Les échantillons de poutres-caissons ou du système de menuiserie ou encore l'enregistrement vidéo de la construction de la maison ne sont pas considérés comme des preuves d'un travail de développement expérimental systématique.

Le contribuable soutient que certains travaux ont été réalisés par l'Université McGill. Le contribuable n'a présenté aucune preuve établissant que le travail accompli par l'Université McGill a été accompli pour lui et qu'il a le droit d'exploiter les résultats de ce travail.

Pour ce qui est du système d'assemblage automatisé, il semble que seule une évaluation du meilleur système de menuiserie a été effectuée en 1994. Une telle évaluation ne constitue pas un processus de développement expérimental. Aucune preuve de travaux d'expérimentation n'a été présentée lors de chaque inspection sur place.

Me fondant sur l'information susmentionnée, je conclus que le travail allégué par le contribuable n'a pas le caractère d'un travail de développement expérimental.

À cet égard, ce projet ne répondait pas aux exigences du paragraphe 2900(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[14] En ce qui a trait au travail exécuté à l'Université McGill ( « McGill » ), on a récemment transmis à l'intimée un contrat de recherche entre McGill et M. Wloski lui-même et non la compagnie appelante. Une facture de 8 200 $ en date du 6 octobre 1993 faite par McGill à M. Wloski a également été fournie (pièce R-5, section 1.5). M. Wloski a produit un chèque du même montant, à l'ordre de McGill, signé par lui pour une compagnie appelée Planet Era Action Inc. ( « Planet Era » ). Ces documents concernent l' « expérimentation d'assemblages de poutres-caissons en bois » . Dans son témoignage, M. Wloski a dit que le travail réalisé à McGill avait été payé à l'aide d'une subvention que Planet Era avait obtenue de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Le montant de 8 200 $ n'a jamais été indiqué par l'appelante comme frais de RSDE et n'est pas en litige.

[15] Dans son témoignage, Mme Karczewska a dit qu'elle avait en fait vu deux rapports établis à McGill.

[16] Le premier rapport, qui s'intitule « Durabilité à long terme de poutres-caissons en bois » et qui est daté d'avril 1994, est un examen de documents techniques existants au sujet des effets de la moisissure et des champignons sur la durabilité du bois. Le deuxième rapport concerne les essais de flexion faits à McGill sur des échantillons d'assemblages de poutres-caissons en bois. Bien que des données aient été recueillies, Mme Karczewska a dit qu'elle ne pouvait déterminer le but précis dans lequel de telles données avaient été recueillies, car aucune hypothèse précise n'est énoncée dans le rapport. Elle a dit qu'elle ne pouvait rattacher ces essais au propre travail de l'appelante censément accompli au cours de l'année d'imposition 1994. Comme je l'ai dit au paragraphe 14 des présents motifs, le travail réalisé à McGill a été payé à l'aide d'une subvention obtenue par une autre compagnie et ne fait pas partie de la réclamation de l'appelante.

[17] Mme Karczewska a dit qu'un troisième rapport avait été envoyé à Revenu Canada par l'appelante. Il s'agit d'un rapport de Joe Deom Associates en date du 20 février 1997 intitulé « Système semi-automatisé d'assemblage de poutres-caissons et de panneaux — évaluation de faisabilité technique et analyse coûts-avantages du concept » (pièce R-5, section 1.6). Mme Karczewska a dit que ce rapport ne saurait corroborer le travail accompli par l'appelante au cours de son année d'imposition 1994 et elle convenait avec M. Wloski que, en fait, ce rapport n'avait pas vraiment été fourni à cette fin précise.

[18] De nombreux autres documents outre ceux qui ont déjà été mentionnés ont été envoyés au nom de l'appelante, principalement par M. Wloski (voir la pièce R-5). Le projet de l'appelante pour son année d'imposition 1994 a été examiné par différentes personnes à l'étape de l'opposition ainsi qu'à l'étape de l'appel, et tous les documents produits ont été examinés.

[19] Dans son rapport final, en date du 15 septembre 1999, Mme Karczewska dit ce qui suit, à la page 6 :

[TRADUCTION]

À mon avis, on a donné bien des occasions à l'appelante de présenter les documents requis et les preuves requises pour corroborer son travail.

L'appelante n'a pas présenté de documents établis à l'époque de la réalisation des travaux et qui devraient comprendre un énoncé d'hypothèse, une analyse du problème, des documents internes de conception et des dessins des spécimens d'essais, des documents relatifs à un banc d'essai, des données relatives aux essais et concernant les résultats des essais, des rapports d'étape, des livres ou registres de laboratoire, etc.

Comme l'appelante ne peut étayer sa demande de tels documents, sa demande ne répond pas aux exigences du paragraphe 2900(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu.

Puis elle dit :

[TRADUCTION]

Vu le manque de preuves requises pour étayer un projet de RSDE, je ne peux qu'assimiler à des activités ordinaires de construction les travaux réalisés par l'appelante, de même que sa demande de CII pour l'exercice 1994.

L'appelante n'a pas démontré que les travaux accomplis visaient :

à faire avancer les connaissances technologiques dans un domaine du génie civil;

à dissiper des incertitudes technologiques grâce à des activités comme des essais ou des analyses;

à mener une investigation systématique faisant appel à un personnel qualifié.

Comme il n'a été satisfait à aucun des trois critères, les activités indiquées par l'appelante sont considérées comme relevant de la construction ordinaire. Le travail de construction ordinaire ne répond pas à l'exigence du paragraphe 2900(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu.

[20] Dans son témoignage, Mme Karczewska a reconnu que de nombreux travaux avaient été accomplis, mais, encore une fois, elle a souligné le manque de preuves d'une investigation systématique menée durant l'année d'imposition 1994 de l'appelante.

[21] Après une journée complète d'audience et après avoir examiné tous les documents consignés en preuve, j'arrive à la même conclusion. De plus, rien n'indique quelles expériences particulières ont effectivement été menées par l'appelante en 1994, outre les travaux réalisés à McGill, qui, je le répète, ne sont pas en cause. Il n'y a rien non plus qui rattache les dépenses restantes de 9 790 $ constituant la base de la réclamation de l'appelante à des travaux effectivement accomplis cette année-là. J'ajouterais que des factures corroborant ces dépenses et établissant le lien avec la recherche qui aurait été effectuée n'ont jamais été produites. Outre le chèque de 8 200 $ à l'ordre de McGill mentionné précédemment, M. Wolski n'a présenté que deux autres chèques : un chèque de 65 $ à l'ordre de son épouse et un chèque de 81,91 $ à l'ordre de Club Price. Ces deux chèques sont tirés sur le compte de Planet Era.

[22] Le paragraphe 2900(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu définit essentiellement des activités de RSDE comme désignant « une investigation ou recherche systématique d'ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d'expérimentation ou d'analyse [...] » .

[23] Dans l'affaire RIS-Christie Ltd. v. The Queen, 99 DTC 5087, soit une décision de la Cour d'appel fédérale invoquée par l'avocate de l'intimée, il est dit ce qui suit au paragraphe 14 :

[14] Outre la création de nouveaux produits et procédés, la recherche scientifique implique l'existence d'expériences contrôlées avec mise à l'essai de modèles ou de prototypes. Le contribuable doit donc administrer la preuve des recherches scientifiques pour démontrer qu'elles ont été effectuées (avec les essais) et qu'il est de ce fait admissible aux encouragements fiscaux; voir par exemple Progressive Solutions Inc. c. R., 96 DTC 1232 (C.C.I.). Il doit faire la preuve non seulement que des essais ont été effectués, mais encore qu'ils ont été effectués de façon systématique. À mon avis, la condition que les recherches soient « systématiques » représente une norme plus rigoureuse que la simple condition que des recherches, essais y compris, soient entreprises.

[24] À partir de ce qui précède, je dois conclure qu'une telle preuve n'a pas été présentée par l'appelante. Donc, le ministre était fondé à établir la cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelante pour son année d'imposition 1994.

[25] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de novembre 1999.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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