Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980923

Dossier: 96-2133-UI; 96-2135-UI; 96-2136-UI

ENTRE :

THÉRÈSE BOUCHARD, DANIEL LANGLOIS, JEAN-CLAUDE LANGLOIS,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à La Malbaie (Québec) le 5 août 1998.

[2] Dans la première cause, il s’agit de l’appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre » ) en date du 27 août 1996, déterminant que l’emploi de Thérèse Bouchard chez 2955-0571 Québec inc. (la « payeuse » ) du 1er juin au 6 novembre 1993, du 25 décembre 1993 au 12 novembre 1994 et du 24 décembre 1994 au 29 octobre 1995, n’était pas assurable pour la raison suivante : « Le Ministre ... est convaincu qu’il est raisonnable de conclure que 2955-0571 Québec inc. n’aurait pas conclu un contrat de travail à peu près semblable avec vous, si vous n’aviez pas eu un lien de dépendance avec 2955-0571 Québec inc.

[3] Dans la deuxième cause, il s’agit de l’appel d’une décision du Ministre de même date déterminant que l’emploi de Daniel Langlois chez la payeuse du 21 juin au 24 octobre 1992, du 27 décembre 1992 au 6 novembre 1993, du 26 décembre 1993 au 12 novembre 1994 et du 26 décembre 1994 au 4 novembre 1995 n’était pas assurable pour la même raison.

[4] Dans la troisième cause, il s’agit de l’appel d’une décision du Ministre de même date déterminant que l’emploi de Jean-Claude Langlois chez la payeuse du 20 juin au 6 novembre 1993, du 23 décembre 1993 au 12 novembre 1994 et du 24 décembre 1994 au 29 octobre 1995 n’était pas assurable pour la même raison.

[5] Dans la première cause (Thérèse Bouchard), le paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel se lit ainsi :

« 5. En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) le payeur, la société « 2955-0571 Québec inc. » est une entreprise qui exploite deux auberges à Baie-Saint-Paul; (A)

b) les actionnaires de la société « 2955-0571 Québec inc. » sont MM. Jean-Claude Langlois et Daniel Langlois, ainsi que l’appelante; (A)

c) le capital-actions de la société « 2955-0571 Québec inc. » est détenu à part égale entre les actionnaires; (A)

d) monsieur Jean-Claude Langlois est le conjoint de l’appelante; (A)

e) monsieur Daniel Langlois est le fils de monsieur Jean-Claude Langlois et de l’appelante; (A)

f) le payeur exploite deux (2) auberges et offre les services suivants : (A)

i) hébergement

ii) repas (déjeuner et souper)

iii) salle de réception;

g) le payeur exploite l’entreprise à longueur d’année, mais la période de pointe annuelle se situe entre les mois de juin et octobre inclusivement; (N)

h) le payeur a été dûment constitué le 17 juin 1992; (A)

i) le chiffre d’affaires du payeur, à la fin des exercices financiers du 31 décembre 1993, 1994 et 1995, furent les suivants : (A)

1993 - 293 000 $

1994 - 348 000 $

1995 - 414 000 $;

j) pour les exercices financiers se terminant les 31 décembre 1993, 1994 et 1995, le payeur a dégagé les revenus nets suivants : (A)

1993 - 16 000 $

1994 - 47 000 $

1995 - 55 000 $

k) les tâches de l’appelante, pendant les périodes en litige, étaient les suivantes : (A)

i) préposée à l’accueil

- répondre au téléphone

- prendre des réservations

- accueillir les gens

- louer les chambres

- enregistrer les clients

- s’occuper de la caisse enregistreuse

- responsable du paiement de la location des chambres

- responsable du paiement des repas pris au restaurant

- donner des informations touristiques

(ii) gérance - service à la clientèle

- responsable des services aux chambres

- responsable de la publicité;

l) l’appelante travaillait journalièrement un quart de travail de huit (8) heures; (N)

m) l’appelante travaillait six (6) jours par semaine; (A)

n) l’appelante était rémunérée selon un taux hebdomadaire de 450 $, plus 4% de vacances; (A)

o) les heures travaillées de l’appelante n’étaient pas compilées, alors que celles des autres travailleurs (sans lien de dépendance) l’étaient; (N)

p) l’appelante, lorsqu’elle travaillait après les prétendues mises à pied annuelles, était rémunérée prétendument selon un taux horaire; (A)

q) après les prétendues mises à pied annuelles, l’appelante travaillait plus de quinze (15) heures dans la majorité des semaines jusqu’à ses prétendus retours annuels au travail à temps plein; (N)

r) l’appelante, après ses prétendues mises à pied annuelles rendait des services au payeur sans rétribution; (N)

s) l’appelante a reçu des prestations pendant les périodes suivantes : (A)

- 7 novembre 1993 au 21 mai 1994 (27 semaines)

- 13 novembre 1994 au 20 mai 1995 (24 semaines)

t) pendant que l’appelante était en Floride - du 6 novembre 1994 au 12 novembre 1994 - elle n’en continuait pas moins d’être inscrite sur les feuilles de paie du payeur; (N)

u) l’appelante est membre d’un groupe lié qui contrôle le payeur; (N)

v) l’appelante avait un lien de dépendance avec le payeur; (N)

w) seul un lien de dépendance peut expliquer les conditions de travail dont a bénéficié l’appelante. » (N)

[6] Dans la deuxième cause (Daniel Langlois), ce paragraphe 5 est au même effet sauf les modifications de concordance et sauf aussi qu’au sous-paragraphe k) le sous-sous-paragraphe ii) est remplacé par ce qui suit :

« tenue de livres et préparation de la paie »

et sauf également que le texte du sous-paragraphe s) n’est pas reproduit avec ce résultat que le dernier sous-paragraphe est le v).

[7] Dans la troisième cause (Jean-Claude Langlois), ce paragraphe 5 est au même effet sauf les modifications de concordance et sauf aussi qu’au sous-paragraphe k) le sous-sous-paragraphe ii) est remplacé par ce qui suit :

« préposé à l’entretien

- entretien des bâtisses »

et qu’un sous-sous-paragraphe iii) y est ajouté, le suivant :

« iii) gérance - administration

- embauche et mise à pied des employés

- l’établissement des horaires des employés

- achats des aliments et boissons; »

et sauf également que le texte du sous-paragraphe s) n’est pas reproduit avec le même résultat.

[8] Dans le texte qui précède des Réponses aux avis d’appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe les commentaires du procureur des appelants à l’ouverture de l’audience.

(A) = admis

(N) = nié

La preuve des appelants

Selon Daniel Langlois :

[9] Il a bien pris connaissance du rapport (pièce A-1) de l’agent des appels dans son cas.

[10] Il est vrai que ses parents ont acheté au départ une maison résidentielle appelée « Le Cormoran » et qu’ils l’ont ensuite transformée en auberge.

[11] Il est aussi vrai qu’il a ensuite décidé avec ses parents d’acheter le Domaine de la Belle Plage, une auberge en faillite située à 200 pieds du Cormoran : c’est ainsi « qu’il est entré dans le portrait » et c’est alors que la payeuse a été incorporée.

[12] Le Cormoran a ensuite été loué à la payeuse.

[13] Il s’agissait évidemment dans les deux cas d’entreprises touristiques du genre B & B (Bed & Breakfast) et il y avait dédoublement.

[14] Il a donc été décidé d’avoir une seule exploitation, les clients pouvant aller déjeuner aux deux endroits sans difficulté.

[15] La payeuse oeuvrait au cours de la saison touristique, aux fêtes ainsi qu’ensuite pendant les vacances des écoliers.

[16] Ils étaient vraiment trois au Conseil d’administration et ils se réunissaient officiellement à l’occasion pour décider des dates d’ouverture et de fermeture ainsi que des travaux à effectuer et des salaires à payer aux employés : « pour le surplus on s’en parlait à trois à tous les jours au besoin » .

[17] Les quarts de travail allaient généralement de 7 h à 15 h et de 15 h à 23 h.

[18] S’il y avait des problèmes, c’était le responsable à l’accueil qui y voyait.

[19] C’est le Conseil d’administration qui a reparti les tâches et ça n’a jamais changé beaucoup sauf de petits ajustements d’une année à l’autre.

[20] Il finissait son quart de travail à 15 h et ensuite il s’occupait des papiers, tranquille, pendant deux heures.

[21] Il gagnait 7 $ l’heure au poste d’accueil et 10,50 $ l’heure dans les papiers.

[22] Il n’a cependant pas donné cette ventilation de chiffres à l’enquêteur.

[23] L’historique de la paie (pièce A-2) fait bien voir les salaires versés par la payeuse.

[24] Avec la carte de crédit de la payeuse, il a acheté des choses pour celle-ci et il a aussi fait des voyages à Québec, pas spécialement par affaires.

[25] Pendant la période des rénovations, il est allé acheter des matériaux pour la payeuse et ce même s’il n’était pas rémunéré.

[26] Il a travaillé alors qu’il était « sur le chômage » à faire les paies, à payer des factures et à faire des chèques, la valeur de peut-être une journée par mois.

[27] Un tableau (pièce A-3) préparé par l’assurance-chômage fait bien voir des semaines de travail et celles de son chômage.

[28] Il lui arrivait aussi de faire un peu d’accueil même lorsqu’il était en chômage.

[29] Même si son horaire de travail ne correspondait pas toujours à celui de ses parents, il était quand même supervisé car ils se parlaient fréquemment.

[30] Ses parents avaient d’ailleurs intérêt à le surveiller et il y avait même des chicanes entres les trois actionnaires lorsque quelque chose n’allait pas.

[31] La payeuse payait bien le loyer à ses parents pour la location du Cormoran.

[32] Des fonctionnaires d’Emploi et Immigration Canada ont déjà trouvé son emploi assurable pour sa première période en litige (pièce A-4).

[33] Il en a été de même dans le cas de sa mère pour la première telle période (pièce A-5).

[34] Il en fut de même dans le cas de son père pour la première telle période (pièce A-6).

[35] Dans les trois cas, c’est l’article 3(1)a) de la Loi sur l’assurance-chômage (la « Loi » ) qui avait été invoqué.

[36] Il a aussi pris connaissance des rapports de l’agent des appels dans les cas de sa mère (pièce A-7) et de son père (pièce A-8).

[37] D’autres tableaux (pièces I-1 et I-2) préparés par l’assurance-chômage font voir les semaines de travail et celles de chômage de son père et de sa mère.

[38] C’est lui qui prépare les relevés d’emploi et les livres de paie de la payeuse : celle-ci emploie cependant un comptable pour « voir que tout est correct » et pour préparer les rapports d’impôt et les états financiers annuels.

[39] L’histoire du voyage en Floride est très simple : un employé a laissé le travail et les trois actionnaires se sont partagés son chiffre : ils ont ainsi accumulé des jours de travail qui leur ont alors été payés.

[40] Son père s’occupe de l’entretien quotidien, si une toilette coule par exemple, mais pour des travaux majeurs la payeuse a recours à des entrepreneurs spécialisés.

[41] C’est sa mère qui embauche les employés pour le service aux chambres.

[42] S’il y a peu de chambres louées, une femme de chambre peut oeuvrer aussi à l’accueil ou bien une préposée à l’accueil peut aussi faire une chambre ou deux.

[43] Un répondeur téléphonique achemine les appels chez ses parents ou chez lui lorsqu’il n’y a personne aux auberges car il faut toujours répondre rapidement pour ne pas perdre de clientèle.

[44] Le 10 juin 1992, les trois appelants ont bien emprunté (pièce I-3) pour la payeuse une somme de 20 000 $ en capital net auprès d’une caisse populaire.

[45] Il y eut d’autres emprunts de ce genre et les trois actionnaires ont pu également cautionner la payeuse.

[46] Les livres de paie (pièce I-4) font bien voir les salaires versés aux employés de la payeuse.

[47] Une liasse de factures de novembre et décembre 1993 (pièce I-5) fait voir qu’il en a signé plusieurs après sa mise à pied le 6 novembre 1993.

[48] C’était pendant les travaux de rénovation et pour rendre service, qu’il allait faire des achats à une quincailleries près de chez lui.

[49] Son père faisait de même d’ailleurs.

[50] Il a signé d’autres documents (pièce I-6) pour la payeuse en janvier 1994 dont 26 chèques.

[51] Il a signé plusieurs autres factures (pièces I-7) pour la payeuse en février 1994.

[52] Il en a signé plusieurs autres (pièces I-8) en mars 1994 ainsi qu’un « laissez-passer de ski » pour des clients de l’auberge.

[53] Il en est allé de même en avril et en mai 1994 et les liasses de factures (pièce I-9 et I-10) le font bien voir.

[54] Les travaux de rénovation pour lesquels toutes ces factures ont été émises se sont terminés avant juin 1994.

[55] Les chèques (pièce I-11) font voir qu’il en a signé plusieurs après sa mise à pied le 24 octobre 1992.

[56] Une liasse de factures (pièce I-12) fait voir qu’il y en eut plusieurs également qui ont été signées par son père en novembre et en décembre 1993 après sa mise à pied le 6 novembre 1993 : il s’agit surtout là encore de factures pour les travaux de rénovation.

[57] Il y en a d’autres (pièce I-13) en février, en mars et en avril 1994 alors que son père était bien sur le chômage.

[58] Une liasse de factures d’alimentation (pièce I-14) démontre qu’il y avait de l’activité dans les auberges en octobre, novembre et décembre 1993.

[59] D’autres factures (pièce I-15) sont signées par sa mère en novembre 1993 après sa mise à pied le 6 de ce mois.

[60] Des achats (pièce I-16) sont également signés par celle-ci après cette première mise à pied : parmi cette autre liasse, il y en a deux à l’occasion d’un voyage d’affaires à Québec le 29 novembre 1993.

[61] Des chèques (pièce I-17) sur le compte de la payeuse sont signés par son père et sa mère après le 6 novembre 1993.

[62] L’intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur des appelants :

[63] Le Ministre avait un pouvoir discrétionnaire à exercer et aux termes de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Procureur Général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96), il y a deux étapes à suivre : en effet dans cet arrêt l’honorable juge en chef écrit pour la Cour (page 23) :

« ...En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités. »

[64] Avec le rapport de l’agent des appels (pièce A-1), le Ministre n’avait pas grand choix car cet agent a vraiment exagéré et est même allé dans les ornières.

[65] Le voyage en Floride n’a aucun rapport avec l’assurabilité de l’emploi de ses clients.

[66] L’agent des appels a déformé les faits.

[67] Ses clients ne nient pas qu’il y a des gestes qu’ils n’auraient pas dû poser, mais ce n’est pas une raison suffisante pour leur refuser l’assurabilité de leur emploi.

[68] L’agent des appels fait grand état des factures signées hors les périodes en litige, mais il est évident que la date d’une facture ne correspond pas nécessairement à la date de l’achat.

[69] Les chèques également ne sont pas toujours préparés à la date qui y apparaît.

[70] Il y avait du contrôle car parfois ça « brassait » même entre les trois actionnaires.

[71] Il ne faut pas oublier qu’il y avait trois gérants qui se partageaient les tâches et qui se surveillaient.

[72] Thérèse Bouchard travaillait presque tout le temps aux auberges.

[73] Il valait mieux faire transférer les appels dans leurs maisons privées que d’ouvrir le commerce lorsqu’il n’y avait pas de clients.

[74] Si le simple fait de prendre des risques comme actionnaire bloque l’assurabilité de l’emploi, aucun actionnaire n’aurait droit au chômage.

[75] Ce n’est pas bien bien grave d’aller faire quelques achats à la quincaillerie du coin même lorsqu’on est sur le chômage.

[76] Dans le cas de Daniel Langlois, c’est prescrit pour la première période en litige à savoir du 21 juin au 24 octobre 1992 en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi, ce paragraphe se lisant ainsi :

« 43.(1) Nonobstant l’article 86 mais sous réserve du paragraphe (6), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible ou n’a pas reçu la somme d’argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire. »

[77] Dans Jencan (supra), l’honorable juge en chef de la Cour d’appel fédérale écrit aussi pour celle-ci (page 17) :

« La Cour de l’impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu’il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l’exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d’un facteur non pertinent. »

et (pages 18 et 19) :

« Une remarque s’impose. Bien que tous les intéressés, y compris le salarié et l’intimée, aient la possibilité de faire valoir leur point de vue devant un agent des appels de Revenu Canada avant que le ministre ne rende sa décision en vertu du paragraphe 61(3) de la Loi sur l’assurance-chômage, il ne leur est pas loisible de répondre aux éléments de preuve recueillis par l’agent des appels ou de faire valoir leur point de vue directement devant le ministre avant que celui-ci ne rende sa décision. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle le législateur a accordé aux prestataires le droit d’interjeter appel de plein droit de la décision du ministre en vertu de l’article 70. En appel, les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour rendre sa décision sont considérés comme des hypothèses ou des allégations de fait. Bien qu’il incombe au prestataire, qui est la partie qui interjette appel de la décision du ministre, de faire la preuve de ce qu’il avance, notre Cour a affirmé dans les termes les plus nets que le prestataire a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve lors de l’audience de la Cour de l’impôt pour contester les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé. »

[78] La Cour a plus d’éclairage que l’agent des appels en avait, la preuve ayant révélé de nouveaux éléments de preuve pour contester les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est basé.

[79] Dans Marcel Perreault et M.R.N. (93-1736(UI)), l’honorable juge en chef de notre Cour écrit (page 8) :

« J’ai toujours considéré que le témoignage sous serment d’un appelant dans un procès civil, comme celui d’un appel devant la Cour, constituait une preuve légale et que cette preuve était suffisante pour confirmer ses allégations à moins que le juge doute de son intégrité et ainsi de la validité de son témoignage ou qu’il soit contredit par une contre preuve. Évidemment, il appartient au juge qui préside au procès de déterminer si ce témoignage est digne de crédibilité ou non. Une telle conclusion est possible en observant le comportement du témoin, la façon dont il répond aux questions qui lui sont soumises. Le juge peut déceler assez rapidement s’il peut ou non croire un témoin. »

[80] Daniel Langlois est digne de crédibilité et il a très bien expliqué toute la situation à la Cour.

[81] Dans Ranjit Darbhanga et M.R.N. (A-259-94), l’honorable juge Pratte écrit pour la Cour d’appel fédérale (page 2) :

« a contract may be a contract of service even though the employer does not supervise the work of the employee if he actually has that right »

[82] Il est évident que le Conseil d’administration avait un pouvoir de contrôle sur les appelants.

[83] Dans The Attorney General of Canada and Gayle Hennick (A-328-94), l’honorable juge Desjardins écrit pour la Cour d’appel fédérale (page 5) :

« Besides, what is relevant is not so much the actual exercise of a control as the right to exercice a control. »

Selon la procureure de l'intimé :

[84] Il n’y a pas de prescription en matière d’assurabilité et elle soumettra à la Cour un jugement en ce sens; comme il est écrit au procès-verbal, le procureur des appelants pourra y répondre s’il y a lieu avant le 17 août 1998.

[85] La procureure de l’intimé a remis à la Cour le ou avant le 7 août 1997 et dit l’avoir transmise au procureur des appelants, une ordonnance de l’honorable juge suppléant Somers de notre Cour dans Nicole Poirier et M.R.N. (95-831(UI)). Il y est écrit (pages 2 et 3) :

« L’intimé soutient que cette Cour détient en tout temps la compétence pour statuer sur l’assurabilité d’un emploi d’une personne qui demande des prestations d’assurance-chômage et indépendamment des actions de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration, au surplus, l’intimé soumet que la Commission n’était pas hors délai lorsqu’elle a réexaminé la demande de prestations de l’appelante.

Le paragraphe 61(3) de la Loi sur l’assurance-chômage donne à la Commission le droit de demander au ministre du Revenu national qu’il fasse une détermination au sujet de l’assurabilité d’un emploi. Le délai n’est pas un facteur à considérer. La version anglaise de ce paragraphe de la Loi précise que cette demande peut être faite « at anytime » .

L’appel de cette decision est interjeté en vertu de l’article 70 de la Loi sur l’assurance-chômage et cette Cour a le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu’il est nécessaire de décider pour régler la question en vertu de l’article 71 de la Loi sur l’assurance-chômage.

Donc, la seule question dont cette Cour doit disposer est la justesse de la décision rendue par le ministre du Revenu national concernant l’assurabilité de l’appelante. Les délais ne sont pas un facteur à considérer. »

[86] Le procureur des appelants n’a pas répondu avant le 17 août 1998 : c’est dire qu’il a décidé qu’il n’y avait pas lieu de le faire.

Toujours selon la procureure de l'intimé :

[87] L’emploi est exclu et le Ministre a bien fait de ne pas le réinclure.

[88] Aux termes de l’arrêt Jencan (supra), il peut il est vrai y avoir deux étapes mais et comme il y a suffisamment de preuve en l’instance pour justifier la décision du Ministre, l’enquête doit être close et la Cour n’a pas à procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités.

[89] Les appelants ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve et deux d’entre eux n’ont pas témoigné même s’il y a trois rapports de l’agent des appels, un dans chaque cas.

[90] Le Ministre dit s’être basé sur des éléments de preuve à lui fournis par l’agent des appels et il y a de grandes lacunes dans la preuve à l’audience.

[91] Dans Lola Lévesque et al. et Martin Comeau et al. (1970) RCS 1010, l’honorable juge Pigeon écrit pour la majorité de la Cour Suprême du Canada (pages 1012 et 1013) :

« Ce n’est pas tout. L’expert de l’appelante Lola Levesque ne l’a examinée pour la première fois que plus d’un an après l’accident alors qu’elle avait dans l’intervalle consulté plusieurs médecins et subi divers examens. Elle seule était en mesure d’apporter au tribunal ces éléments de preuve et elle ne l’a pas fait. À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances, un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables ... »

[92] Daniel Langlois admet ne pas avoir dit à l’agent des appels la ventilation de son tarif horaire.

[93] En ces affaires sous étude, l’agent des appels a procédé par des questionnaires et il a rédigé son rapport en tenant compte des réponses reçues.

[94] Le voyage en Floride, c’est important, et ça prouve du cumul d’heures, ce qui n’est pas permis.

[95] Les nombreuses factures produites démontrent que beaucoup de travail a été fait alors que les appelants percevaient des prestations d’assurance-chômage et il est certain que des personnes non liées n’auraient pas agi ainsi.

[96] Les pièces A-3, I-1 et I-2 font bien voir que les périodes de chômage sont très importantes dans l’année des appelants.

[97] En 1993, à compter du 6 novembre, les trois actionnaires sont en chômage pour un certain temps.

[98] Il s’agit d’une entreprise de services et même si toutes les chambres ne sont pas louées il faut de la présence et de la gérance sur place en tout temps.

[99] Les trois actionnaires ont chacun leurs responsabilités et il n’y a aucun lien de subordination.

[100] Ils empruntent pour la payeuse et la cautionnent également.

Le Délibéré

[101] Dans une lettre du 5 janvier 1996, à Revenu Canada, à l’attention du chef de la Division des appels, Jean-Claude Langlois écrit entre autre :

« sans l’accessibilité à l’assurance-chômage, la Cie se devrait d’ajuster nos salaires sur une base annuelle par de fortes augmentations : ce qui équivaudrait à mettre la Cie en faillite compte tenu de la fragilité du domaine du tourisme ... »

[102] Cela établit bien son opinion sur l’assurance-chômage et se passe de commentaires.

[103] Le lien de dépendance existe et en conséquence de par la Loi les emplois étaient exclus au départ.

[104] Le Ministre pouvait les réinclure mais il ne l’a pas fait et la Cour a à décider s’il a bien agi ou non.

[105] Les appelants nient le sous-paragraphe g) précité, mais ils n’établissent pas le contraire et ce qui y est écrit est présumé vrai.

[106] Les appelants nient le sous-paragraphe l), mais dans le cas de l’appelante et de son mari, il n’y a aucune preuve à l’encontre.

[107] Daniel Langlois, lui, faisait plus que son quart de travail, mais cela ne change rien pour la conclusion ci-après.

[108] Les appelants nient le sous-paragraphe o) mais il a été établi que leurs heures travaillées n’étaient pas compilées.

[109] Ils admettent qu’après leurs prétendues mises à pied annuelles, ils étaient rémunérés prétendument selon un taux horaire.

[110] Ils nient qu’après leurs prétendues mises à pied annuelles, ils travaillaient plus de 15 heures dans la majorité des semaines jusqu’à leurs prétendus retours annuels au travail à plein temps mais la preuve documentaire est bien à l’effet qu’il en était ainsi.

[111] Ils nient aussi qu’après leurs prétendues mises à pied, ils rendaient des services à la payeuse sans rémunération mais l’ensemble de la preuve est à cet effet.

[112] Les trois appelants s’occupaient de l’accueil mais à part cela, ils avaient chacun des responsabilités bien particulières.

[113] Daniel Langlois dit que c’est le Conseil d’administration qui avait le contrôle mais le livre de ses procès verbaux n’a pas été produit et c’est pourtant les appelants qui avaient le fardeau de la preuve.

[114] Il aurait été intéressant de le consulter pour voir ce qui avait été décidé au niveau du contrôle.

[115] Daniel Langlois n’a pas donné la ventilation de son salaire aux enquêteurs mais cela ne change rien pour la conclusion ci-après.

[116] Daniel Langlois a utilisé la carte de crédit de la payeuse à ses fins personnelles et une personne non liée n’aurait certes pu le faire.

[117] Pendant les rénovations, il est allé faire de très nombreux achats sans être rémunéré : une personne non liée ne l’aurait certes pas fait non plus.

[118] Il en va de même pour les chèques qu’il signe et pour les paies qu’il fait alors qu’il est sur le chômage.

[119] Il faisait un peu d’accueil même lorsqu’il était prestataire d’assurance-chômage.

[120] Une chicane d’actionnaires à l’occasion ne veut pas nécessairement dire qu’il y a contrôle.

[121] Le Ministre peut toujours réviser les décisions des fonctionnaires d’Emploi et Immigration Canada car c’est lui qui a le dernier mot avant l’appel devant cette Cour.

[122] Les tableaux A-3, I-1 et I-2 font voir que les appelants se mettent longtemps à pied pour ensuite faire appel à l’assurance-chômage.

[123] Il n’y a pas de conclusion à tirer du répondeur téléphonique et du transfert des appels.

[124] Les appelants ont emprunté pour la payeuse et l’ont cautionné et des personnes non liées ne l’auraient certes pas fait.

[125] La preuve documentaire au niveau des factures signées par Daniel Langlois et par son père et sa mère alors qu’ils étaient sur le chômage est accablante.

[126] Elle l’est aussi quant aux chèques faits hors périodes.

[127] L’appelante a fait un voyage d’affaires à Québec après avoir été mise à pied.

[128] L’ensemble de la preuve est à l’effet qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve pour ne pas passer à la deuxième étape au sens de l’arrêt Jencan (supra); avec beaucoup de respect pour l’opinion contraire la Cour est d’avis que l’agent des appels a bien fait son devoir et qu’il a bien éclairé le Ministre comme il se devait de le faire.

[129] Le voyage en Floride a rapport à l’assurabilité car il fait voir qu’il y eut du cumul d’heures ce qui n’est pas permis.

[130] Le procureur des appelants admet qu’il y a des gestes que ses clients n’auraient pas dû poser et c’est un aveu de taille.

[131] La date sur une facture peut ne pas correspondre nécessairement à la date de l’achat mais le grand nombre de factures produites prouve hors de tout doute que des achats considérables ont été faits hors périodes.

[132] Il en va de même quand aux chèques faits aussi hors périodes.

[133] En assurance-chômage chaque cas est un cas d’espèce.

[134] L’ordonnance de l’honorable juge suppléant Somers dans l’affaire Poirier (supra) fait bien voir qu’il n’y a pas de prescription en matière d’assurabilité à des fins d’assurance-chômage.

[135] Le Ministre n’a pas agi de mauvaise foi ou dans le but ou un mobile illicite, il a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et il n’a pas tenu compte de facteurs non pertinents.

[136] Deux appelants sur trois ne sont même pas venus à la Cour pour présenter de nouveaux éléments de preuve et contester les hypothèses de fait sur lesquelles le Ministre s’est basé.

[137] Comme dans l’affaire Lévesque (supra), il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances, un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve seraient défavorables à la thèse des appelants.

[138] Daniel Langlois, lui, est venu témoigner, mais il n’a pu contester valablement les hypothèses de faits sur lesquelles le Ministre s’est fondé.

[139] Comme il est écrit dans Perreault (supra), il est vrai qu’un témoignage sous serment peut constituer une preuve légale mais encore faut-il que le témoin dise quelque chose de valable et de solide pour contrer la décision ministérielle entreprise.

[140] Les affaires Darbhanga (supra) etHennick (supra) établissent bien que le pouvoir de contrôle peut suffire mais en l’instance la meilleure preuve aurait été le livre des procès-verbaux de la payeuse et il n’a pas été produit : au surplus le contrôle n’est qu’un des éléments à considérer pour mettre fin à ce litige.

[141] La ventilation des heures travaillées et payées à Daniel Langlois est un fait nouveau que le Ministre ne pouvait considérer, ne le sachant pas mais cela ne peut évidemment suffire pour accueillir son appel.

[142] Les rapports de l’agent des appels font bien voir qu’il a procédé par des conversations téléphoniques et par des questionnaires et que les travailleurs lui ont même demandé un délai d’un mois pour lui faire parvenir les documents requis.

[143] Il est très étrange que les trois appelants qui exercent la gérance soient sur le chômage en même temps à un moment donné.

[144] Les trois appels doivent donc être rejetés et les trois décisions entreprises confirmées.

Signé à Laval (Québec) ce 23e jour de septembre 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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