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Date: 20000414

Dossier: 1999-4124-EI

ENTRE :

GEORGE YURIY IVANOV,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

BARTEL PROMOTIONS INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelant a interjeté appel contre une décision datée du 3 septembre 1999 du ministre du Revenu national (le “ ministre ”), décision selon laquelle l'appelant n'avait pas été employé en vertu d'un contrat de louage de services chez Bartel Promotions Inc. (“ Bartel ”) durant la période allant du 9 mars 1998 au 25 mai 1998.

[2] L'appelant, George Ivanov, a témoigné qu'il résidait à Coquitlam, en Colombie-Britannique, et qu'il travaillait comme représentant commercial. Il a déclaré qu'il comprenait le concept de l'entrepreneur indépendant qui réalise des bénéfices grâce à la majoration du prix des produits qu'il vend. Toutefois, selon l'appelant, quand il a brièvement travaillé pour Bartel, il était simplement un employé qui vendait des services interurbains fournis par AT & T Canada (“ AT & T ”). Avant d'être représentant de Bartel, il avait travaillé pour d'autres compagnies, en Russie, et, d'après lui, ce qui existait entre lui et Bartel n'était certainement pas une relation entre deux entreprises. L'appelant a déclaré qu'il se rendait chaque matin dans des locaux particuliers occupés par Bartel, où un groupe de représentants dirigés par des chefs d'équipe lui donnaient des instructions et lui apportaient leur soutien sur le plan de la motivation. Le travail consistait essentiellement à faire de la vente à domicile, c'est-à-dire, à se présenter sans préavis aux portes des maisons ou des appartements en vue de convaincre les gens d'utiliser les services interurbains d'AT & T. Un autre groupe de représentants, a ajouté M. Ivanov, faisaient aussi du porte-à-porte pour le compte de Bartel, vendant des billets pour divers événements, mais le groupe dont il faisait partie ne s'occupait que de la vente des services interurbains résidentiels. Il touchait une commission et était payé hebdomadairement par chèque; le montant des commissions sur les ventes était retenu pendant deux semaines. D'après l'appelant, les possibilités de réaliser un profit ou de subir une perte étaient minimes. Il considérait qu'il avait été engagé comme représentant. Il avait répondu à une annonce publiée dans un journal, s'était rendu à un bureau de Bartel et avait parlé à Frank Reindl. Après, il avait été présenté à David, un chef d'équipe, et ils étaient allés faire du porte-à-porte ensemble pour qu'il se rende compte du type de travail à faire. Il n'a pas été rémunéré pour cette journée. Le lendemain il a décidé qu'il voulait vendre le produit offert par l'entremise de Bartel. Il a signé un contrat nommé [TRADUCTION] “ Contrat du distributeur indépendant ”, qui a été déposé sous la cote A-1. Comme traitement, l'appelant touchait seulement une commission, soit 10 $ pour chaque demande de services interurbains signée par un client éventuel et 5 $ de plus dès que cette personne avait effectivement fait un appel interurbain par l'entremise des services d'AT & T. Pendant les premiers jours, David et lui ont fait du porte-à-porte ensemble, et David lui a appris comment conclure une vente et lui a donné des conseils. L'appelant a dit qu'il considérait les conseils de David comme une espèce de formation. L'appelant faisait partie d'un groupe de sept personnes, et il estimait qu'il n'aurait pas été faisable d'engager une autre personne pour l'aider ou pour faire son travail parce qu'il fallait avoir de l'expérience dans le domaine de la vente et, si la personne n'avait pas cette expérience, il aurait été nécessaire de la former pour faire le travail. En ce qui concerne les instruments de travail, l'appelant a dit qu'il utilisait son propre stylo pour remplir les formules de commande, et qu'il conduisait sa propre automobile pour se rendre dans les secteurs qui lui avaient été assignés. Il consultait les cartes que Bartel remettait aux représentants pour éviter que les mêmes domiciles soient visités plus d'une fois par les représentants qui travaillaient dans des quartiers voisins. L'appelant touchait une commission de 10 $ pour chaque demande de services remplie. L'appelant vérifiait les renseignements inscrits sur les formules, s'assurait qu'elles avaient été remplies correctement et les déposait dans une boite au bureau de Bartel. L'appelant devait payer ses dépenses d'automobile quand il se servait de son véhicule pour faire du démarchage, et aucune de ses dépenses ne lui était remboursée. Durant sa présentation à un utilisateur éventuel des services interurbains résidentiels, l'appelant mentionnait le nom d'AT & T, et, d'après sa compréhension, Bartel était l'agent d'AT & T. Les clients n'avaient rien à payer et ne prenaient aucune autre obligation en charge lorsqu'ils signaient une demande d'utilisation des services d'AT & T. Durant la période pendant laquelle l'appelant a vendu des services interurbains, Bartel avait, selon lui, deux bureaux situés dans des endroits différents. À chaque endroit, il y avait une pièce qui servait de salle de travail. Les représentants avaient accès à des téléphones et à un photocopieur. L'appelant devait parfois téléphoner à un client pour vérifier certains renseignements figurant sur une demande. Bartel fournissait des répertoires des codes postaux et des annuaires téléphoniques. En ce qui concerne l'encadrement des représentants, l'appelant a expliqué que les chefs d'équipe se réunissaient à 9 h 30 et que les représentants arrivaient à 9 h 45, assistaient jusqu'à 11 h ou 11 h 30 à un atelier d'information et de motivation présenté par les chefs d'équipe, puis allaient faire du porte-à-porte dans les secteurs qui leur avaient été assignés. L'appelant travaillait jusqu'à 21 h environ, et s'est rendu compte que le meilleur temps pour le démarchage était le soir. Il a remarqué que la plupart des ventes étaient conclues entre 16 h 30 et 19 h. Il retournait alors à un bureau de Bartel, arrivant vers 20 h, et procédait à la vérification des demandes avant de les remettre à Bartel pour qu'elles soient livrées à AT & T. Il a dit se rappeler qu'à deux occasions quelqu'un de chez AT & T avait assisté aux ateliers du matin pour observer comment on préparait les représentants en vue de faire du porte-à-porte pour la journée. Il travaillait aussi depuis le bureau de Bartel à Coquitlam et, s'il trouvait des personnes chez elles, il réussissait parfois à faire des ventes le matin. Il estime qu'à ce bureau-là il y avait quatre groupes de représentants, qui vendaient seulement des services interurbains d'AT & T. Il avait décidé de vendre ce produit plutôt que l'un des autres produits distribués par Bartel parce qu'il voulait travailler avec David, son chef d'équipe, originaire de la Géorgie, dans l'ex-URSS, avec qui il pouvait converser en Russe. Il a signé son contrat (pièce A-1) le 16 mars 1998, et a commencé à travailler ce jour-là et non le 9 mars 1998, date indiquée dans la décision du ministre. L'appelant était arrivé au Canada en janvier 1998, et bien qu'il ait été capable de parler et d'écrire en anglais, la notion de la distinction entre des employés et d'autres travailleurs ayant le statut d'entrepreneurs indépendants lui était étrangère. De plus, à cette époque-là, il ignorait tout du régime d'indemnisation des accidents du travail et des régimes d'assurance-emploi et ne connaissait pas les exigences en matière de salaire minimum. Cela étant, il n'avait eu aucune raison de se renseigner à ce sujet auprès de David. L'appelant a dit qu'il se considérait simplement comme un employé de Bartel. Il a décidé de démissionner, et en a informé David. Son dernier jour de travail a été le 28 mai 1998.

[3] Durant son contre-interrogatoire par l'avocat de l'intimé, l'appelant a dit que, même s'il était propriétaire de l'automobile qu'il utilisait pour vendre les services interurbains, Bartel fournissait des cartes et des feuilles de route sur lesquelles étaient inscrites les visites effectuées à certaines adresses et, le cas échéant, des observations. L'appelant pense que le nom d'AT & T Canada figurait sur le haut de la formule de demande de services. Les ventes étaient conclues au domicile des clients, et aucun bureau n'était réservé à l'appelant dans les locaux de Bartel. Il a témoigné qu'il n'aimait pas la manière dont les réunions de représentants, qui se tenaient le matin, se passaient, et il ne voulait pas y assister. David, à qui il avait demandé si sa présence était requise, lui avait répondu qu'il devait y assister, sinon il ne serait pas capable de conclure suffisamment de ventes. On ne l'a jamais menacé de licenciement s'il n'assistait pas aux réunions. Au bout d'une semaine, David ne l'accompagnait plus dans son démarchage, et il travaillait seul. L'appelant considérait, les ateliers du matin comme l'équivalent d'une évaluation du rendement puisque les représentants partageaient des renseignements et essayaient d'apprendre de ceux qui avaient beaucoup de succès. Bartel n'imposait aucune norme de rendement quotidien aux représentants, et l'appelant réalisait, en moyenne, dix ventes par jour. Quand l'avocat lui a dit qu'il aurait démissionné s'il n'avait conclu qu'une vente par jour, l'appelant a acquiescé. Il a aussi reconnu qu'il n'était pas autorisé à contracter de dettes ou d'obligations pour le compte de Bartel, mais a dit que cela était purement hypothétique puisqu'il n'en avait jamais eu l'occasion dans le cadre de ses activités de représentant. Certains jours, il ne réalisait aucune vente, et il ne calculait pas les frais d'utilisation de son automobile et ne considérait pas ceux-ci comme déductibles de son revenu.

[4] Au cours de son contre-interrogatoire par l'avocat de l'intervenante, l'appelant a dit qu'il ne se rappelait pas si David avait examiné le contrat déposé sous la cote A-1 ou soulevé la question des retenues à la source. Il avait parlé en russe à David en discutant de la situation relative au travail. L'avocat lui a présenté la liste de ses absences aux ateliers du matin, et l'appelant s'est dit surpris de constater qu'elles étaient si nombreuses. Certaines semaines, il l'a reconnu, il assistait aux ateliers une seule fois, et d'autres semaines, pas du tout. Il pensait que la présence aux ateliers était obligatoire, mais croyait aussi que, la plupart du temps, il avait respecté cette exigence. Il a également reconnu qu'en arrivant tôt aux réunions des représentants, il lui était peut-être possible de choisir pour la journée un secteur situé plus près de sa résidence. Il touchait seulement une commission sur ses ventes, et avec son chèque il recevait une fiche indiquant le nombre de ventes réalisées durant la période précédente. Sa rémunération ne faisait l'objet d'aucune retenue à la source. Quant à savoir s'il avait déduit les frais d'automobile de son revenu en remplissant sa déclaration de revenus, il était à peu près sûr que non. C'est chez Bartel que l'appelant avait travaillé pour la première fois après être arrivé au Canada, mais il avait acquis de l'expérience dans la vente à Moscou, où il avait travaillé comme gérant de projet pour une compagnie qui vendait des produits. Quand il vendait les services interurbains d'AT & T, il a travaillé certains samedis, parce qu'il était plus facile alors de trouver les gens chez eux. Il était au courant d'un code de déontologie (pièce I-1) qu'on lui avait remis, et il avait signé un accusé réception.

[5] David Siradze a témoigné qu'il résidait à North Vancouver (Colombie-Britannique), et qu'en mars 1998 il travaillait chez Bartel dans des circonstances où il se considérait comme un entrepreneur indépendant. Il a dit que c'était lui le nommé David dont l'appelant parlait dans son témoignage et qu'il avait rencontré George Yuriy Ivanov pour la première fois le 15 mars 1998. Il a fait du porte-à-porte en compagnie de M. Ivanov pour lui montrer comment vendre le produit d'AT & T. Le lendemain, M. Ivanov a indiqué qu'il voulait vendre les services interurbains, et il a signé le contrat déposé sous la cote A-1. M. Siradze a examiné sommairement ce document avec M. Ivanov, et lui a expliqué la méthode de rémunération. Il ne se souvenait d'aucune discussion sur des questions telles que l'impôt sur le revenu et les cotisations au régime d'assurance-emploi ou au régime d'indemnisation des accidents du travail. Toutefois, il s'est souvenu avoir dit à l'appelant que chaque représentant exploitait sa propre entreprise. Ils avaient conversé tant en anglais qu'en russe. M. Siradze a dit qu'il remplissait les fonctions de chef d'équipe — sans salaire supplémentaire — et que l'appelant faisait partie de son équipe. Les trois ou quatre premiers jours, il avait accompagné M. Ivanov quand il faisait son démarchage. Les premiers temps, l'appelant se rendait chaque jour à l'un des bureaux de Bartel, mais par la suite, il avait fait savoir qu'il ne voulait entrer au bureau que pour remettre les formules de demande de services qu'il avait fait signer durant la journée.

[6] Dans son contre-interrogatoire par l'appelant, M. Siradze a dit qu'il avait toujours cru que Bartel exigeait la présence des représentants aux réunions du matin. Il était aussi au courant du fait que l'on tenait un registre des présences, mais il pensait qu'AT & T exigeait ces renseignements parce qu'ils lui permettaient de savoir combien de représentants travaillaient durant une journée donnée. Ils permettaient également de déterminer quel représentant travaillait dans un secteur donné. M. Siradze a indiqué que les représentants pouvaient téléphoner au bureau de Bartel le matin et demander qu'on leur assigne un secteur en particulier pour la journée. M. Siradze visitait lui-même de 100 à 120 résidences par jour dans le cadre de son travail. Les cartes sur lesquelles étaient indiquées les limites des secteurs avaient été faites par un des employés de bureau de Bartel en fonction des codes postaux.

[7] Frank Reindl a témoigné qu'il travaille à son compte en ce sens qu'il est le président et l'unique actionnaire de Bartel Promotions Inc. Bartel vendait des services interurbains à des clients résidentiels comme intermédiaire d'AT & T. La vente se faisait par démarchage ou lors d'événements spéciaux dans des centres commerciaux ou des stades. Il a dit avoir signé au nom de Bartel le contrat déposé sous la cote A-1. M. Ivanov avait répondu à une annonce de Bartel, et M. Reindl l'avait rencontré le 14 mars 1998. M. Reindl lui avait expliqué la nature de l'entreprise, et savait que M. Ivanov parlait aussi le russe. Il avait indiqué à ce dernier qu'aucune décision ne serait prise avant qu'il ait passé une journée, sans rémunération, avec David Siradze pour se familiariser avec l'entreprise. Le 15 mars 1998, M. Siradze a emmené M. Ivanov faire du porte-à-porte avec lui. M. Reindl a rencontré l'appelant de nouveau le 15 mars 1998, au cours de la soirée, et ils ont discuté de la journée qu'il venait de passer avec David. M. Reindl a expliqué à l'appelant la méthode de rémunération, et a indiqué qu'il lui serait nécessaire de travailler avec un représentant expérimenté pendant les premiers jours. Il n'a pas passé en revue le contenu de la pièce A-1 avec l'appelant; il savait que David Siradze lui en avait parlé et qu'en outre celui-ci montrerait à l'appelant des techniques de vente efficaces. Cependant, il pense avoir dit à M. Ivanov qu'aucun salaire minimum ne serait versé. Quand il a signé le contrat, M. Ivanov a aussi signé un accusé réception du code de déontologie. Bartel tenait des réunions le matin et s'attendait à ce que les représentants qui faisaient leurs premières armes soient présents pour qu'ils apprennent la méthode de vente, obtiennent les cartes des secteurs et discutent des plaintes que Bartel pouvait avoir reçues de particuliers visités par un représentant. En outre, les représentants devaient être informés des nouveaux renseignements donnés par AT & T, notamment en ce qui concerne les changements de tarifs, et de tout changement dans la nature de la campagne de vente dans son ensemble. Chaque matin, à 11 h, on félicitait les représentants qui avaient réalisé le plus grand nombre de ventes la veille, et les nouveaux représentants étaient présentés au groupe. Les présences aux réunions du matin étaient inscrites dans un registre, mais cette information était destinée surtout à AT & T. Après le 15 avril 1998, l'appelant assistait rarement aux réunions du matin, et se présentait à un bureau de Bartel simplement pour remettre des demandes de services remplies ou prendre son chèque. Les secteurs de vente sont tracés sur une grille couvrant la majeure partie du Lower Mainland, leurs limites étant établis en fonction des codes postaux. Certains représentants, qui n'avaient pas d'automobile, se servaient du transport en commun pour se rendre dans leur secteur, et, par conséquent, choisissaient les secteurs qui étaient plus accessibles par ce moyen de transport. Il n'y avait aucun horaire fixe de travail, et les dépenses n'étaient pas remboursées. Chaque équipe de vente choisissait elle-même son chef d'équipe.

[8] L'appelant et l'avocat de l'intimé ont tous les deux choisi de ne pas contre-interroger M. Reindl.

[9] Selon la position adoptée par l'appelant, lorsqu'on applique les critères établis dans la jurisprudence, il est clair qu'il était un employé de Bartel. À son avis, il était simplement un représentant qui touchait une commission.

[10] L'avocat de l'intimé a soutenu que la décision du ministre était bien fondée et qu'elle devrait être confirmée, étant donné que, selon les critères habituels, peu de contrôle était exercé sur les activités professionnelles de l'appelant. En outre, l'appelant utilisait sa propre automobile pour faire des ventes, ses dépenses ne lui étaient pas remboursées et son travail n'était pas intégré dans l'entreprise de Bartel.

[11] L'avocat de l'intervenante a fait valoir que des décisions antérieures de la Cour canadienne de l'impôt s'appliquaient à la situation de l'appelant, et qu'il ressortait de la preuve que l'appelant n'était pas une personne qui avait fourni des services à Bartel en vertu d'un contrat de louage de services.

[12] Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a donné son aval à un examen de la preuve à la lumière des critères énoncés ci-dessous, mais a souligné que ces critères doivent être considérés comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Les critères dont il s'agit sont les suivants :

1. Le critère du contrôle;

2. La propriété des instruments de travail;

3. Les chances de bénéfice et les risques de perte;

4. Le critère de l'intégration.

[13] Dans la décision 740944 Alberta Ltd. v. M.N.R., inédite, 1999-1868(EI) – 1999-1869(CPP), le juge suppléant Porter, C.C.I. s'est penché sur le cas d'un particulier qui avait vendu des services interurbains pour une entreprise de commercialisation dont la compagnie à dénomination numérique était la propriétaire. Dans cette affaire, le ministre avait rendu une décision selon laquelle le travailleur avait été un employé qui exerçait un emploi qui était assurable et qui ouvrait droit à une pension. Dans la décision 740944, le juge Porter a conclu que le travailleur n'avait pas fourni des services en vertu d'un contrat de louage de services et qu'il avait été plutôt un entrepreneur indépendant. Voici certains des points dont le juge Porter a tenu compte dans son analyse :

-                      il ressortait du contrat conclu entre le travailleur et la compagnie que, dans l'esprit des deux parties, le travailleur serait un entrepreneur indépendant et, puisqu'il n'existait pas de preuve établissant clairement que cela se passait autrement dans le cadre de la relation de travail, il fallait respecter l'intention qu'avaient les parties lors de la signature;

- si les représentants voulaient réussir, ils avaient intérêt à assister aux réunions des représentants où ils pouvaient être informés des nouveautés concernant tant les programmes que les services à vendre;

- les représentants pouvaient choisir leur secteur de vente et pouvaient travailler ou ne pas travailler une journée donnée, à leur guise;

- les représentants n'étaient pas tenus d'être présents au bureau à un moment déterminé;

- quand ils faisaient du porte-à-porte, les représentants payaient eux-mêmes leurs frais de transport;

- ils pouvaient réaliser des profits s'ils organisaient efficacement leurs affaires, et risquaient de subir des pertes s'ils engageaient des dépenses mais ne faisaient pas de ventes et ne touchaient donc pas de commissions;

- les représentants ne faisaient pas partie intégrante de l'entreprise de la société appelante en ce sens qu'ils pouvaient travailler pour d'autres organismes à la condition d'offrir exclusivement les services interurbains d'AT & T aux clients éventuels;

- chaque représentant exploitait sa propre mini-entreprise et le faisait de la façon qu'il jugeait appropriée.

Le contrôle :

[14] Si je reviens à l'affaire Wiebe, précitée, et aux critères susmentionnés, il est clair que l'appelant savait que, selon les termes du contrat qu'il allait conclure avec Bartel, il lui serait permis de vendre certains produits, dont les services interurbains fournis par AT & T. L'appelant a choisi de vendre ce produit en particulier plutôt que les autres produits offerts par l'entremise de Bartel, et a accompagné David Siradze pendant une journée pour observer la méthode de vente. Il savait très bien que sa rémunération consisterait uniquement dans le paiement d'un montant déterminé pour chaque demande de services remise à Bartel, et qu'il avait la possibilité de recevoir une prime de 5 $ si le client commençait à utiliser les services interurbains. Au début, il assistait aux réunions des représentants qui se tenaient le matin, mais il a décidé qu'elles ne répondaient pas à ses besoins et y a été peu souvent présent jusqu'au 15 avril 1998; après cette date, il se rendait au bureau de Bartel seulement pour remettre des formules de demande de services remplies ou prendre son chèque. Ses absences aux réunions n'avaient pas donné lieu à des mesures disciplinaires de la part de Bartel, mais on l'avait exhorté à tirer parti des ressources collectives du groupe qui assistait aux réunions, afin de s'aider à devenir meilleur représentant. Bartel ne faisait aucune évaluation du rendement par l'intermédiaire de ses gestionnaires. Les chefs d'équipe étaient choisis par les membres de l'équipe, et ne recevaient aucune rémunération de Bartel pour l'exercice de cette fonction. L'appelant pouvait choisir un secteur de vente qui lui permettait de mieux répondre à ses besoins et de réduire les frais de déplacement entre sa résidence et le secteur où il travaillait. Il lui était permis de fixer lui-même ses jours et ses heures de travail, et, avec le temps, il en est venu à préférer travailler les samedis ou durant certaines heures où il était plus probable que les sens seraient chez eux. Il pouvait prendre des journées de congé ou s'absenter pendant quelques heures sans en demander la permission, et il aurait pu, pendant ce temps-là, vendre un autre produit dans un autre secteur, même dans un secteur où il avait tenté quelques jours auparavant de vendre les services interurbains d'AT & T. Il lui était seulement défendu de vendre les services interurbains offerts par des concurrents d'AT & T, et même cette restriction n'était pas énoncée dans le contrat (pièce A-1) ou dans le code de déontologie (pièce I-1). Toutefois, il est juste de dire qu'il était manifestement entendu entre les deux parties que la restriction existait. L'appelant pouvait élaborer ses propres présentations et techniques de vente pourvu qu'elles soient conformes au code de déontologie. Ce n'était peut-être pas utile de le faire, mais il ne lui était pas défendu d'embaucher un adjoint ou un remplaçant ou de s'associer à un autre représentant dans une coentreprise.

Les instruments de travail :

[15] L'appelant utilisait son propre stylo et son propre bloc-notes. Bartel fournissait des annuaires téléphoniques et des répertoires des codes postaux que les représentants consultaient pour vérifier les renseignements inscrits sur les formules de demande de services. De plus, Bartel distribuait des cartes sur lesquelles certains secteurs de vente avaient été délimités en fonction de certains codes postaux. Le principal instrument de travail de l'appelant était sa propre automobile qu'il utilisait dans le cadre de ses activités de vente, et ses frais pour cette utilisation ne lui étaient pas remboursés par Bartel.

Les chances de bénéfice et le risque de perte :

[16] Les représentants avaient la possibilité de réaliser un profit s'ils organisaient efficacement leurs affaires, et s'ils visitaient un nombre suffisant de clients pour produire un revenu. Toutefois, la commission et la prime étaient fixées selon la grille établie par Bartel. Il y avait risque de perte les jours où, selon le témoignage de l'appelant, il engageait des frais d'automobile ainsi que d'autres dépenses liées au fait de se trouver dans un secteur de vente, mais ne réalisait aucune vente.

L'intégration :

[17] Ce critère est l'un des plus difficiles à appliquer. Aux pages 563 et 564 (C.T.C. : à la page 206) de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge MacGuigan, a dit :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'“employé” et non de celui de l'“employeur”. En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question “À qui appartient l'entreprise”.

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[18] Dans l'affaire Charbonneau c. M.R.N., [1996] A.C.F. no 1337, la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si un opérateur de débusqueuse était un employé ou un entrepreneur indépendant. Le jugement de la Cour d'appel a été rendu par le juge Décary qui a dit à la page 1 :

Contrat de travail ou contrat d'entreprise? Telle est, une fois de plus, la question qui se pose dans ce dossier où il s'agit de déterminer si l'intimé, propriétaire et opérateur d'une débusqueuse, exerçait un emploi assurable aux fins de l'application de l'alinéa 3(1)a de la Loi sur l'assurance-chômage.

Deux observations préliminaires s'imposent.

Les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., à savoir d'une part le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et d'autre part l'intégration, ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utiles de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail (art. 2085 du Code civil du Québec) ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 dudit Code). En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier: à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives, le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

Lorsque le juge de la Cour canadienne de l'impôt a accueilli en l'espèce les appels de l'intimé et conclu que le contrat en était un de travail, il est tombé selon nous dans le piège d'une analyse par trop mathématique des critères de Wiebe Door, ce qui l'a amené à s'écarter à tort de la solution retenue par cette Cour dans Procureur général du Canada c. Rousselle et al et maintenue dans Procureur général du Canada c. Vaillancourt.

Le payeur, ici, était une entreprise d'exploitation forestière. Il confiait à des équipes formées de deux personnes - un abatteur, qui coupait les arbres et un opérateur de débusqueuse, qui les ramassait et les transportait au bord d'un chemin forestier - le travail d'abattre et ramener du bois. L'intimé était propriétaire de la débusqueuse, une pièce de machinerie lourde évaluée à quelque 15 000 $ dont il assumait les coûts d'entretien et de réparation. Il avait lui-même recruté l'abatteur avec lequel il formait équipe. Lui-même et l'abatteur étaient payés au volume, en fonction du nombre de mètres cubes de bois abattu, et aucun volume n'était prescrit par le contrat; ce volume était mesuré aux deux semaines par un "mesureur" à l'emploi du payeur.

Au moment de la signature du contrat, l'intimé se voyait remettre "une liste et condition des jours fériés", laquelle, selon la preuve, était basée sur les normes provinciales de travail. Il se voyait remettre, aussi, un document contenant les "règlements internes des travailleurs en forêt", lesquels, selon le témoignage d'un représentant du payeur, reflétaient les exigences du ministère québécois des Ressources naturelles. En annexe à ce règlement, se trouvaient des "règles générales", c'est-à-dire une liste de détails techniques relatifs à la coupe des arbres, ainsi que les "normes minimales de protection des forêts contre le feu" imposées par la Société de conservation de l'Outaouais.

L'intimé travaillait quelque trente-deux heures par semaine et sa période quotidienne de travail se situait généralement, mais pas nécessairement, à l'intérieur de la période proposée dans les règlements internes, soit entre 7h30 et 16 heures. Un contremaître à l'emploi du payeur s'assurait aux deux jours que l'équipe de l'intimé abattait bien les arbres précédemment identifiés par le payeur. Le mode de paiement était le suivant: le quart de la somme due à l'équipe était payé à l'intimé, le quart, à l'abatteur et la moitié à l'intimé pour l'utilisation de la débusqueuse. Trois chèques étaient donc émis aux quinze jours par le payeur. Le coût du transport de la débusqueuse, en début et fin de saison, était assumé par l'intimé; en cas de changement de territoire en cours de saison, il l'était par le payeur.

Quand on regarde le portrait d'ensemble, il est bien évident qu'il s'agit à prime abord d'un contrat d'entreprise. La propriété de la débusqueuse, le choix du coéquipier, le paiement en fonction d'un volume non défini, l'autonomie de l'équipe sont des éléments déterminants qui, dans le contexte, ne peuvent être associés qu'à un contrat d'entreprise.

[19] Suivant le conseil de ne pas perdre de vue la forêt, j'aborde de nouveau la question de l'intégration, une des quatre parties intégrantes du critère unique appliqué dans le contexte de l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Si j'envisage la question du point de vue de l'appelant, il allait — comme tous les représentants commerciaux depuis cent ans — à la rencontre du public, cherchant à faire bonne impression pour gagner ce qu'il pouvait en commissions et payant ses propres dépenses. Il pouvait quitter le secteur de vente quand bon lui semblait, et s'y rendre quand il voulait se remettre à faire de la vente. Quant à Bartel, elle était une entreprise de promotion qui s'occupait de la commercialisation de divers produits qu'elle vendait à différents endroits au moyen de diverses stratégies de vente, notamment la vente en consignation par des représentants. S'il s'était écoulé une longue période sans que l'appelant ne réalise de ventes, il n'y aurait guère eu d'utilité à lui donner un secteur de vente alors qu'un autre représentant aurait pu être plus productif. Compte tenu des circonstances de sa relation de travail avec Bartel, l'appelant était simplement accessoire et n'avait pas été intégré dans l'organisation de Bartel. L'appelant était évidemment du même avis puisque, lorsqu'il a décidé de partir, il a simplement informé David Siradze de son intention, puis a démissionné pour ne jamais revenir. On ne s'attendrait pas à un tel comportement de la part d'une personne qui exerce une fonction intégrée aux activités de son employeur.

[20] Quant à l'effet à donner au contrat (pièce A-1), il est clair que ce que les parties pensaient être la nature de leur relation ne changera pas la réalité. Dans Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992, le juge Stone a dit ce qui suit à la page 2 (147 N.R. 238, aux pages 239 et 240) :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]

[21] Cependant, il importe d'examiner si, au cours de leur relation, les parties se sont comportées comme leur contrat le prévoyait ou s'il ressort d'un examen objectif que le document censé établir certaines obligations contractuelles mutuelles est inconciliable avec la conduite observée des parties et ou représente simplement un instrument servant à revêtir d'une apparence entrepreneuriale une situation où il s'agit de toute évidence d'un emploi. En l'espèce, l'interprétation donnée par l'appelant, après le fait, de son comportement durant la courte période pendant laquelle il a travaillé comme représentant de Bartel, et des motifs de ce comportement, n'est pas étayée par d'autre preuve. Il n'a pas eu le comportement de quelqu'un qui, à l'époque, croyait qu'il était un employé qui pouvait réellement faire l'objet d'une évaluation du rendement, de mesures disciplinaires et de contrôle.

[22] Compte tenu de toute la preuve, je conclus que l'appelant n'exerçait pas un emploi assurable chez Bartel en vertu d'un contrat de louage de services durant la période qui, d'après la preuve, a débuté le 16 mars 1998 et s'est terminée le 25 mai 1998. À l'exception de cette modification, la décision du ministre est bien fondée.

[23] L'appel est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique) ce 14e jour d'avril 2000.

“ D.W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de septembre 2000.

Erich Klein, réviseur

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