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Date: 19980814

Dossier: 97-996-UI

ENTRE :

CLERMONT BOURGET,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SIGMA INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 14 juillet 1998.

[2] Il s'agit d'un appel de décisions du ministre du Revenu national (le « Ministre » ), en date du 9 mai 1997, déterminant que l'emploi de l'appelant chez Société d'Intervention et de Gestion des Milieux Anciens (SIGMA) Inc., la payeuse, du 2 août au 31 décembre 1993, du 14 mars au 29 avril 1994, du 1er août au 31 décembre 1994, du 4 janvier 1995 au 23 février 1996 et du 3 mars au 6 décembre 1996, n'était pas assurable parce qu'il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services.

[3] Les paragraphes 5 et 6 de la Réponse à l'avis d'appel se lisent ainsi :

« 5. En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national, s'est basé, notamment, sur les faits suivants :

a) le payeur, constitué en 1992, offre des services de consultation en urbanisme et protection du patrimoine; (A)

b) en 1990 et 1991, l'appelant exploitait une entreprise similaire en son propre nom; (A)

c) l'appelant détient 40 % des actions du payeur, et son frère, Benoît, l'autre 60 %; (A)

d) les deux frères n'ont investi dans le payeur que 40 $ et 60 $ chacun, soit pour l'achat des actions; (A)

e) Benoît Bourget est employé à plein temps chez un tiers; (A)

f) il effectue la tenue de livres du payeur et est rémunéré sur une base d'honoraires; (A)

g) l'appelant recrute les clients du payeur, négocie les honoraires des services à rendre et effectue le travail; (NTQR)

h) il décide de sa date d'embauche, de ses heures de travail et de la date de sa mise à pied; (N)

i) plutôt que de suivre un horaire de travail pré-établi, l'appelant travaillait selon les besoins des clients; (N)

j) il travaillait parfois le soir et les fins de semaine; (A)

k) il décidait s'il avait besoin d'aide ou des services de spécialistes; (N)

l) il travaillait chez les clients et dans un bureau aménagé dans sa résidence; (A)

m) le payeur lui versait 200 $ par mois pour l'utilisation de son bureau; (A)

n) au début des activités du payeur, l'appelant a travaillé plusieurs mois sans rémunération; (N)

o) l'appelant a reçu du payeur un chèque de 2 889 $ le 5 juin 1995, pour du travail effectué durant les mois d'octobre 1993, de janvier 1994, février 1994, mars 1994, mai 1994, juin 1994 et juillet 1994; (A)

p) les périodes de travail constituant ce chèque comportaient des semaines de travail de moins de 16 heures; (A)

q) le montant de 2 889 $ a été traité par le payeur comme des honoraires; (N)

r) l'appelant utilisait ses équipements personnels (ordinateur, bibliothèque, classeur, table) et des équipements du payeur (télécopieur, classeur, table); (A)

s) l'appelant attendait plusieurs mois avant de se faire rembourser les dépenses (frais de déplacement, hébergement etc.) auxquelles il avait droit :

- 5 256,02 $ le 24 mars 1993 (pour des dépenses encourues d'avril 1992 à octobre 1992),

- 3 975,88 $ le 17 février 1994,

- 4 212,13 $ le 11 janvier 1995,

- 5 909,85 $ le 5 juin 1995 (pour des dépenses encourues de septembre 1994 à mai 1995); (A)

t) l'appelant pouvait offrir ses services à d'autres payeurs; (A)

u) l'appelant était la raison d'être du payeur; sans lui, le payeur ne pouvait vraisemblablement exploiter son entreprise; (N)

v) l'appelant ne travaillait pas sous le contrôle du payeur; (N)

w) durant les périodes en litige, il n'y avait pas de relation employeur-employé entre le payeur et l'appelant. (N)

6. L'appelant avait un ascendant tel sur le payeur qu'il ne pouvait exister de contrat de louage de services entre lui et le payeur. »

[4] La Réponse à l'avis d'intervention est au même effet.

[5] Dans le texte qui précède de la Réponse à l'avis d'appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires du procureur de l'appelant et de l'intervenante à l'ouverture de l'audience :

(A)= admis

(N)= nié

(NTQR)= nié tel que rédigé

La preuve de l'appelant et de l'intervenante

Selon l'appelant :

[6] Il est urbaniste de profession et c'est à l'occasion d'un contrat à Rivière-du-Loup qu'il a eu l'idée de « partir » la payeuse et suite a été donnée à ce projet en coopération avec son frère.

[7] La payeuse s'occupe de la mise en valeur de quartiers anciens.

[8] Ses principales clientes sont les villes et les municipalités régionales de comté.

[9] S'il a seulement 40 % des actions de la payeuse, c'est qu'au départ il pensait « partir » la compagnie à trois, désireux qu'il était d'avoir un architecte en plus de son frère comme autres actionnaires : cet autre actionnaire aurait détenu 20 % des actions, mais cela n'a pu être réalisé et c'est son frère qui détient ce 20 % additionnel d'actions.

[10] L'administration, lui, ce n'est pas son domaine, mais il s'occupe d'aller chercher des clients et de les bien servir.

[11] Pour le contrat à Rivière-du-Loup il s'y rendait à toutes les semaines ou à toutes les deux semaines.

[12] Les procès-verbaux d'organisation des actionnaires (pièce A-1) font voir en plus de ce qui est écrit et admis aux sous-paragraphes a) à f) précités qu'il a été résolu, entre autres, qu'un montant mensuel de 100 $ sera payé à Benoît Bourget pour la tenue des livres et l'administration comptable sur présentation de factures de frais d'honoraires.

[13] Ils font voir également que sa rémunération sera de 18 $ l'heure et que la compagnie lui paiera 200 $ par mois pour l'utilisation d'un espace à des fins professionnelles et 0,40 $ du kilomètre pour ses frais de déplacement, ainsi qu'un cours d'espagnol.

[14] Ils font voir aussi que la compagnie lui remboursera les frais de chiropractie ou de physiothérapie dans la proportion de 80 % des coûts jusqu'à concurrence d'un montant de 450 $ annuellement.

[15] Les livres de paie (pièce A-2) font voir les salaires et les honoraires qu'il a reçus de la payeuse : ils montrent aussi que ses vacances lui étaient payées à toutes ses semaines de travail.

[16] C'est lui qui préparait ses feuilles de temps (pièce A-3) et il ne trouvait pas cela fastidieux du tout d'avoir à le faire.

[17] Eu égard au sous-paragraphe h) précité, c'est le Conseil d'administration et non lui qui décide de sa date d'embauche, de ses heures de travail et de la date de sa mise à pied et ce après discussion avec son frère.

[18] Il y a chez la payeuse des périodes creuses surtout en début d'année et en été.

[19] Pour les rencontres avec les conseils municipaux, c'est le soir évidemment que ça se passe.

[20] Il fait bien son 40 heures par semaine et c'est rare qu'il oeuvre en fin de semaine sauf s'il y a des urgences ou un surcroît de travail.

Eu égard au sous-paragraphe k)

[21] À titre d'exemple, s'il avait besoin d'un cartographe il en discutait avec son frère Benoît et ensuite le Conseil d'administration décidait.

Eu égard au sous-paragraphe l)

[22] Il travaillait bien chez les clients et dans un bureau aménagé chez lui à cette fin qu'il partageait d'ailleurs avec les arpenteurs Parent et Ouellette.

Eu égard au sous-paragraphe n)

[23] Il avait bien eu un contrat à Rivière-du-Loup préalablement à l'organisation de la payeuse et il a reçu des honoraires en conséquence : ils pouvaient se chiffrer à 4 500 $ ou 5 000 $.

[24] Ceux-ci n'apparaissent cependant pas dans les livres de la payeuse car le prix de ce contrat lui a été versé directement.

[25] Ses relevés d'emploi (pièce A-4) pour les quatre premières périodes en litige concordent bien quant aux dates avec la première lettre de détermination : ils indiquent tous qu'il a été mis à pied par manque de travail; c'est très simple, lorsque la payeuse n'avait plus de mandats, il s'adressait forcément à l'assurance-chômage.

Eu égard au sous-paragraphe o)

[26] Il s'agissait d'une question administrative et il n'était pas question que la payeuse lui fasse un chèque à chaque heure travaillée.

[27] La compagnie chargeait environ 50 $ l'heure en échange de ses services d'urbaniste.

Eu égard au sous-paragraphe p)

[28] Ce qui lui appartenait au point de vue équipement de bureau était loué à la payeuse à même le loyer de 200 $ par mois.

[29] C'est évidemment la payeuse qui fournissait le papier et les autres petits accessoires de travail.

Eu égard au sous-paragraphe s)

[30] Quand il présentait ses factures il était payé.

Eu égard au sous-paragraphe u)

[31] C'est lui qui réalisait les mandats mais s'il n'avait pas été là et disponible, la payeuse aurait dû nécessairement engager une autre personne à sa place.

[32] La compagnie n'a pas versé de dividendes à date, le comptable ayant dit que c'était un peu tôt.

Eu égard au sous-paragraphe w)

[33] Il est vrai qu'il n'y avait pas de superviseur au bureau, mais son frère prenait régulièrement connaissance des études qu'il faisait : il ne participait cependant pas à la négociation des contrats.

[34] Le comptable lui a bien dit au départ que s'il détenait plus de 40 % des actions, il ne serait pas admissible aux prestations d'assurance-chômage.

Eu égard au sous-paragraphe o)

[35] Également, s'il a attendu aussi longtemps pour se faire payer de ses honoraires c'est parce qu'il ne les a pas facturés plus tôt.

[36] Confronté en contre-interrogatoire avec les procès-verbaux d'organisation des actionnaires de la payeuse (pièce A-1) mais reproduits sous la cote I-1 avec plusieurs onglets attirant l'attention de la Cour sur certains passages, il doit bien admettre :

a) à l'onglet 1 qu'il a été résolu que les frais encourus par lui pour la constitution et la mise sur pied de la compagnie lui soient remboursés sur présentation des pièces justificatives;

b) à l'onglet 2 qu'il a été résolu de le mandater afin d'effectuer les démarches nécessaires pour que la compagnie devienne membre du Club Price pour ses achats;

c) à l'onglet 8 qu'il a été résolu que la compagnie lui rembourse, sur présentation des pièces justificatives, les frais encourus à sa participation à deux colloques (ICOMOS, AQU);

d) à l'onglet 14 qu'il a été résolu que la compagnie lui rembourse, sur présentation de pièces justificatives, les frais d'inscription et les frais de déplacement en regard de sa participation au colloque de l'A.Q.U. portant sur l'affichage commercial;

e) à l'onglet 15 qu'il a été enfin résolu que la compagnie lui paie son salaire advenant qu'il soit sélectionné dans l'équipe qui se rendra au Vietnam pour aller dispenser de la formation en patrimoine aux fonctionnaires de ce pays.

[37] Il est bien vrai que son frère reçoit seulement 100 $ par mois de la payeuse alors que lui en retire plus, mais c'est lui qui la fait vivre.

[38] Il a bien signé une déclaration statutaire (pièce I-2) le 23 avril 1996; il peut y être lu (page 3) :

« J'ai reçu 4 800 $ le 11 janvier 1994... »

[39] Il s'agissait là du mandat à Rivière-du-Loup alors qu'il agissait à son compte et dont il a été question plus tôt dans son témoignage.

Selon Benoît Bourget

[40] Il est acheteur chez Prévost Car en plus d'être toujours actionnaire de la payeuse.

[41] Au départ l'appelant oeuvrait à son compte.

[42] Comme il voulait lui aussi « partir » en affaires plus tard en prenant sa pension chez Prévost Car, c'est ainsi qu'ils ont décidé, les deux frères, de constituer la payeuse.

[43] Il s'y occupe de la tenue des livres avant de les remettre au comptable pour la préparation des états financiers et de l'administration en général.

[44] C'est bien lui qui a rempli le grand livre (pièce A-5) et c'est le comptable agréé Jean Pelletier qui a préparé le bilan d'ouverture et les états financiers (pièce A-6) de la payeuse.

[45] Il ne sait pas si son frère achève de travailler chaque jour ouvrable à 16 h ou 17 h mais il croit bien qu'il fait ses 40 heures par semaine.

[46] Il a bien signé lui aussi une déclaration statutaire (pièce I-3) le 29 avril 1996; il y est écrit : (page 1)

« La division des actions s'est faite suite à la rencontre d'un avocat et d'un comptable qui nous ont conseillé de les diviser 60 % pour moi et 40 % pour lui. J'ai investi 60 $ pour l'achat de 60 actions...Je ne m'occupe pas de la recherche de clients sauf en lisant les journaux. Si je vois quelque chose je le réfère à Clermont... »

et (page 2) :

« Pour les chèques cela prend deux signatures obligatoires. Il n'y a aucune marge de crédit et il n'y a pas eu d'emprunt...s'il a besoin de quelqu'un, il m'en parle et il engage la personne concernée. C'est lui qui a le contrôle de l'entreprise parce que c'est lui qui a l'expertise nécessaire. Sigma pourrait vivre sans moi mais pas l'inverse. »

[47] Les deux frères se téléphonent une à deux fois par semaine et se voient au besoin.

[48] L'appelant lui fait alors part des contrats en cours.

[49] Il est engagé lorsqu'il y a des contrats à exécuter et il est remercié quand il n'y en a plus.

[50] Si les résolutions de la payeuse ont accordé à l'appelant certains avantages et bénéfices, c'est qu'il en a lui aussi chez Prévost Car.

[51] Son travail dans l'administration de la payeuse ne l'oblige pas à sortir beaucoup.

[52] L'intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelant :

[53] Les déclarations statutaires font bien voir qu'il n'y a aucune manigance.

[54] Dans Roland Navennec et M.R.N. et al. (A-1037-90) l'honorable juge Desjardins écrit pour la Cour d'appel fédérale (page 6) :

« C'est aux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine qu'il faut se référer.

Dans Stubart, la question, il est vrai, était de savoir si dans le but avoué de réduire ses impôts, une société pouvait conclure une entente par laquelle ses profits futurs étaient passés à une filiale-soeur dans le but de se prévaloir du report des pertes de cette dernière. Mais les principes demeurent applicables en l'espèce alors qu'il s'agit de déterminer si le requérant n'a pas, somme toute, arrangé ses affaires de façon à pouvoir percevoir des prestations d'assurance-chômage. »

et page 9 :

« J''en conclus à l'existence de rapports juridiques valables entre le requérant et la Pourvoirie Clauparo Inc., et entre le requérant, sa femme et ses fils. »

[55] Il n'y a rien de mal pour son client à détenir 40 % des actions de la payeuse et il y a un lien de subordination.

[56] Les feuilles de temps sont là et elles font bien voir toutes les heures travaillées.

[57] L'appelant ne fait rien à l'insu de son frère.

[58] Il est l'âme dirigeante de la payeuse parce qu'il y est le seul expert en urbanisme.

[59] Il n'y a aucune sous-traitance dans l'affaire sous étude.

[60] Les villes veulent faire affaires avec la payeuse parce que l'appelant est là.

[61] Son frère voulait à sa retraite « partir » une affaire et il s'est ainsi intéressé à la payeuse.

[62] Il n'est pas une parure et il administre vraiment la compagnie.

[63] Il y a une véritable division des tâches et pas d'artifice.

[64] L'appelant a des avantages normaux et son frère ne travaille pas là et n'a pas à se déplacer dans l'exercice de ses fonctions.

[65] L'appelant a, il est vrai, le chapeau d'actionnaire et celui de payeur, mais ce n'est pas défendu.

[66] La compagnie lui paie un loyer pour le bureau et ses frais de déplacement lui sont remboursés.

[67] Le contrat à son compte n'est pas important pour le jugement à être rendu en l'instance, il avait été consenti à l'appelant avant l'organisation de la payeuse.

[68] Le montant de 2 889 $ visé au sous-paragraphe q) ne constitue pas de véritables honoraires car pour un urbaniste le tarif horaire est de 50 $.

[69] Il s'agissait de temps accumulé à 18 $ l'heure et l'appelant n'avait pas à le déclarer sur ses relevés d'emploi parce qu'il s'agissait de périodes de moins de 16 heures par semaine.

Selon la procureure de l'intimé :

[70] L'appelant avait le contrôle de la payeuse à cause de ses connaissances techniques et c'est d'ailleurs lui qui embauchait le personnel.

[71] Les deux frères se parlaient au téléphone une ou deux fois par semaine seulement et ne se voyaient pas souvent.

[72] Benoît Bourget ne pouvait en effet avoir un gros crontrôle sur l'appelant car dans sa déclaration statutaire, il dit bien que c'est son frère qui a le contrôle de l'entreprise.

[73] Le partenaire espéré pour 20 % des actions n'a jamais été trouvé.

[74] Est-il normal que la payeuse paie à l'appelant un cours d'espagnol.

[75] L'appelant était un travailleur autonome et il n'avait pas en conséquence droit au chômage.

[76] Est-il normal que l'appelant ait attendu si longtemps pour se faire payer comme il l'admet d'ailleurs au sous-paragraphe o).

[77] Il est évident qu'il prenait des risques en attendant aussi longtemps pour se faire payer.

[78] La payeuse a des revenus mais chose étrange elle ne verse pas de dividendes.

[79] L'appelant était intégré, il est vrai, à la payeuse mais ce n'est pas tout ce qu'il faut considérer.

Selon le procureur de l'appelant en réplique :

[80] Le Conseil d'administration jouait bien son rôle et tous les critères exigés pour qu'il y ait un véritable contrat de louage de services sont réunis.

[81] Dans Paul Bernard et M.R.N. (88-158(UI)), l'honorable juge suppléant Potvin de notre Cour écrivait : (page 15)

« Concernant le contrôle du travail de l'employé par l'employeur, il ne fait pas oublier que le degré de contrôle exercé par l'employeur sur le travail de l'employé reste le critère essentiel pour déceler le lien de subordination caractéristique du contrat de travail; mais, en fait, ce degré de contrôle varie selon les circonstances et dépend souvent de la nature du travail à effectuer. Contrôler, c'est détenir le pouvoir d'obliger un autre à exercer une certaine activité, à agir de telle ou telle façon, à maintenir une certaine ligne de conduite. Ce pouvoir peut cependant rester général ou, au contraire, s'exercer à un niveau spécifique. »

et (page 16) :

« Ainsi, en ce qui concerne l'appelant, ce dernier a été engagé par la compagnie, tel que le démontre les résolutions... et c'était lors de ces assemblées que l'appelant était formellement engagé par la compagnie aux différentes périodes où il a travaillé. Son salaire était de 400 $ par semaine et il devait faire 35 heures de travail par semaine. Il est bien établi cependant que l'appelant n'était pas soumis à un horaire fixe et rigide de travail mais qu'il devait faire ses 35 heures dans la semaine de la manière qu'il le jugeait à propos étant donné que son travail consistait à agir comme géographe sur des projets. »

avant d'accueillir l'appel.

[82] Il doit en aller de même en l'instance.

Le délibéré

[83] L'appelant exploitait avant l'organisation de la payeuse un bureau d'urbaniste à son compte et c'est ainsi qu'il a eu un contrat à Rivière-du-Loup : il est normal qu'il l'ait conservé à son profit et d'ailleurs son frère ne s'en plaint pas du tout.

[84] Il est en preuve que l'appelant détient seulement 40 % des actions de la payeuse; comme dans Navennec (supra) il a peut-être arrangé ses affaires de façon à pouvoir percevoir des prestations d'assurance-chômage, mais ce n'est pas défendu et la Cour croit à l'existence de rapports juridiques valables entre lui, la payeuse et son frère : le livre des procès-verbaux est très bien tenu et fait bien voir que toutes les affaires importantes étaient décidées par le Conseil d'administration.

[85] Les deux frères n'avaient pas à investir plus dans la payeuse qui ne détenait aucune marge de crédit et n'avait pas dû recourir à des emprunts.

[86] Benoît Bourget joue bien son rôle dans la payeuse en s'occupant de la tenue des livres qui sont très bien tenus et de l'administration.

[87] Il est évident que c'est l'appelant qui recrute les clients, qui négocie les honoraires et qui effectue le travail d'urbaniste même si son frère surveille les journaux pour voir s'il n'y aurait pas d'ouverture : il ne peut en être autrement.

[88] L'appelant travaille, il est vrai, quand il y a des contrats et son frère le confirme bien : il ne peut non plus en être autrement.

[89] Il fait bien ses 40 heures de travail par semaine à des heures brisées peut-être en certains cas, mais il est normal qu'il rencontre les conseils municipaux le soir : s'il y a des urgences ou un surcroît de travail, il peut aussi oeuvrer mais rarement en fin de semaine; il y va de la vie de l'entreprise.

[90] C'est après consultation avec son frère qu'il décidait s'il y avait lieu d'engager du personnel.

[91] Il est normal qu'il ait travaillé chez les clients et dans un bureau aménagé dans sa résidence pour lequel il percevait un loyer.

[92] Il est nié qu'au début des activités de la payeuse il ait travaillé plusieurs mois sans rémunération et il n'y a aucune preuve d'ailleurs à cet effet.

[93] Les périodes de travail à la base du chèque de 2 889 $ du 5 juin 1995 comportaient des semaines de moins de 16 heures et il les a facturées à 18 $ l'heure suivant son contrat de travail et non pas sur une base d'honoraires d'urbaniste à son compte à 50 $ l'heure; il a été payé lorsqu'il a facturé.

[94] Les équipements personnels de l'appelant étaient loués à la payeuse avec le bureau.

[95] Si l'appelant a attendu pour se faire payer de ses frais de déplacement, c'est tout simplement parce qu'il ne facturait pas plus tôt.

[96] Il pouvait offrir ses services à d'autres payeurs mais il n'y a pas de preuve qu'il l'a fait.

[97] Il est vrai que l'appelant était la raison d'être de la payeuse pendant les périodes en litige, mais un autre urbaniste aurait pu aussi être engagé à son lieu et place.

[98] La Cour ne croit pas que l'appelant avait un ascendant tel sur la payeuse qu'il ne pouvait exister un véritable contrat de louage de services.

[99] La présence du frère de l'appelant dans la payeuse paraît nécessaire car l'administration n'est pas son domaine et il est normal qu'il ait confiance à son frère pour cela plutôt qu'à une autre personne.

[100] Le cours d'espagnol n'est pas très bien expliqué mais il n'en est cependant pas fait état dans la Réponse à l'avis d'appel.

[101] Benoît Bourget explique bien la raison d'être de l'allocation pour les frais de chiropractie et de physiothérapie.

[102] Les feuilles de temps de l'appelant sont très bien remplies et c'est à partir de celles-ci que ses paies lui sont faites par son frère.

[103] Une compagnie n'est pas obligée de payer des dividendes et la payeuse a sans doute bien fait sous ce chef de suivre les conseils de son comptable.

[104] Il n'était pas nécessaire qu'il y ait supervision au bureau mais le pouvoir de contrôle existait vraiment.

[105] Il est normal qu'un actionnaire paie au départ les frais de constitution d'une compagnie pour se les faire rembourser ensuite par celle-ci.

[106] La payeuse pouvait avoir intérêt à faire des achats au Club Price.

[107] Il était raisonnable que la payeuse lui rembourse les frais encourus lors de sa participation à des colloques.

[108] La preuve ne révèle pas si l'appelant a été sélectionné pour aller au Vietnam et il n'y a en conséquence pas de conclusion juridique à tirer là-dessus.

[109] Il est très significatif que les deux frères doivent signer conjointement les chèques de la payeuse et cela établit bien le contrôle, dans les faits, par le Conseil d'administration constitué de ceux-ci.

[110] Il n'y a pas de manigance mais un véritable lien de subordination; Benoît Bourget détenant 60 % des actions et l'appelant ne faisant rien à son insu.

[111] Il n'y a pas de sous-traitance et il est normal que les villes veulent faire affaires avec la payeuse à cause de la présence d'un urbaniste à son service.

[112] Il y a une véritable division des tâches et pas d'artifice, Benoît Bourget n'étant pas une simple parure, loin de là.

[113] Il faut distinguer entre le contrôle de l'exploitation et le contrôle de la compagnie.

[114] L'ensemble de la preuve fait voir que l'appelant n'était pas un travailleur autonome.

[115] Comme il est écrit dans Bernard (supra) le degré de contrôle varie selon les circonstances et dépend souvent de la nature du travail à effectuer et le pouvoir de contrôle peut rester général, comme en l'instance, ou s'exercer à un niveau spécifique.

[116] Comme dans cette autre cause, dans l'affaire sous étude c'est par résolutions de la payeuse que l'appelant était engagé aux différentes périodes où il a travaillé : il n'était pas soumis à un horaire fixe et rigide de travail, mais il devait faire ses heures dans la semaine de la manière qu'il le jugeait à propos étant donné que son travail consistait à agir comme urbaniste sur des projets pour le compte de la payeuse.

[117] L'appelant travaillait donc sous le contrôle du Conseil d'administration dont il était actionnaire minoritaire et il y avait bien une relation employeure-employé entre la payeuse et lui.

[118] L'appel doit donc être accueilli et la décision entreprise annulée.

Signé à Laval (Québec), ce 14e jour d'août 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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