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Date: 19990923

Dossier: 97-1969-IT-G

ENTRE :

HARVEY ROLL, faisant affaires sous le nom de HARVEY ROLL BUSINESS SERVICES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance porte sur une nouvelle cotisation établie en vertu du paragraphe 165(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). La nouvelle cotisation en question remplace une série de cotisations établies antérieurement en vertu des articles 153 et 227 de la Loi relativement à des retenues à la source non remises au titre de l'impôt sur le revenu fédéral et de l'impôt sur le revenu provincial et en application du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l'assurance-chômage (pour plus de commodité, je les appellerai collectivement les retenues à la source), ainsi qu'à des pénalités imposées pour omission de remettre les retenues à la source et pour remise tardive des retenues en question. Le montant total réclamé par le ministre du Revenu national (le ministre) dans l'avis de nouvelle cotisation au titre des retenues à la source non remises, des pénalités et des intérêts au 28 mars 1997, la date de la nouvelle cotisation, est de 57 028,40 $. Cette cotisation se rapporte à des montants qui auraient dû être déduits de la feuille de paie de Sea Hornet Marine Industries (Canada) Inc. (Sea Hornet) et remis au receveur général pour la période du 1er janvier au 15 juillet 1996[1]. Elle repose sur la théorie selon laquelle, en ce qui concerne les employés de Sea Hornet, l'appelant était une “ [...] personne qui verse [...] un traitement, un salaire ou autre rémunération ”, au sens où cette phrase est utilisée au paragraphe 153(1) de la Loi. Le ministre allègue également que l'appelant était un fiduciaire au sens où ce terme était utilisé au paragraphe 153(1.3) avant le 20 juin 1996, et à l'alinéa 227(5.1)a) par la suite. Les parties pertinentes des dispositions législatives sont libellées dans les termes suivants :

153(1) Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

un traitement, un salaire ou autre rémunération;

[...]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3 [...]

153(1.3) Pour l'application du paragraphe (1), lorsque le fiduciaire qui administre, gère, attribue, liquide ou contrôle par ailleurs les biens, l'entreprise, la succession ou le revenu d'une autre personne autorise ou fait en sorte qu'un paiement visé à ce paragraphe soit effectué au nom de cette autre personne, le fiduciaire est réputé être une personne effectuant le paiement et le fiduciaire et cette autre personne sont solidairement responsables relativement au montant dont ce paragraphe exige la déduction ou la retenue et la remise à valoir sur le paiement.

153(1.4) Au paragraphe (1.3), est assimilé à un fiduciaire un liquidateur, un séquestre, un séquestre-gérant, un syndic de faillite, un exécuteur, un administrateur, un administrateur-séquestre, un cessionnaire ou toute autre personne exerçant des fonctions semblables à celles qu'exerce l'une de ces personnes.

[...]

227(1) Nulle action ne peut être intentée contre une personne pour le fait de déduire ou de retenir une somme d'argent quelconque en conformité, réelle ou intentionnelle, avec la présente loi.

[...]

(5) La personne déterminée, quant à une autre personne (appelée “ payeur ” au présent paragraphe), qui a une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens, l'entreprise ou la succession du payeur et qui, seule ou avec quelqu'un d'autre, fait en sorte qu'un paiement visé aux paragraphes 135(3) ou 153(1), ou sur lequel un impôt est payable en vertu de la partie XIII, soit effectué par le payeur ou pour son compte, ou autorise un tel paiement :

est réputée, pour l'application des paragraphes 135(3) et 153(1), de l'article 215 et du présent article, être une personne qui a effectué le paiement;

est solidairement responsable, avec le payeur, du versement au receveur général des montants suivants :

les montants payables par le payeur par l'effet de l'un des paragraphes 135(3) et 153(1) et de l'article 215 relativement au paiement,

[...]

[...]

(5.1) Pour l'application du paragraphe (5), “personne déterminée” s'entend d'une personne qui, quant à une autre personne ou aux décaissements, aux biens, à l'entreprise ou à la succession de celle-ci, est :

un fiduciaire;

[...]

l) le mandataire d'une personne visée à l'un des alinéas a) à k).

[...]

227(8) Sous réserve du paragraphe (8.5), toute personne qui ne déduit pas ou ne retient pas un montant au cours d'une année civile conformément au paragraphe 153(1) ou à l'article 215 est passible d'une pénalité :

soit de 10 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu;

soit de 20 % du montant qui aurait dû être déduit ou retenu au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne sur ce montant et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

227(9) Sous réserve du paragraphe (9.5), toute personne qui ne remet pas ou ne paye pas au cours d'une année civile, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu conformément à la présente loi ou à son règlement ou un montant d'impôt qu'elle doit payer conformément à l'article 116 ou à une disposition réglementaire prise en application du paragraphe 215(4) est passible d'une pénalité :

soit de 10 % sur ce montant;

soit de 20 % du montant qui aurait dû être remis ou payé au cours de l'année si, au moment du défaut, une pénalité en application du présent paragraphe était payable par la personne et si le défaut a été commis sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[...]

227(9.4) La personne qui ne remet pas, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu d'un paiement fait à une autre personne conformément à la présente loi ou à son règlement doit payer, au nom de cette autre personne, à titre d'impôt en vertu de la présente loi, le montant ainsi déduit ou retenu.

Les paragraphes 153(1.3) et (1.4) ont été abrogés et les paragraphes 227(5) et (5.1) ont été adoptés dans les L.C. 1996, ch. 21, par. 557(1), et sont entrés en vigueur le 20 juin 1996. Sea Hornet n'a versé que deux paies après cette date.

[2] Les événements qui ont mené à l'établissement de la cotisation visée par l'appel sont quelque peu inhabituels, mais je ne comprends pas pourquoi l'avocat de l'intimée a contesté la version des faits de l'appelant.

[3] L'appelant, un aide-comptable, a travaillé au fil des ans pour un certain nombre d'employeurs; en 1992, il a mis sur pied sa propre entreprise, fournissant des services de tenue de livres à certaines petites entreprises et de préparation de déclarations de revenus à des particuliers et à de petites entreprises. L'appelant en tirait un revenu qui n'était pas très élevé; en outre, il n'a ni constitué l'entreprise en société, ni ouvert un compte en banque distinct pour celle-ci. Il exploitait l'entreprise en tant que propriétaire unique sous le nom de Harvey Roll Business Services (HRBS); il déposait les revenus de l'entreprise dans le compte conjoint personnel qu'il avait avec son épouse à la Banque de Hong Kong, sur lequel il payait aussi les dépenses. Il travaillait notamment pour un comptable en management accrédité qui lui confiait du travail à forfait à l'occasion. C'est ce comptable qui a informé l'appelant que Sea Hornet cherchait un aide-comptable. L'appelant a donc posé sa candidature et il a obtenu le poste; il a commencé à travailler pour la compagnie en février 1995, pour 2 000 $ par mois.

[4] Sea Hornet était alors une petite compagnie qui tentait de mettre au point un enregistreur de données en milieu marin semblable à celui qui est utilisé dans les aéronefs et que l'on appelle communément la boîte noire. La direction de la compagnie était assurée par Ralph Richey, président et administrateur, son frère Clive Richey, vice-président de l'exploitation, et l'épouse de Ralph Richey, Carol Richey, qui était elle aussi vice-présidente et administratrice. Ross McCutcheon, avocat, était aussi administrateur et il avait une influence sur le processus décisionnel. Ce sont des investisseurs qui fournissaient à la compagnie le capital dont elle avait besoin. Celle-ci comptait de 10 à 15 employés. L'appelant avait pour tâches notamment de traiter la feuille de paie toutes les deux semaines; elle était produite par ordinateur avec l'aide d'un logiciel du commerce qui calculait la paie brute, les différentes retenues à faire et la paie nette de chaque employé, et qui, en bout de ligne, imprimait les chèques. L'appelant n'avait pas le pouvoir de signer les chèques; il les remettait plutôt à M. Richey, qui les signait. Il tenait également les livres de la compagnie, plus particulièrement les grands livres des comptes débiteurs et des comptes créditeurs. Dans ses temps libres, il continuait à exploiter son entreprise sous le nom de HRBS et à utiliser son compte de banque conjoint à cette fin.

[5] Il y avait beaucoup plus de comptes créditeurs que de comptes débiteurs au cours des mois de novembre 1995 à juillet 1996. En fait, rien n'indique que la compagnie avait même un revenu. Les investisseurs, qui injectaient des capitaux à l'occasion, représentaient à toute fin pratique la seule source de fonds de la compagnie. En outre, cette dernière entretenait l'espoir de résoudre de deux façons ce qui était clairement un manque chronique d'argent. D'une part, elle espérait recevoir de l'argent sous forme de crédits d'impôt pour la recherche et le développement scientifique et, d'autre part, elle espérait un jour être inscrite à la bourse NASDAQ, ce qui lui permettrait de bénéficier d'un apport de capitaux considérable. Ni l'un ni l'autre événement ne s'est produit.

[6] Au milieu de 1995, Sea Hornet éprouvait de graves problèmes d'encaisse. À l'automne de la même année, les fournisseurs ont refusé de faire affaires avec la compagnie, des actions en recouvrement ont été introduites contre elle et des menaces d'exécution et de saisie de ses biens ont été faites. En plus d'éprouver ces difficultés, la compagnie accusait un retard dans la remise des retenues à la source.

[7] Il ne fait pas de doute que l'appelant était en tout temps parfaitement au courant des difficultés financières qu'éprouvait Sea Hornet. Pendant une grande partie de 1995 et par la suite, il avait pour tâches notamment d'informer les Richey du montant des dettes et du nom des créanciers qui insistaient davantage que les autres pour se faire payer. Il envoyait fréquemment des messages à Clive ou à Carol Richey pour les informer de la somme d'argent dont il avait besoin à court terme pour rémunérer les employés et payer les créanciers les plus insistants. Habituellement, Ralph Richey lui remettait un chèque émis par l'un des investisseurs, lui demandait de le déposer dans le compte bancaire de la compagnie et lui donnait des instructions précises sur les paiements à effectuer avec cet argent. L'appelant n'avait aucun pouvoir discrétionnaire quant à la priorité à accorder aux différents créanciers. De façon générale, la feuille de paie passait en premier, bien que plusieurs employés, dont l'appelant, eussent accepté au début de l'année 1996 un report du paiement de leur salaire pour aider la compagnie à se sortir de ce qui, d'après ce qu'on leur avait dit, était un manque de fonds temporaire.

[8] Au mois d'octobre ou au début du mois de novembre 1995, la situation financière de Sea Hornet s'était détériorée au point où tous les fonds déposés dans son compte bancaire étaient soit imputés par la banque à la réduction du montant dû sur la marge de crédit, soit saisis par un ou plusieurs autres créanciers. Pour empêcher cette utilisation des fonds et pour maintenir la compagnie à flots un peu plus longtemps dans l'espoir qu'elle soit sauvée par une inscription à la NASDAQ, Ralph Richey, qui savait que l'appelant exploitait son entreprise sous le nom de HRBS, a demandé à ce dernier s'il accepterait d'aider la compagnie en déposant dans le compte de banque de son entreprise le chèque destiné à payer les employés et en émettant ensuite sur le même compte les chèques de paie des employés. L'appelant a accepté, et la paie du mois de novembre a été traitée de cette façon, par le truchement toutefois du compte bancaire personnel conjoint que l'appelant avait avec son épouse car son entreprise n'avait pas son propre compte de banque à ce moment-là. J'accepte le témoignage de l'appelant portant que le chèque qu'on lui a remis pour dépôt représentait la paie nette seulement, c'est-à-dire les montants payables aux employés de Sea Hornet, déduction faite des retenues à la source.

[9] Au mois de décembre 1995, l'appelant avait ouvert un compte bancaire distinct à la Banque de Hong Kong sous le nom de Harvey Roll Business Services (le compte bancaire de HRBS) et, pendant les six mois et demi qui ont suivi, la feuille de paie nette de Sea Hornet a été traitée au moyen de ce compte. Au cours de cette période, la direction de Sea Hornet a pu obtenir suffisamment d'argent des investisseurs pour verser la paie nette deux fois par mois ainsi que remettre certaines retenues à la source et payer certaines dettes commerciales de la compagnie. À mesure que les investisseurs remettaient des chèques à la compagnie, M. Richey les donnait à l'appelant, qui les déposait dans le compte bancaire de HRBS. M. Richey lui donnait alors des instructions précises sur les paiements qu'il devait effectuer sur ce compte. L'appelant avait évidemment un pouvoir de signature en ce qui concerne le compte bancaire en question; en fait, il était le seul à avoir un tel pouvoir.

[10] L'historique exact des différentes omissions de remettre et des remises tardives est complexe et non essentiel pour trancher la question en litige. À l'instar de tous les autres créanciers, Revenu Canada n'était payé que lorsqu'il y avait des fonds. Les retenues à la source pour le mois de janvier 1996 ont été remises en avril, celles du mois de février, en mai, et celles du mois de mai, en juin. Celles des mois de mars, avril, juin et juillet n'ont pas été remises du tout. Les montants payés, comme la paie des employés et les comptes des fournisseurs, ont transité par le compte bancaire de HRBS.

[11] En décembre 1995 et en 1996, l'appelant a continué de remettre les retenues à la source à Revenu Canada au nom de Sea Hornet, même s'il tirait les chèques sur le compte bancaire de HRBS. En juin 1996, cependant, Revenu Canada a décidé que, les chèques étant tirés sur le compte de HRBS, celle-ci devait être la payeuse pour l'application des articles 153 et 227 de la Loi. Le ministère a donc ouvert un compte de versements au nom de HRBS et il a transféré dans ce compte les différents montants débités et crédités antérieurement dans le compte de Sea Hornet en 1996. Par la suite, l'appelant a été traité par Revenu Canada comme le payeur des employés de Sea Hornet, et les différentes cotisations pour omission de remettre et pour les pénalités et les intérêts ont été imputées à son compte, ce qui a mené à la nouvelle cotisation visée par l'appel en l'instance.

[12] Cette situation a naturellement causé beaucoup d'inquiétude à l'appelant. Avisé à l'occasion par Revenu Canada du montant qu'il devait, il a abordé la question avec Ralph Richey et le CMA par l'entremise duquel il avait obtenu l'emploi et qui continuait d'agir en qualité de comptable pour Sea Hornet. Ils ont tous deux donné à l'appelant l'assurance que la question serait résolue et qu'il n'avait aucune raison de s'inquiéter. L'appelant s'en est tenu à ces explications jusqu'au milieu du mois de juillet 1996, date à laquelle il a refusé que l'on utilise le compte bancaire de HRBS plus longtemps. Sea Hornet s'est vite retrouvée incapable de continuer à exploiter son entreprise et, bien entendu, elle n'avait aucun bien que Revenu Canada ou l'appelant aurait pu utiliser à titre de paiement.

[13] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

Par sa conduite, l'appelant s'est-il placé dans une position telle qu'il est, à juste titre, considéré comme une “ personne qui verse [...] un traitement, un salaire [...] ” aux employés de Sea Hornet pour l'application du paragraphe 153(1) de la Loi?

L'appelant était-il visé par le paragraphe 153(1.3) avant le 20 juin 1996 ou par le paragraphe 227(5) après cette date et, par conséquent, est-il solidairement responsable, avec Sea Hornet, du paiement des retenues à la source pour la totalité ou une partie des mois de janvier à juillet 1996?

[14] Dans l'affaire La Reine c. Coopers & Lybrand Limited[2], le juge suppléant Kelly, qui a rendu un jugement unanime, a énoncé les critères auxquels il doit être satisfait pour que la responsabilité prévue à l'article 153 soit encourue :

le versement doit avoir eu lieu;

il doit s'agir de traitements ou salaires dus aux employés;

la personne à laquelle la responsabilité est imputée doit être la même que celle qui a fait le versement.

Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que les deux premières conditions sont remplies. Les paiements ont été faits par M. Roll sur le compte bancaire qu'il avait sous le nom de “ Harvey Roll Business Services ”, et ils ont été faits aux employés de Sea Hornet à titre de salaires, après retenues. L'avocat de l'appelant soutient que M. Roll faisait simplement son travail d'aide-comptable de Sea Hornet et que les paiements n'émanaient pas de lui, mais de la compagnie. Je conviens que, si l'appelant s'était contenté d'accomplir ses fonctions d'aide-comptable de la compagnie, il ne serait pas visé par l'article 153. L'intention n'a jamais été d'imposer une responsabilité personnelle à l'employé qui ne fait qu'exécuter les fonctions normales de son poste.

[15] Toutefois, M. Roll a dépassé les limites de ses fonctions lorsqu'il a pris les fonds de la compagnie et qu'il les a déposés dans un compte bancaire sur lequel il détenait seul le pouvoir de signature, et qu'il les a ensuite remis aux employés et aux créanciers suivant les instructions qu'on lui donnait. Il était parfaitement au courant de la situation financière de la compagnie, il connaissait très bien également l'obligation de faire des retenues et il savait que cette obligation n'était pas respectée lorsqu'il émettait les chèques de paie nets sur son compte. En fait, il savait que Sea Hornet avait conclu cette entente avec lui uniquement pour soustraire son argent à ses créanciers, dont la banque faisait partie. Il ressort clairement de la décision rendue dans l'affaire Coopers & Lybrand que l'article 153 impose une responsabilité à la personne qui effectue des paiements dans de telles circonstances, même si cette personne n'est pas l'employeur des particuliers à qui les paiements sont faits.

[16] La deuxième question qui se pose est celle de savoir si l'appelant est solidairement responsable du total du montant des retenues. Le ministre lui a réclamé le plein montant en s'appuyant sur l'hypothèse de fait suivante, qui figure au paragraphe 3(1) de la réponse :

[TRADUCTION]

Par l'entremise de son entreprise à propriétaire unique appelée Harvey Roll Business Services, l'appelant a fourni des services de tenue de livres à la société, lesquels services incluaient la détermination des salaires bruts, de la rémunération assurable, des impôts à retenir et des salaires nets des employés de la société, la réception des montants suffisants pour couvrir les salaires nets, les impôts retenus et autres dépenses, et le paiement des salaires nets aux employés de la société;

Cependant, la preuve montre que l'appelant a effectué le calcul de la paie et des retenues en sa qualité d'employé de Sea Hornet, aux bureaux de Sea Hornet, et non en qualité d'entrepreneur fournissant des services à Sea Hornet. De plus, Sea Hornet ne lui remettait pas le montant de la paie brute, et il n'avait pas le pouvoir de décider de l'affectation des fonds qui lui étaient remis. Il est parfaitement clair qu'il devait obéir aux instructions données relativement aux paiements à effectuer sur les fonds déposés dans le compte de HRBS, et ces paiements n'incluaient pas la remise des retenues, du moins pas au moment où les paies nettes étaient versées.

[17] Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée que, dans les circonstances, l'appelant était un simple fiduciaire des fonds qui lui étaient remis par Sea Hornet. Cependant, pour qu'il soit visé par le paragraphe 153(1.3), il faut prouver que, pendant la période pertinente, il “ administr[ait], [gérait], attribu[ait], liquid[ait] ou contrôl[ait] par ailleurs les biens, l'entreprise, la succession ou le revenu [...] ” de Sea Hornet. Tous ces verbes, ainsi que les verbes équivalents qui figurent dans le texte anglais de la disposition[3], indiquent que le fiduciaire doit exercer un certain contrôle et pouvoir décisionnel pour que le paragraphe s'applique; l'appelant n'en avait aucun.

[18] Après le 20 juin 1996, date à laquelle le paragraphe 227(5) a été adopté pour remplacer le paragraphe 153(1.3), le libellé de la disposition était le suivant :

[w]here a specified person in relation to a particular person ... has any direct or indirect influence over the disbursements, property, business or estate of the payer and the specified person, alone or together with another person, authorizes or otherwise causes a payment ... to be made by or on behalf of the payer, ...

[l]a personne déterminée, quant à une autre personne ... qui a une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens, l'entreprise ou la succession du payeur et qui, seule ou avec quelqu'un d'autre, fait en sorte qu'un paiement ... soit effectué par le payeur ou pour son compte, ou autorise un tel paiement ...

Je ne crois pas que l'appelant avait une influence directe ou indirecte sur les décaissements, les biens, l'entreprise ou la succession de Sea Hornet. L'expression “ avoir une influence ”[4] suppose que la personne pouvait dans une certaine mesure agir sur le processus décisionnel relativement aux paiements pour que la disposition en question s'applique[5]. M. Roll n'avait clairement pas ce pouvoir. Il est vrai qu'en sa qualité d'employé de la compagnie il donnait à la direction des renseignements qui servaient à déterminer quels paiements seraient effectués, de quels montants et à qui. Même si l'on peut dire que le fait de fournir des renseignements équivaut à avoir une influence indirecte sur le processus décisionnel, l'appelant n'a pas agi ainsi en sa qualité de particulier distinct de la compagnie pour laquelle il travaillait. En cette qualité, il n'a fait que préparer et signer les chèques conformément aux instructions précises qui lui étaient données, et il n'avait aucune influence sur le processus décisionnel concernant les paiements, les biens ou l'entreprise. À mon avis, le paragraphe 227(5) ne s'applique pas aux faits de la présente affaire.

[19] L'avocat de l'intimée a invoqué, dans sa plaidoirie, un certain nombre de décisions qui soutiennent la thèse selon laquelle l'appelant est non seulement assujetti à la pénalité prévue au paragraphe 227(9), mais est solidairement responsable, avec Sea Hornet, du montant total des retenues qui n'ont pas été remises. Seulement deux des décisions invoquées portent sur le libellé législatif qui était en vigueur au cours de la période pertinente relativement à l'appel en l'espèce. La partie déterminante du paragraphe 153(1.3) que j'ai reproduite au paragraphe [17] n'est examinée nulle part dans ces deux décisions. Je ne crois pas qu'il y ait quelque décision que ce soit portant sur le libellé du paragraphe 227(5) adopté en 1996.

[20] Dans l'affaire 299144 British Columbia Limited v. M.N.R.[6], le contexte factuel était semblable à celui de la présente affaire. Cependant, il a été conclu que l'appelante n'était pas un fiduciaire, même au sens de la définition élargie du terme énoncée au paragraphe 153(1.4). En conséquence, il n'était pas nécessaire de déterminer si le comportement de l'appelante était visé par le libellé du paragraphe 153(1.3). Dans l'affaire Soltrac International Inc. v. M.N.R.[7], le juge Tremblay a conclu que l'appelante, qui avait effectué les paiements aux employés, était un fiduciaire au sens du paragraphe 153(1.4). Cependant, à la page 1905 de ses motifs, il s'est interrogé sur la question de savoir si l'appelante “ agissait au nom ” de la compagnie employeuse au lieu d'examiner le libellé du paragraphe 153(1.3) que j'ai cité précédemment. Il a répondu à la question par l'affirmative et, pour ce motif, il a rejeté l'appel. Je ne crois pas que cette affaire soit utile puisque le critère à appliquer aux termes du paragraphe 153(1.3) n'est pas de savoir si l'appelant “ agissait au nom ” de Sea Hornet, ce qu'il faisait clairement, mais de savoir si, ainsi, il administrait, gérait, attribuait, liquidait ou contrôlait par ailleurs les biens de Sea Hornet. Le deuxième critère, contrairement au premier, fait nécessairement intervenir un processus décisionnel.

[21] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la responsabilité de l'appelant se limite à la pénalité imposée en vertu du paragraphe 227(9). L'appelant ayant obtenu gain de cause dans une large mesure, il a droit à ses frais.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 23e jour de septembre 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de juin 2000.

Isabelle Chénard, réviseure



[1]               La série de cotisations remplacées par la nouvelle cotisation visait le mois de novembre 1995. Les remises subséquemment faites par Sea Hornet ont servi à éteindre l'obligation de remise pour cette période.

[2]               [1981] 2 C.F. 169, à la page 176.

[3]               “ [...] a trustee who is administering, managing, distributing, winding up, controlling or otherwise dealing with the property, business, estate or income [...] ”.

[4]               “ to have an influence ” dans le texte anglais.

[5]               Cette conclusion est compatible avec la Note technique du 28 mars 1996 relative à l'article 227, mentionnée par l'avocat de l'intimée dans ses observations écrites.

[6]               90 DTC 1883.

[7]               94 DTC 1900.

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