Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990503

Dossier: 98-2812-IT-I

ENTRE :

ANDRÉ BOUCHARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel pour l'année d'imposition 1997. La question en litige consiste à déterminer si l'appelant avait droit ou non, pour cette année d'imposition, au crédit d'impôt non remboursable pour personne souffrant d'une déficience physique grave et prolongée, au montant de 719,61 $.

[2] L'appelant, mécanicien-soudeur de formation, a expliqué avoir subi un très grave accident le 8 août 1985, au niveau du genou et du pied gauche; l'accident est survenu lorsqu'une poutre de métal pesant environ 10,000 livres l'a violemment heurté. Des suites de l'accident, l'appelant a indiqué que ses médecins traitants avaient envisagé de procéder à l'amputation de sa jambe au-dessus du genou.

[3] Après consultation auprès d'autres spécialistes, il fut transféré à l'Hôpital Général de Montréal et le docteur Raymond Gagnon, orthopédiste, procédait aux réparations de son genou; après une attente de 15 jours, l'amputation de Syme, au niveau de la cheville gauche, est devenue obligatoire.

[4] Par la suite, l'appelant a expliqué qu'il avait tout mis en oeuvre pour redevenir le plus autonome possible. Son genou fut sauvé de l'amputation mais d'importantes séquelles subsistèrent au point que ses mouvements furent désormais très limités. Le tout étant, en outre, à l'origine de violentes douleurs.

[5] L'incapacité partielle permanente affectant son genou gauche a eu aussi pour effet de préjudicier à l'utilisation de la prothèse. L'appelant a aussi expliqué que les blessures à son genou étaient à l'origine de plaies nécessitant des soins continus, et ce, même s'il s'était écoulé plusieurs années depuis l'accident.

[6] Il a dû apprendre à vivre avec ce handicap grave et doit encore aujourd'hui limiter beaucoup de ses activités. Il garde ses énergies pour pouvoir effectuer un travail rémunérateur. En dehors de ses périodes de travail, où encore là il souffre et doit subir des inconvénients et limites multiples; il essaie de protéger au maximum sa jambe malade pour pouvoir travailler.

[7] La preuve a aussi révélé qu'à l'occasion, il doit se priver de l'utilisation de sa prothèse pour que les plaies puissent se cicatriser. Tous les jours, il doit enlever sa prothèse et devient alors très vulnérable lors de ses déplacements et au moment de faire sa toilette.

[8] Malgré la douleur, les inconvénients et les nombreux problèmes de tout ordre, l'appelant a expliqué d'une manière qui l'honore qu'il avait toujours concentré ses énergies et sa détermination pour assumer pleinement la responsabilité de sa famille et surtout démontrer à ses enfants que le courage doit primer sur les sentiments de désolation et de capitulation.

[9] Au mois de novembre 1986, l'orthopédiste traitant était appelé à évaluer les séquelles permanentes avec lesquels l'appelant devrait vivre le restant de ses jours. Rappelant que l'appelant était mécanicien-soudeur, je crois opportun de reproduire le contenu de la rubrique « Commentaires et Opinion » de l'orthopédiste traitant, Raymond Gagnon, en date du 28 novembre 1986, qui se lit comme suit :

Ce jeune homme a été victime d'un accident très sérieux au niveau du membre inférieur gauche. Il a perdu le pied et la cheville gauche suite à cet accident attribuable à des troubles vasculaires. Présentement nous notons qu'il a été amputé au niveau de l'articulation tibio-astragalienne. Le moignon d'amputation est adéquat, bien coussiné. Au niveau du genou les blessures intéressaient l'os et le complexe ligamentaire et il demeure avec des préjudices également importants à ce niveau dû au fait que la flexion ne dépasse pas les 80-85o et qu'il persiste un flexum d'environ 5o. Ce genou est douloureux et accompagné de craquements importants dans les mouvements de flexion.

Vous me demandez si le travailleur demeurera avec une atteinte de son intégrité physique. Il n'y a aucun doute que ce patient demeure avec une atteinte de son intégrité physique. En ce qui regarde l'amputation au niveau de l'articulation tibio-astragalienne, nous évaluons son DAP à 30 % . Pour les problèmes résiduels au niveau du genou gauche je crois qu'il n'est pas exagéré d'évaluer son DAP à 15 %. Nous accordons 10 % pour les problèmes qui découlent des restrictions de flexion, 3 % pour le flexum à 5o et 2 % pour les problèmes douloureux avec craquements au niveau de son genou. Ceci fait donc au total 45 % de déficit anatomo-physiologique suite à cet accident.

Il est assez évident que ce jeune homme ne pourra jamais refaire le travail qu'il faisait antérieurement comme mécanicien-soudeur. En réalité, le seul travail qui conviendrait à sa condition serait un travail assis.

En ce sens, je crois qu'il devrait être réorienté par le Service de Réadaptation Sociale. Le requérant a déjà entrepris des démarches pour pouvoir suivre des cours de pilote d'hélicoptères. Il n'attend que l'autorisation de Transports Canada. Je crois que ce genre de travail pourrait convenir très bien à sa condition.

Il s'agissait là d'une évaluation de séquelles partielles mais permanentes. Au fil des ans, l'appelant a réappris à vivre avec son handicap et développer toute une série de manières et habitudes lui permettant une certaine réinsertion, l'obligeant cependant à faire des choix et à redéfinir ses priorités de vie.

[10] À l'audience, l'appelant a produit un nouveau certificat complété et signé par l'orthopédiste, Simon Cantin. Le docteur Cantin a cru bon ajouter une appréciation additionnelle jugeant, de toute évidence, le formulaire fourni par Revenu Canada incomplet ou inadéquat pour y exprimer certaines nuances pourtant fort importantes et pertinentes.

[11] Il m'apparaît opportun de reproduire l'ajout du docteur Cantin :

À qui de droit,

Monsieur a présenté une amputation au membre inférieur gauche. Depuis ce temps, Monsieur est handicapé. Il doit porter une prothèse pour pouvoir marcher. Cette prothèse lui apporte aussi d'autres problèmes soit des douleurs au niveau du moignon et des lésions irritatives au niveau de la jambe. Il présente aussi un écoulement chronique en postérieur du genou. Ces différentes lésions obligent le patient à enlever sa prothèse en fin de journée afin de traiter les lésions.

Il a également des difficultés à avoir des activités normales avec cette prothèse étant donné les limitations dues aux différentes lésions de son genou.

Je crois ici que Monsieur est limité de façon marquée de manière permanente dans les activités de la vie quotidienne. Ceci même s'il porte sa prothèse de manière régulière.

[12] Il y a là cohérence au niveau de l'appréciation médicale du handicap physique affectant l'appelant.

[13] Les faits révélés par la preuve commandent-ils le droit au crédit d'impôt non remboursable?

[14] Tous ces dossiers sont généralement très sympathiques et suscitent une grande compassion pour les appelants qui, en plus de subir et vivre avec leur handicap, sont obligés de venir s'expliquer devant le Tribunal pour avoir droit à un très petit allégement fiscal.

[15] J'ai consulté avec un vif intérêt la jurisprudence soumise par l'intimée. Il m'apparaît pertinent de rappeler les propos de l'honorable juge Bowman de cette Cour quant aux objectifs des articles 118.3 et 118.4 que je juge à propos de reproduire :

118.3 (1) Crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique — Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) un médecin en titre ou s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en titre ou un optométriste atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée :

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

...

(4) Ministère du Développement des ressources humaines — Le ministre peut obtenir l'avis du ministère du Développement des ressources humaines pour établir si un particulier pour qui un montant est déduit en application des paragraphes (1) ou (2) a une déficience grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée. Toute personne visée aux paragraphes (1) ou (2) doit fournir, sur demande écrite de ce ministère, des renseignements concernant la déficience d'un particulier et ses effets sur celui-ci.

118.4 (1) Déficience grave et prolongée — Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affiliée;

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[16] Le juge Bowman dans l'affaire Radage c. La Reine, [1996] 3 C.T.C. 2510 s'exprimait comme suit aux pages 2528 et 2529 :

L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

Cette appréciation a d'ailleurs été reprise par la Cour d'appel fédérale et plus spécifiquement dans l'affaire Robert C. Johnston v. Sa Majesté La Reine, A-347-97, par l'honorable juge Létourneau.

[17] En l'espèce, il ne fait aucun doute qu'il s'agissait d'une déficience grave ayant des effets prolongés, au point qu'ils sont définitifs et permanents. Certes, l'analyse et l'appréciation de la capacité doivent aussi tenir compte de l'amélioration ou correction découlant des soins thérapeutiques ou de l'utilisation d'une prothèse.

[18] Il faut néanmoins tenir compte des limites et effets de l'utilisation d'une prothèse. Je ne crois pas que l'on puisse tirer des conclusions déterminantes des bienfaits et de l'amélioration ponctuels ou de l'utilisation d'une prothèse. En d'autres termes, il ne serait pas approprié de présumer que l'amélioration conséquente à la prothèse est continue et permanente; il m'apparaît essentiel de prendre en considération tous les inconvénients, aléas et inconforts reliés à l'utilisation d'une prothèse non permanente.

[19] L'appelant a démontré par son témoignage persuasif que sa prothèse lui procurait certes une assez bonne qualité de vie, à la condition qu'il soit très discipliné et très prudent et qu'il n'abuse pas de son utilisation. Certaines personnes peuvent peut-être vivre pratiquement une vie normale avec une telle prothèse. La preuve a démontré qu'il n'en était rien pour l'appelant. L'appelant a en effet démontré le contraire et son témoignage est corroboré par ses médecins spécialistes et ce, bien qu'ils aient coché la case « oui » à la question relative à l'activité « Marche » sur le questionnaire fourni par Revenu Canada. D'ailleurs, ce questionnaire m'apparaît peut-être utile mais certainement pas suffisant pour déterminer à lui seul si un contribuable a droit ou non au crédit d'impôt.

[20] En l'espèce, l'appelant a relevé le fardeau de la preuve qui lui incombait en démontrant par une prépondérance de la preuve qu'il était affecté par une déficience physique majeure prolongée, l'empêchant d'accomplir une activité courante de la vie, soit plus particulièrement celle de marcher. Il aussi indiqué qu'il devait consacrer des soins quotidiens très particuliers à sa jambe eu égard à l'état de son genou et des séquelles permanentes qui l'affectaient. L'appelant s'est créé un environnement qui lui permet de s'assumer lui et sa famille avec plusieurs contraintes et difficultés; je ne crois pas qu'il faille regarder les seuls moments de sa vie où il est en apparence comme les autres.

[21] Pour ces motifs, j'accueille l'appel.

Signé à Ottawa, Canada ce 3e jour de mai 1999.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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