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Date: 19990222

Dossier: 97-1958-IT-I; 97-1968-IT-G

ENTRE :

STEPHEN TOBIAS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus ensemble sur preuve commune à Toronto (Ontario) le 3 février 1999. L'appelant a témoigné, ainsi que Gary Pollack ( « M. Pollack » ), et plusieurs pièces ont été déposées.

Point en litige

[2] Il s'agit de savoir si, comme administrateur de la Country Pride Discount Stores Incorporated (la « Discount » ) et de la Country Pride Leasing Incorporated (la « Leasing » ), l'appelant est responsable en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) en ce qui concerne les retenues à la source non remises par ces sociétés (les « sociétés » ) ou s'il peut se prévaloir de la défense de « diligence raisonnable » prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi. Il est bien connu que, en vertu de ces dispositions, un administrateur est responsable du manquement d'une société à l'obligation de remettre des retenues à la source, sauf s'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Faits

[3] L'appelant détient un diplôme universitaire en administration des affaires. Il jouait un rôle dans plusieurs entreprises depuis 1983. Ainsi, il était au courant des dispositions de la Loi relatives à la responsabilité des administrateurs.

[4] L'appelant était un administrateur des sociétés au cours des périodes où il y a eu défaut de remettre des retenues à la source. Il s'agit des mois de juin et juillet 1992 concernant la Leasing et des mois de février, mai, juin, juillet et août 1992 concernant la Discount. La Discount a été constituée le 30 mars 1990, et la Leasing, le 22 janvier 1991. L'appelant détenait 31 actions de chacune des sociétés. Un dénommé Bagri ( « M. Bagri » ) détenait également 31 actions de chacune des sociétés, et M. Pollack détenait 38 actions de chacune des sociétés. Ces trois personnes étaient les administrateurs initiaux des sociétés. M. Pollack était le président, l'appelant était le secrétaire et M. Bagri était le trésorier des deux sociétés.

[5] L'appelant était en outre le directeur et copropriétaire d'une autre société, appelée Delta Graphics.

[6] M. Pollack était l'élément moteur des sociétés. L'entreprise des sociétés tenait à l'exploitation de magasins de détail à partir de divers locaux loués. Initialement, il y avait six magasins. Ultérieurement, deux autres se sont ajoutés.

[7] Les sièges sociaux des sociétés sont situés dans les mêmes locaux que la Simone Imports Incorporated, une autre société appartenant à M. Pollack. En outre, M. Bagri avait une entreprise commerciale à proximité desdits locaux.

[8] M. Pollack, M. Bagri et l'appelant étaient devenus actionnaires et administrateurs des sociétés pour diverses raisons et espéraient que les magasins de détail seraient rentables. De plus, leurs propres entreprises personnelles fournissaient des produits aux magasins. L'entreprise de M. Pollack était le plus important fournisseur des magasins. À eux deux, M. Pollack et M. Bagri fournissaient environ 90 p. 100 des produits fournis par les trois entreprises personnelles. L'appelant n'en fournissait qu'environ 10 p. 100.

[9] M. Pollack, assisté de son aide-comptable, était la personne qui mettait la main à la pâte dans l'exploitation quotidienne des magasins. Il signait les baux, embauchait des gérants, qui de leur côté embauchaient des employés, commandait les stocks et prenait les mesures nécessaires pour les livraisons. C'est lui qui, à partir du siège social, s'occupait des comptes créditeurs, avec l'aide de son aide-comptable. M. Pollack et l'aide-comptable traitaient avec les créanciers, les banques, et prenaient les mesures relatives au financement. Des assemblées des administrateurs n'étaient pas tenues régulièrement et, jusqu'en avril 1991 à peu près, seules des réunions informelles étaient tenues, soit, habituellement, au bureau de M. Pollack. Parfois, il n'y avait que des réunions entre M. Pollack et M. Bagri. Ces réunions visaient essentiellement à déterminer comment allaient les magasins. Aucun état financier n'était examiné, mais l'appelant pouvait examiner des états concernant les comptes créditeurs, les stocks et les ventes. Les principales décisions étaient prises par M. Pollack. L'appelant ne prenait part à aucune décision importante. M. Bagri jouait un rôle un peu plus actif que l'appelant dans l'entreprise des magasins. Au début, il n'y avait jamais eu de problème relativement aux comptes créditeurs. La première année, les magasins allaient bien, toutes les retenues à la source étaient remises à Revenu Canada, et tous les créanciers étaient payés. Il n'y a eu aucune cause d'inquiétude au moins jusqu'en avril ou mai 1991.

[10] En avril 1991, l'appelant, parce qu'il se rendait compte qu'il n'était pas très actif dans l'exploitation des magasins et à cause de certaines divergences avec M. Pollack quant aux prix élevés que l'autre entreprise de M. Pollack demandait aux magasins, ce qui rendait ceux-ci moins rentables et moins concurrentiels, avait décidé de quitter les sociétés.

[11] Ainsi, les sociétés, M. Pollack, M. Bagri et l'appelant avaient passé une convention, signée le 21 mai 1991, en vertu de laquelle l'appelant promettait de vendre, et MM. Pollack et Bagri d'acheter, les actions détenues par l'appelant dans les sociétés. La vente des actions devait se conclure le 31 janvier 1992 ou à une date antérieure choisie par MM. Pollack et Bagri après réception, par l'appelant, d'un préavis écrit de 10 jours. La convention prévoyait en outre que les sociétés paieraient 159 027 $ à la société Delta Graphics de l'appelant. De plus, MM. Pollack et Bagri convenaient de faire tout ce qu'ils pouvaient pour que la banque libère l'appelant de la garantie qu'il avait donnée à l'égard d'un prêt de 200 000 $, faute de quoi ils livreraient à l'appelant certaines conventions d'indemnisation. Les mêmes dispositions devaient également valoir concernant toutes autres dettes et obligations qui avaient été garanties par l'appelant. MM. Pollack et Bagri convenaient en outre de livrer à la date de clôture une garantie dégageant l'appelant de toute responsabilité concernant l'ensemble des pertes, des dépenses et des dommages-intérêts pouvant résulter d'une action ou autre procédure ou réclamation à l'égard d'une dette ou obligation quelconque des sociétés. La convention prévoyait aussi que l'appelant, à la date de clôture de l'opération, résignerait ses fonctions d'administrateur et de dirigeant des sociétés.

[12] La convention couvrait en outre les points suivants. L'appelant avait prêté 100 000 $ à la Discount. Pour que la vente de ses actions se réalise et que la Delta Graphics soit payée, l'appelant avait accepté de ramener le montant de 100 000 $ à 50 000 $. Il a déclaré une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise pour 1991 à l'égard du montant de 50 000 $ auquel il avait renoncé. Des annexes de ladite convention prévoyaient des paiements échelonnés concernant aussi bien les 159 027 $ que lesdits 50 000 $. Le montant de 159 027 $ devait être payé en six versements mensuels égaux de 26 504 $, le premier devant être fait le 21 juin 1991, et le dernier, le 21 novembre 1991. Le montant de 50 000 $ devait être payé par versements de 16 666,66 $ le 31 octobre 1991, le 30 novembre 1991 et le 31 décembre 1991.

[13] L'appelant a déclaré dans son témoignage que le montant de 50 000 $ n'a jamais été payé et que, sur les 159 027 $, la Delta Graphics n'a reçu que les deux premiers paiements et une partie du paiement d'août.

[14] L'avocat de l'appelant lui avait conseillé de garder ses actions jusqu'à ce que les dettes susmentionnées soient payées et de ne pas résigner ses fonctions d'administrateur pour conserver un certain pouvoir de manière à veiller à ce que les dettes soient payées comme promis.

[15] L'appelant considérait qu'il ne faisait plus partie des sociétés au 21 mai 1991, malgré le fait qu'il continuait de détenir les actions et qu'il n'avait pas résigné ses fonctions d'administrateur. Il est devenu évident à l'automne 1991 que les paiements promis en vertu de la convention n'étaient pas faits à temps. L'appelant a cherché à inciter M. Pollack à effectuer les paiements. À partir du 21 mai 1991, l'appelant n'a pu obtenir de renseignements de M. Pollack quant à la situation financière des sociétés. Il n'était consulté sur rien, et il n'y avait pas d'assemblées des administrateurs. Bien que l'appelant n'ait reçu aucune documentation, M. Pollack l'avait verbalement avisé à partir de la période postérieure à mai 1991 que les magasins allaient bien, mais peu d'informations précises ont été données. Vers la fin de 1992, l'appelant a appris que Revenu Canada n'avait pas reçu certaines retenues à la source conservées par les sociétés et que Revenu Canada envisageait de poursuivre l'appelant en sa qualité d'administrateur. L'appelant avait retenu les services de Me Stanley O. Kotick, c.r. Me Kotick avait écrit une lettre à Revenu Canada (onglet 4 de la pièce A-1) disant que, depuis mai 1991, l'appelant n'avait rien à voir avec les sociétés et ne pouvait obtenir d'informations de M. Pollack. Le témoignage de M. Pollack confirme dans une très large mesure le témoignage de l'appelant, principalement quant au fait que M. Pollack dirigeait l'entreprise des sociétés et que l'appelant n'y participait guère, voire pas du tout. De plus, les magasins allaient bien en mai 1991, mais les ventes ont commencé à fléchir par la suite, et les magasins ont été fermés à la fin de 1991. M. Pollack peut avoir informé M. Bagri du manquement à l'obligation de remettre des retenues à la source, mais il n'en a pas parlé à l'appelant, car il estimait que l'appelant n'était plus un « associé » dans les entreprises des sociétés.

Arguments de l'appelant

[16] L'exposé du droit et de l'argumentation de l'appelant se lit comme suit :

[TRADUCTION]

EXPOSÉ DU DROIT ET DE L'ARGUMENTATION DE L'APPELANT

Dans ces appels, il s'agit de savoir si, comme administrateur de la Country Pride Discount Stores Incorporated et de la Country Pride Leasing Incorporated (les « sociétés » ), l'appelant doit être tenu pour responsable des retenues à la source non remises par les sociétés ou s'il est en droit d'invoquer la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. I (5e suppl.), dans sa forme modifiée.

I. DROIT ET ARGUMENTATION

A. Loi de l'impôt sur le revenu

1. Le paragraphe 227.1 (1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C.1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la « Loi » ), dispose ceci :

Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme [...] les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. I (5e suppl.), dans sa forme modifiée, paragraphe 227.1(1)

2. Le paragraphe 227.1(3) de la Loi prévoit une défense de « diligence raisonnable » lorsque l'administrateur a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Loi de l'impôt sur le revenu, précitée, paragraphe 227.1(3)

3. L'appelant était un administrateur des sociétés durant les périodes en cause, soit les mois de juin et juillet 1992 dans le cas de la Country Pride Leasing Incorporated et les mois de février, mai, juin, juillet et août 1992 dans le cas de la Country Pride Discount Stores Incorporated. L'appelant soutient qu'il est en droit de se fonder sur le paragraphe 227.1(3) de la Loi pour le motif qu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. La thèse de l'appelant est basée sur le fait que l'appelant n'avait aucune influence sur la gestion quotidienne et sur les affaires des sociétés et que, en mai 1991, soit neuf mois complets avant la première date du manquement, sa relation avec les sociétés avait en fait pris fin.

B. Jurisprudence

(i)La norme de soin en général

4. En déterminant si un administrateur est en droit d'invoquer la défense de « diligence raisonnable » , la norme de soin appropriée comporte un élément « objectif subjectif » . Plus particulièrement :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.), à la page 155

5. L'appelant soutient que, par rapport au critère « objectif subjectif » , il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Il avait examiné des informations financières, mais n'avait qu'une influence limitée sur la gestion des sociétés. En outre, après la date à laquelle il avait convenu de vendre ses actions, l'appelant n'a reçu aucune information et était en fait empêché d'avoir une influence sur les affaires des sociétés.

(ii)La norme de soin pour des administrateurs internes et pour des administrateurs externes

6. Bien que la responsabilité d'un administrateur ne soit pas simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe, c'est un bon point de départ pour l'analyse dans une affaire quelconque. De plus :

[...] il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. [...] Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

Affaire Soper, précitée, à la page 156

7. L'appelant soutient qu'il n'était pas un administrateur « interne » de l'une ou l'autre des sociétés puisqu'il ne participait pas à la gestion quotidienne et ne pouvait influer sur la conduite des entreprises. Donc, l'appelant n'est pas assujetti à la norme de soin plus élevée pouvant s'appliquer à des administrateurs internes.

8. Pour satisfaire à la défense de diligence raisonnable, un administrateur peut prendre des mesures concrètes en établissant des contrôles relatifs aux remises, en demandant des rapports périodiques et en confirmant que les remises ont été faites. Cependant, ces précautions ne sont pas des conditions préalables à l'établissement d'une défense. Un administrateur externe ne peut être tenu d'en faire autant. À moins qu'on ait un motif de suspicion, on peut se fier que la personne qui gère quotidiennement la société se chargera de payer des sommes comme celles qui sont dues à Sa Majesté.

Affaire Soper, précitée, aux pages 159 à 160

Sanford v. The Queen, 96 DTC 1912 (C.C.I.), aux pages 1914 à 1915

Cybulski v. M.N.R.,88 DTC 1531 (C.C.I.), à la page 1535

9. De plus, lorsqu'une personne examine des états financiers et reçoit de l'information étayant le point de vue selon lequel la situation financière de la compagnie est bonne, l'administrateur est en droit de se fier à une telle information, à moins d'avoir des raisons de croire qu'il en va autrement. Lorsqu'il n'y a aucune raison de mettre en doute la véracité des états et la fiabilité des assurances fournies par d'autres personnes, l'administrateur ne doit pas être tenu pour responsable.

Golfman v. M.N.R, 90 DTC 1863 (C.C.I.), à la page 1868

10. L'appelant soutient que, avant mai 1991, des mesures concrètes ont été prises concernant les montants à remettre à Revenu Canada, y compris la tenue de réunions périodiques visant l'examen de l'information commerciale et financière et la tenue d'examens périodiques au sujet d'états financiers. En fait, les sociétés n'étaient pas en défaut de paiement à l'égard de Revenu Canada durant cette période. L'appelant soutient que, comme administrateur ne participant pas à la gestion quotidienne, il n'avait aucune obligation de prendre de telles mesures concrètes pour établir qu'il avait agi avec une diligence raisonnable. Le fait qu'il ait pris de telles mesures positives étaye davantage son droit à cette défense.

11. Dans l'affaire Cloutier v. M.N.R., 93 DTC 544, le juge Bowman, de la C.C.I., a cité, en l'approuvant, la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Merson v. M.N.R., 89 DTC 22, dans laquelle il a été statué que le paragraphe 227.1(3) de la Loi n'exige pas le degré de soin, de diligence et d'habileté associé à une prudence excessive. Le juge Bowman disait en outre :

[...] Les administrateurs d'une corporation ne sont ni les fiduciaires ni les assureurs du ministre du Revenu national. Ils sont tenus, aux termes de l'article 227.1, d'agir avec une habileté et une prudence raisonnables de manière que le Ministre reçoive son dû. Cependant, si des administrateurs particuliers qui ne contrôlent ni la compagnie ni le conseil d'administration sont dans l'incapacité d'influer sur l'orientation prise par la compagnie, la loi n'exige pas qu'ils soient tenus responsables des obligations de la compagnie envers le fisc.

Cloutier v. M.N.R., 93 DTC 544, à la page 551

12. L'appelant soutient qu'il a toujours été un administrateur externe des sociétés, soit un administrateur qui ne participait pas à la gestion quotidienne et qui n'avait guère la possibilité de contrôler les sociétés ou les conseils d'administration. De plus, l'appelant soutient qu'il n'avait pas le pouvoir d'influer sur l'orientation prise par les sociétés et qu'il ne devrait donc pas être tenu pour responsable de leurs obligations envers Revenu Canada.

13. L'appelant soutient également que, à partir de mai 1991, il n'était administrateur des sociétés que de nom et ne l'était que pour conserver son pouvoir en vertu de la convention, de sorte que ses actions soient achetées. L'appelant n'avait absolument aucune influence sur le conseil d'administration et n'avait nullement le pouvoir d'influer sur les affaires des sociétés après cette date. Donc, il ne devrait pas être tenu pour responsable du défaut de remettre à Revenu Canada les sommes devenues exigibles quelque neuf mois plus tard.

(iii) La norme de soin dans les cas où un administrateur a rompu les liens qui l'unissaient à la société

14. Lorsqu'une personne a rompu sa relation avec la société dont elle était administrateur, une telle mesure la dégage de toute responsabilité du fait d'autrui à l'égard du manquement de la société à l'obligation de remettre des retenues à la source. Il en est particulièrement ainsi lorsque la personne est empêchée d'avoir une influence sur la société en raison de la rupture de la relation :

À mon avis, le principe général voulant que l'ignorance de la loi ne constitue pas une excuse [...] ne s'applique pas en l'instance. En adoptant le paragraphe 227.1(3), le Parlement a prévu une norme de conduite libératoire dont la présence s'apprécie selon les faits pertinents de chaque cas particulier et non en imputant au contribuable la connaissance d'un point du droit des sociétés passablement obscur que, dans les faits, un bon nombre de praticiens du droit ignorent probablement. Bien qu'au premier abord le paragraphe 227.1(3) semble exiger du contribuable qui en invoque l'application qu'il ait pris des mesures concrètes, cela n'est pas toujours le cas. Il peut arriver qu'un contribuable n'ait pas accompli de gestes précis, mais que l'on puisse considérer qu'il a exercé le degré de soin, de diligence et d'habileté attendu d'une personne raisonnablement prudente, qui fait naître l'exonération de responsabilité prévue au paragraphe en cause. C'est le cas en l'espèce. Je suis convaincu que l'appelant avait des motifs raisonnables de croire que la démission remise au président de la compagnie et acceptée par ce dernier rompait les liens qui le rattachaient à la compagnie à titre d'administrateur et de secrétaire-trésorier, et mettait fin à la responsabilité qu'il assumait à cet égard. Il n'est donc pas responsable du défaut de la compagnie de remettre les retenues à la source, d'autant plus qu'en l'espèce, la personne effectivement chargée de la direction des affaires a empêché l'appelant d'exercer toute influence sur la gestion de la compagnie après qu'il a remis sa démission.

Affaire Cybulski v. M.N.R., précitée, à la page 1535

Schultheiss v. The Queen, 97 DTC 863 (C.C.I.), à la page 865

15. L'appelant soutient que sa relation avec les sociétés avait en fait été rompue lorsqu'il avait convenu de vendre ses actions aux autres actionnaires et administrateurs, en mai 1991. Il n'avait qu'une influence très limitée sur la gestion des sociétés avant cette date et n'en avait absolument aucune après cette date. Il n'avait aucun pouvoir à cet égard. Certes, l'appelant n'avait pas résigné ses fonctions d'administrateur des sociétés, mais ce n'était que pour conserver un certain pouvoir, afin de veiller à ce que les paiements soient faits en vertu de ladite convention. La convention avait pour objet et a eu pour effet de rompre le rôle de l'appelant dans les sociétés et d'empêcher l'appelant de participer de façon quelconque à l'entreprise et aux affaires financières.

16. L'appelant soutient que, les défauts de remettre les sommes ayant eu lieu au moins neuf mois après la convention qu'il avait passée pour se faire racheter ses actions et quitter ainsi les sociétés, il ne devrait pas être tenu pour responsable en vertu du paragraphe 227.1(1). À l'époque des manquements à l'obligation de remettre les sommes à Revenu Canada, il y avait au moins neuf mois que la relation de l'appelant avec la société avait cessé. La rupture de la relation de l'appelant avec les sociétés empêchait l'appelant d'avoir une influence quelconque. Donc, il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Arguments de l'intimée

[17] L'avocate de l'intimée insiste sur l'instruction et sur l'expérience des affaires de l'appelant. L'appelant était en outre un important créancier des sociétés. L'appelant n'a rien fait pour prévenir les manquements à l'obligation de remettre les sommes. L'avocate de l'intimée a renvoyé à l'onglet 18 de la pièce R-1, qui énonce les détails de la déduction, par l'appelant, d'une perte admissible au titre d'un placement d'entreprise pour 1991 attribuable au fait que l'appelant avait renoncé aux 50 000 $, comme je l'ai mentionné précédemment. L'avocate concède que cela a probablement été établi en mars ou avril 1992, mais elle renvoie à l'affirmation selon laquelle la Discount était insolvable au 31 juillet 1991. L'appelant devait savoir que les sociétés étaient en difficulté financière, car les paiements prévus à la convention n'étaient pas effectués. L'avocate de l'intimée soutient que l'appelant avait le droit d'exiger une vérification en vertu de l'article 1.04 des conventions des actionnaires des deux sociétés (onglets 1 et 2 de la pièce A-1) et que, comme actionnaire, il avait également le droit d'exiger une vérification en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario. Il n'aurait pas dû simplement attendre sans intervenir et laisser les choses se détériorer.

[18] L'avocate de l'intimée fait référence à la décision rendue par notre cour dans l'affaire Byrt v. Minister of National Revenue, 91 DTC 923, et notamment au passage suivant, qui figure aux pages 930 et 931 :

Un administrateur doit être prudent. Il ne peut fermer les yeux sur les agissements irréguliers du président de la corporation, même si ce dernier contrôle également la majorité des actions de la compagnie. Le degré de prudence exigé au paragraphe 227.1(3) ne permet pas de prendre des risques. Pour agir avec le degré de soin, de diligence et d'habileté nécessaire pour prévenir le manquement d'une corporation de verser les retenues à la source et l'impôt de la partie VIII, l'administrateur doit tenir compte de ce qui se passe dans la corporation et de ce qu'il sait des personnes chargées des activités quotidiennes de la corporation. Si un administrateur prend connaissance d'un renseignement négatif sur les affaires de la corporation, dont les autres administrateurs n'ont pas connaissance, et qu'il n'essaie même pas de les en informer, il n'agit pas avec le degré requis de soin et de diligence. Il ne fait pas preuve de soin, de diligence et d'habileté lorsque, après s'être interrogé sur l'intégrité et la sincérité d'une personne, il ne fait rien pour exercer un contrôle sur les agissements de cette dernière. Une personne prudente, dans les circonstances, aurait au moins eu des soupçons et aurait dû accroître sensiblement son degré de soin et de diligence si elle avait choisi de rester administrateur de la corporation. On ne peut dire qu'un administrateur a fait tout ce qui était raisonnable, convenable, juste ou équitable lorsqu'il permet la poursuite d'irrégularités.

Analyse et décision

[19] À mon avis, pour les raisons principales suivantes, l'appelant a réussi à établir qu'il avait fait preuve d'une diligence raisonnable :

1. L'appelant était peut-être un administrateur externe depuis le début, c'est-à-dire depuis les dates de constitution des sociétés. Quoi qu'il en soit, il doit assurément être considéré comme ayant été un administrateur externe à partir de la période suivant la convention du 21 mai 1991.

2. La convention du 21 mai 1991 atteste que l'appelant voulait ne plus faire partie des sociétés et que, toutefois, suivant le conseil de son avocat, il est resté actionnaire et administrateur. Il ressort clairement de son témoignage et de celui de M. Pollack que, après la date de cette convention, il n'était plus « un associé » dans les sociétés. Les dispositions de la convention examinées précédemment étayent ce point de vue.

3. À partir de la période suivant la convention, l'appelant a été, pour l'essentiel, totalement empêché de recevoir de l'information financière au sujet des sociétés. Ses relations avec les sociétés avaient été rompues, et il ne participait plus de quelque manière aux activités des entreprises.

4. Jusqu'en mai 1991, l'appelant a reçu et examiné l'information écrite fournie par M. Pollack et l'aide-comptable concernant les ventes, les stocks et les comptes créditeurs, et il n'y avait eu aucun problème concernant les comptes créditeurs, y compris particulièrement les sommes à remettre à Revenu Canada.

5. Les manquements à l'obligation de remettre des sommes se sont produits bien après la convention du 21 mai 1991, le premier manquement ayant eu lieu neuf mois après.

6. L'instruction et l'expérience des affaires de l'appelant militent contre ce dernier dans sa défense de diligence raisonnable, mais, à mon avis, cela est compensé par les autres considérations examinées précédemment.

7. Je ne considère pas comme critique l'omission de faire faire une vérification à l'égard des sociétés. Un tel recours est assurément une mesure extrême et, quoi qu'il en soit, il faudrait qu'un administrateur ait un esprit juridique marqué pour savoir que le recours existait.

8. Les divers jugements mentionnés dans l'exposé du droit et de l'argumentation de l'appelant, notamment la décision Cybulski, étayent à mon avis la conclusion à laquelle je suis parvenu aux présentes.

[20] En conséquence, pour les motifs énoncés précédemment, l'appel est admis, avec dépens, et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de février 1999.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

[Traduction française officielle]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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