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Date: 19990810

Dossier: 98-1909-IT-I

ENTRE :

KAREN FOURNIER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Dans le calcul de son revenu de 1996, Karen Fournier, l'appelante, a entre autres inclus un présumé revenu de 54 917,79 $ provenant de la province d'Ontario, une allocation de retraite de 4 854,66 $ provenant de la province d'Ontario ainsi que des prestations d'emploi de 15 608,76 $ provenant d'un régime d'assurance-salaire et, dans le calcul de son revenu imposable, elle a déduit une somme de 42 500,05 $.

[2] Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard de Mme Fournier pour l'année 1996, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) n'a pas admis la déduction de la somme de 42 500,05 $, au motif qu'il s'agissait d'une “ allocation de retraite ” au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) et que cette somme devait être incluse dans le revenu en application du sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi. L'appelante insiste pour dire que cette somme n'a pas été reçue comme allocation de retraite, d'où l'appel interjeté à l'encontre de la cotisation.

[3] Mme Fournier avait commencé à travailler pour le ministère des Transports de l'Ontario en janvier 1989, aux termes d'un contrat à court terme, et était devenue employée permanente du ministère en octobre de la même année. Elle avait d'abord travaillé comme manoeuvre, sur les routes de la province, puis comme peintre d'enseignes, également sur les routes de la province. Elle a témoigné qu'elle était une des premières femmes à avoir occupé ces fonctions.

[4] Mme Fournier a témoigné que, à partir de mars 1989, elle avait été l'objet de harcèlement sexuel et physique, ainsi que de menaces de mort, de la part d'au moins trois employés du ministère avec lequel elle travaillait. Elle travaillait dans un immeuble avec 21 hommes et se faisait dire par plusieurs d'entre eux qu'elle “ n'était pas la bienvenue et qu'ils se débarrasseraient ” d'elle. Une fois, on l'avait poussée devant un véhicule en marche; une autre fois, une carcasse de dinde au cou transpercé par un couteau de boucherie de douze pouces avait été lancée sur la pelouse en avant de chez elle, ce qui avait effrayé son jeune garçon et l'avait fait déménager à un endroit secret.

[5] Mme Fournier avait fini par déposer auprès de son employeur une plainte fondée sur la politique de prévention de la discrimination et du harcèlement au travail, des griefs conformément à la procédure de griefs prévue dans la convention collective conclue par le ministère et le syndicat représentant les employés, ainsi que des plaintes en vertu de la législation de la province en matière de droits de la personne. Par une lettre en date du 10 décembre 1993, le sous-ministre des Transports, ayant reçu le rapport de l'enquêteur relatif aux plaintes de Mme Fournier, avait confirmé que bon nombre des allégations de celle-ci étaient fondées.

[6] L'avocate de l'intimée a reconnu que Mme Fournier avait été l'objet de harcèlement. Je conclus que le harcèlement subi par Mme Fournier, dont seulement deux exemples sont fournis dans les présents motifs, était grave et a été préjudiciable à la santé mentale et physique de cette dernière, comme en fait foi son témoignage.

[7] Mme Fournier et le ministère des Transports ont signé le 25 octobre 1995 un procès-verbal de règlement concernant les divers griefs et plaintes. Selon le procès-verbal, le ministère “ [traduction] a consenti à financer un programme conçu pour que Mme Fournier soit déchargée des frais réellement engagés en vue de son recyclage et de la création éventuelle d'une nouvelle entreprise ”. Le ministère a accepté de lui rembourser des frais comme les frais de scolarité, les frais de formation et d'orientation professionnelles, les frais de garde d'enfants et les frais d'achat de matériel professionnel, de manière qu'elle puisse avoir un travail hors de la fonction publique de l'Ontario, y compris un travail indépendant.

[8] La limite du fonds destiné à Mme Fournier était de 50 000 $ bruts (avec déductions applicables). Les demandes de remboursement présentées par Mme Fournier à l'égard du fonds devaient être étayées par des reçus. Aucun reçu n'était requis pour les frais de garde d'enfants, lesquels ne devaient cependant pas dépasser 5 000 $.

[9] Contre la réception d'une somme maximale de 50 000 $ du ministère, Mme Fournier avait accepté d'être mise en congé de maladie du 27 octobre 1995 au 26 avril 1996, soit pour six mois. Pour cette période de six mois, elle présenterait une demande de prestation d'invalidité de longue durée. Aussitôt après avoir présenté sa demande, elle serait réputée ne plus être une employée du ministère, et la cessation de son emploi serait désignée dans les livres du ministère comme étant une démission. En outre, elle retirerait tous les griefs et plaintes contre le ministère.

[10] Le ministère a effectué des retenues à la source sur les paiements faits à Mme Fournier, y compris en matière de garde d'enfants, et a délivré à cette dernière pour l'année 1996 des feuillets T4 et T4A faisant état de son revenu brut ainsi que des déductions.

[11] Le paragraphe 248(1) définit comme suit une “ allocation de retraite ” :

Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d'un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

a) soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

b) soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

[12] Les sommes que Mme Fournier a reçues du ministère n'ont pas été reçues “ à l'égard de la perte [...] d'un emploi, [...] à titre de dommages ”. Le ministère n'a fait aucun paiement à l'égard de la perte d'un emploi, et Mme Fournier n'a reçu aucun pareil paiement. Les paiements ont été faits parce que des employés du ministère avaient harcelé l'appelante et que cette dernière avait une réclamation valable en dommages-intérêts contre le ministère en raison des actes de ces employés.

[13] La question de savoir si le ministère a admis la réclamation de l'appelante n'est pas pertinente aux fins du présent appel. Quoi qu'il en soit, le sous-ministre des Transports a reconnu le comportement grossier et dangereux de plusieurs des employés de son ministère. Ce comportement a été la cause des plaintes et griefs de l'appelante. C'est pourquoi le ministère a accepté de faire les paiements à Mme Fournier. Celle-ci travaillait pour le ministère lorsqu'elle a consenti à signer le procès-verbal de transaction. Quant au fait qu'elle devait accepter de démissionner, il s'agit simplement là d'une façon pour le ministère de se débarrasser d'un employé. L'argent que Mme Fournier a reçu ne lui a été versé ni en contrepartie de son acceptation de quitter l'emploi qu'elle exerçait pour le ministère ni à titre de dommages-intérêts pour le stress, les préjudices d'ordre médical ou d'autres préjudices qu'elle avait subis par suite de la cessation de son emploi[1].

[14] La somme de 42 500,05 $ reçue par Mme Fournier du gouvernement de l'Ontario n'est pas un revenu provenant d'une source, contrairement à ce que l'intimée a soutenu. Le concept de revenu, pris dans son sens ordinaire, a trait à des rentrées d'argent récurrentes et ne s'applique pas à une somme forfaitaire reçue ou payée parce qu'une source de revenus a été enlevée ou détruite[2]. De même, ce concept ne vise pas les paiements reçus en raison de torts causés à la personne d'un contribuable.

[15] Conclure que les paiements reçus par Mme Fournier sont imposables en application de l'alinéa 3a) de la Loi, qui est une disposition d'ordre général, ce serait ne pas tenir compte du fait que le législateur a choisi de traiter de l'imposabilité de telles sommes dans les dispositions de la Loi concernant les allocations de retraite[3].

[16] La somme de 42 500,05 $ n'est pas visée par le concept de revenu, pris dans son sens ordinaire, et ne correspond pas à ce qui est normalement considéré comme une rentrée d'argent récurrente. Cette somme n'est pas un revenu provenant d'une source.

[17] En conséquence, l'appel est admis, avec dépens s'il en est.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'août 1999.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Voir par exemple Stolte c. Canada, [1996] A.C.I. no 215, Q.L. (C.C.I.).

[2]               Schwartz v. The Queen, (1996) 96 DTC 6103 (C.S.C.), à la p. 6107, juge La Forest.

[3]               Affaire précitée, à la p. 6117.

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