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Date: 20000602

Dossiers: 98-787-UI; 98-154-CPP; 98-664-UI; 98-781-UI

ENTRE :

DAVID MARTIN, CYRIL CHISHOLM, DIETHELM von LIERES,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

Intimé.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, J.C.A.

[1] Ces affaires ont été entendues ensemble. Elles concernent toutes la même question : les appelants exerçaient-ils un emploi assurable au sens donné à cette expression aux alinéas 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage ou 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, selon le cas, et, dans le cas de David Martin, à l'article 6 du Régime de pensions du Canada.

[2] Le problème se pose de la façon suivante. Les trois appelants et une autre personne, M. Martin Palmer, qui ne comparaît pas, sont des artisans qualifiés. M. Martin est menuisier et ébéniste. M. Von Lieres est un designer. M. Chisholm est plâtrier et M. Palmer est maçon. Ils se connaissaient aussi bien professionnellement qu'en dehors du travail et ils ont décidé d'exploiter une entreprise constituée en société. En 1987, MM. Von Lieres, Martin et Palmer ont constitué une société, la Von Lieres Designers Ltd. En 1991, M. Chisholm en est devenu actionnaire et administrateur. Ces quatre personnes sont des actionnaires à parts égales de la société.

[3] Les trois appelants ont témoigné, ainsi que M. Edward Chirico, un comptable qui a agi pour la société et les actionnaires particuliers depuis 1987.

[4] Bien que le ministre ait fait valoir plusieurs hypothèses, la suivante est fondamentale au règlement de cette affaire :

[TRADUCTION]

n) l'appelant et les autres actionnaires étaient quatre entrepreneurs indépendants qui fournissaient des services derrière un voile corporatif mais exploitaient en réalité une entreprise semblable à une coentreprise.

[5] La prétention des appelants voulant qu'ils soient des employés de la société est relativement simple. La position de l'intimé est conceptuellement plus complexe. Elle soulève un certain nombre de questions :

a) si les actionnaires particuliers sont des entrepreneurs indépendants (c'est-à-dire s'ils travaillent en vertu d'un contrat d'entreprise), vis-à-vis de qui étaient-ils des entrepreneurs indépendants : la société ou les clients pour qui le travail était accompli?

b) que signifie l'expression “ fournissaient des services derrière un voile corporatif ”? Faut-il comprendre que la forme de société est un trompe-l'oeil que l'on peut écarter au profit d'une autre forme d'entreprise qui plaît davantage au ministre?

c) que signifie l'expression “ exploitaient en réalité une entreprise semblable à une coentreprise ”? Nous aventurons-nous ici dans les eaux dangereuses du fond de préférence à la forme?

[6] J'ai l'intention d'aborder la question au moyen d'une analyse à trois volets :

a) quels sont les faits?

b) à la lumière des faits, l'hypothèse exprimée à l'alinéa n) précité est-elle correcte?

c) si elle est correcte quant aux faits, s'ensuit-il en droit que le rapport entre les appelants et la société n'est pas celui d'un contrat de louage de services?

[7] Le concept à la base de la constitution en société est exposé dans la note déposée pour le compte des appelants par M. Martin, qui a plaidé la cause pour tous les appelants. La note disait en partie :

[TRADUCTION]

En 1987, nous avons conçu et constitué une société qui devait être un service de construction complet depuis le dessin jusqu'au produit fini. Nous voulions que la société soit petite au départ, qu'elle fonctionne avec efficacité, fasse preuve de flexibilité face à une dynamique mouvante et offre un milieu de travail agréable. Un comptable agréé, M. Albert Le Blanc et un avocat, Me Edmund W. Chaisson, ont conçu la structure originale de la société. MM. Diethelm Von Lieres, Martin Palmer et David Martin, de bonne foi, se sont mis au travail [. . .] En 1991, M. Cyril Chisholm, un excellent artisan, était disponible et il s'est joint aux administrateurs. Nous avions même songé à la collaboration d'un électricien-plombier pour compléter la liste des métiers principaux de la construction domiciliaire, mais cette adjonction ne s'est pas faite.

[8] Chaque actionnaire était rémunéré par la société selon un taux horaire fondé sur le nombre d'heures de travail et sur les tarifs en vigueur dans le métier concerné. Ils discutaient des projets qu'allait entreprendre la société. Dans certains cas, les talents de tous les actionnaires étaient mis à contribution, alors que parfois, on faisait appel à un seul corps de métier. Il est toutefois important de souligner que tous les projets étaient traités comme étant ceux de la société. Celle-ci fournissait les devis estimatifs, facturait les clients, qui la payaient, et les revenus combinés étaient déposés dans le compte bancaire de la société et servaient à rémunérer les employés, qu'ils aient été les appelants ou d'autres employés engagés pour accomplir un travail particulier. Les relations contractuelles existaient entre les clients et la société.

[9] Les appelants et les avocats de l'intimé ont tous renvoyé aux critères de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.N.R., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). On a discuté considérablement du critère unique “ composé de quatre parties intégrantes ” énoncé dans cet arrêt, mais, en dernière analyse, la question tient à savoir si nous sommes en présence d'une relation employeur-employé entre les appelants et la société, ce qui oblige à examiner l'ensemble de la situation et à attribuer à tous les facteurs le poids qui leur convient.

a) La société fournissait certains outils et les appelants en fournissaient d'autres. Ce facteur ne pointe de façon concluante vers aucune direction.

b) Le critère d'intégration est parfois difficile à appliquer. Les appelants formaient indiscutablement une partie essentielle et intégrante du bon fonctionnement de l'entreprise de la société.

c) Le critère du contrôle est également peu concluant lorsqu'il s'agit d'une petite société à capital fermé. Dans la mesure où cela est pertinent, les appelants semblent avoir été disposés à renoncer à leur indépendance et à leur liberté d'action au profit de la collectivité dans son ensemble. Je discute de ce point plus loin et de façon plus détaillée relativement à l'affaire Lee (ci-dessous).

d) Quant aux chances de bénéfice et aux risques de pertes, les appelants étaient rémunérés selon un taux horaire pour le travail accompli, indépendamment du profit produit ou pas par l'opération. Naturellement, en l'absence de travail, ils n'étaient pas employés.

[10] Je vais exposer seulement quelques-uns des autres faits sur lesquels s'est appuyé l'intimé.

[TRADUCTION]

e) chacun des actionnaires a soumissionné relativement à des contrats choisis uniquement par lui.

Cela ne cadre pas avec la preuve. Il est évident que des travaux correspondant aux compétences d'un actionnaire particulier auraient pour lui davantage d'intérêt, mais la preuve montre que les actionnaires se consultaient au sujet des nouveaux travaux.

[TRADUCTION]

f) chaque actionnaire était responsable de son propre travail.

Les artisans qualifiés se considèrent habituellement tels, qu'ils soient des employés ou des entrepreneurs indépendants.

[TRADUCTION]

g) chaque actionnaire a complété le travail requis, à la suite d'une soumission retenue, d'une manière jugée satisfaisante par le client.

La pertinence de ce point à la question en litige ne ressort pas à première vue.

[TRADUCTION]

h) personne, pour le compte du payeur, n'a dirigé ni contrôlé l'appelant dans l'exécution de son travail.

Il est ici question d'artisans qualifiés et non pas de manoeuvres non spécialisés. Le fait qu'un employé soit si qualifié que nul ne peut le superviser ne lui retire pas pour autant sa qualité d'employé, ni ne transforme la relation employeur-employé en quelque chose de différent.

[TRADUCTION]

i) chaque actionnaire déterminait les heures pendant lesquelles il avait travaillé et il en soumettait le total à la secrétaire du payeur à des fins de rémunération sans approbation de la part des autres actionnaires.

Les taux horaires étaient fixés par les actionnaires de concert. Les heures travaillées étaient fonction des exigences du travail. Les quatre actionnaires se faisaient confiance. Je ne vois pas comment la cause des appelants serait favorisée s'ils avaient obtenu l'approbation des autres actionnaires chaque fois qu'ils présentaient une feuille de présence.

[11] J'en arrive maintenant à la seconde partie de cette analyse : les faits appuient-ils l'hypothèse selon laquelle

[TRADUCTION]

n) l'appelant et les autres actionnaires étaient quatre entrepreneurs indépendants qui fournissaient des services derrière un voile corporatif mais exploitaient en réalité une entreprise semblable à une coentreprise.

[12] Comme on l'a dit, le sens exact de cette hypothèse est difficile à établir. Toutefois, si son sens est celui que je soupçonne, c'est-à-dire que nous sommes en réalité en présence d'un trompe-l'oeil, une coentreprise déguisée en société, ce n'est tout simplement pas le cas. La forme de société a été respectée par les appelants, et le ministre et la Cour devraient la respecter également. Prenons l'exemple de quatre personnes oeuvrant au sein d'une société de personnes. Il y a des conséquences juridiques liées à l'exploitation de cette forme d'entreprise, soit un mandat entre les associés et une responsabilité illimitée, pour n'en mentionner que deux, aussi bien qu'un régime fiscal plutôt complexe en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. S'ils décident de créer une société et d'y faire entrer la société de personnes, l'entreprise peut sembler, au simple observateur, être pratiquement identique à celle de la société de personnes, mais en droit, elle est fondamentalement différente. Les anciens associés deviennent actionnaires, leurs droits et obligations l'un envers l'autre aussi bien qu'à l'égard des tiers sont radicalement différents. Les conséquences fiscales sont complètement différentes. Le revenu des actionnaires revêt la forme d'un traitement ou d'une rémunération provenant d'un emploi ou de dividendes. Cependant, on n'a entendu ni le ministre ni les contribuables dire que la forme de société devrait être oubliée pour traiter la relation existante comme s'il s'agissait de la société de personnes originale.

[13] Je conclus que, dans les faits et en droit, l'hypothèse énoncée à l'alinéa n) n'est pas exacte.

[14] La troisième partie de l'analyse est la suivante : même si l'hypothèse à l'alinéa n) était exacte, entraînerait-elle la conclusion que les appelants n'exerçaient pas un emploi assurable, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas engagés en vertu d'un contrat de louage de services?

[15] Je pose en principe que l'expression “ contrat de louage de services ” dénote une relation employeur-employé et qu'il n'est pas besoin d'un contrat écrit entre l'employeur et l'employé.

[16] Deuxièmement, je crois qu'il est clair que les mêmes règles s'appliquent sous le régime du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage ou de la Loi sur l'assurance-emploi qu'en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire que, si le contribuable est considéré comme un employé plutôt qu'un entrepreneur indépendant aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, de sorte que son revenu est tiré d'une charge ou d'un emploi plutôt que d'une entreprise, il doit être considéré comme étant employé en vertu d'un contrat de louage de services aux fins du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur l'assurance-emploi.

[17] Nous sommes en présence du cas où le revenu des appelants est un revenu d'emploi. On ne pourrait raisonnablement prétendre que le taux horaire que leur versait la société constituait un revenu tiré d'une entreprise.

[18] Pour que l'hypothèse énoncée à l'alinéa n) se tienne, il faudrait accepter l'une de trois thèses.

[19] La première est que la relation professionnelle et de fait la structure de la société dans son ensemble est un trompe-l'oeil. La définition ordinaire de trompe-l'oeil que les tribunaux canadiens ont acceptée est celle que Lord Diplock a exposée dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 à la p. 528 :

[TRADUCTION]

Pour ce qui est de la prétention du demandeur que les opérations entre lui, Auto-Finance, Ltd. et les défenderesses sont un “ trompe-l'oeil ”, j'estime nécessaire de se demander quel concept juridique entre en jeu, s'il en est, dans l'emploi de ce mot populaire et péjoratif. Je crois que, s'il a un sens en droit, il désigne des actions faites ou des documents signés par les parties au “ trompe-l'oeil ” et destinés à créer l'impression, dans l'esprit des tiers ou du tribunal, de l'existence entre les parties de droits et d'obligations juridiques autres que ceux et celles (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer. Une chose que je crois, cependant, très claire en ce qui concerne les principes juridiques, la morale et la jurisprudence (voir l'arrêt Yorkshire Railway Wagon Co. v. Maclure; Stoneleigh Finance, Ltd. v. Phillips), c'est que si des actions ou des documents doivent constituer un “ trompe-l'oeil ”, avec les conséquences juridiques qui en découlent, ceux qui y sont parties doivent tous bien entendre que les actes ou les documents ne créent pas les droits et les obligations juridiques qu'ils donnent l'impression de créer. Aucune intention non exprimée de l'auteur d'un “ trompe-l'oeil ” n'a d'effet sur les droits d'un tiers qu'il a dupé.

[notes en bas de page omises]

[20] Cette définition a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt M.R.N. c. Cameron, [1974] R.C.S. 1062, à la page 1068 (72 DTC 6325, à la page 6328) et dans l'arrêt Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 DTC 6305). Dans le second arrêt, le juge Estey a dit aux pages 572 et 573 (DTC : aux pages 6320-6321) :

Il n'a pas été question de documents antidatés ou de falsification de documents après les événements. On ne peut soutenir que l'opération elle-même et la forme dans laquelle les parties, leurs conseillers juridiques et comptables l'ont réalisée l'ont été de manière à créer une fausse impression pour les tiers, notamment les autorités fiscales. L'apparence créée par les documents correspond précisément à la réalité. Les obligations prévues dans les documents étaient des obligations juridiques dans le sens qu'elles étaient absolument exécutoires en droit.

[21] La même chose s'applique ici. Les rapports juridiques créés étaient réels. Il n'y a évidemment aucun trompe-l'oeil.

[22] La seconde proposition qui découle de l'hypothèse à l'alinéa n) est que le ministre du Revenu national a le droit d'appliquer aux questions afférentes au Régime de pensions du Canada, à l'assurance-chômage et à l'assurance-emploi une forme du concept mal défini selon lequel “ le fond l'emporte sur la forme ”, c'est-à-dire que, si le contribuable choisit de donner à son entreprise une forme ou une structure particulières, les autorités fiscales peuvent, si cela leur convient, écarter sans ménagement les relations juridiques créées pour dire, en fait, vous auriez pu agir différemment, alors nous allons vous traiter comme si c'était le cas. Cette notion n'est pas plus acceptable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada qu'elle ne l'est en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans l'arrêt Banque Continentale du Canada c. La Reine, C.C.I., no 91-683(IT)G, 4 août 1994 (94 DTC 1858), confirmé par [1998] 2 R.C.S. 358 (98 DTC 6505), le concept voulant que le fond l'emporte sur la forme a été débattu assez longuement. À la page 30 (DTC : page 1871), on peut en lire le résumé suivant :

Le principe qu'il faut dégager de ces précédents est simplement qu'on ne peut changer aux fins de l'impôt sur le revenu la nature essentielle d'une opération en lui donnant un nom différent. C'est le véritable rapport juridique, et non le nom qu'on lui donne, qui importe. Inversement, le ministre ne peut pas dire au contribuable : “Vous avez utilisé une structure juridique mais vous avez obtenu le même résultat économique que celui que vous auriez obtenu si vous aviez employé une autre structure. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de la structure que vous avez utilisée et je vais vous traiter comme si vous aviez employé l'autre structure”.

[23] Il n'y a en l'espèce aucune raison de ne pas tenir compte de la structure corporative choisie par les appelants simplement parce que le ministre croit que la façon dont ils ont décidé de structurer leurs affaires peut ressembler superficiellement quelque peu à une coentreprise.

[24] La troisième thèse en vertu de laquelle l'intimé peut chercher à mettre de côté la structure formelle choisie, c'est que, dans le cadre d'une société à capital fermé, il ne peut jamais y avoir une relation employeur-employé entre la société et l'actionnaire majoritaire ou le petit groupe d'actionnaires majoritaires en raison de la théorie selon laquelle le degré nécessaire de contrôle ne peut exister. Cette proposition est incorrecte en droit, et elle a été définitivement écartée dans l'arrêt Lee v. Lee's Air Farming Ltd, [1961] A.C. 12 (Conseil privé). Dans cette affaire, on prétendait que l'actionnaire majoritaire et unique directeur général d'une société ne pouvait être un “ travailleur ” aux fins de la Compensation Act, 1922, de la Nouvelle-Zélande parce qu'il ne pourrait être un employé de la société.

[25] Aux pages 26 et 27, Lord Morris of Borth-y-Gest a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les juges n'estiment pas non plus qu'aucune obligation contractuelle a été invalidée parce que le défunt était l'unique administrateur général investi de l'administration et du contrôle entiers de la société. Tenant toujours pour acquis que la société n'était pas un trompe-l'oeil, sa capacité de conclure un contrat avec le défunt ne peut être contestée simplement parce que le défunt agissait en qualité de représentant de la société dans le cadre de ses négociations. Le défunt aurait pu conclure le contrat ferme de servir la société pendant un nombre d'années déterminé. Si, au cours de cette période, il avait résigné ses fonctions d'administrateur général et d'autres directeurs avaient été nommés, son contrat n'aurait pas été touché. Le fait qu'en sa qualité d'actionnaire il était en mesure de contrôler les événements ne suffirait pas, à lui seul, à atteindre la validité de sa relation contractuelle avec la société. Donc, lorsque l'on dit que “ l'un de ses premiers gestes a été de se nommer “ l'unique pilote de la société ””, il faut reconnaître que la nomination avait été faite par la société, et qu'elle n'en était pas moins valide parce que c'était le défunt lui-même qui y avait pourvu, en sa qualité de représentant de la société. Les juges considèrent qu'il découle logiquement de la décision dans l'affaire Salomon qu'une personne puisse jouer deux rôles à la fois. Il n'y a donc aucune raison de nier la possibilité de la création d'une relation contractuelle entre le défunt et la société. Si cette étape est atteinte, les juges ne voient alors aucune raison pour laquelle l'éventail des relations contractuelles possibles ne pourrait comprendre un contrat d'entreprise, et si le défunt, en sa qualité de représentant de la société, pouvait négocier un contrat d'entreprise entre la société et lui-même, il n'y a aucune raison pour qu'un contrat de louage de services ne puisse aussi avoir été négocié. On dit que là réside la difficulté, parce que l'on fait valoir que le défunt ne pouvait à la fois avoir l'obligation de donner des ordres, et celle également d'y obéir. Mais ce point de vue ne tient pas compte du fait que ce serait la société, et non pas le défunt, qui donnerait les ordres. Le contrôle demeurerait entre les mains de la société, qui que soit le représentant qui l'exerce. Le fait qu'aussi longtemps que le défunt restait administrateur général investi des pleins pouvoirs, il lui appartiendrait d'agir en qualité de représentant de la société et de donner des ordres, ne modifie pas le fait que celle-ci et le défunt constituaient deux personnes juridiques distinctes. Si le défunt était lié à la société par un contrat de louage de services, la société possédait alors un droit de contrôle. Son mode d'exercice n'atteindrait ni ne diminuerait le droit à cet exercice. Mais l'existence d'un droit de contrôle ne peut être nié dès lors que la réalité de l'existence juridique de la société est reconnue. Tout comme la société et le défunt constituaient des personnes juridiques distinctes de façon à permettre l'existence entre elles de relations contractuelles, de la même façon, ils constituaient des personnes juridiques distinctes permettant à la société de donner des ordres au défunt.

[26] Le Conseil privé a suivi les arrêts Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22, et Inland Revenue Commissioners v. Sansom, [1921] 2 K.B. 492 (C.A.).

[27] L'arrêt Lee a été suivi par le juge en chef adjoint Christie dans l'affaire Coulter v. M.N.R., 86 DTC 1048 aux pages 1049 et 1050, et dans l'affaire Boychuk c. M.R.N., C.C.I., no 90-2060(IT), 28 février 1992 (92 DTC 1300).

[28] On en vient donc à ceci : il n'y a tout simplement aucun fondement qui permettrait de négliger ou d'écarter les relations formelles et obligatoires entre les appelants, leur société et les clients de cette dernière au profit de quelqu'arrangement nébuleux et équivoque imaginé par le ministre du Revenu national (sans qu'il l'ait formulé avec la moindre précision) aux fins de refuser aux appelants des prestations d'assurance-chômage ou, dans le cas de M. Martin, des prestations du Régime de pension du Canada.

[29] Les appels sont accueillis et les règlements ou les décisions selon lesquels les appelants n'exerçaient pas un emploi assurable au cours des périodes concernées aux fins de la Loi sur l'assurance-chômage, de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada sont modifiés au motif que les appelants exerçaient un emploi assurable chez Von Lieres Designers Ltd. au cours des périodes en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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