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Date: 19990514

Dossier: 97-3395-IT-G

ENTRE :

RONALD NOSEWORTHY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel interjeté conformément à la procédure générale a été entendu à St. John’s, Terre-Neuve, les 10 et 11 mai 1999. L’appelant a témoigné et a cité Lou Collins un distributeur de grade « Émeraude » dans le réseau Amway. L’intimée a cité Ronald Kenny, le vérificateur qui a examiné le dossier de M. Noseworthy.

[2] L’appelant a interjeté appel parce que les pertes dont avait demandé la déduction en 1994 et 1995 à l’égard de son occupation comme distributeur Amway n’ont pas été autorisées.

[3] Les paragraphes 7 à 9 inclusivement de la Réponse à l’avis d’appel sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

7. Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995, l’appelant a déduit les sommes de 20 885,39 $ et de 24 055,33 $ à titre de pertes d’entreprises subies à l’égard de son occupation comme distributeur Amway (l’ « occupation » ) au sein d’un groupe de marketing de réseau.

8. En établissant les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 1994 et 1995 le ministre n’a pas autorisé la déduction des pertes.

9. En établissant les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant le ministre s’est appuyé, entre autres, sur les faits admis ci-dessus et les hypothèses suivantes :

(a) Joy Noseworthy, l’épouse de l’appelant, a commencé à exercer l’occupation en février 1990;

(b) durant les périodes en l’espèce, l’appelant et son épouse ont exercé l’occupation comme des associés;

(c) l’appelant ne prévoit pas apporter bientôt de changements importants à la façon dont il exerce l’occupation;

(d) quand il a commencé à exercer l’occupation, l'appelant n'avait suivi aucune formation et ne possédait aucune expérience dans le domaine;

(e) en tout temps pertinent, l’appelant travaillait comme professeur à plein temps;

avant de commencer à exercer l’occupation, l’appelant n’a pas préparé de plan d’affaires pour déterminer si elle serait profitable;

il n’est pas nécessaire d’engager d’importants frais d’établissement avant de se lancer dans cette occupation;

(h) il n’est pas nécessaire de conclure de conventions de bail ou d’engager d’importantes dépenses en capital relativement à cette occupation;

(i) de 1990 à 1995, l’appelant a déclaré avoir subi les pertes d’entreprise suivantes à l’égard de son occupation :

Année

d’imposition

Revenu brut

Dépenses

(Perte)

1990

2 791 $

18 827 $

(16 036 $)

1991

209 536 $

221 245 $

(11 709 $)

1992

148 019 $

174 053 $

(26 034 $)

1993

199 806 $

220 249 $

(20 443 $)

1994

194 246 $

215 131 $

(20 885 $)

1995

212 881 $

236 936 $

(24 055 $)

(j) les montants de revenu brut qui figurent à l'alinéa 9(i) ci-dessus comprennent les primes relatives aux ventes et au rendement et les rabais sur le matériel de promotion payés par Amway, une partie des primes et des rabais étant versée à d’autres personnes;

(k) une fois révisés pour tenir compte des primes et des rabais versés à d’autres personnes, les états des résultats relatifs à l’occupation et le profit brut rajusté pour 1994 et 1995 se résument ainsi :

1994

1995

Ventes

168 651,83 $

184,414,69$

Prime au rendement

25 595,05

28 467,24

Revenu brut

194 246,88

212 881,93

Moins :

Coût des

marchandises vendues

175 718,54$

185 557,20$

*Primes versées aux distributeurs en aval

15 587,09

16 405,91

PROFIT BRUT

2 941,25$

10 918,82$

Dépenses d’exploitation :

23 826,64

34 974,15

Perte nette

(20 885,39)$

(24 055,33)$

*comprend les primes gagnées par les distributeurs et les rabais sur le matériel de promotion.

(l) l’appelant n’avait pas d’expectative raisonnable de profit à l’égard de l’occupation durant les années d’imposition 1994 et 1995;

(m) les dépenses que l’appelant a engagées à l’égard de l’occupation ne l’ont pas été dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’une propriété;

(n) les dépenses dont l’appelant demande la déduction à l’égard de l’occupation étaient des dépenses personnelles et des dépenses de subsistance.

[4] Les hypothèses 9(a), (b), (c), (e), (f), (g), (h), (i), (j) et (k) sont fondées. En ce qui concerne l’hypothèse 9(b), l’appelant a nié l'existence d'une société et il a déduit toutes les pertes à l’égard d’Amway de son revenu comme professeur. Mais, il ressort de la preuve qu’en 1990, le nom de M. Noseworthy a été ajouté à celui de son épouse dans le contrat conclu avec Amway et que le nom de cette dernière n’a jamais été enlevé, que le compte d’affaires ouvert à la banque était au nom des deux, et que l’un ou l’autre signait les chèques, que Mme Noseworhty s’occupait de la tenue de livres, prenait les commandes de produits Amway et les classait et répondait aux appels placés au numéro de téléphone dédié à Amway, que son épouse conduisait l’automobile quand il s’agissait d’aller rencontrer les distributeurs potentiels et qu’elle assistait aux réunions et aux conventions d’Amway, que M. Noseworthy incluait les dépenses de son épouse dans celles qu’il déduisait relativement à Amway. Les chèques d’Amway étaient libellés au nom des deux. En outre, quand ils enregistraient leur raison sociale « Global Marketing » auprès de divers organismes publics, M. et Mme Noseworthy indiquaient qu’ils étaient des associés par rapport à leurs activités dans Amway. Il ressort du témoignage de M. Noseworthy que c’est lui qui, dans une large mesure, s’occupait du recrutement à l’extérieur tandis que son épouse, elle, s’occupait des activités de l'entreprise à la maison. Ils étaient des associés, et il n’y a pas de preuve qu’ils avaient conclu une entente sur le partage des profits et des pertes. En conséquences, M. Noseworthy ne peut, à tout événement, retirer que 50 % des profits de la société et déduire seulement 50 % des pertes de celle-ci.

[5] En ce qui concerne l’hypothèse 9(d), M. Noseworthy n’avait suivi aucune formation ni acquis d’expérience relatives à l’occupation avant de commencer à l'exercer. Lui et son épouse avaient été propriétaires de chevaux pendant quelques années avant 1990. Ils avaient subi des pertes chaque année, et M. Noseworthy les avait toutes déduites de son revenu comme professeur.

[6] M. Noseworty a pris sa retraite le 31 octobre 1998. Il semble être âgé de 55 ans environ. En tout temps pertinent en l’espèce, il demeurait à Grand Bank sur la péninsule Burin, à Terre-Neuve. Son épouse ne travaille pas à l’extérieur, et ils ont deux filles maintenant âgées de 25 et de 22 ans. M. Noseworthy détient un baccalauréat ès arts ainsi qu’un baccalauréat et une maîtrise en éducation. Pendant toutes les années durant lesquelles il a été professeur et toutes les années en l’espèce, M. Noseworthy a enseigné l’anglais à plein temps dans une école secondaire.

[7] M. Noseworthy a témoigné que Gerald Howit l’avait été recruté comme distributeur Amway en 1990. Il a dit qu’il s’était joint au réseau Amway dans l’intention de devenir un distributeur « Émeraude » et pour arrondir sa pension de professeur. Il escomptait atteindre le degré de distributeur « Émeraude » et être en mesure de gagner un revenu annuel net de 80 000 $ à 100 000 $ dans un délai de cinq ans, soit vers 1994. Il a témoigné que dans la poursuite de cet objectif lui et son épouse ont adopté et suivi le plan Amway.

[8] À cette fin, M. et Mme Noseworthy devaient se rendre par exemple à St. John’s et dans d’autres régions de Terre-Neuve plus peuplées que Grand Bank et la péninsule Burin. Pour se rendre à Gander ou ailleurs afin de recruter des distributeurs potentiels ou d’assister à des réunions, un long trajet qu’ils effectuaient fréquemment, ils devaient conduire pendant trois heures et demie.

[9] En contre-interrogatoire, M. Noseworthy a admis, qu’exception faite de l’épicerie, les membres de sa famille achetaient environ 75 % de leurs produits domestiques d’Amway au prix de gros. En outre, chaque année, M. et Mme Noseworthy ont assisté à des conventions Amway à l’extérieur de Terre-Neuve, à Niagara Falls et à Atlanta dans l’État de Georgie par exemple, et ils ont déduit leurs dépenses. Dans les deux cas, ils tiraient donc des avantages personnels du fait d’être des distributeurs Amway.

[10] Les Noseworthy n’ont jamais réussi à organiser un des trois groupes de « Distributeurs directs » qu’ils étaient tenus de mettre sur pied pour accéder au grade « Émeraude » . Comme ils avaient recruté M. Keeping, ils ont reçu certains revenus par rapport au groupe de distributeurs que M. Keeping avait organisé. M. Noseworthy a témoigné qu’à son avis, une fois qu’un groupe était organisé, il pouvait le laisser se débrouiller tout seul et consacrer le temps limité dont il disposait à réunir un deuxième et un troisième groupe. Il a attribué une partie de son échec à organiser un groupe aux efforts qu’il a dédiés à aider M. Keeping à remettre sur pied un groupe qui avait échoué après que M. Keeping l’ait délaissé pour vouer son temps à recruter un deuxième groupe.

[11] Jusqu'à 1995, les Noseworthy ont réalisé un volume de ventes brutes annuelles d’environ 200 000 $. En 1994 et 1995, leurs dépenses d’exploitation s’établissaient en moyenne à plus de 27 000 $, mais elles ont fait un saut de 10 000 $ en 1995. Le profit brut (hypothèse 9(k)) s’est élevé à environ 3 000 $ en 1994 et à 11 000 $ en 1995. Chaque année, le montant des ventes était inférieur au coût des marchandises vendues; le profit réel provenait des primes versées par Amway. En moyenne, ils obtenaient des profits nets bruts d’environ 7 %. Ainsi, il aurait fallu qu’ils n’augmentent pas leurs dépenses et qu’ils tirent un revenu brut d’environ 400 000 $ pour être en mesure de réaliser un profit net en fonction des chiffres de 1994 et de 1995. Le fait qu’ils aient régulièrement subi des pertes d’environ 20 000 $ de 1992 à 1995 confirme le témoignage de M. Noseworthy selon lequel il avait l’intention en 1994 et 1995 de continuer à se comporter comme il l’avait fait auparavant dans l’espoir de réaliser un profit. Il n’y a pas de preuve qu’il ait tenté de modifier son plan original ou qu’il ait même effectué la simple analyse décrite ci-dessus pour résoudre son problème de pertes. En 1990, les Noseworthy avaient prévu qu’ils auraient obtenu le degré « Émeraude » ou réalisé un profit dans un délai de cinq ans, or en 1994, ils n’avaient pas encore organisé un seul groupe de distributeurs ni tiré de bénéfice. D’ailleurs, ils en sont toujours au même point aujourd’hui.

[12] M. Noseworthy a témoigné qu’il a dû interrompre ses propres activités en 1993 quand il a aidé M. Keeping, le distributeur qu’il avait recruté, à réorganiser son premier groupe de distributeurs directs qui était en train de se désintégrer. Je crois qu’il dit la vérité. M. Noseworthy a témoigné qu’il croit qu’il est possible de laisser un groupe de distributeurs voler de ses propres ailes pendant qu’on essaie d’en organiser un autre. Cette opinion est erronée, comme le démontre l’expérience vécue par M. Keeping. M. Collins, dont l’approche est tout à fait différente, ne partage pas cette opinion. Il est un distributeur Amway « Émeraude » qui communique avec M. Noseworthy et M. Keeping tous les deux jours. M. Noseworthy persiste dans son opinion malgré le fait que le groupe organisé par M. Keeping se soit désintégré. En s’entêtant de cette manière, M. Noseworthy révèle son attitude et son incapacité à s’adapter.

[13] Il est clair que les facteurs énumérés ci-dessous ont empêché M. et Mme Noseworthy de réaliser en 1994 un bénéfice comme distributeurs Amway demeurant à Grand Bank, à Terre-Neuve :

1. Le faible pourcentage de marge bénéficiaire qu’Amway leur permettait d’obtenir.

2. La péninsule Burin dans les environs de Grand Bank était peu peuplée et les appelants devaient conduire pendant trois heures et demie et dépenser beaucoup de temps et d’argent pour trouver des débouchés.

L’emploi de M. Noseworthy comme professeur à plein temps, ce qui limitait le temps qu’il pouvait consacrer à l’occupation. (Mme Noseworthy restait à la maison et elle ne se déplaçait qu’avec son mari). Comme M. Noseworthy enseignait à plein temps, que lui et son épouse ne s’occupaient d’Amway qu’à temps partiel et qu’ils demeuraient à Grand Bank, il est clair qu’ils manquaient simplement de temps pour aller organiser trois groupes de distributeurs, leur fournir un soutien ou vendre assez de produits Amway pour réaliser un bénéfice.

La propre attitude de M. Noseworthy. Il ressort clairement de son témoignage qu’il écarte carrément toute possibilité que son épouse puisse avoir été son associée dans l’occupation, malgré toute la documentation et tous les enregistrements à l’effet contraire. Il est surprenant de voir une telle attitude chez un professeur d’anglais dans une école secondaire. Le comportement de M. Noseworthy permet de comprendre ce qui lui est arrivé dans Amway. En 1990, il croyait qu’il atteindrait le degré « Émeraude » et réaliserait un bénéfice et il a établi un plan pour atteindre ces objectifs dans un délai de cinq ans. Il n’a jamais dévié de son plan et n’avait nullement l’intention de le faire en 1994 ou en 1995 même s’il n’avait pas encore réussi à organiser un seul groupe de distributeurs directs.

[14] Il ressort d’une manière évidente du témoignage de M. Noseworthy que ce qui lui plait vraiment dans Amway, c’est la possibilité d’organiser diverses réunions et conférences, d’y être invité comme conférencier et d’y assister. Ces réunions et conférences semblent maintenant s’inscrire dans son style de vie et faire partie intégrante de sa vie sociale. En fait, une bonne partie des dépenses d’exploitation plus importantes que les Noseworthy ont engagées en 1995 a été consacrée à l’achat de matériel d’étalage servant à enseigner et à expliquer le programme et le processus Amway. Il est possible de faire un peu d’argent en vendant des produits Amway, mais c’est en recrutant et en motivant d’autres personnes à devenir distributeurs afin de retirer des revenus résiduels à leur égard qu’on parvient à gagner des sommes intéressantes. Pour obtenir des revenus importants à partir de Grand Bank en 1994 et 1995 il aurait fallu consacrer beaucoup de temps et d’argent à l’occupation, et il est évident qu’elle ne pouvait alors être profitable.

[15] Pour ces motifs, les Noseworthy n’avaient aucune expectative raisonnable de profit comme distributeurs Amway en 1994 et 1995.

[16] L’appel est rejeté.

[17] Les dépens entre parties sont accordés à l’intimée. Parce que le témoignage de M. Collins était pertinent au présent appel et à celui de M. Keeping et qu’il était possible de condenser l’argumentation en raison de la similarité des appels, les dépens sont fixés à la moitié du tarif habituel.

Signé à Ottawa, Canada ce 14e jour de mai 1999.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de février 2000.

Benoît Charron, réviseur

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