Date : 19990331
Dossier : 97-3713-IT-G; 97-3714-IT-G
ENTRE :
DEBORAH JABBOUR et CHAHINE JABBOUR,
appelants,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
(Rendus oralement à l’audience à Edmonton (Alberta), le mercredi 31 mars 1999)
Monsieur le juge : Les présents appels interjetés conformément à la procédure générale ont été entendus en même temps sur preuve commune à Edmonton (Alberta), le 29e jour de mars 1999. Deborah Jabbour et la vérificatrice, Linda Harke, ont été les seuls témoins.
Les avis de cotisation que Deborah Jabbour a reçus pour les années d’imposition en l’espèce portent la mention « NÉANT » . En conséquence, son appel dépend de la décision qui sera rendue dans le cas de son mari, dans la mesure où elle influe sur le crédit d’impôt pour enfants.
M. Chahine Jabbour a interjeté appel à l’encontre des nouvelles cotisations qu’il a reçues pour les années d’imposition 1993, 1994 et 1995. Le paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel est ainsi rédigé :
[TRADUCTION]
9 En établissant la présente cotisation à l’égard de l’appelant, le ministre s’est appuyé, entre autres, sur les hypothèses de fait suivantes :
a) les faits admis et décrits ci-dessus;
b) durant 1993, 1994 et 1995, Deborah Jabbour ( « Deborah » ), l’épouse de l’appelant, exploitait une entreprise dans le monde du spectacle sous la raison sociale de Playback Entertainment ( « Playback » );
c) l’appelant appuyait les activités que Deborah exerçait sous la raison sociale de Playback en lui fournissant une aide financière;
d) dans ses déclarations de revenus (formule T1) pour les années ci-dessous, l’appelant a indiqué ce qui suit :
Revenu brut Revenu net(perte)
1990 4 800 $ ( 5 296 $)
1991 6 100 $ (13 660 $)
1992 2 250 $ (26 383 $)
1993 3 500 $ (28 894 $)
1994 5 100 $ (30 812 $)
1995 4 000 $ (27 567 $)
e) les revenus bruts que l’appelant a déclarés et les dépenses qu’il a déduites pour ses années d’imposition 1993, 1994 et 1995 à l’égard des activités de Playback sont tels qu’ils figurent respectivement dans les annexes A, B et C ci-jointes;
f) durant les années d’imposition 1993, 1994 et 1995, l’appelant occupait un poste à temps plein à Petro Canada;
g) l’appelant a déclaré avoir reçu de Petro Canada un revenu d’emploi de 58 038,51 $, de 70 543,97 $ et de 60 061,75 $ pour les années d’imposition 1993, 1994 et 1995 respectivement;
h) l’appelant n’a pas préparé de prévisions des revenus raisonnables pouvant être tirés de l’exploitation d’une entreprise dans le monde du spectacle;
i) l’appelant n’a pas établi de plan d’affaires pour les activités de Playback avant l’année d’imposition 1993;
j) compte tenu de son expérience et de ses qualifications, l’appelant ne possédait ni les compétences, ni la connaissance, ni les relations dont il aurait eu besoin pour transformer les activités de Playback en une entreprise dans le but de tirer un profit;
k) en calculant les dépenses qu’il a engagées relativement aux activités de Playback, l’appelant a déduit certaines sommes deux fois;
l) en calculant les dépenses qu’il a engagées relativement aux activités de Playback, l’appelant a déduit des dépenses qui ont aussi été déduites par Deborah;
m) certaines des dépenses déduites par l’appelant étaient des dépenses en capital;
n) l’appelant a omis de fournir au ministre les pièces justificatives de certaines dépenses;
o) les dépenses ci-dessus ont été engagées par l’appelant non pas pour tirer un revenu des activités de Playback mais pour ses frais personnels et de subsistance;
p) l’appelant n’avait aucune attente raisonnable de profit à l’égard des activités de Playback;
q) grâce aux activités de Playback, l’appelant était en mesure de satisfaire certains intérêts personnels.
Les hypothèses de fait mentionnées aux al. c), d), e), f), g), h), i), m) et o) sont fondées. Durant l’audience, les parties n’ont pas débattu des hypothèses de fait dont il est question aux al. j), k) et n), mais seulement de la question de savoir si l’appelant avait une attente raisonnable de profit.
M. et Mme Jabbour ont rempli leurs déclarations de revenus à l’égard de Playback comme s’ils étaient des associés qui exploitaient une entreprise à Edmonton. Mais, comme Mme Jabbour l’a déclaré dans son témoignage, elle et son mari exploitaient l'entreprise « au hasard » . Selon l’Alberta Partnership Act, en l’absence d’une entente, le partage des dépenses et des profits se fait à parts égales et non au hasard. Or, les dépenses de Playback étaient en grande partie déduites de la déclaration de revenus de M. Jabbour.
Les pertes subies par la société sont mentionnées à l’al. 9 d) de la réponse à l’avis d’appel. Toutefois, même s’il découlait de la preuve que les appelants avaient le droit de déduire de leurs revenus les pertes de la société, dans les circonstances, les pertes, tout comme les revenus, se partagent également. Or, M. Jabbour a déduit les pertes de Playback du revenu qu’il avait tiré de son emploi.
Dans l’arrêt Moldowan v. The Queen 77 D.T.C. 5213 (C.S.C.) le juge Dickson a statué :
Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l’expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s’en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s’appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager, la capacité de l’entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l’allocation à l’égard du coût en capital. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive Les facteurs seront différents selon la nature et l’importance de l’entreprise : La Reine c. Matthews, [1974] C.T.C. 230; 74 D.T.C. 6103 Personne ne peut s’attendre à ce qu’un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.
Si j’applique ces critères, j’arrive, en l’espèce, aux conclusions suivantes :
1. L’état des profits et pertes. Avant 1990, Mme Jabbour, son frère et sa soeur formaient un trio de musiciens professionnels bien connus qui se produisaient régulièrement à Edmonton. En 1990, Mme Jabbour s’est mariée, et le trio a cessé d’exister. Que des pertes ont été réalisées pendant les années durant lesquelles les appelants exerçaient des activités sous la raison sociale de Playback et durant la période antérieure pendant laquelle Mme Jabbour se produisait en solo.
2. La formation du contribuable. Aucun élément de preuve n’établit que les Jabbour aient reçu une formation dans le domaine des affaires. En 1990, Mme Jabbour avait 16 années d’expérience comme musicienne. Toutefois, elle n’était pas la seule à administrer les activités du trio. Elle a déclaré qu’elle devait consacrer plus de temps et d’énergie à l’organisation de ses concerts en solo qu’à ses fonctions comme membre du trio. Mme Jabbour a rempli sa déclaration de revenu et celle de son mari et elle n’avait pas reçu de formation à ce sujet.
3. La voie sur laquelle le contribuable entend s’engager. En l’espèce, Mme Jabbour a commencé à se produire en solo dans les salles de concert et les bars d’Edmonton en 1990, et en 1992 elle n’obtenait plus d’engagements. M. Jabbour a aussi déduit une partie des pertes de son revenu. En 1992, les Jabbour ont créé Playback qui offrait les services de quatre des cinq filles de Mme Jabbour d’abord comme orchestre de variétés puis comme choeur a cappella. Certaines des filles étaient mineures. Les deux plus jeunes étaient nées en 1985 et 1986. Aucun élément de preuve ne démontre que les appelants ont cherché à obtenir des engagements ou qu’ils avaient une idée d’où proviendraient les revenus de Playback à l’avenir. Les revenus déclarés provenaient de trois sources :
1. Les prix remportés lors de festivals ou de « journées » communautaires.
2. La valeur des travaux de réparation d’automobile ou de rembourrage de meubles par Mme Jabbour donnés en troc pour quelque chose d’autre mais qui n’avait rien à voir avec la musique.
3. Les transcriptions ou les arrangements de pièces musicales auxquels Mme Jabbour accordait une valeur théorique.
Ainsi la majeure partie des « revenus » était imaginaire.
En même temps, les Jabbour déduisaient le prix des repas pris dans les endroits tels que les restaurants MacDonald’s quand ils y amenaient les enfants, des pizzas et d’un bon nombre d’autres achats courants de nourriture; le coût des vêtements et du tissu achetés à l’intention des enfants, les dépenses de plusieurs véhicules que les appelants n’avaient inscrites sur aucun registre, le coût des réparations effectuées à leur maison et de leurs déplacements au Mexique, à Disneyland ou ailleurs qui visaient, prétendent-ils, à en apprendre davantage sur la musique ou à l’enseigner aux enfants. De fait, selon la preuve, les appelants se servaient de Playback pour déduire les coûts engagés pour nourrir, habiller, éduquer et donner de la formation aux filles. (Mme Jabbour leur donnait des leçons dans la maison familiale mais ne suivait aucun plan formel de formation). Voilà la voie dans laquelle les Jabbour s’étaient engagés et ils ont continué à agir de cette manière jusqu’à ce que le ministère effectue une vérification.
4. Il va sans dire qu’en exploitant l’entreprise dans cette intention, les appelants n’avaient aucune possibilité de réaliser quelque profit que ce soit. Ce qui intéressait personnellement M. Jabbour dans cette entreprise, c’était la possibilité de déduire de son revenu les dépenses courantes du ménage.
L’appel de M. Jabbour est rejeté. L’appel de Mme Jabbour est déféré au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs du jugement.
La Cour accorde à l’intimée tous les dépens entre parties à l’égard de chaque appel.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 31e jour de janvier 2000.
Mario Lagacé, réviseur