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Date: 19980624

Dossier: 94-1429-IT-G

ENTRE :

HOLLINGER INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'espèce ont été interjetés contre des cotisations établies pour les années d'imposition 1986 et 1987. Il s'agit de déterminer si, ayant acheté 4 000 000 $ une chaîne de deux sociétés canadiennes et d'une société américaine, l'appelante avait droit à une perte en capital d'environ 113 000 000 $ pour 1986, année au cours de laquelle les deux compagnies canadiennes ont été liquidées et la compagnie américaine a été vendue 20 $.

[2] Les faits ne sont pas très compliqués.

[3] Coseka Resources Limited ( « Coseka » ) détenait la totalité des actions de Coseka Resources (U.S.A.) Limited ( « Coseka U.S. » ). Comme elle avait investi des sommes très importantes dans Coseka U.S., le prix de base rajusté ( « PBR » ) des actions de la société américaine était élevé. Les parties ne sont pas entièrement d'accord sur le montant exact du PBR des actions, mais elles conviennent que le PBR de toutes les actions de Coseka U.S. détenues par Coseka se situait entre 178 000 000 $ et 217 000 000 $.

[4] Les actions de Coseka U.S. n'avaient qu'une valeur symbolique. Si elle les avait vendues, Coseka aurait subi une perte en capital importante équivalant à peu près à leur PBR. Cette perte n'aurait eu pour elle aucune valeur car elle n'avait aucun gain en capital duquel elle aurait pu déduire la perte. Il fallait donc trouver un moyen de tirer profit de la perte éventuelle.

[5] Les gains en capital de Hollinger étant élevés, les mesures suivantes ont été élaborées et mises en oeuvre dans le but de lui permettre d'utiliser les pertes éventuelles de Coseka. L'avocat de l'intimée a dit de ces mesures qu'elles avaient été « arrêtées d'avance » , ce qui est juste. Elles ont été orchestrées par les procureurs de l'appelante.

[6]

1. Coseka a fait constituer en société 346045 Alberta Limited ( « 346045 » ), dont elle détenait la totalité des actions.

2. Coseka a fait constituer en société 353380 Alberta Ltd. ( « 353380 » ), dont toutes les actions étaient détenues par 346045.

3. Coseka a conclu avec 341063 Alberta Ltd. ( « 341063 » ), une compagnie avec laquelle elle n'avait pas de lien de dépendance, une convention écrite d'option aux termes de laquelle, en contrepartie de 15 000 $, elle accordait à 341063 une option, qui pouvait être levée avant le 30 décembre 1986, d'acheter les 2 050 actions ordinaires, les 240 actions privilégiées, les 150 actions privilégiées de série B et les 1 396 actions privilégiées de série C de Coseka U.S. émises et en circulation, le prix d'achat étant de 0,01 $ l'action.

4. 341063 appartenait à Phelps Drilling International Limited ( « Phelps » ), dont Bramalea Limited détenait 24 p. 100 des actions. Bramalea détenait 68 p. 100 des actions de Coseka.

5. Par une convention d'achat datée du 24 novembre 1986, qui reprenait pour l'essentiel une lettre d'intention du 7 novembre 1986, l'appelante s'est engagée à acheter à Coseka pour 4 000 000 $ les 10 actions émises et en circulation de 346045, la conclusion de l'opération étant prévue pour 14 h le 16 décembre 1986.

6. Dans cette convention, Coseka garantissait qu'à la date de conclusion de l'opération les seuls éléments d'actif de 346045 seraient les actions de 353380 et les seuls éléments d'actif de 353380 seraient 1 068 actions ordinaires, 125 actions privilégiées, 79 actions privilégiées de série B et 728 actions privilégiées de série C de Coseka U.S. (environ 52 p. 100 de la totalité de ses actions émises et en circulation), qui faisaient l'objet de l'option accordée à 341063.

7. La convention comportait une condition selon laquelle l'appelante devait s'assurer que le PBR des actions de Coseka U.S. détenues par 353380 était d'au moins 100 000 000 $.

8. Les actions de Coseka U.S. avaient fait l'objet d'un nantissement et d'une hypothèque en faveur de la Banque Royale du Canada. Le 9 décembre 1986, la banque a accordé la libération à l'égard de ceux-ci en contrepartie de la promesse de Coseka de lui verser la moitié du montant net que Coseka toucherait pour les actions de 346045 de même que la moitié du montant qu'elle toucherait par suite d'une opération semblable conclue avec Westbridge Capital Corporation relativement au reste des actions de Coseka U.S.

9. Le 12 décembre 1986, Coseka a vendu et transféré à 353380 les 1 068 actions ordinaires, les 125 actions privilégiées, les 79 actions privilégiées de série B et les 728 actions privilégiées de série C de Coseka U.S. mentionnées au paragraphe 6. 353380 a reconnu que ces actions étaient visées par l'option accordée à 341063 et elle a conclu une convention d'option semblable avec 341063.

10. Le 18 décembre 1986, 346045 a été dissoute et les actions de 353380 qu'elle détenait ont été transférées à l'appelante. Le certificat de dissolution de 346045 est daté du 18 décembre 1986. À la suite de la dissolution de 346045, l'appelante a fait dissoudre 353350, et les actifs de celle-ci, soit approximativement 52 p. 100 des actions émises de Coseka U.S., ont été transférés à l'appelante.

11. Le 19 décembre 1986, 341063 a avisé l'appelante qu'elle levait son option d'acheter les actions de Coseka U.S. et, le 22 décembre 1986, l'appelante a vendu ces actions à 341063 pour 20 $.

12. Les opérations subséquentes relatives aux actions de Coseka U.S., conclues par l'intermédiaire de Coseka Acquisition I Inc. et de Coseka Acquisition II Inc., ne sont pas pertinentes en l'espèce. Il suffit de dire que ces actions paraissent avoir abouti en la possession de Coseka. D'après le président de Coseka, l'option avait pour objectif d'empêcher que les actions de Coseka U.S. soient vendues à n'importe qui et de faire en sorte qu'elles reviennent à Coseka.

[7] Lorsqu'elle a produit ses déclarations de revenus, l'appelante a déduit une perte en capital de 113 723 980 $ et une perte en capital déductible de 56 861 990 $ pour le motif que le PBR, pour elle, des actions de Coseka U.S. était de 113 724 000 $ et que le produit de disposition qu'elle avait touché était de 20 $.

[8] Le plan a été exécuté avec précision et sans anicroche. Le risque n'était pas élevé (4 000 000 $) comparativement à l'énorme avantage fiscal (56 861 990 $) que l'on prévoyait en tirer. Le plan n'avait aucun but commercial, à moins que l'on ne considère le fait de faire une économie d'impôt — le seul objectif du plan — comme un but commercial. En termes simples, il s'agissait de transférer une compagnie pratiquement sans valeur, dont le PBR était élevé, à une filiale de deuxième rang, de vendre l'ensemble de la chaîne de trois compagnies à un acheteur qui pouvait utiliser la perte, de dissoudre les deux premières compagnies de la chaîne de façon que l'acheteur acquière en même temps les actions de la compagnie qui reste et le PBR, pour le vendeur, de ces actions, et de vendre les actions pour réaliser la perte. La véritable perte économique de l'appelante est de 3 999 980 $, soit son véritable coût d'acquisition des actions moins le produit de 20 $. La Loi de l'impôt sur le revenu a depuis été modifiée pour prévenir ce genre de transfert de pertes.

[9] La réussite du plan repose sur le caractère précis de la Loi, tant pour ce qui est des règles se rapportant au transfert de biens entre contribuables et à la perte ou au maintien du PBR que pour ce qui a trait aux règles anti-évitement.

[10] Je commencerai par conséquent par examiner la légitimité du plan du point de vue technique. L'appelante soutient ce qui suit :

1. Les actions de Coseka U.S. étaient des biens en immobilisation pour Coseka et, aux fins de la présente partie de l'analyse, je supposerai que les actions que l'appelante a acquises avaient, pour Coseka, un PBR de 92 000 000 $.

2. Lorsque les actions de Coseka U.S. ont été vendues par Coseka à 353380, l'alinéa 85(4)b) de la Loi ne s'appliquait pas et les alinéas 85(4)a) et 53(1)f.1) s'appliquaient.

[11] Le paragraphe 85(4) se lit comme suit :

(4) Lorsqu'un contribuable ou une société (ci-après appelé le « contribuable » ) a, après le 6 mai 1974, disposé d'un bien en immobilisation ou d'un bien en immobilisation admissible qui lui appartenait, en faveur d'une corporation qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce fût, par le contribuable, par le conjoint du contribuable ou par une personne ou un groupe de personnes qui contrôlait le contribuable directement ou indirectement, de quelque manière que ce fût, et que, sans le présent paragraphe, le paragraphe 24(2) et les alinéas 40(2)e) et g), il en résulterait pour le contribuable soit une perte en capital, soit une déduction en vertu de l'alinéa 24(1)a), lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a cessé d'exploiter une entreprise, selon le cas, les règles suivantes s'appliquent:

a) nonobstant l'article 24 et les alinéas 40(2)e) et g), la perte en capital en résultant pour lui ou sa déduction en vertu de l'alinéa 24(1)a), lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a cessé d'exploiter l'entreprise, selon le cas, déterminée, par ailleurs, est réputée nulle; et

b) il faut, pour calculer le prix de base rajusté, pour le contribuable, de toutes les actions d'une catégorie déterminée du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient immédiatement après la disposition, ajouter, dans le cas d'un bien en immobilisation, la fraction, et dans le cas d'un bien en immobilisation admissible, deux fois la fraction du montant, si montant il y a,

(i) du coût indiqué, pour lui, du bien immédiatement avant la disposition de celui-ci

qui est en sus

(ii) du produit de disposition du bien, ou lorsque le bien était un bien en immobilisation admissible, de son montant en immobilisations admissible au sens de l'article 14, par suite de la disposition de ce bien,

représentée par le rapport entre

(iii) la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions de cette catégorie qui lui appartenaient ainsi,

et

(iv) la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient ainsi.

J'ai mis en italique les termes qui semblent essentiels à la position de l'appelante en ce qui concerne l'aspect technique. En langage un peu plus clair, cette disposition dit, pour ce qui nous intéresse ici, que si un contribuable dispose d'un bien en immobilisation en faveur d'une société qu'il contrôle directement ou indirectement (c.-à-d. sans intermédiaire ou par un intermédiaire se trouvant plus bas dans la chaîne de sociétés), la perte (mises à part certaines autres dispositions qui ne s'appliquent pas) que le contribuable aurait par ailleurs subie est réputée nulle. Cependant, l'alinéa b) indique ensuite que, si le contribuable avait, immédiatement après la disposition, la propriété (et non pas simplement le contrôle direct ou indirect) des actions de la société bénéficiaire de la disposition, il y a lieu d'ajouter au PBR de ces actions pour le contribuable le montant de la perte par ailleurs déterminé. Il n'est pas besoin d'énoncer la formule applicable lorsque plus d'une catégorie d'actions est détenue. Il est tout à fait évident que l'alinéa 85(4)b) ne peut s'appliquer puisque Coseka ne détenait aucune action de 353380 et que ces actions n'avaient, pour elle, aucun PBR.

3. Cela nous amène à l'alinéa 53(1)f.1), ainsi libellé :

53.(1) Un contribuable doit, dans le calcul du prix de base rajusté, pour lui, d'un bien à une date quelconque, ajouter au coût, pour lui, de ce bien les montants suivants qui s'y rapportent:

[...]

f.1) lorsqu'une corporation canadienne imposable a disposé du bien en faveur du contribuable, et que le contribuable est une corporation canadienne imposable, dans des circonstances qui font que l'application de l'alinéa 85(4)b) n'augmente pas le prix de base rajusté, pour la corporation, des actions du capital-actions du contribuable, et que la perte en capital subie par la corporation par suite de la disposition est réputée nulle en vertu de l'alinéa 40(2)e) ou 85(4)a), le montant qui aurait par ailleurs représenté la perte en capital subie par la corporation par suite de cette disposition.

Il s'ensuit que, puisque l'alinéa 85(4)b) ne s'applique pas de manière à augmenter le PBR des actions de 353380 pour Coseka, la perte subie par Coseka sur les actions de Coseka U.S., qui est réputée nulle en vertu de l'alinéa 85(4)a), est ajoutée au coût, pour 353380, de ces actions.

4. Lorsque 353380 a été liquidée avec le transfert de ses actifs à l'appelante, le PBR des actions de Coseka U.S. pour 353380 est devenu le PBR de ces actions pour l'appelante, en raison du paragraphe 88(1).

5. Par conséquent, lorsque l'appelante a vendu au prix de 20 $ les actions de Coseka U.S., elle a subi une perte en capital égale à la différence entre le PBR, pour elle, de ces actions, et le produit de la disposition.

6. Chaque opération de la série d'opérations ayant abouti à la vente des actions de Coseka U.S. à 341063 avait force obligatoire et a fait naître des liens juridiques véritables. Aucune d'elles ne constituait un trompe-l'oeil.

[12] Je me pencherai maintenant sur l'argument fondé sur le paragraphe 55(1). Ce paragraphe, tel qu'il s'appliquait en 1986, se lisait comme suit :

55.(1) Aux fins de la présente sous-section, lorsque les circonstances dans lesquelles ont été effectuées une ou plusieurs opérations de vente ou d'échange, ou autres transactions de quelque nature que ce soit, permettent de croire raisonnablement que le contribuable a disposé d'un bien de façon à artificiellement ou indûment

a) réduire le montant de son gain résultant de la disposition,

b) occasionner une perte résultant de la disposition, ou

c) augmenter le montant de sa perte résultant de la disposition,

le gain ou la perte du contribuable, selon le cas, résultant de la disposition du bien, est calculé comme si une telle réduction, perte ou augmentation, selon le cas, ne s'était pas produite.

[13] Pour que ce paragraphe s'applique, le contribuable doit avoir disposé d'un bien dans des circonstances permettant de considérer raisonnablement le contribuable comme ayant artificiellement ou indûment occasionné une perte résultant de la disposition ou augmenté le montant de sa perte résultant de la disposition.

[14] Le sens de ces termes a été analysé assez longuement par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt The Queen v. Nova Corporation of Alberta, 97 DTC 5229. Je ne ferai pas état des deux séries d'opérations par suite desquelles Nova Corporation a subi et déduit des pertes en capital excédant de beaucoup ses véritables pertes économiques, si ce n'est pour dire que, à tous les égards importants, elles suivent le même modèle que les opérations dans la présente affaire. La Cour d'appel fédérale a statué à la majorité que Nova n'avait rien fait pour augmenter la perte. Le juge McDonald a écrit, à la page 5236 :

Il me semble que la perte découlant de la disposition des actions que la contribuable a déduite en l'espèce est purement attribuable à l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[15] Aux pages 5236 et 5237, il a écrit :

Le paragraphe 55(1) n'est pas une disposition anti-évitement étendue. Sa portée ne peut aller au-delà de son sens ordinaire en l'absence de toute ambiguïté. Il ressort d'une simple lecture de ce paragraphe que, pour qu'il s'applique, le contribuable doit agir d'une manière quelconque. C'est-à-dire qu'il doit réellement faire quelque chose pour influencer la perte qu'il subit au moment de la disposition du bien en question. Comme je l'ai expliqué, cela consiste à modifier soit le PBR soit le produit de la disposition. En l'espèce, la contribuable n'a rien fait pour modifier ces chiffres. Elle a hérité du PBR des actions, et il y a eu disposition de ces dernières à leur valeur marchande, qui n'était rien. Les pertes que la contribuable a déclarées découlent du PBR dont elle a hérité, et cela était dû à l'application de la Loi. La contribuable n'a rien fait d'autre que de se prévaloir des dispositions, telles qu'elles existaient à l'époque.

[16] L'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada a été refusée.

[17] Dans l'affaire The Queen v. Husky Oil Limited, 95 DTC 5244, la suite des événements était plutôt semblable.

[18] La même conclusion est justifiée en l'espèce. Les avocats de l'intimée ont cherché à établir entre l'affaire Nova et la présente affaire une distinction fondée sur le fait que l'appelante, par l'entremise de ses procureurs, a pris part dès le début à la série d'opérations et a contribué à la conception, à la direction et à l'exécution des opérations. Nul doute qu'elle y a contribué, mais cette contribution n'a pas créé ni accru la perte inhérente ou la perte qui a finalement été subie. La perte existait indépendamment de l'appelante, et les activités de ses procureurs visaient à faire en sorte que soient respectées les exigences de forme qui conditionnent l'application des règles précises établies par le législateur.

[19] On a fait valoir que la décision rendue dans l'affaire Nova devrait être considérée comme incompatible avec l'arrêt The Queen v. Central Supply Company (1972) Limited et al., 97 DTC 5295, et que, comme l'arrêt Central Supply est plus récent que l'arrêt Nova, c'est celui-là que je devrais suivre.

[20] Or, il n'a pas été question de l'article 55 dans l'arrêt Central Supply et je pense que, si la Cour d'appel fédérale avait eu l'intention d'infirmer l'un de ses jugements antérieurs, elle l'aurait dit. Il se peut bien que les juges, dans les deux affaires, soient partis de prémisses philosophiques différentes, mais cela ne signifie pas que le deuxième arrêt a eu pour effet d'écarter le premier. Les prémisses sur lesquelles la cour s'est fondée dans l'affaire Nova paraissent être compatibles avec les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Mara Properties Ltd., [1996] 2 R.C.S. 161, Neuman c. M.N.R., [1998] 1 R.C.S. 770, et Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795.

[21] Ainsi que le juge Iacobucci l'a dit dans l'arrêt Neuman, précité, au paragraphe 63, page 793 :

Cependant, comme nous l'avons vu, les contribuables ont le droit d'organiser leurs affaires dans le seul but de se trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal et, pour appliquer ce principe, aucune distinction ne doit être établie entre les opérations effectuées sans lien de dépendance et celles effectuées avec lien de dépendance (voir Stubart, précité). La LIR comporte de nombreuses dispositions et règles anti-évitement particulières qui régissent le traitement des opérations effectuées avec lien de dépendance. Nous ne devrions pas nous empresser de rehausser la disposition en cause ici, alors qu'il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits à éviter.

[22] Dans le même ordre d'idées, le juge Iacobucci s'est exprimé dans les termes suivants dans l'arrêt Duha Printers, précité, au paragraphe 87, page 839 :

Il est bien établi, dans la jurisprudence de notre Cour, qu'aucune « fin commerciale » n'est exigée pour qu'une opération soit jugée valide selon la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'un contribuable peut se prévaloir de la Loi même si l'opération en cause vise seulement à réduire au minimum l'imposition: Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. En outre, notre Cour a souligné dans l'arrêt Antosko, précité, à la p. 327, que, bien que diverses techniques puissent être utilisées pour interpréter la Loi, « ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l'effet juridique et pratique de l'opération est incontesté » .

[23] L'avocat de l'intimée a fait valoir que Coseka n'avait pas « disposé » des actions de Coseka U.S. en faveur de 353380 au sens de l'alinéa 85(4)a) parce qu'il y avait eu un changement dans la propriété légale des biens mais sans le changement dans la propriété effective qu'exige l'alinéa 54c). Essentiellement, cet argument repose sur le fait que les actions étaient visées par l'option accordée à 341063 et que l'intérêt bénéficiaire avait été cédé à Hollinger en vertu de la lettre d'intention du 7 novembre 1986 et de la convention d'achat du 24 novembre 1986.

[24] Avec tout le respect que je dois à l'avocat de l'intimée, cet argument fait fi des opérations qui ont bel et bien été effectuées et de leur forme juridique. L'argument de l'intimée repose sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire The Queen v. Paxton, 97 DTC 5012. Dans cette affaire, on faisait valoir qu'une convention antérieure de vente de biens à une personne empêchait une vente subséquente aux enfants de l'appelant. En l'espèce, une option a été accordée. Cette option ne devait pas nécessairement être levée. Les actions ont été vendues à 353380 sous réserve de l'option, et tant la lettre d'intention que la convention d'achat conclue entre Coseka et Hollinger envisageaient le transfert des actions de Coseka U.S. à 353380, filiale à cent pour cent de 346045. Dans l'affaire Paxton, il existait un obstacle juridique antérieur à la vente des biens aux enfants, alors qu'il n'en existe aucun en l'espèce.

[25] L'intimée fait valoir en outre que les actions de Coseka U.S. n'étaient pas, du moins au moment de la disposition, des biens en immobilisation. Elle soutient qu'en 1986, elles étaient devenues sans valeur et ne pouvaient donner aucun rendement. Par conséquent, elles n'étaient pas un investissement ni, de ce fait, des biens en immobilisation. Puisque leur seule valeur pour Coseka consistait dans les pertes éventuelles dont quelqu'un d'autre pourrait se prévaloir, elles n'étaient pas des biens en immobilisation et l'acceptation de la lettre d'intention par Coseka était une « initiative claire et sans équivoque témoignant d'un changement d'intention » (Roos et al. v. The Queen, 94 DTC 1094, à la page 1099) et indiquant un changement d'utilisation survenu avant le transfert des actions de Coseka U.S. à 353380.

[26] Je ne considère pas la décision de vendre un investissement non productif suivant des modalités aussi avantageuses que possible comme un changement d'utilisation donnant lieu à une disposition réputée et opérant la conversion de biens en immobilisation en stocks. Il en faut bien davantage que la décision de se défaire d'un bien. La vente d'un mauvais investissement, comme les actions d'une compagnie, donnerait lieu normalement à une perte en capital.

[27] On a de plus fait valoir que, même s'il y a eu disposition des actions de Coseka U.S. et que ces actions étaient des biens en immobilisation de Coseka, l'alinéa 53(1)f.1) ne s'applique pas puisque seul l'alinéa 53(1)f.2) est applicable.

[28] J'ai reproduit précédemment l'alinéa 53(1)f.1). Voici le libellé de l'alinéa 53(1)f.2) :

f.2) lorsque le bien est une action du capital-actions d'une corporation, tout montant qu'il faut ajouter, en vertu de l'alinéa 85(4)b), lors du calcul du prix de base rajusté de l'action pour le contribuable.

[29] L'alinéa 53(1)f.1) a été ajouté à la Loi par S.C. 1977-1978. Dans sa version initiale, il prévoyait essentiellement que, lorsque le paragraphe 85(4) ne s'appliquait pas et que la perte de la société était réputée nulle en vertu de l'alinéa 40(2)e), il fallait ajouter au coût du bien le montant qui, sans l'alinéa 40(2)e), aurait constitué la perte. L'alinéa 53(1)f.1) s'appliquait aux dispositions ayant eu lieu après le 31 mars 1977.

[30] L'ancien alinéa f.1) se lisait comme suit :

f.1) lorsqu'une corporation a disposé du bien en faveur du contribuable dans des circonstances qui font que le paragraphe 85(4) ne s'applique pas à la disposition et que la perte subie par la corporation par suite de la disposition est réputée nulle en vertu de l'alinéa 40(2)e), le montant qui aurait, sans cet alinéa, représenté la perte subie par la corporation par suite de cette disposition.

[31] En 1979, l'ancien alinéa f.1) a été abrogé et les nouveaux alinéas f.1) et f.2) reproduits plus haut l'ont remplacé.

[32] Le nouvel alinéa f.1) s'applique aux dispositions ayant eu lieu après le 16 novembre 1978, et le nouvel alinéa f.2), aux dispositions de biens postérieures à 1971.

[33] L'avocat m'invite à déduire de l'abrogation de l'ancien alinéa f.1) et de l'adoption des nouveaux alinéas f.1) et f.2) que l'augmentation du PBR pour la société bénéficiant du transfert, qu'envisage l'alinéa f.1), ne se produit pas lorsque les biens transférés sont des actions. Cette interprétation entraîne le résultat exposé ci-après :

[34] Supposons que la société A soit propriétaire de la société B qui, elle, est propriétaire de la société C, et que la société A transfère à perte des actions de la société X à la société B.

[35] Aux termes de l'alinéa 85(4)a), la perte de la société A est réputée nulle. En vertu de l'alinéa 85(4)b), le montant de la perte de la société A est ajouté au PBR, pour elle, des actions de la société B qu'elle détient. Cependant, si la société A devait vendre à perte les actions de la société X à la société C (et prendre en contrepartie autre chose que des actions), la déduction de la perte de la société A serait refusée en vertu de l'alinéa 85(4)a) et l'effet de ce refus ne serait pas atténué par l'alinéa 85(4)b) puisque la société A ne détenait aucune action de la société C. Selon l'argument de l'intimée, l'alinéa 53(1)f.1) ne permettrait pas à la société C d'obtenir un rajustement à la hausse car cet alinéa ne s'applique pas aux actions d'une société, et l'alinéa f.2) ne serait d'aucun secours non plus parce que l'alinéa 85(4)b) ne s'appliquerait pas.

[36] À mon avis, l'alinéa f.2) ne s'applique que relativement à des actions auxquelles l'alinéa 85(4)b) s'applique, alors que l'alinéa f.1) s'applique à l'égard des biens (dont les actions) auxquels l'alinéa 85(4)b) ne s'applique pas. Toute autre conclusion conduirait à une absurdité puisqu'elle créerait une lacune que, de toute évidence, les alinéas 85(4)b) et 53(1)f.1) et f.2) sont destinés à combler.

[37] L'avocat me demande de conclure que l'alinéa f.2) exclut les actions de sociétés de l'application de l'alinéa f.1). Or, l'interprétation suivant laquelle l'alinéa f.1) prévoit l'ajout du montant de la perte au PBR des actions lorsque l'alinéa 85(4)b) ne le fait pas, alors que l'alinéa f.2) ne fait que reprendre le rajustement requis par l'alinéa 85(4)b), est celle qui concorde davantage avec l'objet de ces dispositions très précises. En fait, selon une explication plus prosaïque de l'adoption de l'alinéa f.2), il n'a pas d'autre but que celui, ordinaire, de compléter l'énumération, à l'article 53, de tous les rajustements de PBR que l'on retrouve un peu partout dans la Loi. Après tout, l'alinéa f.2) n'ajoute rien à ce que prévoit déjà l'alinéa 85(4)b). Si l'objet de l'alinéa f.2) consistait à limiter l'application de l'alinéa f.1) de la manière avancée par l'avocat, le législateur aurait été en mesure de le dire en des termes non équivoques. On pourrait être tenté de chercher une interprétation forcée de la Loi pour éviter ce qui est vu comme un résultat indésirable, mais la Loi s'applique, qu'il soit question d'un mécanisme d'évitement d'impôt ou non.

[38] L'intimée soutient également que le coût pour Hollinger des actions de Coseka U.S. est, en vertu des alinéas 88(1)a) et c), le coût indiqué pour 353380, terme qui ne s'applique qu'aux biens en immobilisation.

[39] L'on soutient que les actions de Coseka U.S. n'avaient aucun coût indiqué parce qu'elles ont cessé d'être des biens en immobilisation. Pour les motifs énoncés précédemment, je ne retiens pas cette prétention. Les actions sont constamment demeurées des biens en immobilisation.

[40] La dernière question porte sur le PBR des actions de Coseka U.S. L'appelante allègue que le PBR pour 346045 des actions de 353380 était de 113 724 000 $. L'intimée nie cette allégation. Il incombait donc à l'appelante d'établir le PBR des actions. On a produit en preuve, sous la cote A-11, une opinion de la firme de comptables agréés Peat, Marwick, Mitchell & Co. L'opinion comporte plusieurs réserves et repose sur un certain nombre d'hypothèses de fait non confirmées. Elle est en outre subordonnée à l'exactitude d'un certain nombre de conclusions de droit. L'on y conclut d'une manière quelque peu ambiguë que les actions de Coseka U.S. détenues par Coseka avaient un PBR de 179 000 000 $ (CAN) selon une hypothèse, de 218 700 000 $ (CAN) suivant une autre hypothèse, et de 192 000 000 $ (CAN) d'après une troisième hypothèse.

[41] À mon avis, l'opinion formulée par Peat Marwick ne fournit aucune preuve fiable concernant le PBR des actions de Coseka U.S. L'auteur du rapport n'a pas été appelé à témoigner et les faits sur lesquels le rapport est fondé n'ont pas été établis par la preuve. Pour établir le bien-fondé de conclusions de ce genre, il convient de faire comparaître un témoin expert dont le rapport doit être produit avant le procès, conformément aux règles de la Cour. Cela n'a pas été fait.

[42] Sur quel autre fondement peut-on rendre une décision fiable?

[43] Il ressort des interrogatoires préalables que, lors de l'établissement de la cotisation, le PBR des actions n'a pas été contesté, probablement parce qu'on estimait que, comme la perte en capital déduite par Hollinger devait être refusée en entier, le PBR était sans pertinence. On a cependant admis que le PBR de la totalité des actions se situait entre 178 000 000 $ et 217 000 000 $. Il s'ensuit que le PBR des actions de Coseka U.S. détenues par 353380 se situerait entre 92 000 000 $ et 113 000 000 $, ce dernier montant étant celui déduit par l'appelante.

[44] Puisque, à mon avis, l'opinion formulée par Peat Marwick ne constitue pas une preuve du PBR — mais elle est, bien entendu, une preuve quant aux documents sur lesquels les parties se sont fondées pour effectuer l'opération —, le seul élément fiable sur lequel je peux me fonder est l'aveu qu'a fait l'avocat, lors de l'interrogatoire préalable, relativement à la fourchette représentée par les montants de 178 000 000 $ et de 217 000 000 $. Puisque l'appelante n'a produit aucune preuve établissant que le PBR est supérieur à 178 000 000 $, c'est ce montant qui devrait être retenu. Cinquante-deux pour cent de celui-ci représenterait environ 92 000 000 $.

[45] Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les présents motifs.

[46] L'avocat de l'appelante a demandé à faire des observations au sujet des frais. Les avocats sont invités à communiquer le plus tôt possible avec le greffe de la Cour pour organiser une conférence téléphonique à cette fin, à moins qu'ils ne souhaitent traiter de la question en audience publique la prochaine fois que je siégerai à Toronto.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 1998.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de février 1999.

Erich Klein, réviseur

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