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Date: 20000203

Dossier: 98-2643-IT-I

ENTRE :

LEE MONACO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Lorsque Lee Monaco (l'appelante) a produit sa déclaration de revenus relative à l'année d'imposition 1996, elle a réclamé la déduction d'une somme de 18 750 $, en tant que perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (PDTPE), résultant de l'achat d'actions de la société Anmill Homes Ltd. (Anmill) pour un montant de 25 000 $. Le ministre de Revenu national (le ministre) a refusé la déduction pour deux raisons principales. Tout d'abord, il était d'avis que l'appelante n'avait pas acheté les actions d'Anmill. En outre, il estimait qu'Anmill n'était pas une “ société exploitant une petite entreprise ” au sens de la définition prévue par le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[2] Pour démontrer le bien-fondé d'une demande de déduction d'une PDTPE, le contribuable doit satisfaire aux exigences de l'alinéa 39(1)c) de la Loi. Voici, pour les besoins du présent appel, les passages pertinents de cette disposition :

39(1) Pour l'application de la présente loi :

[...]

c) une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien quelconque s'entend de l'excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l'année résultant d'une disposition, après 1977 :

[...]

d'un bien qui est :

(iii) soit une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

L'expression “ société exploitant une petite entreprise ” est ainsi définie :

248(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

“ société exploitant une petite entreprise ” Sous réserve du paragraphe 110.6(15), société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont :

a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

b) soit constitués d'actions du capital-actions ou de dettes d'une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise rattachées à la société au moment donné, au sens du paragraphe 186(4) selon l'hypothèse que les sociétés exploitant une petite entreprise sont, à ce moment, des sociétés payantes au sens de ce paragraphe;

c) soit visés aux alinéas a) et b).

Pour l'application de l'alinéa 39(1)c), est une société exploitant une petite entreprise la société qui était une telle société à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné; par ailleurs, pour l'application de la présente définition, la juste valeur marchande d'un compte de stabilisation du revenu net est réputée nulle.

[3] Les circonstances entourant la demande de l'appelante sont les suivantes. Vers la fin des années 1980, la société Sherwood Forest Holdings Limited (Sherwood Forest) possédait une parcelle de terrain de 87 acres pouvant être aménagée (le terrain). Cette parcelle était située dans la région de Durham, aux confins de la ville d'Oshawa, en Ontario. La moitié des actions de Sherwood Forest appartenait à Southview Investments Inc. (Southview), l'autre moitié étant détenue par Anmill. Les actions d'Anmill, quant à elles, étaient détenues par Shelley Macdonell, l'épouse de Larry Macdonell, qui était apparemment l'âme de Sherwood Forest et qui semble avoir été à l'origine des tentatives visant à aménager le terrain. Ce dernier était grevé d'une hypothèque de premier rang ainsi que de plusieurs hypothèques de rangs inférieurs. Le montant total de ces hypothèques était supérieur à la valeur du terrain. Vers la fin de l'année 1994 ou au début de l'année 1995 (la preuve n'indique pas précisément quand) le créancier hypothécaire de premier rang a exercé son pouvoir de vente du terrain. Le paiement, à même le produit de la vente, de la somme due dans le cadre de la première hypothèque a laissé un surplus important. Plusieurs investisseurs représentés par Me Arthur Smith, un avocat, ont, semble-t-il, intenté une poursuite dans le but d'établir la nullité de l'hypothèque de deuxième rang ainsi que des hypothèques de rangs inférieurs, au motif qu'aucuns fonds n'avaient été avancés en considération de celles-ci.

[4] M. Smith, qui est maintenant à la retraite, a agi à titre de représentant de l'appelante lors de l'audition du présent appel. Il s'agissait également du témoin principal. En raison de son lien personnel avec l'appelante, il n'était pas un témoin désintéressé. Son témoignage était imprécis et difficile à comprendre. Je n'admets que la portion de celui-ci qui est corroborée par la preuve documentaire. D'après ce que j'ai compris de son témoignage, Lee Monaco a participé à la contestation de l'hypothèque de deuxième rang et des hypothèques de rangs inférieurs et elle a investi 25 000 $ dans ce but. Elle prétend avoir acheté, au cours de l'automne 1994, 25 p. 100 des 100 actions d'Anmill détenues par Shelley Macdonell. Plusieurs documents ont été déposés en preuve pour appuyer cette position.

[5] Une lettre, sur papier à en-tête d'Anmill, adressée à Me Arthur Smith et signée par L.P. Macdonell, président, débute ainsi :

[TRADUCTION]

La présente lettre précise les modalités de notre entente concernant les actions d'Anmill Homes Ltd.

Cette lettre porte la date du 24 août 1994 et, sous la signature de monsieur Macdonell, l'on peut y lire la phrase suivante : “ Le contenu de cette lettre a été accepté le 3e jour d'octobre 1994 ”. Sous cette mention apparaît la signature de Me Arthur Smith, en sa qualité de fiduciaire. Dans le premier paragraphe de la lettre, l'on explique qu'Anmill Homes détient 50 p. 100 des actions en circulation de Sherwood Forest, que Sherwood Forest possède un terrain en voie d'aménagement situé à Oshawa, lequel mesure approximativement 87 acres et “ fera l'objet d'une nouvelle désignation dans le cadre du "Taunton Heights Secondary Plan" de la ville d'Oshawa pour permettre l'utilisation de celui-ci à des fins commerciales et résidentielles ”. L'on y mentionne également qu'un nouvel aménagement des terrains entraînera une augmentation substantielle de leur valeur et que les actions d'Anmill sont détenues par Shelley Macdonell. La lettre se poursuit ainsi :

[TRADUCTION]

Le terrain est actuellement grevé de plusieurs hypothèques. Je crois que plusieurs de ces hypothèques sont suspectes et qu'aucune somme d'argent n'a été avancée en considération de celles-ci. Vous avez sollicité un transfert d'actions afin de pouvoir contester la validité de ces hypothèques. Shelley Macdonell est disposée à acquiescer à votre demande aux conditions suivantes :

1. Le transfert des actions d'Anmill Homes Ltd. est assujetti aux modalités de la présente lettre d'entente.

2. Vous acceptez d'assumer les coûts de toute procédure intentée dans le but de contester la validité des hypothèques grevant le terrain de 87 acres situé à Oshawa et qui appartient à Sherwood Forest Holdings Inc.

3. Toute somme recouvrée à la suite de la vente du terrain d'Oshawa sera affectée :

a. premièrement, au paiement de tous les honoraires d'avocat et des autres dépenses engendrées par toute procédure intentée dans le but de contester la validité des hypothèques grevant le terrain d'Oshawa;

b. le reliquat sera réparti ainsi :

Me Arthur Smith, en sa qualité

de fiduciaire - 50 p. 100

Shelley Macdonell - 25 p. 100

Edward Hachey - 25 p. 100

4. Après paiement intégral du produit de la vente du terrain d'Oshawa, vous transférerez les actions d'Anmill Homes Ltd. à Shelley Macdonell.

[6] Le 3 octobre 1994, Larry Macdonell, en tant qu'administrateur unique d'Anmill, a signé une résolution approuvant le transfert de 100 actions ordinaires de Shelley Macdonell à Me Arthur Smith, en sa qualité de fiduciaire. Le même jour, Shelley Macdonell a signé le document suivant :

[TRADUCTION]

ANMILL HOMES LTD.

TRANSFERT D'ACTIONS

Par les présentes, la soussignée, EN ÉCHANGE DE LA CONTREPARTIE INDIQUÉE DANS LA LETTRE D'ENTENTE CI-JOINTE, vend, cède et transfère à Me Arthur Smith, en sa qualité de fiduciaire, 100 actions ordinaires du capital d'Anmill Homes Ltd. enregistrées au nom de la soussignée. Par ailleurs, la soussignée désigne, de façon irrévocable, le secrétaire de la société à titre de mandataire afin qu'il transfère les actions susmentionnées dans le livre de la société, avec pleins pouvoirs de substitution.

SIGNÉ ce 3e jour d'octobre 1994

“ Shelley Macdonell ”

Shelley Macdonell

La lettre d'entente jointe à ce document et à laquelle celui-ci fait référence est celle qui porte la date du 24 août 1994, qui a été rédigée par L.P. Macdonell, à laquelle Me Arthur Smith, en sa qualité de fiduciaire, a donné son accord le 3 octobre 1994 et que j'ai mentionnée plus haut.

[7] Deux documents complètent cette série. Le premier s'intitule “ Reconnaissance de transfert d'actions ” et il est signé par Me Arthur L. Smith. Le second - qui se trouve à l'annexe “ A ” du premier – s'intitule “ Transfert d'intérêt ”. Daté du 11 novembre 1994, il est signé par Shelley Macdonell et Lee Monaco. Je reproduis intégralement ces deux documents :

[TRADUCTION]

Destinataire : Lee MONACO

Reconnaissance de transfert d'actions

Objet : Achat, par Lee Monaco, de 25 actions ordinaires d'Anmill Homes Ltd.appartenant à Shelley Macdonell

Je, Arthur L. SMITH, reconnais que je détiens 25 actions ordinaires d'Anmill Homes Ltd. en fiducie au bénéfice de Lee Monaco, conformément à l'annexe “ A ” jointe aux présentes et datée du 11 novembre 1994.

Signé à Toronto le 18e jour de novembre 1994.

“ Me Arthur L. Smith ”

Me Arthur L. Smith

ANNEXE “ A ”

TRANSFERT D'INTÉRÊT

Par les présentes, SHELLEY MACDONELL transfère à LEE MONACO sa quote-part du terrain d'Oshawa qui s'élève à vingt-cinq pour cent (25 p. 100) et qui lui revient aux termes de l'entente du 3 octobre 1994, jointe à l'annexe “ A ” du présent document, en considération de quoi, LEE MONACO versera à SHELLEY MACDONELL la somme de VINGT-CINQ MILLE DOLLARS (25 000 $).

À même cette somme de VINGT-CINQ MILLE DOLLARS (25 000 $), un montant de DIX MILLE DOLLARS (10 000 $) sera versé le 11e jour de novembre 1994. Le reliquat de QUINZE MILLE DOLLARS (15 000 $) sera versé le 18e jour de novembre 1994.

LEE MONACO et SHELLEY MACDONELL conviennent que, suite à l'encaissement par LEE MONACO d'un montant de CENT MILLE DOLLARS (100 000 $) en considération de la quote-part de 25 p. 100 du terrain d'Oshawa, SHELLEY MACDONELL recevra dix pour cent (10 p. 100) de toute somme d'argent subséquemment versée à LEE MONACO en considération de cette même quote-part.

SIGNÉ à Toronto ce 11e jour de novembre 1994.

TÉMOIN : )

)

Illisible ) “ Shelley Macdonell ”

(de la signature de ) SHELLEY MACDONELL

Shelley MacDonell) )

)

Illisible ) “ Lee Monaco ”

(de la signature de ) LEE MONACO

Lee Monaco )

[8] Comme je l'ai déjà indiqué, le témoignage de M. Smith était, dans le meilleur des cas, imprécis et les documents sont, à première vue, quelque peu contradictoires. Il me faut cependant déterminer, du mieux que je peux, la nature de la transaction intervenue entre Shelley Macdonell et Lee Monaco. À mon avis, il s'agissait du transfert, de Shelley Macdonell à Lee Monaco, de la quote-part du produit éventuel revenant à Shelley Macdonell aux termes de la lettre d'entente du 3 octobre 1994 et ceci, jusqu'à concurrence d'un montant de 100 000 $, Lee Monaco obtenant 90 p. 100 de toute somme excédant ce montant. En considération de ce transfert, un montant de 25 000 $ devait être immédiatement versé à Shelley Macdonell par Lee Monaco et 25 p. 100 des actions d'Anmill devaient être transférées par Shelley Macdonell à Me Arthur Smith en fiducie au bénéfice de Lee Monaco pour garantir la transaction. Par conséquent, l'appelante n'a pas établi qu'elle avait acheté les actions d'Anmill. Il s'ensuit qu'elle ne peut avoir subi de perte en capital résultant d'une disposition des actions d'Anmill. Elle ne satisfait donc pas aux exigences de l'alinéa 39(1)c) de la Loi et n'a pas droit à une PDTPE.

[9] Même si je fais erreur sur ce point, l'appel doit être rejeté. Pour que l'appelante ait droit à une PDTPE, la perte en capital qu'elle a subie doit se rapporter à un placement dans une société exploitant une petite entreprise. En vertu de la définition donnée à cette expression, la totalité, ou presque, des éléments d'actif de la société doit être utilisée principalement dans une entreprise exploitée activement principalement au Canada ou être constituée d'actions d'une société rattachée à celle-ci et qui entre dans le cadre de la définition d'une “ société exploitant une petite entreprise ”.

[10] La prétention de l'appelante repose sur la théorie que la société Sherwood Forest, qui était rattachée à Anmill, était une entreprise exploitée activement, comme l'exige la définition, puisque le terrain était son seul élément d'actif, ou presque, et que celui-ci était utilisé dans une entreprise d'aménagement de terrains, exploitée activement. La preuve relative à l'entreprise exploitée par Sherwood Forest est encore plus imprécise et présente encore plus de lacunes que la preuve se rapportant aux opérations impliquant les actions d'Anmill. Outre les déclarations vagues faites par M. Smith alors qu'il était à la barre des témoins, la seule preuve consiste en une lettre que lui a envoyée, le 19 janvier 2000, Richard Szarek, un spécialiste de la planification employé par la municipalité régionale de Durham. La partie essentielle de cette lettre se trouve dans les deux paragraphes qui suivent :

[TRADUCTION]

Pour faire suite à votre lettre du 18 janvier 2000, nous confirmons que Sherwood Forest Holdings Inc. a soumis, le 5 août 1988, une demande relative à un projet de plan de lotissement du terrain susmentionné, lequel est également décrit comme formant l'angle nord-est des rues Wilson et Taunton, dans la ville d'Oshawa.

Le règlement de la région de Durham en matière d'archivage prévoit que tous les dossiers de lotissement fermés depuis plus de 10 ans doivent être détruits. Le dossier relatif au plan de lotissement mentionné plus haut n'est donc plus disponible.

Manifestement, la conclusion que l'on doit tirer de cette lettre est que la demande soumise le 5 août 1988 par Sherwood Forest relativement à un projet de plan de lotissement a été rejetée ou abandonnée, et que, par conséquent, le dossier a été classé avant le 19 janvier 1990, c'est-à-dire presque cinq ans avant le moment où, selon les dires de l'appelante, celle-ci a effectué un placement dans la société Anmill. Larry Macdonell n'a pas témoigné lors de l'audition du présent appel, non plus que Shelley Macdonell. Bien que, de toute évidence, ces personnes soient les plus au fait des activités, s'il en est, d'Anmill et de Sherwood Forest, l'on n'a pas cherché à expliquer pourquoi elles n'ont pas été appelées à témoigner. J'en conclus donc que leurs témoignages n'auraient pas aidé l'appelante.

[11] Je me dois d'ajouter que, parmi les hypothèses de fait sur lesquelles s'est fondé le ministre lorsqu'il a établi la cotisation de l'appelante, l'on retrouve ceux qui suivent :

[TRADUCTION]

7. Le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes lorsqu'il a établi la cotisation de l'appelante :

[...]

(l) La société Sherwood a été constituée en personne morale le 3 mars 1988 ou vers cette date et a abandonné sa charte le 29 octobre 1994 ou vers cette date;

(m) Depuis sa constitution en personne morale, Sherwood n'a produit aucune déclaration de revenus;

(n) Sherwood possédait un terrain non bâti dans la région d'Oshawa, en Ontario, lequel a été vendu à la suite de l'exercice d'un pouvoir de vente le 14 février 1995 ou vers cette date;

(o) Anmill n'exploitait pas activement une entreprise;

(p) Sherwood n'exploitait pas activement une entreprise;

La preuve soumise n'a pas démontré la fausseté de ces hypothèses.

[12] L'appelante n'a pas établi qu'elle avait effectué un placement dans la société Anmill ni que les sociétés Anmill et Sherwood Forest exploitaient activement une entreprise au mois de novembre 1994 ou à un moment quelconque de la période de douze mois précédant cette date. Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, le 3e jour de février 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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