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Date: 19990706

Dossier: 97-1928-IT-G

ENTRE :

JEANNETTE LUSSIER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de madame Jeannette Lussier interjetés à l'encontre d'avis de cotisation établis par le ministre du Revenu national (ministre) pour les années d'imposition 1992 et 1993. Le ministre a ajouté au revenu de madame Lussier pour l'année 1992 une somme de 86 786 $ et pour l'année 1993 une somme de 60 015 $ représentant des revenus qu'elle a reçus à titre d'usufruitière de biens provenant de la succession Simon Lussier (succession).

[2] Quoique ces sommes aient été incluses par madame Lussier elle-même dans sa déclaration de revenu pour chacune de ces années d'imposition, elle prétend aujourd'hui qu'elles devraient être exclues en raison des attributions effectuées par la succession, dans une lettre du 15 novembre 1994, en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). Cette lettre visait à modifier les déclarations de revenu que la succession avait produites auparavant. Aux termes du paragraphe 104(13.1) de la Loi, le montant attribué à un bénéficiaire par une fiducie est réputé ne pas être payé ni payable au bénéficiaire; par conséquent, ce montant n'a pas à être inclus dans le revenu du bénéficiaire mais constitue plutôt du revenu de la fiducie.

[3] Parce qu'elles n'ont pas été faites par la succession dans les déclarations de revenu produites initialement, l'intimée soutient que les attributions n'ont pas été faites en conformité avec le paragraphe 104(13.1) de la Loi.

Faits

[4] La plupart des faits pertinents ne font pas l'objet de contestation de la part des parties. Madame Lussier, maintenant âgée de 85 ans, est devenue usufruitière de certains biens appartenant à son mari lors du décès de ce dernier survenu le 25 janvier 1988. Les nus-propriétaires de ces biens sont ses enfants. Dans sa déclaration de revenu pour l'année 1992, madame Lussier a déclaré des revenus de différentes sources dont le total s'élève à 143 244 $. Cette somme comprend les 86 786,47 $ provenant de la succession. Le ministre a fixé l'impôt à payer par madame Lussier au montant calculé dans sa déclaration de revenu pour l'année 1992.

[5] Dans sa déclaration de revenu de 1993, madame Lussier a déclaré des revenus de 105 891 $ dont 60 014,59 $ constituent des revenus provenant de la succession. Le ministre a fixé l'impôt à payer par madame Lussier au montant calculé dans sa déclaration de revenu pour l'année 1993.

[6] Dans ses déclarations de revenu produites pour les années 1992 et 1993, la succession n'a pas effectué l'attribution prévue au paragraphe 104(13.1) de la Loi. Comme tous les revenus de la succession étaient payés ou payables à madame Lussier, le ministre a avisé la succession qu'elle n'avait aucun impôt à payer pour ces deux années d'imposition.

[7] Pour la préparation et la production de leurs déclarations de revenu pour les années 1994 et suivantes, la succession et madame Lussier ont retenu les services d'un nouveau comptable agréé, soit monsieur Dominic Vendetti du cabinet Samson Belair Deloitte & Touche. Ce dernier a recommandé à la succession d'effectuer l'attribution prévue au paragraphe 104(13.1) de façon à tirer avantage du fait qu'un usufruit est réputé, selon la Loi, être une fiducie, qu'une fiducie est traitée comme un contribuable distinct et qu'une fiducie testamentaire est imposée selon les mêmes taux d'imposition progressifs que ceux applicables aux particuliers[1].

[8] Lors de son témoignage, monsieur Vendetti a confirmé que des attributions en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi avaient été faites dans les déclarations de revenu de la succession pour les années d'imposition 1994 à 1997 et que le ministre ne les avait pas contestées.

[9] Monsieur Vendetti a aussi confirmé avoir contacté les anciens comptables de madame Lussier et de la succession pour obtenir des renseignements pertinents aux fins de la production des déclarations de revenu pour l'année 1994. Dans ses discussions avec eux, monsieur Vendetti a eu l'impression que ces comptables n'avaient pas bien saisi la portée du paragraphe 104(3.1) de la Loi. De plus il n'y avait aucun avantage fiscal, selon lui, à ne pas effectuer pour les années 1992 et 1993, l'attribution prévue au paragraphe 104(13.1) de la Loi.

[10] Monsieur Vendetti a recommandé à la succession de modifier sa déclaration de revenu pour chacune des années 1992 et 1993 afin d'effectuer une attribution en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi. À la demande de ses clients, monsieur Vendetti a transmis au ministre la lettre du 15 novembre 1994 l'informant que la succession et madame Lussier désiraient apporter des modifications à leurs déclarations de revenu pour les années d'imposition 1992 et 1993. Dans cette lettre, on fait savoir au ministre que la succession attribuait à madame Lussier en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi une somme de 86 786 $ pour l'année 1992 et une somme de 52 891 $ pour l'année 1993.

[11] Dans une lettre du 12 janvier 1995, un représentant du ministre a informé madame Lussier que le ministre refusait d'établir de nouvelles cotisations pour donner suite aux modifications apportées à ses déclarations de revenu. Voici l'explication que l'on a alors fournie à madame Lussier :

En effet, le choix dont vous désirez vous prévaloir selon le paragraphe 104(13.1) ne fait pas partie de la Législation applicable au Dossier Équité qui permet, en accord avec le Règlement 600 de l'Impôt sur le Revenu, de demander un choix tardif ou une modification de choix ou sa révocation.

[12] Le 14 février 1995 monsieur Vendetti a produit auprès du ministre des avis d'opposition de la succession et madame Lussier pour les années d'imposition 1992 et 1993. Le ministre a prorogé les délais pour permettre la production de ces avis d'opposition, lesquels ont donc été produits en conformité avec la Loi.

[13] Le 21 mars 1997 le ministre a ratifié les cotisations à l'égard desquelles madame Lussier avait produit des avis d'opposition. Le même jour, il a aussi informé la succession que les cotisations dont le montant était nul ne pouvaient faire l'objet d'un appel et qu'aucune modification n'était justifiée.

[14] Le 19 juin 1997 seule madame Lussier a déposé au greffe de cette cour des avis d'appel à l'encontre des cotisations pour les années d'imposition 1992 et 1993.

Analyse

[15] Le sort des appels de madame Lussier dépend de l'interprétation que l'on doit adopter du paragraphe 104(13.1) de la Loi. Voici le libellé de ce paragraphe dans ses deux versions officielles :

(13.1)Exception , Le montant qu'une fiducie attribue à un bénéficiaire dans sa déclaration de revenu en vertu de la présente partie pour une année d'imposition tout au long de laquelle elle a résidé au Canada et n'était pas, par application du paragraphe 149(1), exonérée de l'impôt prévu à la partie I, et qui ne dépasse pas le montant calculé selon la formule suivante est réputé, pour l'application des paragraphes (13) et 105(2), ne pas être payé ni être devenu payable au cours de l'année au bénéficiaire ou à son profit ou ne pas provenir du revenu de la fiducie :

A

B ´ (C + D + E)

[...]

(13.1)Amounts deemed not paid , Where a trust, in its return of income under this Part for a taxation year throughout which it was resident in Canada and not exempt from tax under Part I by reason of subsection 149(1), designates an amountin respect of a beneficiaryunder the trust, not exceeding the amount determined by the formula

A

B ´ (C + D + E)

[...]

the amount so designated shall be deemed, for the purposes of subsections (13) and 105(2), not to have been paid or to have become payable in the year to or for the benefit of the beneficiary or out of income of the trust.

[Je souligne.]

[16] Il est utile de rappeler la règle de base en matière d'interprétation des lois que l'on retrouve dans l'ouvrage de Driedger intitulé Construction of Statutes (2e édition, 1983), à la page 87 :

[TRADUCTION]

[...] il faut interpréter les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[17] Cette règle d'interprétation a été suivie dans de nombreuses décisions dont notamment Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 et Québec (Communauté urbaine) c. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3.

[18] Tel qu'il a été mentionné précédemment, l'intimée soutient que les attributions effectuées dans la lettre du 15 novembre 1994 n'ont pas été faites en conformité avec le paragraphe 104(13.1) de la Loi. À la lecture de la lettre du 12 janvier 1995, il est clair que le ministre refuse de donner suite aux attributions effectuées dans la lettre du 15 novembre 1994 parce qu'elles ont été faites de façon tardive.

[19] Dans l'exposé des faits que le ministre a tenus pour acquis lors de l'établissement des avis de cotisations et que l'on retrouve dans la Réponse à l'avis d'appel, on constate que le ministre s'en tient aux déclarations produites initialement. Il fait totalement abstraction des modifications apportées le 15 novembre 1994 aux déclarations initiales. Dans sa Réponse à l'avis d'appel, l'intimée ne fournit aucune explication au sujet de cette démarche du ministre.

[20] Il faut donc déterminer si le ministre était justifié de ne pas tenir compte des modifications apportées par la succession à ses déclarations de revenu pour les années 1992 et 1993. Pour effectuer cette détermination, la première question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la succession avait le droit de modifier ses déclarations de 1992 et 1993. Ensuite, il faut déterminer si la lettre du 15 novembre 1994 constitue une modification de ses déclarations de revenu.

[21] À ma connaissance, il n'existe aucune disposition générale de la Loi qui permet à un contribuable de modifier sa déclaration de revenu ou qui lui défend de le faire. Le procureur de l'intimée s'est référé au paragraphe 152(6) de la Loi qui dispose ainsi:

(6) Nouvelle cotisation. Lorsqu'un contribuable a produit la déclaration de revenu prescrite par l'article 150 pour une année d'imposition et que, par la suite, une somme est réclamée pour l'année par lui ou pour son compte à titre de

a) déduction, en application de l'alinéa (3)e), résultant de son décès au cours d'une année d'imposition subséquente ayant entraîné l'application de l'article 71 relativement à une perte en capital déductible pour l'année,

b) déduction d'un montant en vertu de l'article 41 relativement à sa perte relative à des biens personnels désignés pour une année d'imposition subséquente,

b.1) déduction, en application de l'alinéa 60i), relativement à une prime, au sens du paragraphe 146(1), versée au cours d'une année d'imposition subséquente dans le cadre d'un régime enregistré d'épargne-retraite et déductible en application du paragraphe 146(6.1),

c) déduction, en application de l'article 118.1, relativement à un don fait au cours d'une année d'imposition subséquente ou, en application de l'article 111, relativement à une perte subie pour une année d'imposition subséquente,

c.1) déduction, en application du paragraphe 126(2), relativement à la fraction inutilisée du crédit pour impôt étranger (au sens donné par l'alinéa 126(7)e)) pour une année d'imposition subséquente,

d) déduction, en application du paragraphe 127(5), relativement à des biens acquis ou des dépenses faites dans une année d'imposition subséquente,

e) déduction, en application de l'article 125.2, au titre d'un crédit d'impôt de la partie VI inutilisé – au sens du paragraphe 125.2(3) – pour une année d'imposition ultérieure,

f) déduction, en application de l'article 125.3, au titre d'un crédit d'impôt de la partie I.3 inutilisé, au sens du paragraphe 125.3(3), pour une année d'imposition ultérieure, ou

[...]

h) déduction à cause d'un choix pour une année d'imposition subséquente effectué par son représentant légal en vertu de l'alinéa 164(6)c) ou d),

en produisant auprès du Ministre, au plus tard le jour où le contribuable est tenu, ou le serait s'il était tenu de payer de l'impôt en vertu de la présente Partie pour cette année d'imposition subséquente, de produire en vertu de l'article 150 une déclaration de revenu pour cette année d'imposition subséquente, une formule prescrite modifiant la déclaration, le Ministre doit fixer de nouveau l'impôt du contribuable pour toute année d'imposition pertinente (autre qu'une année d'imposition antérieure à l'année donnée) afin de tenir compte de la déduction réclamée.

(6) Reassessment. Where a taxpayer has filed for a particular taxation year the return of income required by section 150 and an amount is subsequently claimed by him or on his behalf for the year as

(a) a deduction under paragraph 3(e), by virtue of his death in a subsequent taxation year and the consequent application of section 71 in respect of an allowable capital loss for the year,

(b) a deduction under section 41 in respect of his listed-personal-property loss for a subsequent taxation year,

(b.1) a deduction under paragraph 60(i) in respect of a premium (within the meaning assigned by subsection 146(1)) paid in a subsequent taxation year under a registered retirement savings plan where the premium is deductible by reason of subsection 146(6.1),

(c) a deduction under section 118.1 in respect of a gift made in a subsequent taxation year or under section 111 in respect of a loss for a subsequent taxation year,

(c.1) a deduction under subsection 126(2) in respect of an unused foreign tax credit (within the meaning assigned by paragraph 126(7)(e)) for a subsequent taxation year,

(d) a deduction under subsection 127(5) in respect of property acquired or an expenditure made in a subsequent taxation year,

(e) a deduction under section 125.2 in respect of an unused Part VI tax credit (within the meaning assigned by subsection 125.2(3)) for a subsequent taxation year,

(f) a deduction under section 125.3 in respect of an unused Part I.3 tax credit (within the meaning assigned by subsection 125.3(3)) for a subsequent taxation year, or

[...]

(h) a deduction by virtue of an election for a subsequent taxation year under paragraph 164(6)(c) or (d) by his legal representative,

by filing with the Minister, on or before the day on or before which the taxpayer is, or would be if a tax under this Part were payable by him for that subsequent taxation year, required by section 150 to file a return of income for that subsequent taxation year, a prescribed form amending the return, the Minister shall reassess the taxpayer's tax for any relevant taxation year (other than a taxation year preceding the particular taxation year) in order to take into account the deduction claimed.

[Je souligne.]

[22] À mon avis ce paragraphe vise plutôt à obliger le ministre à établir une nouvelle cotisation qu'à permettre la modification d'une déclaration antérieure. On ne peut pas conclure de cette disposition qu'en dehors des cas qui y sont énoncés explicitement un contribuable n'a pas le droit de modifier une déclaration de revenu déjà produite. Le juge en chef Couture de cette Cour s'est déjà exprimé sur cette question dans l'affaire Lee v. M.N.R. [1990] 2 C.T.C. 2262, page 2268 :

[...] Furthermore, I am not aware of any authority for the proposition that once a taxpayer has signed his tax return that he may not change his mind subsequently following the discovery of a mistake notwithstanding the certificate that he signed as part of his return. Certainly, when an honest mistake has been discovered by a taxpayer he must be permitted to correct it and the procedure to do so is provided in the Income Tax Act within certain prescribed requirements. The appeal process serves this purpose. [...]

[23] Il est important d'ajouter que cette position énoncée par le juge en chef Couture est conforme à la pratique administrative qu'adopte le ministre lui-même. Par exemple, dans le guide qu'il remet à tous les Canadiens pour les aider à remplir leur déclaration de revenu annuelle, le ministre les informe qu'ils peuvent apporter des modifications à leur déclaration de revenu et leur indique comment s'y prendre. Voici les renseignements que fournit le guide pour l'année 1993 :

J'ai déjà envoyé ma déclaration et j'aimerais demander une modification, que dois-je faire?

N'envoyez pas une autre déclaration. Envoyez-nous une lettre signée qui fournit tous les renseignements nécessaires pour modifier votre déclaration. N'oubliez pas d'indiquer votre numéro d'assurance sociale, l'année visée par la modification et un numéro de téléphone où nous pouvons vous joindre. Vous trouverez l'adresse de votre centre fiscal dans cette trousse.

Vous pouvez demander des modifications pour l'année d'imposition 1985 et les années suivantes. Il faut compter habituellement huit semaines pour l'envoi d'un avis de nouvelle cotisation.

[24] Il y a lieu de noter que le ministre encourage même à produire des déclarations de revenu modifiées les contribuables qui ont omis de déclarer tous leurs revenus. Dans la circulaire IC 85-1R2, octobre 1992, portant sur les divulgations volontaires, le ministre informe les contribuables qu'ils peuvent éviter l'imposition de pénalités s'ils prennent l'initiative de divulguer des montants non déclarés.

[25] On doit donc constater que même s'il n'y a aucune disposition générale dans la Loi qui autorise les contribuables canadiens à modifier une déclaration de revenu déjà produite, il n'y a rien qui les en empêche. Par contre, il y va de l'intérêt de l'administration fiscale de permettre de telles modifications. Il faut rappeler que l'administration fiscale au Canada est fondée sur le principe de l'autocotisation et qu'il est tout à fait raisonnable et équitable qu'il soit permis aux contribuables de corriger des erreurs qui se sont glissées dans leurs déclarations de revenu.

[26] À mon avis, la lettre du 15 novembre 1994 constituait une modification de la déclaration de revenu de la succession et que l'effet de cette lettre est de modifier la déclaration de revenu initiale. Cette lettre était tout à fait conforme aux directives données par le ministre dans le guide mentionné plus haut. Par conséquent, on doit constater que dans ses déclarations de revenu (modifiées) la succession a attribué à madame Lussier certains montants en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi.

[27] Ayant conclu que la succession avait modifié ses déclarations de revenu pour les années 1992 et 1993 et que, dans ses déclarations, elle avait attribué un montant à madame Lussier, est-ce que toutes les autres conditions prévues au paragraphe 104(13.1) sont réunies? L'intimée n'a pas prétendu que l'on n'avait pas satisfait à l'une quelconque de ces autres conditions, si ce n'est celle ayant trait à un prétendu délai pour la production de l'attribution. Elle prétend que l'attribution a en conséquence été faite tardivement.

[28] La première question à trancher est celle de savoir si le paragraphe 104(13.1) édicte comme condition un délai pour effectuer l'attribution. Lors de sa plaidoirie, le procureur de l'intimée a reconnu que le paragraphe 104(13.1) n'édictait pas de délai explicite pour effectuer l'attribution. Toutefois, il prétend qu'il y avait un délai implicite, à savoir celui prévu pour la production de la déclaration de revenu de la fiducie, tout comme cela avait été décidé dans l'affaire Financial Collection Agencies (Quebec Ltd.) c. M.R.N. (88-671(IT)).

[29] Pour décider si cette prétention est bien fondée, je crois utile de comparer le libellé du paragraphe 104(13.1) de la Loi avec celui du paragraphe qui le suit, soit le paragraphe 104(14) qui est la disposition traitant du choix fait par une fiducie et un bénéficiaire privilégié. Cette disposition permet à une fiducie dont le revenu n'est ni payé ni payable à un bénéficiaire de faire un choix conjointement avec le bénéficiaire par suite duquel une partie du revenu accumulé de la fiducie sera incluse dans le revenu du bénéficiaire et exclue de celui de la fiducie. Le paragraphe 104(14) est libellé dans ces termes :

(14) Choix fait par une fiducie et un bénéficiaire privilégié. Lorsqu'une fiducie et une personne qui en est un bénéficiaire privilégié en font ensemble le choix, pour une année d'imposition, dans la forme et les délais prescrits, la partie du revenu accumulé de la fiducie pour l'année, qui est indiquée dans le choix et qui ne dépasse pas la part du bénéficiaire privilégié dans cette fiducie, doit être incluse dans le calcul du revenu du bénéficiaire privilégié pour l'année et ne doit pas être incluse dans le calcul du revenu de quelque bénéficiaire de la fiducie pour une année postérieure dans laquelle elle a été versée.

(14) Election by trust and preferred beneficiary. Where a trust and a preferred beneficiary thereunder jointly so elect in respect of a taxation year in prescribed manner and within prescribed time, such part of the accumulating income of the trust for the year as is designated in the election, not exceeding the preferred beneficiary's share therein, shall be included in computing the income of the preferred beneficiary for the year, and shall not be included in computing the income of any beneficiary of the trust for a subsequent year in which it was paid.

[Je souligne.]

[30] Si l'on compare les effets des paragraphes 104(13.1) et 104(14) de la Loi, on peut constater qu'en vertu du paragraphe 104(14), un revenu accumulé dans la fiducie est réputé être versé au bénéficiaire et être imposable entre les mains de ce dernier alors qu'en vertu du paragraphe 104(13.1) un revenu payé ou payable à un bénéficiaire est réputé ne pas lui être payé ni payable et que le revenu est donc imposé dans la fiducie. On peut aussi remarquer que ces dispositions visent à déterminer lequel de la fiducie ou du bénéficiaire devra inclure dans son revenu le montant attribué (paragraphe 104(13.1) de la Loi) ou le montant ayant fait l'objet d'un choix (paragraphe 104(14) de la Loi).

[31] Dans le cas du choix prévu au paragraphe 104(14), il est expressément prévu qu'un formulaire de choix doit être produit au ministre dans un délai prescrit. Selon le paragraphe 2800(2) du Règlement de l'impôt sur le revenu, le document doit être produit dans les 90 jours de la fin de l'année d'imposition de la fiducie, soit au même moment où la déclaration de la fiducie doit être produite (alinéa 150(1)c) de la Loi).

[32] À mon avis, si le législateur avait voulu qu'une attribution soit produite dans un délai prescrit, il l'aurait mentionné de façon explicite comme il l'a fait pour le cas visé au paragraphe 104(14) de la Loi. Au paragraphe 104(13.1) de la Loi, le législateur n'a même pas prévu de formulaire prescrit. De plus, il m'apparaît tout à fait déraisonnable d'imposer à un contribuable des conditions qui ne sont pas clairement énoncées par le législateur.

[33] Lorsque le législateur édicte, au paragraphe 104(13.1) de la Loi, que la fiducie doit effectuer l'attribution dans sa déclaration de revenu, ce n'est qu'à titre indicatif qu'il le fait. C'est comme s'il avait indiqué que l'attribution doit se faire « par écrit » . En effet, il est facile de comprendre que le ministre doit être informé de tous les faits pertinents afin de lui permettre de fixer le montant de l'impôt lorsqu'il établit sa cotisation. Si la fiducie a attribué un montant en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi, il est important que le ministre le sache. Il n'est donc pas surprenant que le législateur ait édicté que la fiducie doit manifester de cette façon son intention de se prévaloir du paragraphe 104(13.1) : cette exigence est tout à fait logique et pratique.

[34] Comme le paragraphe 104(13.1) est silencieux quant à l'existence d'un délai, il n'est donc pas essentiel que l'attribution ait été faite dans un délai précis. Tout ce qui compte c'est qu'elle ait été faite dans la déclaration de revenu, ce qui est le cas ici par suite de la modification apportée à la déclaration de revenu.

[35] S'il n'existe pas de délai pour effectuer une attribution prévue au paragraphe 104(13.1) de la Loi, il s'en suit qu'on n'a pas à se demander si un contribuable a le droit d'effectuer une attribution tardive.

[36] Si je me suis mal dirigé en droit en interprétant le paragraphe 104(13.1) comme ne prévoyant pas de délai pour effectuer l'attribution, il devient important alors de déterminer si l'attribution pouvait être effectuée de façon tardive. Dans cette hypothèse, il serait pertinent de considérer les motifs du juge Robertson dans l'affaire Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279. Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si un contribuable avait le droit de faire une « désignation tardive » en vertu de l'alinéa 55(5)f) de la Loi. Le libellé de cet alinéa dans sa version anglaise ressemble à celui du paragraphe 104(13.1) de la Loi. En effet, on utilise le verbe « designate » dans ces deux dispositions alors que dans la version française on utilise « attribuer » au paragraphe 104(13.1) et « designer » à l'alinéa 55(5)f). Ce dernier alinéa édicte ce qui suit :

f) lorsqu'une corporation a reçu un dividende dont une partie est un dividende imposable,

(i) la corporation peut désigner dans sa déclaration de revenu, en vertu de la présente Partie, pour l'année d'imposition au cours de laquelle la dividende a été reçu, toute fraction du dividende imposable comme étant un dividende imposable distinct, et

(ii) le montant éventuel de la fraction du dividende qui est imposable qui est en sus de la partie désignée en vertu du sous-alinéa (i) est réputé être un dividende imposable distinct.

(f) where a corporation has received a dividend any portion of which is a taxable dividend,

(i) the corporation may designate in its return of income under this Part for the taxation year during which the dividend was received any portion of the taxable dividend to be a separate taxable dividend, and

(ii) the amount, if any, by which the portion of the dividend that is a taxable dividend exceeds the portion designated under subparagraph (i) shall be deemed to be a separate taxable dividend.

[Je souligne.]

[37] Contrairement à l'approche que j'ai adoptée ici, on a tenu pour acquis dans l'affaire Nassau (supra) qu'il existait un délai pour produire la désignation. En effet, on ne semble pas avoir soutenu dans cette affaire que l'alinéa 55(5)f) de la Loi n'édictait pas de délai précis pour effectuer la désignation. Le juge Robertson a traité ainsi de la question en litige à la page 295, au paragraphe 22 :

La question dont la Cour est saisie a été formulée de la façon suivante : Nassau avait-elle le droit de faire une désignation tardive aux termes de l'alinéa 55(5)f) de la Loi? [...] L'argument du ministre est double. Tout d'abord, le ministre note que la Loi ne contient pas de disposition autorisant le dépôt tardif d'une désignation. Cette affirmation doit être mise en contraste avec les « choix » prévus à d'autres dispositions de la Loi qui peuvent être exercés tardivement.

[38] Voici les propos qu'a tenus le juge Robertson en rejetant l'argument du procureur du ministre selon lequel on ne pouvait pas produire tardivement la désignation parce qu'il n'y avait pas de disposition expresse permettant de le faire au paragraphe 33 :

Bien que la Loi prévoie dans certains cas une forme d'allégement, il ne s'ensuit pas nécessairement que le législateur avait l'intention de ne pas accorder d'allégement dans des situations dont la Loi ne traite pas expressément. Le fait que la Loi autorise l'exercice tardif d'une désignation ou d'un choix dans des circonstances particulières ne mène en fait qu'à une inférence réfutable selon laquelle le législateur n'avait pas l'intention d'accorder le même droit au contribuable dans d'autres circonstances. Le caractère réfutable de cette inférence se fonde sur trois raisons. Tout d'abord, soutenir le contraire aurait pour effet d'adopter la méthode littérale comme méthode d'interprétation des lois et de considérer la Loi comme un code complet en soi. Deuxièmement, je ne connais aucune décision dans laquelle il aurait été statué que, parce qu'une exception légale est prévue dans un cas et non dans un autre, ce fait seul établit de façon concluante qu'aucune autre exception ne peut exister. Ma position à cet égard a été confirmée récemment dans l'arrêt On-Guard Self-Storage, précité. Troisièmement, les tribunaux ont depuis longtemps reconnu la méthode contextuelle et téléologique comme étant la méthode appropriée d'interprétation des lois. [Je souligne.]

[39] À mon avis, on se retrouve en l'espèce dans une situation analogue à celle dans l'affaire Nassau (précité). Il ne s'agit pas ici d'une situation de planification fiscale rétroactive. On n'essaie pas ici d'améliorer rétroactivement le traitement fiscal de madame Lussier pour les années 1992 et 1993 parce qu'on aurait pris connaissance de faits qui sont survenus après la fin de chacune de ces années d'imposition et qui inciteraient à adopter une planification fiscale différente. Comme dans Nassau (précité), si la succession n'a pas effectué d'attribution, c'est en raison d'une erreur commise de bonne foi par les comptables qui ont préparé et produit les déclarations. Si les comptables avaient bien interprété la portée du paragraphe 104(13.1) de la Loi, ils auraient effectué l'attribution qu'a fait monsieur Vendetti dans sa lettre du 15 novembre 1994. Cette attribution minimisait les impôts de madame Lussier et lui assurait un revenu net d'impôt supérieur à celui établi par les cotisations initiales. Tous les faits pertinents pour décider de l'opportunité d'une telle attribution étaient connus lors de la production initiale des déclarations de revenu de la fiducie. Il n'y avait aucun désavantage fiscal à ne pas effectuer cette attribution dans ces déclarations. Il s'agit donc ici de corriger une erreur qui s'est produite lors de la préparation des déclarations de revenu, il ne s'agit pas d'une planification rétroactive[2].

[40] Pour reprendre les paroles du juge Robertson dans Nassau (précité) aux pages 301 et 302, il s'agit d'un contribuable qui « n'a pas déjà évalué les risques potentiels entre faire la désignation ou ne pas la faire, et il ne cherche pas non plus à se soustraire aux conséquences négatives d'une décision qu'il aurait prise consciemment après mûre réflexion [sic] » .

[41] Existe-t-il ici des raisons pour lesquelles on ne devrait pas permettre un exercice tardif de l'attribution prévue au paragraphe 104(13.1) de la Loi? Tout d'abord, quelle raison aurait pu avoir le législateur de vouloir l'empêcher? Contrairement à ce qui a été le cas dans l'affaire Nassau (précité), aucun motif ne m'a été fourni lors des plaidoiries des parties et aucun ne me vient à l'esprit.

[42] Par contre, il existe au moins une raison importante de croire que le législateur n'a pas voulu empêcher une « attribution tardive » . L'un des objectifs poursuivis en 1988 par le législateur lorsqu'il a adopté le paragraphe 104(13.1) de la Loi était de permettre un report de pertes[3]. Avant cette modification, une fiducie dont tous les revenus étaient payés ou payables à un bénéficiaire ne pouvait pas tirer avantage, dans le calcul de son revenu imposable, de la déduction du montant des « pertes autres que des pertes en capital » ou des « pertes en capital nettes » prévue à l'article 111 de la Loi. Or, comme le prévoit l'article 111 de la Loi, le report peut s'effectuer sur les trois années d'imposition qui précèdent l'année au cours de laquelle la perte a été subie.

[43] Prenons un exemple concret pour illustrer la portée de cette règle. Si la succession avait subi des pertes autres que des pertes en capital en 1995 et qu'elle avait voulu les reporter sur les années 1992 et 1993, il aurait été avantageux pour elle de déduire la perte de 1995 dans le calcul de son revenu imposable de 1992. Avant l'adoption du paragraphe 104(13.1) de la Loi, la déduction de cette perte aurait été inutile puisque la succession ne réalise pas généralement de revenus. En effet, comme tous les revenus de la succession sont versés à madame Lussier, la succession n'a aucun revenu à déclarer. En vertu du paragraphe 104(6) de la Loi, tout revenu payé ou payable à la bénéficiaire est déductible du revenu de la succession et doit être inclus dans celui de la bénéficiaire.

[44] Après l'adoption du paragraphe 104(13.1) de la Loi, il est possible d'attribuer un montant égal au montant de la perte reportée de façon à ce que la succession, dans notre exemple hypothétique, ait un revenu duquel pouvait être déduit le montant de cette perte. La succession pourrait alors réduire à néant son revenu imposable et la bénéficiaire serait réputée ne pas avoir reçu le montant attribué, bénéficiant ainsi indirectement du report de la perte de 1995.

[45] Or, il est facile de comprendre qu'en 1992 la succession n'aurait pas été en mesure de prévoir qu'elle subirait une perte en 1995. Si on met de côté la question du fractionnement du revenu, la succession n'aurait eu aucun motif d'effectuer une attribution. Ainsi, si on adoptait l'interprétation de l'intimée selon laquelle la succession ne pouvait pas, en produisant sa déclaration de 1995 et la déclaration modifiée pour l'année 1992, effectuer une attribution tardive pour 1992 de manière à effectuer le report de sa perte sur 1992, la succession ne serait pas en mesure de tirer avantage du paragraphe 104(13.1) de la Loi, ce qui irait à l'encontre de l'objectif visé par le législateur tel qu'il est décrit explicitement dans les notes explicatives[4]. Ce résultat serait absurde et contraire au but poursuivi par l'adoption du paragraphe 104(13.1) en 1988. Il est donc non seulement plus logique de conclure qu'il est possible de produire tardivement une attribution mais, à mon avis, il est essentiel de le faire pour atteindre l'objet de la Loi.

[46] Il est important de noter que le ministre, selon sa pratique administrative, accueille favorablement les demandes des contribuables d'effectuer une attribution tardive lorsqu'il s'agit de déduire le montant de pertes reportées en vertu de l'article 111 de la Loi. Par contre, il les refuse lorsque le but poursuivi par le contribuable est d'effectuer un fractionnement du revenu.

[47] À mon avis, il n'y a pas lieu de distinguer entre une attribution tardive effectuée pour tirer avantage d'un report de pertes en vertu de l'article 111 et celle permettant de minimiser l'impôt du bénéficiaire au moyen du mécanisme du fractionnement du revenu. Il faut rappeler que la Cour suprême du Canada dans l'affaire Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 35, a reconnu la légitimité du fractionnement du revenu :

[...] In fact, "there is no general scheme to prevent income splitting" in the ITA (V. Krishna and J.A. VanDuzer, "Corporate Share Capital Structures and Income Splitting: McClurg v. Canada" (1992-1993), 21 Can. Bus. L.J. 335, at p. 367.

[48] Il y a aussi ces propos du juge Gonthier dans l'affaire Hall c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220, 1997 CanRepQue 1306, paragraphe 49, selon lesquels il reconnait que le fractionnement a toujours été possible par l'entremise d'une fiducie :

Quant à la crainte exprimée en Cour d'appel que la position de l'appelante aurait pour effet de donner ouverture à toutes sortes d'abus, tel le fractionnement des revenus, je partage l'avis de l'appelante qu'un tel fractionnement est intégral à l'économie de l'imposition des successions et n'a rien de répréhensible en soi. D'ailleurs, le fractionnement a toujours été possible par l'entremise d'une fiducie.

[49] Il est même possible de conclure que le fractionnement du revenu avait été prévu lors de l'adoption de la modification de 1988. Je cite à nouveau un extrait des notes explicatives que j'ai reproduit à la note infrapaginale no 3:

This change will enable trusts to utilize in a particular year losses from prior years without affecting the ability of the trust to distribute its income currently. Also, testamentary trusts will also be able to choose to be taxed at the trust level rather than at the beneficiary level by using subsection 104(13.1).

Pourquoi une fiducie déciderait-t-elle « also » que le revenu payable à son bénéficiare serait imposé au niveau de la fiducie si ce n'est que pour effectuer un fractionnement du revenu?

[50] En conclusion, s'il fallait lire le paragraphe 104(13.1) comme prescrivant un délai implicite, je conclurais, comme l'a fait le juge Robertson dans Nassau (supra), que : « l'inférence selon laquelle le législateur n'avait pas l'intention d'accorder un allégement dans ces circonstances a été réfutée » (p. 305).

[51] Avant de conclure, j'aimerais revenir sur la question du droit qu'a un contribuable de modifier sa déclaration de revenu et de l'obligation qu'a le ministre de fixer à nouveau l'impôt du contribuable. À mon avis, il est important de bien distinguer entre ce droit d'un contribuable et cette obligation du ministre. Le fait qu'un contribuable ait le droit de modifier sa déclaration ne signifie pas nécessairement que le ministre doit automatiquement donner suite à une modification. Le ministre est libre d'y donner suite ou non à moins qu'il n'y soit contraint par la Loi, comme il l'est, par exemple, dans les circonstances énoncées au paragraphe 152(6) de la Loi. Un autre exemple est le cas où une décision est rendue par cette cour à la suite d'un appel validement formé à l'encontre d'une cotisation. Selon le sous-alinéa 171(1)b)(iii) de la Loi, cette cour peut statuer sur un appel en déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

[52] Dans les circonstances de cet appel, la contribuable et la succession avaient non seulement le droit de modifier leur déclaration, mais le ministre aurait dû donner suite à la modification. Les propos du juge Robertson dans Nassau (supra) sont, à mon avis, tout à fait appropriés ici : « Il ne fait aucun doute que le refus du ministre d'accéder à la demande de Nassau semble contraire aux notions élémentaires d'équité » (paragraphe 29, p. 297).

[53] Le ministre aurait donc dû établir une nouvelle cotisation à l'égard de la succession de façon à fixer un impôt à payer sur le montant attribué en vertu du paragraphe 104(13.1) de la Loi. Pour des motifs inappropriés, il a refusé de le faire. Il devra vivre avec les conséquences de sa décision s'il était trop tard pour établir une nouvelle cotisation. Comme le montant d'impôt fixé par le ministre était nul, la succession ne pouvait pas s'opposer à une telle cotisation et interjeter appel devant cette cour.

[54] En ce qui a trait à madame Lussier, cette dernière a aussi demandé au ministre de modifier sa cotisation de façon à réduire le montant de ses impôts compte tenu de l'attribution effectuée par la succession. Le ministre a refusé de donner suite à la modification demandée par madame Lussier. Heureusement pour elle, madame Lussier a produit, en conformité avec les exigences de la Loi, des avis d'opposition et par la suite a déposé des avis d'appel devant cette cour.

[55] Pour que cela soit parfaitement clair, il est évident que si madame Lussier n'avait pas produit ses avis d'opposition dans les délais prescrits, elle n'aurait pas pu obliger le ministre à établir une nouvelle cotisation. Ayant produit des avis d'opposition et par la suite déposé des avis d'appel devant cette cour, madame Lussier a préservé ainsi son droit de contester les cotisations pour les années 1992 et 1993. Elle était en droit d'exiger devant cette cour que le montant d'impôt auquel elle était assujettie pour ces années soit déterminé selon les dispositions de la Loi, notamment celles du paragraphe 104(13.1) de la Loi. Comme toutes les conditions édictées par ce paragraphe sont réunies ici, elle a droit au bénéfice de ce paragraphe.

[56] Je conclus que les montants que la succession a attribués à madame Lussier, soit 86 786 $ pour 1992 et 52 891 $ pour 1993, sont réputés ne pas être des revenus pour elle.

[57] Pour ces motifs, les appels sont accueillis, avec frais, et les avis de cotisation sont déférés au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les montants de 86 786 $ en 1992 et de 52 891 $ en 1993 doivent être exclus du revenu de madame Lussier.

Signé à Sherbrooke, Canada, ce 9e jour de juillet 1999.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] Voir l'alinéa 248(3)a), les paragraphes 104(2), 108(1) et 122(1) de la Loi.                       L'attribution permet donc que les revenus d'une fiducie payés ou payables à un bénéficiaire ne soient pas ajoutés aux revenus déjà existants du bénéficiaire et qu'ils soient plutôt imposés dans la fiducie – au moins en partie - à un taux d'imposition inférieur à celui qui se serait appliqué au bénéficiaire. Cette stratégie permet de réaliser ce que l'on appelle communément du « fractionnement de revenu » . Ce fractionnement est d'autant plus intéressant qu'il permet non seulement de diminuer le taux d'imposition marginal applicable aux revenus payés ou payables par la fiducie, mais il permet aussi, quand les revenus du bénéficiaire provenant d'autres sources ne sont pas trop élevés, d'éviter le remboursement total ou partiel de prestations de programmes sociaux telles que la pension de la sécurité de la vieillesse.

[2] Je tiens à indiquer que ces propos ne doivent pas être interprétés comme un appui à la position selon laquelle une attribution ne peut être effectuée tardivement si elle est effectuée dans le cadre d'une planification rétroactive. Pour un exemple de planification rétroactive tout à fait acceptable, voir les paragraphes [43] et suivants. J'ai tout simplement voulu indiquer que l'on se retrouvait ici dans des circonstances analogues à celles de l'affaire Nassau.

[3] Dans les notes explicatives accompagnant le projet de loi modifiant la Loi, on retrouve ce qui suit:

1988 TN: New subsections 104(13.1) and (13.2) are consequential on the change to subsection 104(6) which permits a trust to deduct less than the full amount of its income distributions. By reason of these new provisions, a Canadian resident trust (other than a trust exempt from tax under subsection 149(1)) may also choose to have distributed income taxed at the trust level rather than the beneficiary level.

Subsection 104(13.1) provides the mechanism for a trust to designate to its beneficiaries their respective shares of that portion of the trust's actual income distributions which has not been deducted in computing its income for the year. Such designated amounts are deemed not to have been paid or payable in the year by the trust for the purposes of subsections 104(13) and 105(2), with the result that such amounts will neither be deductible to the trust nor taxable in the hands of the beneficiaries. Under revised paragraph 53(2)(h), however, such amounts will reduce the adjusted cost base to the beneficiaries of their capital interest in the trust unless that interest was acquired for no consideration in a personal trust. (See comments on the amendments to paragraph 53(2)(h).)

1988 TN: [...]

In addition, paragraph 104(6)(b) is amended to permit the deduction, at the discretion of the trust, of an amount that is less than the amount of its income distributions. To the extent such distributions are not deducted by the trust, they will not be taxable in hands of the beneficiaries provided the requirements of new subsection 104(13.1) or (13.2) are met. This change will enable trusts to utilize in a particular year losses from prior years without affecting the ability of the trust to distribute its income currently. Also, testamentary trusts will also be able to choose to be taxed at the trust level rather than at the beneficiary level by using subsection 104(13.1). Distributions of income in excess of the amount deducted by the trust will, however, reduce the adjusted cost base of the beneficiary's capital interest in the trust unless the interest is in a personal trust (as newly defined in subsection 248(1)) and was acquired for no consideration. (See comments on the amendments to paragraph 53(2)(h).)

                        [Je souligne.]

[4] Je m'empresse d'ajouter aussi qu'il n'est pas fait mention du paragraphe 104(13.1) au paragraphe 152(6) de la Loi.

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