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Date: 19990819

Dossier: 98-271-IT-I

ENTRE :

WILLIAM JOSEPH FITZPATRICK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1] L'appel a été entendu à Regina (Saskatchewan) le 5 août 1999, sous le régime de la procédure informelle.

[2] Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1993, 1994 et 1995, l'appelant a déduit 16 316,63 $ et 12 438,09 $ au titre des pertes agricoles pour les années d'imposition 1993 et 1994 respectivement, et 8 750 $ pour l'année d'imposition 1995, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) :

1993 1994

Revenu :

Paiements de la Commission canadienne du blé 952,24 $ 0

Remboursements 339,98 $ 0

Revenu total 1 292,22 $ 0 $

Dépenses :

Forage 401,25 $ 0 $

Travail à forfait/nettoyage des graines 0 348,50

Machinerie 2 946,71 2 891,35

Véhicule à moteur 1 127,44 434,85

Réparation de clôture 0 125,50

Contenants/corde/câble de curage 0 480,07

Petits outils 244,79 324,78

Assurance 412,00 0

Comptabilité/honoraires d'avocat/bureau 128,31 391,63

Téléphone/électricité/chauffage 1 681,11 2 281,12

Maison 579,84 0

Eau 67,93 0

Déduction pour amortissement (DPA) 9 434,82 3 366,33

Intérêt 191,92 1 050,78

Taxes foncières 392,73 743,18

Dépenses totales 17 608,85 $ 12 438,09 $

Perte nette (16 316,63 $) (12 438,09 $)

1995

Revenu :

Remboursements 476,12 $

Revenu total 476,12 $

Dépenses :

Pesticides 341,71 $

Machinerie 4 396,20

Véhicule à moteur 1 044,36

Construction et réparation de clôture 1 626,13

Petits outils 32,47

Assurance/“ NISA ACS ” 559,00

Comptabilité/honoraires d'avocat/bureau 333,75

Téléphone/électricité/chauffage 1 782,42

Eau 113,85

Déduction pour amortissement (DPA) 9 383,96

Intérêt 2 942,93

Taxes foncières 195,88

Dépenses totales 22 752,66 $

Perte nette (22 276,54 $)

Perte agricole admissible (8 750,00 $)

Perte agricole restreinte (13 526,54 $)

[3] Dans les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelant pour les trois années d'imposition en cause, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé la déduction des pertes susmentionnées, sur le fondement des hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

les faits admis et énoncés précédemment;

au cours des années d'imposition 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996, l'appelant était un employé à temps plein et a touché les revenus d'emploi suivants :

Année Revenu d'emploi

27 480 $

19 278

24 519

38 609

31 813

l'appelant a exploité l'entreprise agricole à temps plein jusqu'en 1988;

en 1988, l'appelant a vendu une partie du bien-fonds qu'il utilisait pour faire de l'agriculture et il s'est trouvé un emploi;

l'appelant a fait faillite en 1991;

après sa faillite, l'appelant a acquis de nouveau, pour 20 000 $, 40 acres du bien-fonds dont il avait auparavant été propriétaire et sur lequel se trouvaient sa résidence et certains bâtiments secondaires;

après sa faillite, l'appelant a entrepris de faire pousser et de mettre en balles de la luzerne (l'“ activité ”) sur la partie des 40 acres excluant la cour, dont les bâtiments secondaires et le corral;

dans les années d'imposition 1991 et 1992, l'appelant a déclaré les pertes suivantes relativement à l'activité :

Année Revenu Dépenses Perte

d'impositionbrut nette

1991 687 $ 8 087 $ (7 400 $)

1992 4 694 18 288 (13 594)

dans l'année d'imposition 1996, l'appelant a déclaré la perte suivante relativement à l'activité :

Année Revenu Dépenses Perte

d'impositionbrut nette

1996 1 850 $ 5 851 $ (4 001 $)

au cours des années visées par l'appel, l'appelant n'a pris aucune mesure ni élaboré aucun plan pour étendre ses activités, et il n'a pris aucune mesure en ce sens depuis;

la superficie du bien-fonds utilisée par l'appelant aux fins de l'activité n'est pas suffisamment importante pour que le revenu brut excède les dépenses engagées;

l'appelant ne pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un revenu de l'activité au cours des années d'imposition 1993, 1994 et 1995;

les dépenses déduites relativement à l'activité étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelant.

[4] À l'audience, l'avocat de l'appelant a admis les hypothèses énoncées aux alinéas b), c), e) et g) à i) et a nié les hypothèses formulées aux alinéas d), f) et j) à m).

[5] La question dont la Cour est saisie est celle de savoir si l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit de l'activité dans les années d'imposition 1993, 1994 et 1995.

[6] L'appelant a la charge d'établir selon la prépondérance des probabilités que la nouvelle cotisation du ministre était mal fondée en fait et en droit.

[7] À l'audience, seul l'appelant a témoigné, et il a clairement démontré que, tout au long des années en cause, il avait agi de bonne foi relativement à ses activités agricoles, se fiant aux conseils de son comptable.

[8] L'appelant avait 12 ans lorsqu'il a commencé à travailler sur la terre, qui a d'abord appartenu à son grand-père, puis à son père, et dont il a finalement hérité en 1959. En 1985 et en 1986, en raison de difficultés financières, il a transféré toute la terre à la Société du crédit agricole (“ SCA ”); en 1988, il a racheté à la SCA approximativement 40 acres qu'il a payés 20 000 $, et il a loué le reste du terrain de 1988 à 1990. L'appelant a continué d'éprouver des difficultés financières et, en mai 1991, il a fait faillite. En 1988, il a commencé à travailler à temps plein pour le Valley View Centre en tant que soudeur d'entretien. Après avoir été libéré de sa faillite en 1992, il a entrepris la culture de la luzerne dans la partie utilisable de sa terre et il a fait du travail à forfait pour des agriculteurs de la région. En 1991, il a appris qu'il était atteint d'apnée du sommeil, une maladie qui le drainait de presque toute son énergie. Parce qu'il avait un emploi à temps plein, qu'il disposait d'un capital limité et qu'il éprouvait des problèmes de santé, il n'a pu consacrer que relativement peu de temps à la culture de la luzerne. Les conditions météorologiques défavorables, les mauvaises herbes et les problèmes de germination ont fait en sorte que l'activité agricole s'est révélée pour ainsi dire désastreuse. L'appelant et son épouse vivaient dans la maison de ferme qui se trouvait sur les 40 acres dont il était propriétaire, et un bon nombre des dépenses déduites, comme les taxes, les réparations de clôture, le téléphone, l'électricité, le chauffage, les réparations de la maison, l'eau, etc., étaient de toute évidence des dépenses personnelles.

[9] Les registres des années 1991 à 1996 inclusivement auxquels la Cour a pu avoir accès font état d'un revenu total tiré de la vente de la luzerne et du travail à forfait de 8 000 $ environ et de dépenses de 80 000 $ à peu près, ce qui donne des pertes nettes de 70 000 $ approximativement. Au cours des trois années en cause, le revenu total s'élevait à 1 500 $ environ, et les dépenses, à 52 000 $ environ, ce qui a donné une perte nette de quelque 50 000 $.

[10] La jurisprudence sur ce type d'appel est volumineuse. L'attente raisonnable de profit est un critère objectif qui ne s'appuie pas simplement sur des rêves fantaisistes. Le critère objectif suppose un examen des profits et des pertes des années antérieures, du plan d'activités et du contexte de la mise en application de celui-ci, dont la démarche suivie, le temps consacré à l'activité, le bagage du contribuable, c'est-à-dire ses études et son expérience, le temps requis pour rentabiliser l'entreprise projetée, la présence ou l'absence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, la cause des pertes et, dans un tel cas, la capacité d'effectuer des rajustements.

[11] Dans l'arrêt Moldowan c. R., [1978] 1 R.C.S. 480, le juge Dickson a écrit ce qui suit :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise : Dorfman c. M.N.R., [[1972] C.T.C. 151]. Voir également l'al. 139(1)ae) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui inclut à titre de “ frais personnels ou frais de subsistance ”, donc non déductibles aux fins de l'impôt, les dépenses inhérentes aux propriétés entretenues par le contribuable pour son propre usage et avantage, et non entretenues relativement à une entreprise exploitée en vue d'un profit ou dans une expectative raisonnable de profit. Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe-temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées.

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : La Reine c. Matthews [[1974] C.T.C. 230; 74 D.T.C. 6193]. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[12] Dans l'affaire Landry v. The Queen, 94 DTC 6624, le juge Décary s'est exprimé dans les termes suivants :

Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable. Ainsi que le soulignait le juge Pigeon dans Sous-ministre du Revenu (Qué.) c. Lipson :[1]

[...] La seule preuve qui ait été faite a été celle des espoirs entretenus lors de la signature du bail, mais ces espoirs avaient été déçus et les facteurs qui avaient causé les pertes des premiers trois ans étaient toujours présents lors du renouvellement. On ne pouvait donc pas se figurer que l'on ne subirait pas une perte. [...]

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.

[13] Compte tenu de toutes les circonstances, dont le témoignage entendu et les admissions faites à la lumière de la jurisprudence bien établie, je suis convaincu que l'appelant ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait d'établir selon la prépondérance des probabilités qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à réaliser des profits dans les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 relativement à l'exploitation de sa ferme. Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'août 1999.

“ D. R. Watson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               [1979] 1 R.C.S. 833, à la p. 839.

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