Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990114

Dossier: 97-1758-UI

ENTRE :

GIUSEPPINA BORSELLINO,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

FORMONT INC.,

intervenante.

Appel entendu les 6 et 7 août 1998 à Montréal (Québec) par l’honorable juge suppléant M. H. Porter

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu les 6 et 7 août 1998 à Montréal (Québec).

[2] À la demande de l'appelante, l'appel a été entendu officiellement en anglais, bien que les avocats aient convenu de s'adresser à la Cour en français à l'étape des plaidoiries.

[3] L'appelante, avec le soutien de la Formont Inc., la compagnie, qui est intervenue dans la présente affaire, a interjeté appel de la décision par laquelle, le 23 septembre 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que l'emploi qu'elle a exercé pour la compagnie du 6 au 31 janvier 1997 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”). Le motif de la décision était le suivant :

[TRADUCTION]

[D]ans les faits, il y avait entre vous et Formont Inc. un lien de dépendance.

On a précisé que la décision avait été prise conformément au paragraphe 93(3) de la Loi et qu'elle était fondée sur l'alinéa 5(2)i) de la même Loi.

[4] Dans la réponse à l'avis d'appel, l'avocat du ministre a fait valoir également que, même si la Cour concluait que l'emploi n'était pas un “ emploi exclu ”, il ne s’agissait pas d’un emploi assurable car il n'existait aucun contrat de louage de services véritable entre l'appelante et la compagnie. Évidemment, il s'agit d'un nouveau motif, qui n'est pas celui que le ministre a donné et à l'égard duquel l'appelante a interjeté appel.

[5] Il est à mon avis nécessaire de mentionner les faits qui sont à l'origine de l'appel en l'instance. Lorsque la décision initiale a été prise par Ressources humaines Canada, la compagnie a été condamnée à payer une pénalité de 12 000 $ pour avoir sciemment fait une fausse déclaration sur le relevé d'emploi qu'elle a remis à l'appelante relativement à l'emploi en cause. Il semble qu'à l'époque les fonctionnaires aient été d'avis que l'emploi était une simple fabrication et n'avait jamais existé. Ce n'est pas l'avis du ministre aujourd'hui, et le témoin appelé à témoigner pour son compte, qui a examiné le dossier, l'a indiqué expressément. Le conseil arbitral a accueilli à l'unanimité l'appel qui avait été interjeté sur la question de l'amende et a conclu que les dirigeants de la compagnie n'avaient fait aucune fausse déclaration sciemment. Cet élément n'est pas directement pertinent quant à la question dont la Cour est saisie, mais il situe l'appel.

[6] Il est clair aujourd'hui que le ministre ne fait plus valoir cette thèse et que la question dont la Cour est saisie est simplement de savoir si le contrat de travail a été conclu par des personnes sans lien de dépendance.

Le droit

[7] Dans le régime établi en vertu de la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation, et que d'autres seraient des emplois “ exclus ”, soit des emplois qui, au moment de la cessation, ne donneraient pas droit à des prestations. Un arrangement conclu par des personnes ayant un lien de dépendance entre dans la catégorie des “ emplois exclus ”. Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du système, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.

[8] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit en anglais :

3(2) Excepted employment is

[. . .]

c) subject to paragraph (d), employment where the employer and employee are not dealing with each other at arm’s length and, for the purpose of this paragraph,

(i) the question of whether persons are not dealing with each other at arm’s length shall be determined in accordance with the provisions of the Income Tax Act,

[...]

En français, ce paragraphe se lit comme suit :

3(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d) [qui renvoie à des personnes et à des personnes morales liées, ce qui ne s'applique pas en l'espèce], tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

[...]

[9] L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit en anglais :

it is a question of fact whether persons not related to each other were at a particular time dealing with each other at arm’s length.

(Les caractères gras sont de moi).

En français, cet alinéa se lit comme suit :

la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[10] Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu précise que la question de savoir si des personnes traitant l’une avec l’autre n’avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question factuelle doit être tranchée dans le cadre du droit et est en réalité une question mixte de fait et de droit; voir la décision rendue par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises et al. v. The Queen, 97 DTC 302.

[11] Le sens de l'expression “ arm's length ” (lien de dépendance) a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Dans la mesure où l'expression a été utilisée dans des affaires de fiducie et de succession, cette jurisprudence n'a pas été prise en considération au Canada pour l'interprétation de lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110.

[12] Dans l'examen de la signification de l’expression “ lien de dépendance ”, il ne faut pas perdre de vue les termes de la version anglaise de la loi que j'ai précédemment indiqués en caractères gras, soit “ were at a particular time dealing with each other at arm’s length ” (qui désignent le fait, pour des parties, de traiter l’une avec l’autre sans lien de dépendance à un moment donné). Au Canada, la jurisprudence, comme le fait remarquer le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M., précitée, a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Je ne suis pas certain que, vu l'inclusion de ces termes dans la version anglaise de la loi, cette approche soit nécessairement la seule qui doive être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans certains des principaux arrêts faisant jurisprudence au Canada. En général, il s'agissait d'une seule personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire conclue par des personnes sans lien de dépendance, en soi, cela n'a pas été suffisant pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations conclues par des personnes ayant un lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 72 DTC 6470 (C.S.C.).

[13] En fait, ce que disent ces jugements, c'est que, si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches à l'autre, même si elle le fait dans le cadre d'une opération commerciale ordinaire, elle traite malgré tout avec elle-même, et l'opération demeure, de par sa nature, une opération où il y a un “ lien de dépendance ”.

[14] Cependant, le simple fait que ces causes faisant jurisprudence comportaient de telles situations factuelles ne signifie pas que des personnes pouvant habituellement être dans une relation où il y a un lien de dépendance ne peuvent en fait traiter l’une avec l’autre à un moment donné comme des personnes n’ayant pas de lien de dépendance, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre traiter l’une avec l’autre comme des personnes ayant un lien de dépendance. Ces causes sont tout simplement des exemples de ce que n'est pas une relation entre personnes n’ayant pas de lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération où il n’y a pas de lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.

[15] La notion de “ lien de dépendance ” a été examinée par le juge Bonner, de la C.C.I., dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111, dans laquelle il disait, aux pages 117 et 118 :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle “de facto” (réel).

[...]

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même “cerveau”, on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne “dictait” les “conditions de la transaction” au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

[...]

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[16] Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197, dans laquelle il disait, à la page 203 :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire.

[17] Bon nombre de ces causes, comme je l'ai dit, se fondent sur la relation existant entre les parties, ce qui a été déterminé comme étant absolument concluant. On y trouve peu d'indications claires quant à la nature de l'opération ou de la transaction elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour fédérale d'Australie dans l'affaire The Trustee for the Estate of the late AW Furse No 5 Will Trust v. FC of T, 91 ATC 4007/21 ATR 1123. À propos d'une loi semblable de ce pays, le juge Hill disait :

[TRADUCTION]

En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher au regard du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention pertinente n’avaient, en ce qui concerne la convention, aucun lien de dépendance. La seconde est de savoir si la somme du revenu imposable pertinent est supérieure à la somme mentionnée dans le paragraphe comme étant la “ somme correspondant au lien de dépendance ”.

On ne doit pas trancher la première des deux questions uniquement en déterminant si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'accent est plutôt mis sur la question de savoir si ces parties, en ce qui concerne la convention, traitaient l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, traiter l’une avec l’autre comme des parties sans lien de dépendance. Ce qui ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente par rapport à la question à trancher au regard du paragraphe [...] [Je souligne.]

[18] Le juge Bowman, de la C.C.I., a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, à la page 311 :

Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.

Le concept du lien de dépendance a évolué.

[19] En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 (dont était saisi un tribunal appelé “ court of Sessions ”), les lords juges écossais examinaient un cas dans lequel les parties étaient dans une situation où elles avaient un lien de dépendance. Ils formulaient des observations favorables sur l'approche adoptée par Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur laissait entendre que deux questions devaient être prises en considération relativement au concept de “ lien de dépendance ”. Il s'agissait premièrement de savoir si une représentation distincte ou autre représentation professionnelle était possible pour chacune des parties et deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation considérée en l'espèce, s'il y avait “ présence ou absence d'une négociation de bonne foi ”.

[20] Aux États-Unis, le concept de “ lien de dépendance ” a été défini comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ; 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :

[TRADUCTION]

Une vente conclue par des parties sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques contraires.

[21] J'ai analysé ces affaires dans Campbell et M.R.N. (96-2467(UI) et 96-2468(UI)) et les principes qui y sont énoncés. J'adhère à tout ce que j'ai dit dans cette affaire.

[22] En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes anglais “ dealing at arm's length ” (traiter avec quelqu'un sans lien de dépendance) est de donner un exemple. Disons que deux personnes, deux étrangers, qui font du commerce sur le marché négocient ensemble, l'une pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services, l'autre pour avoir le plus grand nombre possible ou la meilleure qualité possible de produits ou services; ces personnes, dirait-on, traitaient l’une avec l’autre sans lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, agissaient, soit dans l'intérêt sous-jacent d'une aide mutuelle, soit d'une façon différente de celle dont on traiterait avec un étranger, ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs avoir sur le marché libre, ces personnes, dirait-on, ne traitaient pas l’une avec l’autre sans lien de dépendance.

[23] Si la relation elle-même (encore là, il faut se rappeler que la version anglaise de la Loi ne dit pas “ where they are in a non arm's length relationship ”, soit le fait, pour deux parties, d'être dans une relation où elles ont un lien de dépendance; elle dit “ where they are not dealing with each other at arm's length ”, soit le fait pour deux parties de ne pas traiter l’une avec l’autre sans lien de dépendance) est telle qu'une partie est sensiblement en mesure de contrôler ou d'influencer l'autre ou d'exercer un pouvoir sur l'autre ou que les deux parties ont une relation dans laquelle elles fonctionnent ou dirigent leur entreprise très étroitement, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, sans aucune preuve claire du contraire, la Cour pourrait bien conclure que les parties ne traitaient pas l’une avec l’autre sans lien de dépendance. Cela ne signifie toutefois pas que les parties ne peuvent réfuter cette conclusion. On doit cependant à mon avis faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui ont ce qu'on pourrait appeler un “ lien de dépendance ” peuvent assurément traiter l’une avec l’autre sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, agir en collusion et ainsi ne pas traiter l’une avec l’autre sans lien de dépendance.

[24] En définitive, s'il y a un doute dans l'interprétation à donner à ces termes, je ne puis faire autrement que me fonder sur les propos tenus par Mme le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S., à la p. 10 :

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

[25] En fin de compte, on en revient aux deux personnes, aux deux étrangers, qui font du commerce sur le marché. La question pertinente est de savoir si le même genre d'indépendance d'esprit, d'indépendance quant aux objectifs, d'intérêts économiques opposés et de négociations de bonne foi caractérisait les opérations en cause, comme on pourrait s'y attendre dans cette situation commerciale. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération ou de transaction qui a eu lieu, la Cour peut conclure que les parties traitaient l’une avec l’autre sans lien de dépendance. Si un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.

Les faits

[26] Un certain nombre de personnes ont témoigné, dont l'appelante. Les témoignages de Monravio Menni, le propriétaire de la compagnie, et de Daniel Menni, son fils, qui a engagé l'appelante, sont à mon avis particulièrement importants. J'ai été extrêmement impressionné par le témoignage et le comportement de ces deux témoins. À mon avis, ce sont des gens honnêtes qui ne sont pas du tout du genre à se parjurer. J'accepte la totalité de leurs témoignages, sans aucune hésitation. Le fait que le conseil arbitral a conclu que leurs témoignages étaient crédibles lors de l'audition n'est guère surprenant. Il s'agit de témoins impressionnants qui ne sont pas du tout susceptibles, à mon avis, de s'embarquer dans un misérable stratagème manipulateur ayant trait à l'assurance-emploi.

[27] Daniel Menni a déclaré qu'en janvier 1997, il était extrêmement occupé. La compagnie exploite une importante entreprise de distribution de béton, principalement pour des immeubles commerciaux. L'entreprise avait connu un ralentissement, les gros contrats se faisant plus rares. Cependant, son père, qui avait des problèmes cardiaques, était tombé malade, et ses deux frères étaient partis aux États-Unis à la recherche de contrats. Il s'occupait donc des questions administratives ici. Il essayait également de faire des soumissions à des clients potentiels. Le personnel régulier du bureau était généralement mis à pied au mois de janvier de chaque année. Le témoin a raconté qu'il hésitait à avantager un employé par rapport à un autre en le rappelant au travail. Le troisième employé du bureau resté au travail tout l'hiver était en congé de maladie.

[28] Daniel a déclaré qu'il connaissait l'appelante puisqu'elle vivait dans la même rue que lui, mais qu'ils ne se fréquentaient pas. Elle lui avait auparavant offert ses services et venait de lui répéter son offre. Il avait justement besoin d'une personne pour exécuter deux tâches pour lui dans le cadre de son travail pour la compagnie. La première consistait à vérifier les chiffres dans les soumissions sur lesquelles il travaillait à ce moment-là et la deuxième, à passer en revue les chiffres figurant dans les contrats des quatre dernières années, de les vérifier et de les mettre dans un ordre quelconque pour que l'on puisse ensuite les entrer dans l'ordinateur à des fins de planification.

[29] L'appelante avait une expérience de travail suffisante pour effectuer ce genre de travail. Daniel lui a dit qu'elle pouvait accomplir ses tâches soit au bureau soit chez elle, que cela lui était égal. Elle a convenu de travailler quarante heures par semaine chez elle. Les parties ne savaient pas exactement pendant combien de temps il y aurait du travail. En fait, il y en a eu pendant quatre semaines. L'appelante a été payée 450 $ par semaine, ce qui est légèrement supérieur au salaire que touchaient les employés à long terme, mais les contrats à court terme sont souvent plus coûteux que les contrats réguliers à long terme. Ce salaire se situait certainement dans la fourchette des salaires que l'appelante avait touchés antérieurement.

[30] Daniel a soumis l'arrangement à son père, qui l'a approuvé. Le témoignage du père a corroboré en grande partie celui du fils.

[31] On a fait valoir pour le compte du ministre que le travail n'était pas nécessaire. Je ne crois pas qu'il appartienne au ministre de se prononcer à cet égard. Si un cadre d'une compagnie décide qu'il a un travail à faire accomplir pour que la compagnie soit mieux à même d'exploiter son entreprise, c'est une décision d'affaires et, s'il ne s'agit pas d'une sorte de stratagème et que le travail est lié à l'entreprise, il n'appartient pas au ministre de mettre cette décision en cause. Si le travail n'avait rien à voir avec l'entreprise de la compagnie, ce serait différent. Cependant, dans la présente affaire, le travail était clairement lié à l'entreprise. L'appelante avait suffisamment d'expérience pour accomplir ce travail. Cela convenait à Daniel Menni qu'il soit effectué près de chez lui car, ainsi, il pouvait sans difficulté laisser et cueillir des dossiers chez l'appelante.

[32] Le nombre de semaines travaillées s'est trouvé à coïncider parfaitement avec le nombre de semaines dont l'appelante avait besoin, selon l'avis qu'elle avait reçu, pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi. On a fait valoir au nom du ministre que, d'une façon ou d'une autre, cela mettait en doute l'arrangement. J'admets que le fait que le travail a duré le nombre exact de semaines requises est une coïncidence. Cependant, l'appelante avait le droit de chercher du travail pour le nombre de semaines dont elle avait besoin. S'il s'était agi d'un emploi à temps plein, elle n'aurait pas eu besoin de demander des prestations d'assurance-emploi. Cependant, il s'agissait d'un contrat à court terme et le simple fait qu'il n'a duré que quatre semaines n'en altère pas à mon avis la véritable nature.

[33] De même, le ministre soutient que la rétribution versée n'était pas raisonnable. Elle se situait cependant dans la fourchette des salaires que l'appelante avait touchés ailleurs, et se rapprochait de celui que le payeur versait déjà à son personnel de bureau.

[34] Encore une fois, le ministre affirme que la nature et l'importance du travail accompli n'étaient pas raisonnables. Je ne sais pas ce qu'il veut dire par là. Si, de l'avis de l'un de ses cadres, la compagnie jugeait le travail nécessaire ou utile, il n'appartient pas au ministre de dire qu'il ne l'était pas, à moins qu'il existe une preuve directe contraire. Or, aucune preuve de cette nature n'existe dans la présente affaire.

[35] On a fait beaucoup de cas de l'erreur commise dans le premier relevé d'emploi et dans la demande de prestations d'assurance-emploi signée par l'appelante, et en particulier du fait qu'il était indiqué que son emploi était un emploi de comptable. Dans les faits, elle était commis-comptable. Je n'ai aucune hésitation à conclure qu'il s'agit bien d'une erreur qui a été commise en toute innocence et que l'on ne cherchait d'aucune façon à semer la confusion ou à tromper.

Conclusion

[36] Je n'ai pas la moindre hésitation à conclure que, pendant toute la période en question, l'emploi était assurable. Je suis parfaitement convaincu que l'arrangement était réel. Je suis également convaincu qu'il a été conclu par des parties sans lien de dépendance. Certes, les parties se connaissaient, mais il n'y avait rien entre elles qui les auraient amenées à conclure un arrangement différent de celui que des étrangersauraient conclu entre eux. La compagnie avait du travail à faire faire, le prix était raisonnable et l'appelante avait besoin de travail. L'arrangement leur convenait à toutes deux.

[37] Dans la mesure où l'on affirme qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de louage de services mais plutôt d'un contrat d'entreprise, je dois faire remarquer encore une fois que, dans la formulation de sa décision, le ministre n'a pas fait valoir ce point. Quoi qu'il en soit, la compagnie exerçait un certain contrôle puisque Daniel Menni laissait tous les jours chez l'appelante du travail qu'il reprenait à la fin de la journée. Il décidait du travail à accomplir et du moment où il devait être fait. Bien que l'appelante fût libre de travailler chez elle, comme le sont, faut-il le souligner, un grand nombre d'employés aujourd'hui, elle était supervisée par Daniel Menni et elle était tenue de travailler huit heures par jour. Elle utilisait ses propres instruments de travail, mais elle ne pouvait s'attendre à réaliser des profits ou à subir des pertes. Très franchement, elle n'était pas dans les affaires pour elle-même et son travail était parfaitement lié et intégré à celui de la compagnie. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services et non d'un contrat d'entreprise.

[38] En définitive, je conclus que le travail accompli pendant la période en question était un emploi assurable. L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 14e jour de janvier 1999.

“ M. H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour d’août 1999.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.