Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19991007

Dossier: 1999-1460-IT-I

ENTRE :

JACKLYN MEGGITT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l'espèce ont été interjetés contre les cotisations établies à l’égard des années d’imposition 1995 et 1996 de l'appelante. Il s’agit de déterminer si l'appelante a le droit de déduire les intérêts versés à l'égard de deux hypothèques qui grevaient un bien locatif situé au 3690, Milman Road, à Merville (Colombie-Britannique), dont elle était propriétaire.

[2] Pour les années en question, l'appelante a déduit de son revenu tiré de la location du bien situé sur Milman Road les sommes de 19 537,13 $ et de 9 424,44 $.

[3] En 1994, l'appelante était propriétaire de la maison sur Milman Road et elle y demeurait avec son mari. La maison était construite sur un terrain de cinq acres.

[4] Au printemps 1994, l'appelante a acheté une maison mobile qu’elle projetait de louer en même temps que la maison. À l’automne 1994, l'appelante et son mari ont emménagé dans une autre maison au 2395, Valley View Drive, à Courtenay en Colombie-Britannique.

[5] L’immeuble sur Milman Road a été loué à compter d’octobre 1994. Le solde du prêt hypothécaire consenti par la Banque Canadienne Impériale de Commerce à l'égard de l’immeuble sur Milman Road s’élevait à 121 014,69 $ en 1995 et à 117 568,56 $ en 1996.

[6] La maison sur Valley View Drive a coûté 195 000 $. L'appelante a emprunté la somme de 195 000 $ à la société Giroday Sawmills Ltd. et a grevé cette maison d’une hypothèque de 136 500 $ et l’immeuble sur Milman Road d’une hypothèque de deuxième rang de 58 500 $. Ces deux hypothèques totalisaient 195 000 $. Les hypothèques qui grevaient l’immeuble sur Milman Road et la maison sur Valley View Drive étaient donc de 176 068,56 $ et de 136 500 $ respectivement.

[7] En juin 1996, l'appelante a vendu l’immeuble sur Milman Road. Initialement, l'appelante a déduit seulement les intérêts versés sur le prêt hypothécaire de 195 000 $ consenti par la société Giroday Sawmills Ltd. Le ministre a refusé la déduction.

[8] Les deux parties ont modifié leur position.

[9] L’intimée admet maintenant que l'appelante a le droit de déduire les sommes de 8 935,91 $ pour 1995 et de 4 450,19 $ pour 1996 représentant les intérêts versés à la CIBC au titre du prêt hypothécaire relatif à l’immeuble sur Milman Road jusqu’à la date de la vente de cet immeuble.

[10] L'appelante prétend qu’elle a aussi le droit de déduire les intérêts versés à la société Giroday Sawmills Ltd. au titre du prêt de 58 500 $ garanti par hypothèque de deuxième rang grevant l’immeuble sur Milman Road en plus des intérêts versés relativement au prêt hypothécaire consenti par la CIBC, que l’intimée reconnaît déductibles.

[11] En analysant cette question, il faut tenir compte de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32. À l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, on emploie les mots “ utilisé en vue de ”. En l’espèce, l'appelante a déclaré qu’elle avait grevé l’immeuble sur Milman Road d’une hypothèque de 58 500 $ afin de le conserver au lieu de le vendre pour financer l’acquisition de la maison sur Valley View Drive.

[12] Selon un point de vue, il s’agissait là de l’objet économique immédiat de l’emprunt. Il faut cependant déterminer quel était le but véritablement poursuivi. Dans Les Entreprises Ludco Ltée et al. v. The Queen, 99 DTC 5154, le juge Marceau, J.C.A., s’exprimant au nom de la majorité, a dit à la page 5157 :

[20] J'ai dit, plus haut, que je me rangeais aisément parmi les traditionalistes en matière d'interprétation et d'application de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce sens que je conteste que ce soit le rôle des tribunaux de réagir contre les tentatives de planification fiscale au motif que le but poursuivi paraîtrait anti-social. C'est l'effet juridique de l'opération réalisée et l'application stricte de la disposition législative impliquée qui seuls nous concernent, non l'intention. Mais il y a un "à moins" attaché à cette proposition et c'est celui-ci: à moins que la Loi en l'occurrence ne fasse de l'intention un élément dominant. Et c'est évidement le cas de l'alinéa 20(1)c)(i) de la Loi.

[21] Le texte ne qualifie pas l'intention ou le but dont il parle ni dans sa version française, ni anglaise. Moi aussi je vois mal que l'on puisse introduire des qualificatifs et parler d'intention première ou finale ou incidente, etc., mais personne ne saurait douter que ce à quoi le législateur se réfère est l'intention réelle, véritable et non simulée ou seulement prétendue. Ce sont les éléments propres à la recherche de cette intention réelle que la plupart des jugements cités plus haut ont cherché à préciser. On a vite rejeté, comme je disais, l'idée qu'on pouvait se fier aux dires de l'intéressé. L'intention devait être concrétisée dans l'utilisation des fonds et confirmée par les circonstances et ainsi a-t-on pu parler "d'intention objective," aussi inattendue que puisse être, en soi, la juxtaposition de ces deux termes. Mais c'est toujours l'intention réelle qu'il s'agit de cerner. Et c'est précisément, je le soumets avec respect, la démarche que le juge du procès ici a suivie.

[22] J'ai déjà dit et je répète qu'à mon sens la conclusion à laquelle le juge en est arrivé au terme de sa démarche en était une de fait que cette Cour ne saurait rejeter sans pouvoir relever une erreur flagrante d'appréciation de la preuve.

[13] Le juge de première instance s’était appuyé sur la décision Mark Resources Inc. v. The Queen, 93 DTC 1004, dans laquelle la présente cour a dit que c'est “ la fin réelle pour laquelle les fonds empruntés ont été utilisés ” qui doit être déterminée. Cette proposition est axiomatique. La décision Mark Resources est étayée par celle que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Ludco. Non seulement la décision Mark Resources a été citée et approuvée dans les nombreuses décisions auxquelles le juge Linden, J.C.A. a renvoyé dans ses motifs dissidents dans l'affaire Singleton v. The Queen, 99 DTC 5362, mais elle l'a été également par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hickman Motors Limited v. The Queen, 97 DTC 5363, à la page 5372, et par le juge McDonald, J.C.A., s’exprimant au nom d'une Cour d'appel fédérale unanime dans l'arrêt The Queen v. Byram, 99 DTC 5117, à la page 5120.

[14] La position de l'appelante en l'espèce évoque dans une certaine mesure un argument invoqué dans l'affaire Bronfman. Le juge Dickson a dit aux pages 54 et 55 :

Avant de terminer, je veux aborder un dernier argument invoqué par l'avocat de la fiducie. On a soutenu — et Sa Majesté en a généreusement convenu — que la fiducie aurait obtenu une déduction au titre d'intérêts si elle avait vendu des biens en vue de payer les prélèvements sur le capital et avait ensuite emprunté pour remplacer ces biens. Par conséquent, selon ce point de vue, on ne devrait pas refuser à la fiducie une déduction au titre d'intérêts simplement parce qu'elle a obtenu le même résultat sans les formalités d'une vente et d'un rachat de biens. Il suffit pour répondre à cet argument d'invoquer le principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire: Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179. Quoi qu'il en soit, j'avoue que j'ai des doutes sur la prémisse admise par Sa Majesté. Si, par exemple, la fiducie avait dans un court laps de temps vendu un bien précis productif de revenu, payé le prélèvement sur le capital à la bénéficiaire et racheté le même bien, les tribunaux auraient bien pu estimer que la vente et le rachat constituaient une formalité ou un simulacre conçu pour dissimuler le caractère essentiel de l'opération, c'est-à-dire que de l'argent a été emprunté et utilisé pour financer le paiement d'un prélèvement sur le capital à la bénéficiaire. Sur ce point, voir l'affaire Zwaig c. Ministre du Revenu national, [1974] C.T.C. 2172 (C.R.I.), dans laquelle le contribuable a vendu des titres, s'est servi du produit pour acheter une police d'assurance-vie, puis a emprunté sur la police pour racheter les titres. Or, suivant le sous-al. 20(1)c)(i), l'affectation d'argent emprunté à l'achat d'une police d'assurance-vie n'est pas une utilisation ouvrant droit à une déduction au titre d'intérêts. C'est donc à bon droit que la Commission de révision de l'impôt a refusé d'accorder la déduction réclamée à l'égard de l'intérêt payé, quoique la forme des opérations du contribuable ait été de nature à créer une apparence de conformité avec les exigences de la disposition prévoyant la déduction au titre d'intérêts. Les contribuables ne sont pas toujours favorisés quand on qualifie leurs opérations selon leur véritable caractère commercial et pratique. En l'espèce, la fiducie-contribuable demande à cette Cour de lui donner le bénéfice d'une qualification fondée sur le prétendu caractère commercial et pratique de ses opérations. En même temps, toutefois, elle veut que ce caractère commercial et pratique soit déterminé par référence à une qualification hypothétique qui est la quintessence du formalisme. Je ne puis admettre qu'elle réussisse.

[15] L'appelante prétend que du fait d'avoir emprunté la somme de 195 000 $ elle n’a pas eu à vendre sa maison sur Milman Road mais pouvait continuer de l’utiliser comme bien locatif.

[16] À mon avis, il s’agit là précisément du type d’argument qui a été rejeté dans l’extrait cité ci-dessus tiré de l'arrêt Bronfman.

[17] Suivant l'arrêt Bronfman, la fin réelle pour laquelle les fonds empruntés ont été utilisés en l’espèce était l'achat par l'appelante de sa maison sur Valley View Drive. Ce n'est pas l’immeuble donné en garantie du prêt qui détermine la fin pour laquelle des fonds empruntés ont été utilisés.

[18] Il est utile de comparer le fondement de l’arrêt Bronfman à celui de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Singleton.

[19] Suivant l’arrêt Bronfman, si une fiducie emprunte de l’argent afin de faire un prélèvement sur le capital pour le verser à un bénéficiaire, les intérêts ne sont pas déductibles. D’après l'arrêt Singleton, si un associé d’un cabinet d’avocats emprunte de l’argent pour le verser au cabinet afin que celui-ci dispose de fonds pour être en mesure de lui verser immédiatement des fonds pour qu’il puisse acheter une maison, les intérêts sont déductibles même si aucune partie de l'argent emprunté n’est utilisée dans le cadre des activités du cabinet.

[20] Il n’est pas nécessaire que je formule d’observations additionnelles sur l’arrêt Singleton. Je ne pense pas qu’il appuie la position adoptée par l'appelante. Mais même si c’était le cas, je serais tenu d’appliquer l’arrêt Bronfman avec lequel il est impossible de réconcilier l’arrêt Singleton. Je conclus en conséquence que les intérêts versés sur l’hypothèque de 58 500 $ qui grevait l’immeuble sur Milman Road ne sont pas déductibles.

[21] Les appels sont admis et les cotisations déférées au ministre du Revenu national pour permettre la déduction des sommes de 8 935,91 $ pour 1995 et de 4 450,19 $ pour 1996 représentant les intérêts versés sur l’hypothèque de la Banque Canadienne Impériale de Commerce qui grevait l’immeuble de Milman Road tel que l’intimée l’a admis.

[22] Ayant réussi à plus de 50 p. 100, même si cela résulte d’une admission de l’intimée, l'appelante a droit à l'adjudication de ses dépens, s’il y en a.

Signé à Toronto, Canada, ce 7e jour d’octobre 1999.

“ D.G.H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de juillet 2000.

Erich Klein, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.