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Date: 19990126

Dossier: 96-2665-IT-G

ENTRE :

BÂTIMENT FAFARD INTERNATIONAL INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge McArthur, C.C.I.

FAITS:

[1] Le Ministre du Revenu National (le “ Ministre ”) présente une requête pour rejet d’appel en vertu du paragraphe 58(3) des Règles de la procédure générale. L’appelante a fait faillite le 15 avril 1997 et la firme Lussier, Tull et associés est nommée syndic à la faillite. Son administrateur et président, Monsieur Jules Fafard, désire continuer les procédures entamées devant cette Cour en son propre nom.

[2] L’appelante avait fait appel d’une cotisation émise par le Ministre pour les années d’imposition 1992, 1993, 1994 et 1995. Le 2 mai 1996, un avis de ratification a été émis confirmant la cotisation.

[3] Dans l’avis de cotisation, le Ministre invoque l’article 227 de la Loi de l’impôt sur le revenu[1](la “Loi”). Il cotise l’appelante pour les arrérages des déductions à la source dues par la société 130360 Canada Inc. (“130360”).

[4] En cotisant l’appelante, le Ministre s’est basé sur certains faits. L’appelante est une corporation oeuvrant dans le domaine de la construction. Le Ministre prétend que 130360 est liée à l’appelante. La société 130360 n’a pas produit de déclarations d’impôt depuis 1989. Celle-ci ne possédait aucun actif durant la période en litige. Elle est également dirigée par Monsieur Jules Fafard. Selon le Ministre, la société 130360 était liée à l’appelante. La société 130360 était essentiellement une société de gestion qui ne fait que payer les salaires. Elle a versé à quelques reprises des déductions à la source qui ont été payées directement par l’appelante. Ainsi, l’appelante est tenue de remettre les déductions à la source dues par 130360. Elle doit également les pénalités prévues aux paragraphes 227(8) et 227(9) de la Loi et des intérêts tels que prévus au paragraphe 227(8.3) de la Loi.

[5] Tout ce qu’avance l’appelante est que la société 130360 n’est pas liée à elle. Elle soumet également que la société 130360 a cessé ses activités depuis la fin de l’année 1995 et est dissoute depuis le 23 janvier 1996.

[6] Monsieur Jules Fafard avait présenté une requête devant la Cour supérieure du Québec afin de forcer le syndic de continuer les procédures pendantes devant la présente Cour. Elle a été accueillie le 25 août 1997. Cependant, lors d’une instance devant cette Cour en date du 4 septembre 1998, le Ministre avait alors présenté une requête pour rejet d’appel. Le syndic avait clairement exprimé qu’il ne continuerait pas les procédures malgré l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec. Ainsi, la présente Cour avait ajourné la séance pour permettre le syndic d’agir selon l’ordonnance.

[7] Le 4 décembre 1998, le Ministre s’est de nouveau présenté devant la présente Cour pour demander le rejet de l’appel. Cette fois-ci, Monsieur Fafard, par l’entremise de son avocat, Me Bérubé, a obtenu une rectification du jugement rendu par la Cour supérieure pour la requête en date du 25 août 1997. Ce jugement daté du 29 octobre 1998 autorise Monsieur Fafard de continuer les procédures pendantes devant la présente Cour. Le litige se situe au niveau de la capacité de Monsieur Fafard de continuer les procédures en son propre nom.

[8] Notre système juridique fonctionne sur un système bipartite et adversatif. Une cause comprend nécessairement deux parties avec des idées et opinions opposées, le but étant de trouver la réponse ou solution au problème. En effet, notre système repose sur une idée fondamentale, celle de la dialectique.

[9] Or, il est aussi l’essence de notre système de rendre justice et par conséquent, il est juste d’affirmer que tout principe comporte des exceptions. Ainsi, notre système juridique prévoit des situations où plus que deux parties peuvent s’intéresser à une cause. Le droit civil québécois, par exemple, prévoit des situations où une partie peut intervenir dans une cause si elle prouve son intérêt dans la cause (article 208 du Code de procédure civile). En effet, cet article va même plus loin : il permet à une personne de représenter une partie incapable d’agir. Cependant, la portée de cette disposition est incertaine en l’espèce car Monsieur Fafard n’agit pas comme intervenant mais désire substituer ou prendre la place de l’appelante.

[10] En droit civil, une personne peut poursuivre en justice et intenter une action si elle a l’intérêt requis. Les articles 55 et 56 du Code de procédure civile du Québec prévoient cette règle. Ils se lisent comme suit :

55. Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir la sanction d’un droit méconnu, menacé ou dénié, soit pour faire autrement prononcer sur l’existence d’une situation juridique, doit y avoir un intérêt suffisant.

56. Il faut être apte à exercer pleinement ses droits pour ester en justice sous quelque forme que ce soit, sauf disposition contraire de la loi.

Celui qui n’est pas apte à exercer pleinement ses droits doit être représenté, assisté ou autorisé, de la manière fixée par les lois qui régissent son état et sa capacité ou par le présent code.

[...]

[11] En l’espèce, Monsieur Fafard a obtenu cette autorisation dont l’article 56 du Code de procédure réfère. Cependant, la présente Cour n’est pas liée à cette autorisation de la Cour supérieure du Québec, car la présente Cour ne jouit pas de pouvoirs inhérents et a une juridiction restreinte. Or, les règles de la présente Cour comportent une règle spéciale qui autorise le “ transfert ” d’intérêt. L’article 29 des Règles de la procédure générale prévoit :

29. (1) Lorsqu'à une étape de l'instance l'intérêt ou la responsabilité d'un appelant ou d'un contribuable dont il est fait mention à l'article 173 ou 174 de la Loi de l'impôt sur le revenu ou à l'article 310 ou 311 de la Loi sur la taxe d'accises est transféré ou transmis à une autre personne par suite d'une cession, d'une faillite, du décès ou par tout autre moyen, il est sursis à l'instance jusqu'à ce que le greffier soit avisé du transfert ou de la transmission ainsi que des détails qui s'y rapportent.

[12] L’avocate pour le Ministre soumet que seul le contribuable peut appeler une décision du Ministre et instituer l’appel devant la présente Cour. Dans l’arrêt Nova Ban-Corp. v. Tottrup, 89 DTC 5489, le juge Strayer de la Cour fédérale, première instance, a énoncé le principe suivant :

La Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] interdit également à quiconque sauf au contribuable de contester une cotisation d’impôt.[2]

[13] Ce principe relève du libellé du paragraphe 169(1) de la Loi qui se lit ainsi :

169. (1) Appel — Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposition à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation:

[...]

[14] Cette disposition réfère à un “ contribuable ”. Ce dernier mot est défini au paragraphe 248(1) de la Loi. Les contribuables sont “ toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l’impôt ”.

[15] Dans Nova Ban-Corp. (supra), l’appelante est une créancière du contribuable qui s’oppose à la cotisation par le Ministre. Monsieur le juge Strayer conclut alors que l’appelante, étant une tierce partie, n’a pas les qualités requises pour appeler une telle cotisation. Il souligne que le principe fondamental est de conserver la confidentialité des contribuables.

[16] En outre, il importe de mentionner un autre courant jurisprudentiel qui semble permettre à un administrateur d’une société de contester une cotisation émise à la société. Ces décisions se rapportent toutes à la contestation d’une cotisation basée sur des impôts impayés.

[17] L’affaire 495187 Ontario Limited v. The Queen, 92 DTC 6311, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 94 DTC 6229, discute de la capacité de l’administrateur de continuer les procédures de la société dissolue en son propre nom. Le juge Reed écrit à la page 6313 :

In the present case, Mr. Hadi Sarraf was the only shareholder and the only director of the plaintiff company. It is he, to the extent that he holds any property of the company, who would have an obligation to pay the tax assessed under the reassessment. In my view, the correct plaintiff is Mr. Hadi Sarraf in his capacity as shareholder and director of 495187 Ontario Limited at the time of its dissolution. An order will issue amending the style of cause accordingly.

[Je souligne.]

[18] Quoique cette affaire concerne une société dissolue, une même logique peut être empruntée en l’espèce. Monsieur Fafard était administrateur de l’appelante à l’époque de la cotisation. La faillite de l’appelante ne démet pas Monsieur Fafard de son poste d’administrateur. En effet, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[3] ne prévoit pas le statut de l’administrateur après la faillite d’une société. Il faut alors examiner la loi constitutive de l’appelante. En l’espèce, il n’est mentionné nulle part la loi sous laquelle l’appelante a été constituée. Outre cette lacune, la Loi canadienne sur les sociétés par actions[4]ainsi que la Loi sur les compagnies[5]prévoient les modalités d’un mandat d’un administrateur. L’article 108 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions stipule les conditions qui mettraient fin au mandat d’un administrateur. Il prévoit :

108. (1) [Fin du mandat] Le mandat d’un administrateur prend fin en raison :

a) de son décès ou de sa démission;

b) de sa révocation aux termes de l’article 109;

c) de son inhabilité à l’exercer, aux termes du paragraphe 105(1).

[19] Donc, un administrateur perd son poste seulement pour les raisons ci-haut mentionnées. Le paragraphe 105(1) de ladite loi statue qu’une personne faillie ne peut occuper le poste d’administrateur, mais ne régit pas le cas où la société devient faillie. Toujours dans le même esprit, une personne faillie non libérée ne peut pas devenir administrateur d’une compagnie, en vertu de l’article 123.73 de la Loi sur les compagnies. Or, cette dernière loi demeure silencieuse à la situation où une compagnie devient faillie.

[20] À cet égard, je suis d’avis que Monsieur Fafard n’a jamais cessé d’être administrateur de l’appelante. Cette conclusion est importante car, en l’espèce, le Ministre cotise l’appelante faillie pour des impôts impayés d’une autre société. Généralement, le Ministre cotise tout d’abord la personne morale pour les impôts impayés. Or, l’article 227.1 de la Loi prévoit une responsabilité solidaire des administrateurs de payer les impôts impayés. Ainsi, Monsieur Fafard pourrait être cotisé pour les impôts impayés de l’appelante. Dans l’hypothèse où Monsieur Fafard a la capacité de continuer les procédures pendantes devant cette Cour et qu’il réussisse à convaincre la Cour que la cotisation est mal fondée, sa responsabilité en tant qu’administrateur ne sera pas invoquée puisque la cotisation initiale à l’encontre de la société est jugée mal fondée.

[21] Le but premier de l’article 227.1 de la Loi a été décrit comme :

[TRADUCTION] La raison d'être de l'imposition de la responsabilité du fait d'autrui est simple. Les administrateurs d'une compagnie en sont l'âme dirigeante. Ce sont eux qui sont chargés de s'assurer que la compagnie respecte ses obligations financières.[6]

[22] Dans La Reine c. Kalef, 96 DTC 6132, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un administrateur ne cesse pas d’occuper ce poste du fait de la faillite de la société. Il demeure solidairement responsable des impôts impayés de cette dernière. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a examiné les dispositions de la Ontario Business Corporation Act, presque identiques à celles de la Loi canadienne des sociétés par actions. S’exprimant au nom de la Cour, le juge McDonald conclut que Monsieur Kalef dans cette affaire n’a pas cessé d’agir comme administrateur puisque la loi régissant la constitution de la société ne prévoit pas qu’un administrateur cesse de l’être du fait que la société a fait faillite et qu’un syndic à la faillite a été nommé.

[23] Une analogie peut être tirée de cette cause. En effet, si un administrateur ne cesse d’occuper ce poste suite à la faillite de la société, il sera toujours solidairement responsable des impôts impayés de la société faillie. Puisque Monsieur Fafard n’a pas cessé d’être administrateur, j’adopterais un raisonnement similaire à celui du juge Reed dans 495187 Ontario Limited (supra). Ainsi, Monsieur Fafard a la capacité d’ester en justice en son propre nom.

[24] Par ailleurs, comme j’ai mentionné plus haut, en matière civile, l’intérêt suffisant est le seul critère applicable pour juger si une personne peut former une partie au litige. En l’espèce, le juge Chabot de la Cour supérieure du Québec a permis à Monsieur Fafard de continuer les procédures pendantes devant la présente Cour. Il a jugé que Monsieur Fafard avait l’intérêt requis. Je suis conscient qu’en matière fiscale, l’intérêt n’est pas un élément déterminant. Cependant, en regard des commentaires du juge Reed dans 495187 Ontario Limited (supra), je ne suis pas prêt à accepter que l’intérêt d’un administrateur dans un litige est impertinent. L’administrateur d’une société est responsable des dettes fiscales découlant de la société. En l’espèce, il me semble que Monsieur Fafard a obtenu cette autorisation de continuer les procédures en conformité avec les dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

[25] De plus, si je refuse le droit à Monsieur Fafard de continuer les procédures pendantes, le résultat serait inéquitable. L’appelante serait non représentée puisque le syndic refuse d’agir. Qu’advient-il du processus adversatif de notre système juridique, l’un des piliers sur lequel est basé tout le système juridique? L’injustice adviendra puisque l’appelante ne pourra pas se présenter devant la Cour, ayant personne pouvant la représenter. Dans de nombreux cas, le syndic refuse souvent de continuer des instances pendantes, pour quelques raisons que ce soient. Si les administrateurs n’ont pas la capacité d’ester en justice après la faillite de la corporation, nombreuses instances resteront pendantes ou simplement rejetées pour défaut de représentation. En l’espèce, les procédures ont déjà été entamées devant cette Cour avant même la faillite de l’appelante. Il serait injuste de refuser à Monsieur Fafard de continuer les procédures. D’ailleurs, permettre à Monsieur Fafard de continuer les procédures est la façon la plus efficace de rendre justice expéditivement. La Cour déterminera en premier lieu si la cotisation à l’encontre de l’appelante est correcte, ce qui déterminera le bien-fondé de la cotisation de Monsieur Fafard, s’il y a lieu.

[26] À cet égard, il suffit de mentionner Leith v. M.N.R., 70 DTC 1144 où le membre Fordham a exprimé ceci :

I do not think that deeming the trustee to be the agent of the bankrupt precludes the latter from acting on his own behalf when the trustee prefers to remain aloof. In prosecuting this appeal the appellant has only spent the negligible sum of $15 and will incur no further costs before the Board. What he is doing may prove of benefit to the estate -- it certainly can do no harm -- in that, if he succeeds, the estate will be considerably better off than if the re-assessment involved were to be disregarded and the Minister thereby enabled to obtain judgment by default for the large amount claimed by him.[7]

[27] L’avocate du Ministre a soumis comme argument que cette décision n’est pas applicable en l’espèce, l’appelante étant une personne morale faillie. Je ne peux accepter cette distinction. En fait, l’administrateur est l’âme dirigeante d’une personne morale. Cette dernière n’est qu’une entité juridique fictive, impalpable. Donc il est approprié d’accorder la permission à Monsieur Fafard de continuer les procédures devant cette Cour.

[28] Quant au principe énoncé dans Nova Ban-Corp. (supra) selon lequel seul un contribuable peut contester une cotisation d’impôt, quelques remarques s’imposent. En vertu de l’article 160 de la Loi, le bénéficiaire d’un transfert est solidairement responsable avec l’auteur du transfert pour les sommes que ce dernier doit au Ministre. La question à savoir si le bénéficiaire peut contester la validité de la cotisation de l’auteur du transfert a été étudiée à quelques reprises devant cette Cour. Dans Thorsteinson v. M.N.R., 80 DTC 1369, le juge Taylor a écrit à la page 1372 :

It is open to a transferee assessed under section 160(2) of the Act to challenge the bona fides of the Minister's claim that the liability for tax of the transferor actually existed at a particular point in time. The assessed transferee has available all the rights of any taxpayer, including the opportunity, indeed the obligation, to dislodge the basis for the liability, not merely to challenge the mechanics of the assessment of the transferor.

[29] Enfin, le juge Bowman adopte la même approche dans Sarraf c. La Reine, 94 DTC 1506, en commentant à la page 1508:

Le bénéficiare du transfert peut évidemment contester l’exactitude de la cotisation imposée à l’auteur du transfert, même si ce dernier ne l’a pas fait ou, comme en l’espèce, était empêché de le faire: voir les jugements Thornsteinson v. M.N.R., 80 DTC 1369, et Ramey v. The Queen, 93 DTC 791.

[30] Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que Monsieur Fafard a la capacité de continuer les procédures pendantes devant cette Cour en son propre nom.

[31] La deuxième requête est présentée par l’intimée pour faire casser un subpoena que l’appelante a fait signifier à Monsieur Pierre Gravelle, ancien sous-ministre du Ministère du Revenu national. Ce bref d’assignation comporte un ordre à Monsieur Gravelle d’apporter tous les documents pertinents concernant le dossier de l’appelante.

[32] Le 29 juin 1995, Monsieur Fafard a écrit à Monsieur Gravelle lui informant des saisies effectuées par le Ministre. Il lui demandait de confier le dossier de l’appelante à un autre fonctionnaire alléguant la mauvaise foi de celui-ci. Monsieur Gravelle a répondu à cette lettre le 17 juillet 1995 et a alors référé le dossier de l’appelante à un autre fonctionnaire.

[33] L’avocat de l’appelante a fait signifier un subpoena à Monsieur Gravelle alors qu’il n’était plus à l’emploi du Ministère du Revenu national. Dans l’affidavit daté du 3 septembre 1998, l’avocat du Ministre, Me Michel Lamarre, relate les discussions entretenues entre lui et l’avocat de l’appelante. Il lui avait expliqué que Monsieur Gravelle n’était plus en possession des documents de l’appelante et que sa connaissance du dossier était limitée. Il lui a même offert de déposer de consentement la lettre de Monsieur Gravelle. Enfin, il lui a proposé d’assigner d’autres agents du Ministre qui pourraient avoir une meilleure connaissance du dossier. Cependant, l’avocat de l’appelante maintient son objection aux propositions.

[34] Au soutien de sa requête, le Ministre soumet que Monsieur Gravelle, n’étant plus à l’emploi du Ministère du Revenu national, ne possède pas les documents relatifs au présent dossier et que sa connaissance à ce sujet est limitée. Le bref de subpoena signifié à Monsieur Gravelle est donc impertinent à la solution du présent litige et déraisonnable.

[35] Les règles de cette Cour ne prévoit pas de règles spécifiques quant à l’assignation de témoin. Il importe alors de se référer aux règles de procédure civile de la province. L’article 295 du Code de procédure civile prévoit que toute personne apte à déposer peut être contraint de le faire. Ce même article stipule qu’une personne est apte à déposer si elle est en état de rapporter les faits dont elle a eu connaissance. Il paraît que cette connaissance doit être personnelle. Le professeur Léo Ducharme écrit :

Si, théoriquement, toute personne apte à déposer peut être contrainte de le faire, en pratique seules peuvent l’être les personnes qui d’une part, ont une connaissance personnelle de faits se rapportant au litige et d’autre part, sont assujetties à la juridiction de nos tribunaux.[8]

Quant à l’assignation d’un ministre, le professeur Ducharme affirme à la même page :

De plus, si l’article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu déclare que le ministre, le sous-ministre et les sous-ministres adjoints sont non contraignables, dans les procédures auxquelles le sous-ministre est partie, c’est que normalement ces personnes ne sont pas en mesure de rendre un témoignage utile, faute d’avoir une connaissance personnelle des faits en litige. C’est pourquoi le même article prévoit que ces personnes doivent, à la demande écrite d’une partie signifiée au moins 30 jours avant la date d’audition et précisant les faits à propos desquels un témoignage est requis, désigner un fonctionnaire ayant connaissance des faits pour témoigner.

[36] Même si la Loi de l’impôt sur le revenu ne contient pas de disposition semblable, il est bien établi qu’à moins qu’un ministre a connaissance personnelle des faits, il ne peut être assigné. En effet, dans Létourneau c. Powers et al., [1975] C.A. 458, l’appelante avait signifié un bref de subpoena au ministre de la Justice ainsi qu’au Solliciteur du Canada. La Cour d’appel du Québec confirma la décision du juge de première instance qui avait annulé le subpoena. Le juge Rinfret s’exprima ainsi à la page 459:

Ni le témoignage du Solliciteur du Canada, ni celui du ministre de la Justice du Québec ne peuvent aider la Cour de juger de ces actes, puisqu’ils n’étaient pas présents; les rapports qu’ils pourraient produire, ne font pas d’eux-mêmes preuve de leur contenu; pour avoir quelque valeur probative il faudrait qu’ils émanent des personnes concernées, lesquelles sont déjà devant la Cour et peuvent être questionnées.

[37] En regard de ces commentaires, je suis d’avis que l’appelante ne peut pas assigner Monsieur Gravelle à comparaître devant cette Cour. Malgré le fait que celui-ci a rédigé une lettre en son nom personnel, je ne suis pas convaincu qu’il a une connaissance personnelle.

[38] En effet, la connaissance personnelle dont les tribunaux réfèrent est celle où une personne tire des conclusions et des observations à partir de ses propres constatations. Au moment où cette lettre est écrite, les saisies-arrêt ont déjà été entamées par le Ministre. Donc, afin de rédiger cette lettre, Monsieur Gravelle s’est basé sur les constatations des agents du Ministre. D’ailleurs, autant dans la lettre de Monsieur Fafard datée du 29 juin 1995 que dans la Réponse à l’avis d’appel, des références sont faites aux agents du Ministre et non à Monsieur Gravelle. Enfin, Monsieur Gravelle écrit dans sa lettre qu’il a dû s’informer auprès des agents responsables du dossier pour prendre connaissance de la situation. Il n’avait pas la connaissance personnelle du dossier de l’appelante.

[39] Par conséquent, je suis d’avis que le subpoena devrait être annulé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de janvier 1999.

“ C.H. McArthur ”

J.C.C.I.



[1][1] L.R.C. 1985 (5e supp.), ch. 1, tel que modifié.

[2] Nova Ban-Corp. Ltd. v. Tottrup, [1990] 1 F.C. 288 à la page 294.

[3] L.R.C. (1985), ch. B-3 tel qu’amendé.

[4] L.R.C. (1985), c. C-44.

[5] L.R.Q., c. C-38.

[6] La Reine c. Kalef, 96 DTC 6132 à la page 6134.

[7] Leith v. M.N.R., 70 DTC 1144 à la page 1145.

[8] L. Ducharme, L’administration de la preuve, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1995 à la p. 37.

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