Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990226

Dossier: 97-2620-GST-I

ENTRE :

MIDLAND HUTTERIAN BRETHREN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

LE POINT EN LITIGE

[1] Le point en litige comporte deux volets :

1. L’appelante a-t-elle droit, pour la période entre le premier juillet 1992 et le 31 mars 1995 inclusivement, à un crédit de taxe sur les intrants en vertu de l’alinéa 169(1)c) de la Loi sur la taxe d’accise, partie IX (la “ Loi ”)?

L’appelante doit-elle payer une pénalité en vertu du paragraphe 280(1) de la Loi?

GÉNÉRALITÉS

[2] Les numéros des articles renvoient tous à la Loi.

LES FAITS

[3] L’appelante est une colonie communautaire régie par la Constitution of the Hutterian Brethren Church et les Rules as to Community of Property. Conformément à ces règles, les membres doivent consacrer tout leur temps, leur labeur, leurs services, leurs revenus et leur énergie à la colonie sans indemnité ni récompense. Les membres de la colonie ont droit d’avoir avec eux leurs maris, leurs épouses et leurs enfants qui ne sont pas membres de la colonie et à ce que ces derniers vivent aux dépens de la colonie et soient instruits et éduqués par elle. Conséquemment, l’appelante fournit à ses membres et à leur famille les objets de première nécessité dont les vêtements, l’hébergement, l’éducation et la nourriture.

[4] L’appelante exploite une entreprise agricole. Elle achète, notamment, deux types de tissu. L’un, qui est épais et durable, sert à la fabrication des vêtements de travail et l’autre, une étoffe plus légère et plus mince, sert à la fabrication des vêtements portés à l’église. Les vêtements sont fabriqués par et pour les membres. Les hommes portent les vêtements plus épais pour leur travail agricole.

[5] L’appelante a réclamé un crédit de taxe sur les intrants à l’égard de cinquante pour cent de la taxe sur les produits et services (“ TPS ”) payée à l’achat des “ tissus et articles de mercerie ” au motif que, conformément au sens envisagé à l’alinéa 169(1)c), le tissu était

a) [...] acquis [...] pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales [...]

ANALYSE ET CONCLUSION

[6] Les parties pertinentes de l’alinéa 169(1)c) sont libellées comme suit :

[...] le crédit de taxe sur les intrants d’une personne [...] relativement à un bien [...] qui lui est fourni correspond au résultat du calcul suivant si, [...] la taxe relative à [...] la fourniture devient payable par la personne [...]

A x B

où :

A représente la taxe relative à [...] la fourniture [...];

B représente [...] le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis [...] le bien [...] pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

(les italiques sont de moi)

[7] L’expression “ activité commerciale ” est définie comme suit au paragraphe 123(1) :

[. . .] l’exploitation d’une entreprise [. . .] sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées [...]

[8] Les parties conviennent qu’il n’y a pas en l’espèce réalisation d’une fourniture exonérée. Il n’est pas contesté que l’appelante exerce une activité commerciale.

[9] Je suis arrivé à la conclusion que le tissu n’a pas été acquis au cours des activités commerciales de l’appelante. Dans l’arrêt Attorney General of Canada v. Attorney General for Alberta, [1992] G.S.T.C.2 (C.S.C.) à la page 2-6, le juge en chef Lamer a dit :

La TPS est conçue comme une taxe à la consommation. À cette fin, la Loi sur la TPS vise trois catégories de produits et services. Une taxe de sept pour cent s’applique à la vente des fournitures taxables. Dans la mesure où l’acheteur d’une fourniture taxable utilise ce bien ou ce service dans la production d’autres fournitures taxables, il a le droit de recevoir un “ crédit de taxe sur les intrants ” et peut recouvrer du gouvernement la taxe qu’il a payée.

[10] L’appelante a utilisé le tissu acheté et assujetti à la TPS pour fabriquer des vêtements pour les membres de la colonie afin qu’ils les portent dans l’accomplissement de leurs travaux agricoles. Le tissu n’a pas été utilisé dans la réalisation d’une fourniture taxable. Les activités commerciales de l’appelante se rapportaient à l’agriculture. Ces activités ne comprenaient pas la fabrication de vêtements qui étaient simplement portés par les membres lorsqu’ils exerçaient des activités commerciales.

[11] Quant au second point en litige, j’ai conclu que la pénalité imposée en vertu du paragraphe 280(1) de la Loi l’a été à tort. Ce paragraphe est libellé comme suit :

Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est passible de la pénalité et des intérêts suivants, calculés sur ce montant pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement :

a) une pénalité de 6 % par année;

b) des intérêts au taux réglementaire.

[12] Dans le jugement Pillar Oilfield Projects Ltd. v. The Queen, [1993] 2 G.S.T.C. 1005 (C.C.I.), le juge Bowman a statué qu’il irait à l’encontre des principes de “ justice fondamentale ” et d’“ équité ” de refuser le droit de plaider la diligence raisonnable à l’égard des pénalités imposées en vertu de l’article 280 de la Loi sur la taxe d’accise. L’intimée a constamment attaqué cette décision. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Consolidated Canadian Contractors Inc. v. Canada, [1998] G.S.T.C. 91 (C.A.F.), a finalement mis un terme à la position de l’intimée, ce que nul ne déplore. Dans cet arrêt, la Cour a dit qu’on lui avait demandé de décider si la défense de la “ diligence raisonnable ” pouvait être invoquée par les personnes par ailleurs assujetties au paiement d’une pénalité automatique pour défaut de versement du montant exact de la TPS, comme l’exige la Loi sur la taxe d’accise. Le juge Robertson a dit au paragraphe 91-5 :

[10] Ce qu’il conteste, c’est la “ compétence ” qu’assume la Cour de l’impôt pour exonérer des inscrits de la pénalité prévue à l’article 280 de la Loi sur la taxe d’accise, en y voyant une disposition portant implicitement moyen de défense de la diligence raisonnable.

[13] Le ministre a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 comme consacrant la proposition selon laquelle la Cour canadienne de l’impôt n’a pas cette “ compétence ”. Le juge avait dit alors :

[. . .] il était question de ce moyen de défense dans le contexte d’une infraction en matière réglementaire.

Dans le présent appel, il est question d’une “ pénalité administrative ”.

[14] Il a ajouté plus loin qu’il est loisible à la Cour de déterminer si la défense de la diligence raisonnable peut être invoquée dans le contexte de pénalités administratives. Après en avoir discuté longuement, la Cour a conclu que la présomption en faveur de la responsabilité stricte n’avait pas été réfutée par le ministre et que son appel devrait par conséquent être rejeté. Au paragraphe 91-17, le juge Robertson s’est demandé si, le ministre tenant de la loi le pouvoir de renoncer aux pénalités, il est encore loisible à la Cour canadienne de l’impôt d’accorder l’exonération en faisant droit au moyen de défense implicite de la diligence raisonnable. Sa réponse a été la suivante :

Il y a lieu de noter qu’en dégageant de la loi l’existence de ce moyen de défense, la Cour de l’impôt n’écarte pas la pénalité de 6 p. 100. Il ne fait que donner aux inscrits la possibilité de se disculper en démontrant qu’ils ont fait raisonnablement diligence pour calculer le montant de TPS à verser. Faute par eux d’avoir observé la norme de diligence, ils seront toujours tenus à la pénalité. De son côté, le ministre peut renoncer à la pénalité même si la diligence raisonnable n’est pas prouvée. Il y a donc une différence de nature entre la reconnaissance de l’existence implicite du moyen de défense de la diligence raisonnable et le pouvoir que le ministre tient de la loi de renoncer à la pénalité.

[15] Je suis d’accord avec l’avocat de l’appelante pour dire que sa cliente a respecté le critère de la diligence raisonnable en suivant les conseils de son comptable agréé et en demandant des crédits de taxe sur les intrants. La preuve a indiqué que cette question avait été débattue avec les fonctionnaires de Revenu Canada avant que soit faite la demande de crédit de taxe sur les intrants, et qu’ils n’étaient pas d’accord sur le bien-fondé de cette demande. Cependant l’appelante, conseillée par son comptable agréé, a fait la demande de crédit. Celle-ci n’était pas spécieuse, mais reposait sur un argument juridique crédible concernant l’interprétation de la Loi. Dans ces circonstances, bien que cet argument n’ait pas été accueilli, je n’estime pas approprié d’imposer une pénalité.

[16] Conséquemment, l’appel est rejeté quant au premier point en litige, et il est accueilli quant au second.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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